panthéisme et panenthéisme

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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YvesMichaud
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panthéisme et panenthéisme

Messagepar YvesMichaud » 16 mars 2005, 19:22

Quelle est la différence entre les deux positions? :?:

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Henrique
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Messagepar Henrique » 16 mars 2005, 23:59

La différence serait que la panthéisme dit que tout est Dieu et que le panenthéisme que tout est "en" Dieu sans pour autant être Dieu. C'est Martial Guéroult qui a inventé ce dernier terme pour qualifier la philosophie de Spinoza et la distinguer des panthéismes non philosophiques qui identifient "grossièrement" Dieu avec tout ce qui bouge (ou ne bouge pas d'ailleurs).

Blandine Kriegel reprend cette distinction dans la conférence en vidéo que tu pourras trouver dans les téléchargements.

Il est vrai qu'en Ethique I, prop. 15, Spinoza dit que tout est en Dieu. Il est évident qu'un être fini ne saurait de lui-même être la substance, les attributs, la nature naturante. Mais je trouve tout de même cette distinction assez trompeuse. Cela donne à penser qu'on serait "en Dieu" comme des balles de ping pong dans une essoreuse du Loto. Dieu serait le contenant, les êtres finis seraient le contenu mais ne s'identifieraient jamais avec ce qui les contient.

Quand Spinoza démontre E1P16, on voit que les modes suivent de la nature de Dieu comme les propriétés d'une figure géométrique. Cela indique qu'ils sont inséparables de l'essence même de la substance unique et donc qu'ils y participent immédiatement. Un mode est donc Dieu au même titre que "la figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales" est le cercle alors que ce n'est là effectivement qu'une propriété du cercle, non sa définition adéquate (qui se fait ici par sa cause immédiate : "une figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile"). Les modes ne peuvent se comprendre que par Dieu, mais Dieu s'explique dans les modes.

Voilà pourquoi je ne rechigne pas à employer le terme de panthéisme pour qualifier la philosophie de Spinoza. Bien sûr ce n'est pas le même panthéisme que celui des sorciers animistes du Tibet, ni celui de l'advaïta vedanta des Indiens, ou encore des stoïciens, de Bruno etc. Mais comme toujours, je ne crois pas que la rupture soit absolument radicale. Je pense que Spinoza passe ce qui a existé dans les doctrines et les religions au crible de l'idée claire et distincte : "rompre l'os, & sugcer la substantificque mouelle".

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Messagepar YvesMichaud » 17 mars 2005, 04:17

Salut,

Est-ce que l'invention de Martial Guéroult est ancienne? Parce que je lis un vieux livre (1932) qui contient ce terme.

Le livre en question est sur la philosophie du Vedanta. Selon l'auteur, Spinoza affirme que Dieu est un «aggrégat de modes».

La position de l'auteur est celle-ci: les êtres finis, visibles et invisibles, sont des modes qui «manifestent» la grande Substance, mais qui ne l'épuisent pas. Il y a donc une partie de cette grande Substance qui est au-delà des modes manifestés. La grande Substance est plus riche que ce qui se manifeste d'elle dans ses modes. L'auteur dit donc que cette Substance est immanente et transcendante à la fois vis-à-vis de ses modes. Il qualifie cette position de panenthéisme.

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Messagepar Henrique » 17 mars 2005, 12:06

Le livre de Guéroult date des années 1960. Donc tu m'as appris quelque chose ! Je pensais que c'était un néologisme forgé par lui. Peut-être l'a-t-il réinventé sans le savoir, mais je n'ai pas eu son doublé pavé sur Spinoza entre les mains depuis longtemps pour m'en assurer. Pourrrais tu indiquer l'auteur et le titre du livre dont tu parles ?

Maintenant définir Dieu comme un "agrégat de modes", ce n'est évidemment pas la définition de Spinoza pour qui la substance prime ontologiquement sur ses affections. Si Dieu se réduisait à n'être que la somme de ses modes, il n'y aurait plus qu'une nature naturée, sans nature naturante. Ce qui répond au passage en partie à une question qu'avait posée Fabrice Z.

Quant à la "position" de l'auteur dont tu parles, c'est bien sa propre doctrine qu'il qualifie ainsi par opposition à ce que serait le "panthéisme" de Spinoza ?

Blandine Kriegel justement dit que le Dieu de Spinoza est à la fois transcendant et immanent par rapport aux modes. On aurait donc l'idée d'un être dont une partie de l'essence serait "manifestée" tandis que le reste serait inaccessible. Un peu comme la fourmilière du point de vue de l'abeille qui n'en connaît que les manifestations extérieures sans pouvoir percevoir la reine des fourmis à l'intérieur. Il y aurait de l'être non manifesté.

Pour ma part, je dirais que le rapport entre nature naturante et nature naturée est celui d'une identité ontologique et d'une différence gnoséologique. Les deux natures ne sont qu'une seule et même réalité qui est tantôt considérée dans son unité fondamentale tantôt dans la richesse et la multiplicité infinie de ses autodéterminations. Donc les modes malgré leur infinité n'épuisent pas à proprement parler la substance, ce ne sont pas des émanations d'une part comme le suggère le terme "d'épuisement" mais des expressions singulières, immédiates et immanentes de l'essence de la substance, et quand bien même, la substance ne se réduit pas aux modes, elle en est l'unité. Un peu comme les cailloux et la terre qui constituent le chemin : le chemin n'est rien sans les cailloux et la terre mais c'est le chemin qui fait l'unité des cailloux et de la terre en tant que chemin, qui en fixe l'ordre et la continuité.

Aussi n'y a-t-il pas de réalité "non manifestée" de la substance. Une manifestation suggère un rapport d'intériorité à extériorité, or il n'y a pas d'extériorité à Dieu. En revanche Dieu s'exprime d'une infinité de façons au sens où son essence possède éternellement une infinité de façon de s'autoaffecter. Mais cette essence est entièrement exprimée ou n'est pas, car autrement, ce serait une essence impuissante, une essence qui comporterait une part de négativité : une essence inexprimée - alors qu'il n'y a rien de négatif dans l'expression en tant qu'autoaffection de l'essence.

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Messagepar hokousai » 17 mars 2005, 19:37

panenthéisme
Le mot a été forgé par Karl Chr. Fr. Krause (1781-1832), théologien philosophique assez confus.
Semble désigner la doctrine selon laquelle tout est en Dieu sans impliquer que tout soit Dieu .

""""Karl Rahner propose la définition suivante: «Le terme de «panenthéisme» (= tout en Dieu) désigne une forme atténuée du panthéisme selon laquelle la totalité du monde serait une modification interne et une manifestation de Dieu» , en ajoutant qu’on peut l’entendre dans un autre sens, orthodoxe. """"""

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Messagepar YvesMichaud » 18 mars 2005, 00:46

Eh bien! Nous savons maintenant que le mot panenthéisme a une longue histoire.

***

Henrique: donc tu dis que le rapport de Dieu à ses modes est similaire au rapport d'une figure géométrique à ses propriétés. D'accord, mais les propriétés d'une figure géométrique sont immuables, posées ab aeterno, une fois pour toutes, alors que les êtres finis sont changeants. Comment l'expliques-tu?


Moi c'est ce que j'appelle une preuve par l'absurde de la fausseté du spinozisme:

Si Spinoza a raison, il n'y a pas de changement. Mais il y a du changement. Donc Spinoza a tort.

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panthéisme et changement

Messagepar Henrique » 24 mars 2005, 17:26

Ma réponse sera double. D'une part, il n'y a pas de devenir, d'autre part le mouvement est une propriété de la substance en tant qu'elle est étendue.

Si par changement, tu entends le passage de l'être au néant, puis du néant à l'être - autrement dit ce qu'on appelle le devenir - alors le changement n'existe pas si on considère le réel à partir de la substance de tout ce qui existe, c'est-à-dire en toute vérité. La substance existant éternellement en raison de sa propre nature, ses affections existent également éternellement. Un mode, comme l'individu Victor Hugo par exemple, ne nous paraît cesser d'exister que parce que nous le considérons à partir de nous-mêmes, abstraction faite de la totalité infinie de ses déterminations. Mais du point de vue de Dieu, tout ce qui existe, existe nécessairement en raison des causes qui de toute éternité doivent le faire exister. Cela signifie rien ne cesse réellement, substantiellement, d'exister et donc que Victor Hugo existe toujours, de même d'ailleurs qu'il existait déjà avant le "XIXème siècle" (qui n'est qu'une référence temporelle, la mesure du temps étant un auxiliaire de l'imagination - cf. Lettre 12). En fait Victor Hugo comme n'importe quel mode a "commencé" d'exister dès lors que la substance et donc l'infinité de ses affections a commencé d'exister, ce qui revient à dire qu'il existe éternellement.

Cependant, cette totalité immuable que constitue la substance n'est pas pour autant sans mouvement. Immuable, elle l'est parce que rien d'extérieur ne saurait la mouvoir. Mais en elle-même, le mouvement existe. Les modes se définissent en effet tous de façon dynamique par un effort de persévérer dans leur être, ce qui les conduit à s'étendre à dépasser leurs limites, autrement dit la négation qui les définit en tant qu'êtres finis. Cette extension, cette dilatation est déjà une forme de mouvement. Comme les autres modes ont la même impulsion, ils s'entrechoquent et se contraignent mutuellement à d'autres mouvements ou au repos. Ils peuvent aussi passer à un degré de perfection (= de participation à la réalité) supérieure quand cet effort est secondé par d'autres modes ou inférieur quand il est empêché par les autres.

Cela n'est pas dire qu'il y a devenir : le mouvement qui affecte un corps A étant nécessaire, il est et demeure pleinement positif : il ne peut pas ne pas être, ce qui signifie qu'il ne cesse d'exister (ou n'existe pas encore) que pour une conscience partielle c'est-à-dire finie de ce mouvement. Le spinozisme consiste à rester cohérent avec l'évidence première formulée par Parménide : l'être est et le non-être n'est pas. Considérer qu'il y a du passé qui cependant n'est plus ou de l'avenir qui n'est pas encore, c'est affirmer la négation ou nier l'affirmation. Le spinozisme est une affirmation de l'affirmation.

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Re: panthéisme et changement

Messagepar YvesMichaud » 24 mars 2005, 20:03

Henrique a écrit :Si par changement, tu entends le passage de l'être au néant, puis du néant à l'être - autrement dit ce qu'on appelle le devenir - alors le changement n'existe pas si on considère le réel à partir de la substance de tout ce qui existe, c'est-à-dire en toute vérité.


Tu confonds changement avec création-annihilation. Le changement est seulement le passage d'un état à un autre.

La substance existant éternellement en raison de sa propre nature, ses affections existent également éternellement. Un mode, comme l'individu Victor Hugo par exemple, ne nous paraît cesser d'exister que parce que nous le considérons à partir de nous-mêmes, abstraction faite de la totalité infinie de ses déterminations.


Le problème n'est que déplacé, car maintenant il faut rendre compte du changement dans la façon de considérer Victor Hugo (d'abord comme un enfant, puis comme un adulte, et enfin comme un mort)

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Messagepar hokousai » 24 mars 2005, 23:20

Il me semble y avoir chez Henrique une ambiguïté majeure sur l’ existence .
Certes ""les choses particulières ne sont rien que des affections des attributs de Dieu (coroll prop 25 partie 1)

et """"""""Nous concevront facilement que la nature tout entière est un seul individu dont les parties c’est à dire tous les corps varient d'une infinité de manières sans que change l'individu tout entier .""""""""(scolie du Lemme 7 partie 2)

Henrique conçoit les variations comme statiques .Ainsi dans une éternité on ne peut plus vraiment dire que les choses durent .Elles sont hors du temps .
Nous éprouverions cette variation en éprouvant la différence .
Une différence statique n’est pas orientée par les deux catégories logique de l’être et du non- être mais par les catégories de l’être et de l’être autre . A cet effet Henrique à raison de nier la pertinence du néant puisque sa logique l’exclut ...Il n y a pas d' avant et d' après mais une coexistence, une juxtaposition de points de vue nécessaires, différents les uns des autres mais ne se niant pas .Le principe de non contradiction n’a plus de raison d’ être non plus puisque celui ci se pose comme antagoniste de l’affirmation ( contradictoire ) de l’être et du non- être .....

De cette juxtaposition statique ne peut naître un choix pour une chose existante plutôt qu’une autre or ce choix est apparent dans la succession des idées et des corps .L’apparition dans la présence se révélant comme un choix entre diverses possibilités .
Il y a donc une donnée fondamentale qui est une relation d'ordre ( passé- présent -avenir ) dans la logique de être et du néant ,logique commune .

Cette relation d'ordre n’est pas exprimée par le point de vue parménidien de Henrique .
En quelque sorte il ne rend pas compte de l’expression de Dieu dans l’ordre , c’est à dire dans dans tel ordre précis .

La particularité du point de vue humain n explique pas l’ordre . La particularité du point de vue humain considérée comme statique et ouverte également à l’intemporalité des idées et des choses ignorerait tout d’un avant et d’un après . Ce qui n’est pas le cas .
Car nous pensons le monde dans un ordonnancement qui est nommé le temps .

Il faudrait pour bien faire , conférer au temps le statut de troisième *attribut de Dieu accessible à l' homme . C’ est à dire qu’il faudrait admettre que ce que l’intellect perçoit de la substance comme constituant son essence, c’est de s’exprimer dans un certain ordre .

Hokousai

*où il nest pas dit que le temps ne soit pas une figure de l 'amour .

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Re: panthéisme et changement

Messagepar Henrique » 24 mars 2005, 23:53

YvesMichaud a écrit :Tu confonds changement avec création-annihilation. Le changement est seulement le passage d'un état à un autre.


:mouais: J'avais bien dit "si par changement tu entends..." Comme tu n'avais pas précisé ce que tu entendais, il fallait bien que je propose des définitions. Ce que tu appelles "création-annihilation", c'est ce que Platon appelait le devenir. Le passage d'un état à un autre, j'en ai rendu compte ensuite avec le conatus.

Le problème n'est que déplacé, car maintenant il faut rendre compte du changement dans la façon de considérer Victor Hugo (d'abord comme un enfant, puis comme un adulte, et enfin comme un mort)


J'ai dit que de toute éternité le passage d'un état à un autre pour un mode était nécessaire en raison du conatus ou effort de persévérer dans son être. Le changement en ce deuxième sens n'est donc pas nié mais au contraire expliqué. Dans l'éternité de Dieu, le présent infini de toutes ses déterminations, l'homme A est à la fois enfant, adolescent, adulte, vieillard.

Pourquoi voudrais tu que l'eternité signifie uniquement être figé dans ses limites ? Ce n'est pas la conception de l'éternité de Spinoza, en tout cas pas la mienne ;-). Seul un système fini impliquerait la substance stérile et paralysée qu'Hegel croyait voir chez Spinoza. Certes, si la substance se résumait à n'être qu'un triangle, ses propriétés seraient non seulement éternelles mais également figées. Mais comme elle est absolument infinie, elle implique des propriétés que sont les modes dont l'essence est précisément de s'affirmer autant qu'il est en soi, donc de varier. C'est ce qui fait d'ailleurs que l'idée même de la propriété "la somme des angles fait deux droits" s'affirme d'elle même, dynamiquement, sans avoir besoin d'une hypothétique faculté absolue de vouloir, dans notre mental quand s'y trouve l'idée du triangle.


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