La question de la substance

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
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Joske
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Messagepar Joske » 17 mai 2006, 15:27

à miam:

d'autant que je ne comprends pas bien ton premier paragraphe.


En fait, je ne suis pas sûr de l'avoir bien conçu au moment où je l'écrivais. :)
Tout cela est tellement complexe que parfois j'ai l'impression de le concevoir très nettement et l'instant d'après je ne sais plus...
Je voulais dire que l'entendement peut concevoir une infinité de choses et que chaque chose peut être conçue d'une infinité de manières (autant que d'attributs). Autrement dit, chaque chose correspond dans l'entendement à une infinité d'idées (autant que d'attributs, par exemple un corps sous l'étendue, un x' sous l'attribut x, un x1' sous l'attribut x1, etc). A ceci près qu'il n'y aurait pas d'idée distincte de chose sous l'attribut de la pensée (pas d'âme distincte) car l'entendement est déjà sous l'attribut de la pensée et par conséquent l'idée de la chose sous l'attribut de la pensée (l'âme) est la totalité des idées infinies de la chose (l'idée du corps, l'idée de x', de x1', etc).
Maintenant, pour être franc, c'est ce que je pense être correct, je dis pas que c'est correct... :)

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hokousai
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Messagepar hokousai » 17 mai 2006, 15:36

à miam

Je comprends théologie négative sur une base précise et que Spinoza confirme :l'esprit humain est fini .Spinoza à divers endroit (que j'ai cité ) émet des réserves sur le discours positif que nous pouvons tenir sur Dieu . Je ne vais pas plus loin mais c'est aller très loin ..

........................................................

Les catégories de l'être sont tant présentes chez Spinoza qu'on ne les voit plus. Il est quand même difficile de ne pas remarquer que Spinoza peu ou prou s ‘exprime dans les catégories de l’être lesquelles sont aristotéliciennes
« « « dix catégories : essence, quantifié, qualifié, relatif, quelque part, à un moment, se trouver dans une position, avoir, agir, pâtir.
À cette liste s'ajoutent les opposés, les contraires, l'antérieur, le simultané et la mobilité. » » » » »

Je veux bien que la significations de certaines des catégories en question change notablement chez Spinoza mais ces catégories distinguables et distinguées sont à l’emploi dans la plupart de ses propos .

Je ne vous parle même pas de la logique laquelle est celle de l Etre car sur le fond du principe de non contradiction , il y a ( à tout le moins dans la pensée donc dans le logos) des A identiques à eux mêmes , chez Spinoza comme chez n’ importe quel locuteur .
Je voudrais bien savoir (par ex)si l’attribut pensée n’est pas identique à lui même, s'il peut être et ne pas être sous le même rapport .

……………………………………………………................…..

Deleuze prétend que Spinoza ,lui , pense autrement.
Certes Spinoza tente de penser autrement mais sur un fond incontournable celui de la logique de l' identité et de la non-contradiction ..

Deleuze dit
"""J"""'avais commencé à expliquer ceci : imaginez comment Spinoza voyait les choses; quand il portait ses yeux sur les choses il ne voyait ni formes ni organes, ni genres ni espèces. Facile à dire, mais moins facile de vivre comme ça. Il faut s'entraîner ou bien il y en a qui sont doués."""""""

Oui facile à dire mais en partie faux . Il y a chez Spinoza une tentative de désontologiser les catégories de l'Etre( ce qui avait été commencé par le nominalisme ) n ‘empêche que déontologisée elles persistent dans la pensée .

Spinoza parle par exemple de l’esprit humain ,nous avons là une généralisation spécifique ( dans le genre Esprit on a l'esprit humain ).Il faudrait montrer que Spinoza n’ utilise aucun concept donc qu il ne parle que de particuliers ( individus ) ce qui à l’évidence n’est pas le cas .

..................................................................

Vous posez l’Etre comme le surplus , ce qui ne serait pas déclinable dans les catégories de l’être , c’est à dire que vous pensez impensé un reliquat qui demanderai à l être .
Ce qui est introduire un défaut ou une impuissance qu on ne peut admettre que dans le cas d 'intéllect finis.

Les catégories de l' être sont des manières de penser .L’être est intelligible(et même plus il est l'intelligible pour l'esprit humain ) et ce qui n’est pas intelligible n'est pas l'être .

Difficile de préjuger d’un entendement infini sur son allégeance aux catégories de l’être .
On peut estimer cependant qu ‘il y a rien pour un entendement infini qui demeurerait inintelligible , rien d’intelligible qui ne soit pas intelligé. Tout de qui est intelligible l’est .

IL n’y a pas de reste en jachère mais une infinité d’ attributs chacun exprimant une essence éternelle et infinie .

bien à vous
hokousai

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Messagepar hokousai » 17 mai 2006, 16:13

Cher Joske

"""""""""""""""""""" L'attribut pensée ou l'entendement infini, c'est selon moi tout un en réalité, ils ne sont distingués que par la raison. Dit autrement, il n'y a pas d'un côté une nature naturante et de l'autre une nature naturée, il s'agit toujours de la même et unique nature conçue différemment"""""""""""""""""""""""""""""""

Oui mais vous parlez contre Spinoza ( c’est votre droit ) moi je rappelais ce qu’il en dit et c’est très clair dans démonstr de prop 31 partie 1
.......................................

sur l 'attribut

Je ne pense pas que les attributs soient des être de raison . Il est bien évident que Spinoza (comme vous même) est un homme qui pense qui écrit et qui écrit logiquement dans une langue précise , certes , il est un être de raison . Mais l’accès qu’il a à la pensée est- il rasisonné ? et celui qu’il a à l’étendue est il raisonné ?

La raison juge du vrai et du faux ( du bien du mal, du bon du mauvais ) elle juge du bien fondé de ses assertions lesquelles sont a priori justifiables de bonnes raisons . La pensée telle qu’elle nous apparait et de même pour l’étendue sont- ils redevable d’une justification par d’ autres raisons que leur apparition .

Spinoza suit sans doute Descartes , il ne pourrait considérer comme nécessaire la mise en relation du « je pense » avec une cause extrinsèque ( l’idée de pensée ou de penser n’ a pas besoin du concept d’ autre chose pour être formée )
............................................

sur la connextion

je remarque que vous niez les distinction réelles ( étant posé que les distinctions réelles n'existent pas, ) mais que vous affirmez les connections dans la pensée . Ou bien la pensée n’est pas réelle ou bien il y a des connections entre des éléments indistinguables . !!!

Le fait que les idées soient des modes de la pensée n'implique pas qu'elles sont en relations (certaines oui d' autres non )

L’idée de pensée et l’idée d 'étendue en tant qu’idées ne sont pas en relation en tant que précisément « idée de pensée « et » idée d étendue « mais en tant qu’ »idée en général » .
Vous avez une troisième idée qui est celle d’ une relation entre les idées en général comme étant des modes de la pensée ce qui ne donne pas une relation entre les deux idées de départ .


amicalement
hokousai

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Messagepar Joske » 17 mai 2006, 18:53

hokousai:

Oui mais vous parlez contre Spinoza ( c’est votre droit ) moi je rappelais ce qu’il en dit et c’est très clair dans démonstr de prop 31 partie 1


Si je le fais, c'est à mon corps défendant... :)
Mais je ne pense pas parler contre lui. Voyez le scholie de la prop. 29 où il explique ce qu'il entend par nature naturante et nature naturée:
- nature naturante: "Dieu, en tant qu'on le considère comme cause libre."
-nature naturée: "tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent être ni être conçues sans Dieu."

Il s'agit bien d'une distinction logique, née de l'entendement (qui considère la chose sous tel ou tel aspect), et non réelle.

Je répondrai plus tard sur le reste, cela demande un temps de réflexion.

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Messagepar hokousai » 17 mai 2006, 23:45

à Joske

"""""il s'agit bien d'une distinction logique, née de l'entendement (qui considère la chose sous tel ou tel aspect), et non réelle. """""""""

Diriez- vous que la pensée n'est pas réelle ?
Or il me semble que la considération sous tel ou tel aspect est réelle, elle n’est pas rien , à l'évidence elle apparaît (les modes apparaissent ,ils sont reconnus comme des manières de penser )
Qu' il s'agisse de conception je veux bien puisqu’il s'agit de modes de la pensée .


Ou bien il n’y a qu’un seul attribut (la pensée )ou bien une infinité dans ce cas Spinoza dit

"""""""" il suit que l être formel des choses qui ne sont pas des manières de penser , s’il suit de la nature divine ce n’est pas parce que celle ci a antérieurement connu les choses mais ce sont les choses dont il y a idée qui s’en suivent et qui se concluent de leur attributs de la même manière et avec la même nécessité que les idées s ‘ensuivent de l attribut pensée (coroll prop6partie 2)"""""""""""

suit la prop 7
"""""""L’ordre et l’enchaînement des idées est le même que l’ordre et l’enchaînement des choses ."""""""".

....................................................................
Il y a des conceptions différentes ( vous dîtes :conçu différemment )
La substance indivisible ET la substance s’ exprimant ( différenciée ) .

Différencié n'implique pas divisible , il faudrait pour diviser que les modes soient causa sui ( ce qu’ils ne sont pas ) (que les modes soient monadiques ) Il n’y a pas division de la substance en ce qu’il y a toujours relation causale .
Nonobstant la nécessité qui pose la chose , la chose existante est liée( reliée), il y a pas rupture (ou césure )
Les points de vue n’étant pas contradictoires, il ne faut pas en rejeter un ( la nature naturée )

hokousai

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Messagepar Miam » 18 mai 2006, 13:31

Salut Joske.

Tu sembles me prendre pour un deleuzien. Pourtant, je me désolidarise totalement de la lecture deleuzienne de Spinoza. Dans mon précédent message, j’écris que je « paraphrasais » Deleuze. Pas que je m’accordais avec lui. Lorsque je critique Deleuze, j’attriste les deleuziens, et lorsque je le paraphrase afin de me faire plus facilement entendre, je froisse les anti-deleuziens. C’est embêtant.

Je ne parle jamais moi-même de « quantité » ou de « qualité » mais, comme Spinoza, de l’opposition entre le divisible et l’indivisible qui recouvre la distinction entre la Nature naturante et la Nature naturée. (Du reste, Spinoza parle lui-même de l’étendue comme d’une « quantité indivisible ».) L’ opposition divisible/indivisible est également lisible dans la Lettre 12 et les réponses spinoziennes aux divers paradoxes mégariques que Nicolas Israël présente dans « Le temps et la vigilance ». Je l’entends donc comme un problème de logique au sens le plus large de ce terme : comme d’une réflexivité inhérente à tout discours.

Ce problème logique, il me semble que grâce à Zourabichvili, il y a moyen de l’illustrer au niveau « physique ». C’est là aussi qu’intervient ma « composition infinitaire » (cf. Lemme 7). Qu’on puisse l’illustrer en physique n’empêche évidemment pas qu’il demeure un paradoxe en logique. C’est au sujet de l’Ethique que Spinoza dit que sa physique et sa métaphysique sont les bases de sa philosophie, tandis que la voie proprement logique, par l’examen de la seule puissance de l’entendement, me semble avortée dès le TRE.

La lecture deleuzienne de l’ordre démonstratif des premières propositions de l’Ethique me paraît valide. Mais seule celle-ci me paraît valide. Pour plus de clarté, il convient de mettre en parallèle le recours deleuzien à la distinction formelle scotiste avec le problème des noms de Dieu tel que le lit Deleuze. Le recours à Scott est certes de peu de poids. Il peut faire comprendre ce qu’est une « quiddité » : à savoir ce qu’est la chose par elle-même abstraction faite de ses accidents et de sa définition par un genre (« ti en einai »). Les attributs ne sont en effet pas pour la substance « comme des genres » (cf. PM), puisqu’ils ne l’expliquent pas, ainsi qu’ils le font de leurs modes, parce qu’ils sont communs à chacune de leurs parties.

La substance n’a pas de parties. Elle est indivisible. Aussi les attributs ne définissent pas la substance. Ils n’appartiennent pas à l’essence de la substance qu’ils constituent. C’est déjà une sorte de paradoxe. C’est l’éternité, l’existence, la nécessité que les attributs expriment et enveloppent, qui appartiennent à l’essence de la substance (I 20d). C’est l’éternité, l’existence, la nécessité, etc… qui définissent la substance infiniment infinie. Ce qui n’empêche pas I D6 de définir Dieu comme une substance constituée d’une infinité d’attribut.

En ce sens, en effet, l’attribut semble répondre à la question « ti en einai » (quiddité) et non à la question « ti esti » (essence par définition générique). On s’y attendait puisque Spinoza n’arrête pas de critiquer les définitions génériques aristotéliciennes qualifiées d’ « images communes ». Les définitions de Spinoza, on le sait, ne sont pas génériques mais génétiques. Reste que, tandis que le mode est défini par ses parties constituantes, la substance n’est pas définie par ses attributs constituants.

Si donc l’attribut est comme l’écrit Deleuze une « quiddité », il désigne la substance comme sage est attribuée à Socrate, mais non comme homme est attribué à Socrate pour constituer une définition. C’est donc comme un nom propre (Socrate le Sage, Aristote le Philosophe), mais qualifiant. C’est pourquoi (Macherey oublie cela), Deleuze fait également référence aux noms de Dieu. Toutefois un « nom qualifiant » ressemble plutôt à un « propre » (le Miséricordieux, etc…) qu’à un attribut de Dieu (voir CT). De plus la Lettre 9 sur laquelle Deleuze veut s’appuyer ne parle que de noms propres d’hommes comme Israël ou Jacob, à savoir de noms arbitraires, qui ne qualifient pas mais désignent une même chose dans des contextes (entre autres temporels) différents. Deleuze, comme le fait Aristote, occulte la dimension pragmatique du discours lorsqu'il le confine à sa seule signification. Il n’est donc pas question de voir dans ces noms des « qualités » comme les « quiddités » scotistes. Je les vois pour ma part, ainsi que je l’ai dit, à la fois comme la nécessité pour l’entendement de poser un sujet aux attributs et le paradoxe issu de cette énonciation, fût-ce ici dans la désignation (l’appel) d’un individu. Cela n’est pas sans rapport avec le problème de l’individuation qui, comme l’a vu Zourabichvili, est très présente chez Spinoza, et semble pourtant se résoudre au mieux dans le domaine physico-affectif.

Je suis en accord avec les critiques contre Deleuze lorsqu’elles mettent l’accent sur le caractère arbitraire du choix de l’ « exprimer » comme matrice de l’Ethique. Deleuze semble vouloir tout expliquer par l’ « exprimer », alors que la métaphysique spinozienne est faite du réseau tissé par le constituer, l’envelopper, l’expliquer, le rapporter, l’indiquer,.. et autres verbes que Deleuze ne définit pas précisément. Très important : les verbes. Spinoza n’écrit-il pas « Verba » avec majuscules en II 49s ?

Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme Deleuze, l’ « exprimer » n’est pas toujours triadique. Ainsi en I 10s, chaque attribut exprime « une nécessité, autrement dit une éternité et une infinité ». Pas «une nécessité ou une infinité de la substance », mais qu’enveloppe seulement l’essence de la substance. Il en est de même de l’ « existence » de I 20d. Toutes ces expressions sont « duelle » et non pas « triadique ». Ou plutôt elles sont simplement unitaires, puisque exprimer quelque chose, c’est être affecté dans une chose (la nécessité, l’existence… pour l’attribut ; l’attribut, l’essence de la substance pour les modes et choses singulières ; l’essence du Corps pour le Mental éternel, puisqu’ils sont une seule et même chose).

Contrairement à ce que dit Deleuze, on voit bien par les exemples cités ci-dessus que l’ « exprimer » n’a pas pour objet les seules essences. On exprime bien un « sens » (sensus). Du moins est-ce ce qu’il apparaît dans le TTP. Mais ce sens n’est pas nécessairement une essence.

Aussi bien : « exprimer » ne peut ici, comme le croit Deleuze, s’identifier à « dire de… », avec des attributs qui attribuent l’essence de (à) la substance. Deleuze semble lire l’ « exprimer » comme la « signification » ou le « sens » aristotélicien, alors que précisément, comme le montre Moreau, et contrairement à Aristote, Spinoza distingue le sens de la signification. En identifiant l’ « exprimer » à la signification, Deleuze qui pourtant assimile l’ « exprimer » à l’acte d’énonciation, condamne celui-ci à l’attribution selon le « kata tinos » aristotélicien. Il est alors assez curieux que la « quiddité » serve à expliquer la constitution paradoxale de la substance par les attributs. On retrouve là un argument aristotélicien fondé sur l’ambiguïté de la notion même de signification. Un argument sophistique dirigé contre les sophistes. Un balancement où Macherey croit pouvoir trouver une « dialectique ». Seulement, cette dialectique me semble moins hegelienne que grecque. Deleuze demeure au bord du paradoxe, mais il le circonscrit en formules aristotéliciennes, quitte à faire appel à Scott. A l’inverse, je crois que Spinoza conteste le fondement même de la sémantique aristotélicienne. Mais peut-être j’ai tort.

Donc : ma lecture de Spinoza n’a pas grand chose à voir avec celle de Deleuze que je respecte cependant infiniment…

Quant à la distinction entre la Nature naturante et la Nature naturée, l’argument de Macherey ne me paraît pas probant. Bien sûr, il s’agit d’un même ordre. Mais cela ne suffit pas. On peut fort bien penser des mondes parallèles qui suivent un même ordre. C’est du reste l’objet d’un célèbre échange épistolaire entre Spinoza et Schuller :

Schuller à Spinoza (Lettre 63)

« Troisièmement, vous dites dans le scolie de la proposition 10 que s’il y a quelque chose de clair dans la nature, c’est que tout être doit être conçu sous quelque attribut (cela je le perçoit très bien) et que, plus il y a de réalité ou d’être, plus nombreux sont les attributs lui appartenant. Il semblerait qu’on dût conclure de là qu’il y a des êtres ayant trois, quatre attributs ou d’avantage, alors qu’il ressort de vos démonstrations que tout être se compose de deux attributs seulement, à savoir un certain attribut de Dieu et l’idée de cet attribut. »

Spinoza à Schuller (Lettre 64)

« Quant à ce que vous ajoutez : existe-t-il autant de mondes qu’il y a d’attributs ? je vous renvoie au scolie de la proposition 7, partie II. Cette proposition pourrait se démontrer plus facilement par une réduction à l’absurde, et j’ai accoutumé de choisir ce mode de démonstration quand il s’agit d’une proposition négative, parce qu’il est en accord avec la nature des choses. Mais puisque vous n’acceptez qu’une démonstration positive je passe à la deuxième difficulté ».

A la lecture du scolie de II 7, force est de constater que Spinoza nous reconduit à l’unicité d’ordre. Mais ce faisant il ne répond pas à Schuller. Le scolie de la proposition 7 se dit être un « rappel » et doit évoquer les quelques Hébreux qui « semblent avoir vu comme à travers un nuage » que « Dieu, l’entendement de Dieu et les choses dont il forme l’idée sont une seule et même chose ». Les Hébreux ! Pas les logiciens ! Pas les Grecs polythéistes !

Par ailleurs, le scolie de la proposition I 10 (celui où l’on parle de l’être et de l’Etant) est qualifié par Spinoza de « réduction à l’absurde ». Il s’agit donc d’une réfutation. Non pas d’une « démonstration positive » qu’exigerait Schuller et que Spinoza semble ici incapable de fournir (« Mais puisque vous n’acceptez que les démonstrations positives je passe à la deuxième difficulté »).

Note : La méfiance pour les réductions à l’absurdes étaient alors fondée sur le manque de distinction entre la négation absolue ( non femme blonde = tout ce qui n’est pas femme blonde) et relative (= femme non blonde) dans le discours. On trouve la même ambiguïté chez Aristote dans Métaphysique gamma 4 entre « ne pas être pour un homme » et « être pour un non homme », qui s’identifient dans l’illimité (apeiron)..

Il reste que Spinoza ne peut que réfuter, parce qu’il est ici entre l’ « onto » et le « logique ». Il est manifeste que I 10s glose I 9. Or I 9 qui, contrairement à ce que croit Schuller, affirme l’unicité de la substance infiniment infinie comme seul Etant, n’a aucune valeur « logique » puisqu’ aucune autre proposition ne s’y réfère. Il s’agit donc, je crois, non pas d’un « axiome » comme l’a avancé C 162, mais bien d’un principe onto(logique) indépendant des relations logiques entre les propositions. Il n’ a de valeur que par sa place dans la continuité littéraire de l’œuvre. Et pour cause, ce dont il est question ici au niveau de l’expression cumulative de l’être de la substance, c’est cela même qui apparaît à l’entendement comme paradoxal au niveau de la constitution de l’ essence de cette même substance. Il y a en effet deux « hiérarchies » infinies d’être, de réalité ou de perfection. L’une, des modifications de la substance (qui tombent sous l’entendement). L’autre (ici en 10s), entre les attributs et la substance qu’ils constituent. Et ces deux sont corrélatives à la fois 1° de la double infinité de la substance (infiniment infinie) et 2° de l’expression de cette double infinité comme double dimension de l’infini dans les modes qui constituent l’attribut : une infinité de modes, eux même composés infinitairement. Ce que précisément ne saurait concevoir l’entendement puisque, pour l’entendement la substance ne s’explique que par la constitution paradoxale des attributs où s’arrête et se fonde à la fois son pouvoir d’entendre. C’est d’ailleurs par cette nécessité pour l’entendement de percevoir un attribut comme constituant une substance qu’est démontré I 9 : ce qui sera par ce même entendement, perçu comme une constitution paradoxale (cf. I 9 démonstration). Bref : la réflexivité (telle que l’entend Spinoza) et les paradoxes qui y sont liés sont comme le transcendantal de tout entendement.

Je demande sinon pourquoi Spinoza distingue-t-il la puissance d’agir de la puissance de penser ? Et pourquoi fait-il ce geste de situer l’entendement infini parmi les modes ? Pourquoi sinon pour contester l’ontothéologie scolastique ; et pour ne plus, comme Descartes le fait encore, passer seulement représentativement d’une idée à une autre idée. Certes nous n’avons à disposition que des idées, mais c’est la marque de notre finitude. Je ne pense pas que Spinoza ne fasse que passer de l’idée à l’idée. Dans ce cas ce serait le plus grand des rationalistes dogmatiques. Je pense au contraire qu’il est ce premier philosophe moderne qui ait saisit le problème de la réflexivité (i.e. de l’auto-référence, des niveaux de discours ou de leur situation), mais fort différemment que « nos » modernes qui semblent comme en retrait sur lui, lorsqu’ils ne paraissent pas simplement vouloir l’éviter (on se situe toujours par rapport à Spinoza). Ceci dit : c'est justement Macherey qui a eu le mérite de remarquer que la "réflexivité" spinozienne était fort éloignée de la "réflexivité" moderne (disons : logico-transcendantale).

A Hokusaï : je ne vois toujours pas de catégories de l'être chez Spinoza. Leur présence serait du reste surprenante pour un méta-cartésien tel que lui. Ensuite : toute la physique de Spinoza s'oppose au principe de non-contradiction tel qu'il s'énonce dans Métaphysique gamma 4. Précisément: ce principe qui interdit les interprétations anaxagoriennes ou néo-platoniciennes méréologiques (étude de la relation tout-partie) du premier millénaire n'est plus valide dans la physique spinozienne parce que la définition est génétique et non plus générique. Il ne s'agit plus de "dire au sujet de quelque chose" : "kata tinos", c'est à dire selon les catégories. Il s'agit de dire ce qu'est une chose par la partie qu'elle a en commun avec les autres choses. Il s'agit de dire l'"envelopper" du génétique. La méréologie, revisitée par Spinoza (et Zourabichvili) demeure valide et dépasse le principe aristotélicien puisqu'une chose peut alors être à la fois le même et l'autre en même temps (ama, simul). Avec Deleuze, vous rabattez la métaphysique spinozienne sur l'ontologie aristotélicienne. Ce qui revient à châtrer Spînoza.

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Messagepar Miam » 18 mai 2006, 16:34

Joske:

Tu résumes I 29s :

" nature naturante: "Dieu, en tant qu'on le considère comme cause libre."
-nature naturée: "tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent être ni être conçues sans Dieu."

Le texte complet est :

"on doit entendre par Nature Naturante ce qui est en soi et conçu par soi, autrement dit ces attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie ou encore (Coroll. 1 de la Proposition 14 et Coroll. 2 de la proposition 17), Dieu en tant qu'on le considère comme cause libre. Par Nature Naturée, j'entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de celle de chacun de ses attributs, ou encore tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent sans Dieu ni être ni être conçues".

On voit bien que les Natures Naturantes et Naturées sont également définies positivement sans l'intermédiaire de "quatenus...consideratur". Les deux "considérations" sont introduites par un "hoc est" (c'est à dire) connotant une conséquence entre deux propositions. On passe en effet deux fois d'une définition ontologique à ta "définition logique". Mais cette "définiton logique" est comme le fruit de l'imagination : d'une nécessité pour tout entendement et donc une certaine passivité pour celui-ci. Cette notion est issue de la "considération" de Dieu par l'entendement.Or "considérer", comme "contempler" et "percevoir", comme le montrent les propositions II 16, 17, 18, relève de la passivité de l'imagination.

La Nature Naturante est "conçue par soi" et I (D4), L'entendement au contraire "perçoit" tout attribut comme constituant une substance, un sujet, donc une "cause libre". Ce n'est pas la Nature Naturante qui est "logique" (perçue) mais la notion de "cause libre".

Les Natures sont ici définies tout-à-fait ontologiquement.
La question ici, c'est précisément : pourquoi l'entendement est-t-il irréductiblement atteint de strabisme ? Et la réponse : c'est la conséquence d'un paradoxe inconcevable pour l'entendement et pourtant nécessaire à son opération réflexive d'entendement. Un paradoxe transcendantal.

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Messagepar Joske » 18 mai 2006, 17:05

hokousai:

Les points de vue n’étant pas contradictoires, il ne faut pas en rejeter un ( la nature naturée )


Loin de moi cette idée. Si je rejettais le point de vue de la nature naturée, il n'y aurait pas de discours possible, sauf "la substance existe". Ce que je critiquais essentiellement c'était l'idée deleuzienne que la nature naturante (les attributs) soit de l'ordre de l'ontologique, ce qui nous laisserait avec une multiplicité réelle sans unité. Je défends au contraire l'idée que la multiplicité des attributs n'est que logique elle aussi, c'est ce que l'entendement perçoit de l'un et c'est l'entendement qui est donc le lien de la multiplicité.
Ce que Spinoza me semble vouloir démontrer c'est que le solipsisme et douter de la réalité est absurde même si nous ne percevons que par la pensée. La raison lui suffit, ce qu'il ne cesse de répèter*. Ce en quoi Descartes avait échoué lors du doute radical puisqu'il devait faire appel à la garantie d'un dieu qui ne serait pas trompeur.

*Scholie II, prop. 8: "Si donc quelqu'un venait nous dire qu'il a une idée claire et distincte, et partant une idée vraie d'une certaine substance, et toutefois qu'il doute de l'existence de cette substance, ce serait en vérité (un peu d'attention rendra ceci évident) comme s'il disait qu'il a une idée vraie, et toutefois qu'il ne sait si elle est vraie. Ou bien, si l'on soutient qu'une substance est créée, on soutient par la même raison qu'une idée fausse est devenue une idée vraie, ce qui est le comble de l'absurdité."
Prop 43, part. II: "Celui qui a une idée vraie sait, en même temps, qu'il a cette idée et ne peut douter de la vérité de la chose qu'elle représente."


à miam: ta réponse m'impressionne grandement. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris, mais je suis sûr qu'elle pose la question essentielle. Je vais donc répondre sur base de ce que j'ai compris.
Passons sur Aristote, tu as selon moi raison de placer Spinoza dans le prolongement de Descartes et des questions posées par lui.

Les Hébreux ! Pas les logiciens ! Pas les Grecs polythéistes !


Allez savoir qui sont les plus logiciens... Nietzsche ne pariait-il pas sur les juifs sur ce point? :)

Je ne pense pas que Spinoza ne fasse que passer de l’idée à l’idée.


Je pense qu'il fait bien cela et un peu plus. Il déduit la vérité de la raison par la seule raison.
Le passage que tu cites de l'échange entre Spinoza et Schuller est donc essentiel. Voici ce que répond Spinoza et la question qu'il pose dans cette réponse: "existe-t-il autant de mondes qu’il y a d’attributs ?", autrement dit il croit que Schuller lui demande ceci: "je conçois certes une infinité d'attributs mais cela correspond-il à quelque chose de réel?". Or Schuller ne posait pas exactement cette question. Schuller pense déjà que l'attribut étendue existe réellement: "à savoir un certain attribut de Dieu et l’idée de cet attribut." et oublie que l'attribut est juste perçu par l'entendement, que l'existence réelle de ce qui est conçu sous l'attribut étendue n'est pas encore démontrée... sauf à considérer la substance. C'est elle qui démontre la consistance de la réalité pensée, qui dit que ce que nous concevons (ce que nous voyons) n'est pas un rêve parce que concevoir c'est être et qu'il n'y a pas d'autre réalité que celle que nous concevons. Plus clairement, Spinoza dit "comment pourrais-je nommer rêve ce que je conçois alors qu'il n'y a aucune autre réalité que cela? Que vous concevez une autre réalité? Très bien, mais il ne s'agit pas d'une autre réalité puisque vous la concevez, donc il n'y a qu'une réalité, la raison, donc elle est vraie.".
Schuller ne comprend pas cela, il cherche une idée sous l'attribut pensée et une chose sous l'attribut étendue alors qu'en réalité il n'y a qu'une idée de la chose sous l'attribut étendue DANS (et non à côté) la pensée. C'est pourquoi l'ordre des choses est identique à l'ordre des idées car être chose ou être idée c'est idem et par là il répond à Schuller.
Alors, est-ce que cela en fait le plus grand des rationalistes dogmatiques? Peut-être mais je ne pense pas. Je n'en perçois pas le caractère dogmatique. Tout me semble démontré.

Je ne suis pas arrivé à te comprendre parfaitement (je ne maîtrise pas certaines notions philosophiques) mais parfois j'ai eu l'impression que nos positions n'étaient pas si éloignées que ça. Car je crois voir moi aussi un passage du logique à l'ontologique dans la substance (réconciliation à vrai dire). La différence réside peut-être en ce que pour moi ce passage ne se fait pas en sortant du logique.
Le langage est toujours un obstacle dans ces questions... :(

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Messagepar hokousai » 18 mai 2006, 22:21

à miam


"""Il s'agit de dire ce qu'est une chose par la partie qu'elle a en commun avec les autres choses. Il s'agit de dire l'"envelopper" du génétique."""

oui ,bon

Passons votre discours à l'épreuve car il faut bien éprouver un jour ce qui se dit et qui a tout le loisir d 'être dit et ce d' autant plus abondamment qu'il se garde de montrer des exemples .

Alors dîtes moi ce qu'est la table sur laquelle est posée votre ordinateur . Vous pourrez me parler de propriété ou qualités communes qu’elle a avec les autres choses vous ne me direz jamais ainsi quelle est cette table là individualisée . Or il s’agit de dire cela aussi .On est dans ce cas de plain -pied dans l’identité à soi et dans le principe de non contradiction .
..............................................……………………..

"""""""puisqu'une chose peut alors être à la fois le même et l'autre en même temps """""""""""

voila une puissance bien extraordinaire dont il faudrait me montrer un exemple , un seul .

Spinoza affirme (prop1 des affects )«""""" nulle chose ne peut être détruite sinon par une cause extérieure """""
""La définition d’une chose affirme l’essence de cette chose mais ne la nie pas autrement dit elle pose l’essence de la chose mais ne la supprime pas .""

La définition d’une chose quelconque fut -elle unique en son genre ( la tour Eiffel par exemple ) n’affirme pas que la chose soit ce qu elle n’est pas .
Vous pouvez affirmer que l’autre de la chose c’est encore la chose ( ce n’est pas sa négation) mais dans ce cas vous perdez la chose en son individualité , la chose est expansée à l’infini .

Il est fort douteux que Spinoza ait pu penser qu’un cercle puisse être en même temps ( et même dans des temps divers )à la fois cercle et triangle lui qui affirmait qu’ en empilant les triangles on n’obtiendrait jamais un cercle . C’est lui faire injure que de douter de son approbation du principe de non- contradiction fondement de notre raisonnement .


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Messagepar hokousai » 18 mai 2006, 22:43

à Joske

""""""Ce que Spinoza me semble vouloir démontrer c'est que le solipsisme et douter de la réalité est absurde même si nous ne percevons que par la pensée.""""""""""""""""

Je conteste justement que nous ne percevions ( comme vous dîtes) que par la pensée .
L’ association de percevoir et pensée dans votre texte est symptomatique de la con-fusion de l'accès à la réalité (duel selon moi ) en un seul ( la pensée ) sous un seul attribut( la pensée ) .Ce qui conduit à l'idéalisme absolu .
Si nous avons accès à l’etendue il faut nécessairement distinguer en nous deux modes de connaissance , celui par les affects et celui par les idées. je considère que la perception ( visuelle ,tactile et autre ) est à ranger parmi la connaissance par les affects .

L’étendue est une idée mais l’accès à l ‘étendue n’est pas conceptuel .Tout comme la vision ou la perception des douleurs .Qu ‘une idée soit coexistante d’un affect ,certes , mais cela n’implique pas qu’on ne puisse distinguer .(et je dirais ontologiquement ).

Si vous ne le faites pas vous êtes idéaliste ce qui peut très bien se comprendre, mais il ne me semble pas que Spinoza le soit .

Spinoza distingue clairement

« « « De plus, le mouvement et le repos du corps doivent provenir d'un autre corps qui lui-même est déterminé par un autre corps au mouvement et au repos ; et, en un mot, tout ce qui se produit dans un corps a dû provenir de Dieu, en tant qu'affecté d'un certain mode de l'étendue, et non d'un certain mode de la pensée (en vertu de la même Propos. 6, part. 2) ; en d'autres termes, tout cela ne peut provenir de l'âme, qui (par la Propos. 11, partie 2) est un mode de la pensée. Voilà le second point. Donc, ni le corps, etc. C. Q. F. D.

(pro2 demonst -des affects ) » » »

bien à vous
hokousai


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