comment passe-t-on de l'un au multiple?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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YvesMichaud
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comment passe-t-on de l'un au multiple?

Messagepar YvesMichaud » 27 févr. 2005, 07:14

Chers amis,

La métaphysique thomiste consiste en une régression du multiple à l'un. Le multiple, c'est le monde, ce sont les êtres qui sont multiples, divers et composés. L'un, c'est Dieu, être unique et simple.

Ce qui est moins clair, c'est la façon dont le multiple peut sortir de Dieu. Par exemple, on peut poser la question suivante: si Dieu est existence (esse) pure, et que l'essence est réellement distincte de l'existence, alors d'où vient l'essence?

Comment, dans le spinozisme, on explique le passage de Dieu à la multiplicité phénoménale? Henrique m'a dit un jour que Dieu avait le pouvoir de s'autoaffecter, mais ce concept me paraît obscur.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 27 févr. 2005, 23:57

Comment passe-t-on de l'infini unique à la multitude des êtres finis ?

Il n'y a pas de passage en fait puisque les êtres finis n'émanent pas de l'infini mais en sont une expression immanente et éternelle.
Explication : dans l'ontologie spinozienne, les êtres finis, multiples, n'existent pas à titre de substances. C'est la raison pour laquelle le problème de l'individuation ne s'y pose pas du tout dans les termes aristotélico-thomistes, c'est-à-dire dans de philosophies qui n'ont jamais fait qu'expliciter et commenter la pensée spontanée du vulgaire.

Après cette fulgurance intuitive, essayons de dire ça dans un langage plus analytique ;-) :

a - Dieu est éternel, ce qui signifie que son existence ne se comprend pas comme une succession de moments différents mais qu'en lui, il n'y a qu'un unique 'moment' qui n'a pas à "continuer d'exister", c'est-à-dire à durer, puisque rien ne pourrait le faire cesser. Il existe, c'est tout.

b - Une infinité de choses "suivent" de la nécessité de la nature divine (E1P16) : ce n'est pas après que Dieu ait commencé d'exister, puisqu'en lui l'idée de temporalité n'est pas pertinente. C'est de la même façon que les propriétés du triangle suivent de sa nature : immédiatement, éternellement.

c - Comme la nature de Dieu est absolument infinie, une infinité de "propriétés" suivent de sa nature car plus une chose possède de réalité ou de perfection, plus elle a de propriétés.

d - Il n'y a donc pas à se demander comment est-on passé de l'être infini unique à la multiplicité finie : il n'y a pas eu de passage de l'un à l'autre puisqu'il n'y a pas de différence substantielle entre eux.

e - Si nous attribuons une réalité à la temporalité, c'est parce que nous jugeons "l'étantité de l'être" à partir de notre réalité finie, de façon partielle et confuse, parce que nous prenons, par un préjugé peut-être encore plus radical que le préjugé finaliste, l'être fini pour l'être tout entier. Si on remet les choses dans le bon ordre : la seule réalité substantielle est Dieu et elle est éternelle. Cela signifie que ses modes, autrement dit toutes ses façons particulières de s'affirmer, existent de toute éternité.

f - Mais un mode fini commence et cesse d'exister, non ? Oui parce qu'en étant fini, son existence est bornée par d'autres êtres finis. Mais on ne voit là une remise en cause de son éternité que lorsqu'on conçoit l'être total comme être fini, donc temporel. Dans la nature naturante comme dans la nature naturée (adéquatement comprise comme expression de la première), rien ne cesse d'être ni ne commence à proprement parler. Cela signifie que cette pomme qui pour moi n'est plus puisque je l'ai mangée existe toujours en Dieu, intacte, non seulement à titre de pensée mais tout aussi bien de réalité étendue, non en tant que pomme mangée, digérée, transformée etc. mais bien dans sa bonne grosse réalité de pomme. Bien que bornée dans son existence propre, elle a été et sera toujours du point de vue de Dieu puisqu'elle découle éternellement de sa nature. Quant à cette orange que je mangerai l'année prochaine à Noël, elle existe déjà également.

g - A titre de mode infini, la nature naturée ou univers a toujours existé et existera toujours. Cela n'est difficile à comprendre que pour quelqu'un qui conçoit l'être à partir du fini, c'est-à-dire à partir de la négation. Si tu pars de cette autoaffirmation pure qu'est l'être absolument infini, c'est limpide :
:idea: l'être est, le non-être n'est pas
:arrow: {dans le passé comme passage de l'être au non-être, le non-être n'est pas ;
dans le futur comme passage du non-être à l'être, le non-être n'est pas.}
Ce n'est que pour moi, quand je pense le fini à partir du fini, que le passé n'est plus et ce n'est que pour moi que le futur n'est pas encore.

Enfin tu dis "passage à la multiplicité phénoménale". Tu es parti d'une question d'ontologie. Mais comme le phénomène n'est qu'une apparition de l'être, la question de savoir pourquoi les choses nous apparaissent comme des substances diverses plutôt que comme simples façons d'être d'une substance unique relève de la critique de la connaissance, c'est donc une autre question.

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Messagepar Miam » 28 févr. 2005, 00:30

"C'est la raison pour laquelle le problème de l'individuation ne s'y pose pas du tout dans les termes aristotélico-thomistes, c'est-à-dire dans de philosophies qui n'ont jamais fait qu'expliciter et commenter la pensée spontanée du vulgaire." :D

Si, si : quand ça lui prend, Henrique s'engage méchamment ! :twisted:

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Messagepar hokousai » 28 févr. 2005, 12:39

Alors sur ce texte clair de Henrique , je pose une question subalterne , liée il est vrai à la théorie de la connaissance et à laquelle donc on est vraiment pas obligé de répondre sur ce fil .


Sans préjuger d’un attribut sous lequel les pommes ne sont pas distinguables des oranges.

Pour un entendement infini, une pomme existant sous une infinité d’ attribut est elle distinguable d’une orange existant sous une infinité d’ attributs ? La pomme comme l’orange étant alors l’expression d'une infinité d’essences éternelles et infinies .
Equivalence : il est nécessaire et suffisant pour une pomme ( idem pour une orange ). D’être comprise par un entendement infini sous une infinité d’ attributs .
Pomme ou orange ou n’importe quelle autre variable introduite dans la proposition sont déterminées à l’identique donc non discernables .
Pour être plus clair s il est nécessaire et suffisant pour le cercle de répondre à son équation aucun cercle n’est discernable d’ un autre .

Est-ce suffisant ?
Ceci donc à l’exclusion de toute autre détermination .
C’est oui ou c’est non ?
.Car s 'il en est une autre, il faut en rendre compte, ce qui est la question de l’individuation , traitée , soit dit en passant, par les commentateurs de la pensée spontannée ..


Mais il n’y a pas à chercher si loin . Sous les deux attributs auquels nous avons accès , comment un aveugle distingue t-il le bleu du rouge ?
Car cette couleur bleue du ciel que je verrai à Noël et qui existe déjà , l’aveugle niera qu’ elle existe .Il voudra bien me faire confiance mais ce sera de l’ordre de la foi .
En quoi ne serions- nous pas dans l’ordre de la foi quand nous affirmons que la couleur du ciel existe ?

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Messagepar infernus » 28 févr. 2005, 13:11

Le concept d’expression est en effet primordial pour comprendre Spinoza, mais je pense que la question de Yves n’est pas si facile à évincer. Il est vrai que la substance spinoziste n’a plus rien à voir avec la substance aristotelo-thomiste, qui était conçue comme le substrat subsistant par delà les variations accidentelles. Alors que pour S. la seule substance qui soit est celle consistant en une infinité d’attributs. L’identification de l’attribut à la substance permet de le distinguer des accidents et des modes, qui ne sont plus de simples manières d’être, mais des choses réelles. L’unicité non numérique de la substance signifie ainsi la multiplicité infinie de ses attributs comme essences constituantes. Le monisme ontologique fonde un pluralisme.
Dieu étant cause immanente et non transitive, il n’y a pas à proprement parler passage de l’infini au fini, mais plutôt auto-production de l’infini par et dans le fini infiniment divers.
Le problème, je pense, est d’arriver à articuler le fait que le dieu de Spinoza soit une puissance infinie en acte de toute éternité ( et là aussi il y a rupture avec la conception traditionnelle du couple puissance/acte) et qu’en même temps celle-ci s’auto produise elle même (causa sui), s’ exprime à travers une infinité d’expressions finies. Il me semble que la notion d’expression implique une certaine idée de mouvement de ce qui s’exprime vers son expression. Ce qui s’exprime est antérieur à son expression et agit, tend à s’exprimer; de sorte qu’il est difficile de ne pas recourir au devenir-divin, procès de réalisation de l’Absolu hegelien qui ne se pense que dans son mouvement, et donc implique un moment du négatif. Si l’on ne veut pas reprocher à Spinoza d'avoir fait de son dieu une substance figée, morte, alors qu'il le définit lui même comme puissance active ( « la toute puissance de Dieu a été en acte de toute éternité et demeure pour l’éternité dans la même actualité » E I, prop. XVII, scolie ; « il nous est donc impossible de concevoir Dieu comme n’agissant pas que comme n’étant pas » E II, prop. III, scolie) il nous faut nous interroger sur la notion d’action. Implique-t-elle nécessairement une certaine négativité, que Spinoza n’aurait pas su penser? Peut-on parler d’un déploiement divin dans la théorie spinoziste de l’expression ?
Modifié en dernier par infernus le 28 févr. 2005, 19:29, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 28 févr. 2005, 15:17

à Infernus

""""Ce qui est moins clair, c'est la façon dont le multiple peut sortir de Dieu. """""Yves

"""" il n’y a pas à proprement parler passage de l’infini au fini, mais plutôt auto-production de l’infini par et dans le fini infiniment divers. """"Infernus

Si nous ne rencontrions pas de fini infiniment divers il n'y aurait pas de
question . Ré-introduire l’infiniment divers dans l’infini pose les questions que j’ai soulevées plus haut .
Et l’en faire sortir pose encore plus de question ,car il demande d’expliquer la nécessité de l’expression . Que nous ne pouvions concevoir dieu que comme actif certes , mais que Dieu ne puisse se concevoir que sous cette nécessité est problématique , ainsi d’une contrainte à l’action .

La conclusion serait que ce qui n’est pas acte n’est pas .Mais comme vous le remarquer l’ acte introduit du négatif , car ce qui est exprimé n ‘est plus , c’en est fini de cette expression là particulière et la faire tenir dans l’éternité me paraît relever du dicible impensable ..Ainsi d' actes en actes Dieu serait plus à envisager comme la somme des néant d' actes épuisés plutôt que comme la somme d’ actes révolus ou à venir mais persitant quand même, on ne sait sous quelle forme d’ existence imaginable ..

Sauf si l’ acte actuel est Dieu , la substance est la chose en acte, hic et nunc et pas plus .

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Messagepar Miam » 28 févr. 2005, 17:05

Pour Henrique.

N'y a-t-il pas toutefois un problème dans la relation entre la substance et "une infinité d'attributs infini" ? "Une infinité", c'est quand même du quantitatif. Spinoza s'efforce de maintenir le quantitartif dans la nature naturante. Pourrait-on traduire par "l'infinité des attributs infinis" afin de supprimer le distributif de "une infinité de..." ? La réponse de Deleuze, son appel à Scott et Bergson me semble ad hoc et seulement technique. Cela me pose des problèmes quant au statut de l'entendement fini. Voir ma conversation avec Solozzo dans "Etendue et pensée" (si tu pouvais me répondre en cette dernière matière, je t'en serais infiniment reconnaissant) :arrow: :?: :!: :( .


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