La question de la substance

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Miam
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Messagepar Miam » 15 mai 2006, 14:14

Quand je disais "tout l'être", je voulais dire l'"étant", à savoir la substance infiniment infinie, qui n'est bien sûr pas une totalité. Le paradoxe, c'est justement qu'il n'y a pas de totalité au niveau de la nature naturante, alors qu'au niveau de la nature naturée bien. Or l'entendement infini ne saurait considérer que des totalités, puisqu'il est lui même un mode divisible en parties et qu'il subsume comme une classe logique (un ensemble, une totalité) "tout ce qui tombe sous" lui.

L'entendement infini a bien un objet : "tout ce qui tombe sous l'entendement infini". S'il ne fait que percevoir l'attribut, c'est précisément parce qu'il n'est qu'un mode. L'entendement infini, comme mode, est divisé en (une infinité de) parties. Tel n'est pas le cas des attributs qui sont indivisibles et continus, ni de la substance, constituée d'une infinité d'attributs qui n'en sont pourtant pas les parties. D'où le paradoxe. La nature naturée est divisible en objets d'idées claires et distinctes suivant de l'idée de Dieu (êtres objectifs). Mais tel n'est pas le cas de la nature naturante qui demeure indivisible et continue. D'où encore une fois le paradoxe. Car les paradoxes auxquels mène toute réflexivité (en logique) viennent également de cet écart entre le continu et le discontinu.

C'est pourquoi percevoir l'entendement comme indivisible est, comme le dit Spinoza, "très difficile". C'est pourquoi également le troisième genre de connaissance part de la connaissance de l'essence formelle de l'attribut et non pas de son être formel. L'entendement, fini ou infini, peut bien comprendre l'ordre des causes qui suit de la nature de l'attribut, dans la mesure où tous les modes de cet attribut tombent sous lui. Il peut comprendre l'infinité de l'attribut (mais c'est très difficile) L'entendement infini perçoit même une infinité d'attributs infinis. Mais jamais l'être et la réalité de ces attributs qui concourrent à l'étant. Car ce serait alors non seulement entendre l'attribut indivisible à partir d'idées distinctes "comme" la totalité infinie qu'il n'est pas et, partant, percevoir le paradoxe de la substance. Ce serait encore résoudre ce paradoxe par l'idée claire et distincte de la dimension infinitaire (infinie en profondeur) qui permet cette continuité de l'attribut. Ce serait avoir une idée claire et distincte de l'être de l'attribut. Or, cela me paraît impossible parce qu'on n'a plus ni élément individué ni ensemble, même infini : seulement une infinie mise en abîme à chaque point "infinitésimal" (mode) de l'attribut. Cela, avec ou sans paradoxe, c'est intotalisable. On ne peut plus l'entendre. Tout juste peut-on le "sentir" comme nous sentons que nous sommes en quelque manière éternels (voir cinquième partie).

Bref: si l'on peut concevoir une totalité infinie continue, ce qui est très difficile et conduit au paradoxe, il demeure impossible de concevoir clairement et distinctement une infinité infinitaire. Celle-ci, on ne peut pas même la percevoir comme un ensemble (une totalité). Et c'est pourtant cela qui est nécessaire à la bonne compréhension de l'attribut comme continu.

L'essence formelle d'un attribut, c'est tout ce sans quoi l'attribut ne saurait "ni être ni être conçu", à savoir les modes qu'il contient en tant qu'essences formelles (y compris les choses dites non-existantes), puisqu'il y a une idée adéquate de chacun de ses modes. Mais ce n'est pas encore là "l'être" ou "la réalité" de l'attribut qui avec une infinité d'autres attributs, concourrent à l'étant (la substance).

En ce sens, il y a bien du "transcendantal" chez Spinoza. Mais ce n'est pas du transcendantal au sens scolastique (cf. II 40s1), ni même au sens phénoménologique. Il n'y a pas de "donation originaire" (pas d'origine) et il n'y a pas de "préréflexif". L'objet que réfléchit l'entendement est "simultané" à la réflexion (Mental-Corps, Idée du Mental-Mental, idée du Corps-Corps et, mais de façon toute différente, imaginaire parce qu'issus de deux chaînes causales d'ordre différent : la simultanéité pure mot-objet désigné). Toute "réflexivité" au sens où l'entendent les moderne, est ici, contre les modernes, simultanée à ce qui est réfléchi. L'entendement ne réfléchit pas ce qui le précède, il ne réfléchit que des modes. C'est cela toute la différence entre la "réflexivité spinozienne" (entre guillemets car le terme n'apparaît que dans le TRE) et la "réflexivité" au sens traditionnel. Il y a bien quelque chose qui échappe à l'entendement, fût-il infini, et qui pourtant ne le précède pas. Si l'entendement de Dieu et Dieu sont une seule et même chose, comme l'ont entrevu les anciens Hébreux "comme à travers un nuage", c'est qu'ils sont tous deux simultanés (de même le Corps et le Mental, l'ordre des cause d'un attribut et d'un autre, sont "une seule et même chose"). Mais cela ne veut pas dire que l'entendement puisse comprendre clairement et distinctement le paradoxe de la constitution de la substance. Du reste, selon Spinoza, ce n'est pas l'entendement (fini ou infini) qui "explique Dieu" (c'est à dire la substance constituée), mais le Mental, y compris dans ses idées inadéquates : affects passifs comme actifs.

Aussi bien : que nous n'ayons que des idées est la marque de notre finitude (ce qui est déjà paradoxal par rapport à la tradition).

Je pense pour ma part que la pensée spinoziste est extrêmement difficile à expliquer discursivement dans la mesure où, bien qu'usant de termes et de prémisses apparemment classiques, sa logique n'est pas même aristotélicienne. C'est tout juste si on peut encore parler d'onto-logie, précisément parce que l'être et la pensée discursive (logos) ne sont plus en une relation de coappartenance originaire et/ou immédiate. Pour, en forme de boutade, citer Van Vogt, l'auteur de science-fiction : dans le "monde du non-A" (logique non aristotélicienne), "la carte n'est pas le territoire". POur le dire de manière spinozienne "toute idée, en tant qu'on la rapporte à Dieu, est vraie", puisque toute idée est une "idée de Dieu". Mais elle n'est pas pour autant une idée adéquate. L'adéquation dépend de l'"en tant que" (quatenus) de la constitution par Dieu (et non son idée). On voit bien que chez Spînoza la notion de vérité elle-même est fort éloignée de la vérité aristotéliciene aussi bien que des définitions logiques modernes de la vérité ("P est vrai si et seulement si q").

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Messagepar Joske » 15 mai 2006, 14:26

Avant tout, excusez-moi si je deviens lourd avec cette intervention. Je prends un grand plaisir à vous lire mais je crains que cela ne soit pas partagé à cause de mes longues répétitions entêtées et qui peuvent paraître plus affirmatives qu'elles ne le sont en réalité. :)

à hokousai: Certaines nuances ou notions philosophiques m'échappent peut-être dans ton discours, car je ne perçois pas bien en quoi nous divergeons. D'autre part, je me suis sans doute mal exprimé parce que tu m'assignes un discours que je ne cautionne pas. Par exemple, que l'entendement de Dieu serait restreint. Si je dis que l'entendement de Dieu est l'idée de la substance cela signifie au contraire qu'il n'y a pour lui aucune restriction, il pense tout ce qui est pensable de même que la substance réalise tout ce qui est réalisable. Ainsi je souscris à ce que "l'entendement infini soit comme l’idée de ce qui ne peut être limité dans l’attribut pensée", sauf que là tu le décris négativement et qu'il me semble que Spinoza permet de le décrire positivement comme étant l'idée de la substance, en d'autres mots l'attribut pensée (comme je l'interprète, il s'agit d'une même chose décrite de deux manières distinctes).
Je souscris de même à ton interprétation de la conscience comme idée de l'idée. C'est d'ailleurs pourquoi je dis que l'idée de l'attribut pensée n'est autre que l'attribut pensée en ce qu'il se conçoit lui-même (l'idée de l'idée). Tel que je l'entends, et au risque d'amalgamer, dire "attribut pensée", "idée de l'attribut pensée", "entendement infini de Dieu", "idées des attributs" ou "idée de la substance", c'est tout un au niveau de la chose décrite.
Par contre je ne souscris pas à ceci: "l’idée de l’attribut pensée n’est pas connectée avec l’idée de l’attribut étendue". Car l'idée de l'attribut pensée est l'attribut pensée qui a l'idée de lui-même, c'est donc l'attribut pensée et il est connecté à l'idée de l'attribut étendue puisqu'il la contient.


à miam:
Spinoza semble alors dire que ce qui tombe sous un entendement (fini ou infini), ce n'est pas la substance en tant qu'elle est constituée d'une infinité attributs, mais les choses singulières qui sont contenues dans ces attributs, à savoir la nature naturée.


Lorsqu'il dit "une infinité de choses sous une infinités de modes", il me semble à moi qu'il s'agit bien d'une infinité d'attributs sous une infinité de modes. Il ne dit pas "tombe sous l'entendement une infinité de modes". Il n'y a donc pas de paradoxe à ce que l'entendement perçoive les attributs. Outre cela, la critique de hokusai me paraît déjà aller droit au but. :)

Mais ce n'est pas une nécessité logique immédiate (dépendant de sa nature d'entendement), de percevoir une infinité d'attributs appartenant à une même substance. Pour cela il faut 11 propositions. Dont I 9, qui pourtant n'est jamais reprise mais est bien en place, et le scolie de I 10.


C'est, me semble-t-il, exagéré de lier l'exposition de l'Ethique, destiné à des entendements finis, à l'ordre de perception de l'entendement infini. Il y a deux niveaux de connaissance vraie et je suppose que l'entendement infini connait immédiatement.

un entendement infini pourrait fort bien percevoir une infinité de substances constituée d'un ou plusieurs attributs.


Je ne pense pas. Si un entendement infini a une infinité d'idées de substances constituées d'un attribut, il devrait percevoir immédiatement qu'il est l'entendement infini d'une substance infinie car s'il contient les idées de cette infinité de substances il prendra conscience qu'il produit cette infinité d'idées et que son être produit une infinité de substances, autrement dit que ce ne sont pas des substances mais des attributs.
Chez nous ça demande un raisonnement mais dans l'entendement infini, ça devrait être immédiat. Enfin, autant que je puisse préjuger du fonctionnement d'un entendement infini... :)

ce qui logiquement empêcherait des substances finies (Aristote etc...).


Je crois que c'est l'infini. Si les substances finies sont en nombre fini, rien ne l'empêche effectivement. Encore faut-il expliquer la nature du "rien" qui les borne. Si par contre elles sont en nombre infini, il n'y a pas de vide et elles forment donc une substance infinie.

Il n'appartient pas à l'essence de la substance constituée par une infinité d'attributs.


Mais il est éternel (si j'ai bon souvenir), ce qui est particulier pour un mode.

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Messagepar Joske » 15 mai 2006, 14:31

NB: Ma dernière intervention a été publiée avant que je n'aie pris connaissance de la dernière intervention de miam ci-dessus.

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Messagepar hokousai » 15 mai 2006, 18:45

à Joske

si je reprends certaines de vos idéees en les reformulant sans les contredire c'est qu' il n y pas divergences profondes .
(sinon je le signale )

............................................
à miam

Vous avez bien que je donne dans le sec .
Je ne peux( ni ne souhaite ) comme toujours vous reprendre point par point . J'essaie de cerner quelques idéee forces chez vous et qui font problème ( risque d' ereur d'intreprétation de ma part !! à vous de rectifier )

Vous dîtes"""""""Mais jamais l'être et la réalité de ces attributs qui concourent à l'étant. """"""""

Il me semble que vous supposiez un encore à penser hors de la pensée et qui ne serait pas pensé d ‘où comme une impuissance de l’entendement , ce qui peut se comprendre pour un entendement fini mais pas pour un entendement infini .

""""""" Ce serait avoir une idée claire et distincte de l'être de l'attribut""""""

L’idée claire est un intelligible et l’entendement n’a que des intelligibles .Plus même ce qui n’est pas intelligible n’est pas de l’entendement ou bien il n y a pas d intelligibles( d' idées ) hors de l’entendement .

Ce que vous appelez l’ETRE de l’attribut n’est pas intelligible , l’ être de l’attribut ne se décline pas selon les catégories de l’être sauf probablement pour celui qui décline les catégories de l ‘être à savoir la pensée .
L’opération de l’intellect n’a pas d’ analogie véritable dans la nature et Spinoza ne va pas plus loin que la similitude de l’ordre (dans le même ordre )


amicalement
hokousai

.................................................................


PS
l’ essence du cercle est
1)intelligible (cercle pensé , défini, idée de cercle )
2)perçue comme cercle tracé dans l’étendu et cercle
3) nx dans un infinité d’ autres attributs ….

Un cercle vu (ou une roue touchée) est- il pensé quand il est perçu ? Si c’est le cas le cas toujours nous n’avons pas accès à l’attribut étendue .(sous entendu nous n’avons nous humains que des perceptions ou des idées )

Tout cela comme des interrogations lancées dans un lieu où l’on peut se permettre d’ exprimer certaines incertitudes un peu comme elles viennent ?

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Messagepar Miam » 16 mai 2006, 11:57

Salut à tous :

Joske écrit : « Lorsqu'il dit "une infinité de choses sous une infinités de modes", il me semble à moi qu'il s'agit bien d'une infinité d'attributs sous une infinité de modes. Il ne dit pas "tombe sous l'entendement une infinité de modes". Il n'y a donc pas de paradoxe à ce que l'entendement perçoive les attributs. »

En aucune façon. Ce que Spinoza appelle ici « chose » c’est ce qu’il nomme d’autre part « modification » ou « affection de la substance ». « Une infinité de choses », c’est une infinité d’affections ou de modifications de la substance qui est constituée par une infinité d’attributs. Autrement dit : La substance, c’est une infinité d’attributs. La chose, telle la « chose singulière », c’est l’affection de la substance contenue dans une infinité d’attributs : c’est un mode par attribut en une infinité d’attributs. « Une infinité de choses en une infinité de modes », ce sont donc toutes les choses contenues dans tous les attributs, en une infinité de modes par attribut (un mode dans chaque attribut par chose). Il s’agit donc bien de la nature naturée. C’est évident parce que les attributs ne « suivent » pas de la substance mais au contraire constituent celle-ci (I D4 et D6). Ce qui suit de Dieu, ce sont les choses produites par Dieu, et chaque mode suit de son attribut. Pour preuve, le corollaire 1 de cette proposition 16 dit que « Dieu est cause efficiente de toutes les choses qui peuvent tomber sous un entendement infini ». Or (I 29 scolie) : Dieu (Nature naturante) est cause efficiente de la Nature naturée, définie en I 29 scolie comme « ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu ». « Ce qui suit de la nature divine » et « tombe sous un entendement infini » en I 16, c’est donc bien également la nature naturée. Aucun doute la dessus. Dieu n’est pas la cause des attributs puisqu’il est constitué par ceux-ci. Dieu est cause de soi en tant qu’il est cause de ses affections. Mais les attributs ne sont pas les affections de la substances. Ils sont ce par quoi est constituée la substance et en quoi elle est affectée.

Joske écris :

« Si un entendement infini a une infinité d'idées de substances constituées d'un attribut, il devrait percevoir immédiatement qu'il est l'entendement infini d'une substance infinie car s'il contient les idées de cette infinité de substances il prendra conscience qu'il produit cette infinité d'idées et que son être produit une infinité de substances, »

Je n’en vois pas la nécessité. On sait que l’entendement infini a comme objet tout ce qui est contenu dans tous les attributs (I 16 et c). Et on sait qu’ à partir de la conception son objet, il est de la nature de tout entendement de percevoir l’attribut comme constituant l’essence d’une substance (I D4). Mais Spinoza ne dit nulle part qu’un entendement fini ou infini perçoit nécessairement une substance infiniment infinie. Sinon à quoi servirait I 9, I 10 et I 10s ? Pour paraphraser Deleuze, il ne suffit pas de montrer qu’aucune distinction numérique est réelle (Propositions 1 à 8), il faut encore montrer qu’aucune distinctions réelle est numérique. Or I 9 et I 10 font partie de cette démonstration. Il ne s’agit plus alors de « constitution » mais de « concours ». Il ne s’agit plus de l’ « essence » mais de l’ « être » (esse) et de l’ « étant » (ens). On a vu qu’ I 9, complété par le scolie de I 10, montre comment les attributs livrent cumulativement de l’être ou de la réalité à la substance. I 10 affirme que « chacun des attributs d’une même substance (unius substantiae) doit être conçu par soi ». Chaque attribut est donc « perçu » par l’entendement comme constituant l’essence d’une substance (I D4). Et c’est sans doute parce que notre entendement perçoit nécessairement l’attribut comme constituant une substance qu’on sait que celui-ci est « conçu par soi » (I 10d). C’est précisément parce que l’attribut est perçu comme « conçu par soi » que l’entendement ne peut le percevoir que comme constituant une substance. Mais le scolie de la proposition 10 (un scolie et non une démonstration !) doit encore montrer que l’attribut est « conçu par soi » si et seulement si il constitue l’essence d’une seule (unius) substance avec une infinité d’autres attributs (I 10 et I 10s). Si l’attribut est « conçu par soi » et non conçu par l’entendement infini (puisque celui-ci est un mode qui « suit » de l’attribut) mais seulement « perçu » par lui, c’est que cet entendement n’a pas la connaissance adéquate de tous les attributs, mais seulement de ses objets qu’il « conçoit » et sont « compris » dans ces attributs dans la mesure où ils « suivent », tout comme lui, « de la nature » de ceux-ci . Par conséquent un entendement, qu’il soit fini ou infini n’a pas la connaissance adéquate de la nature naturante, à savoir de la constitution paradoxale de la substance par une infinité d’attributs. Ce serait par contre le cas si l’entendement n’était pas un mode, s’il n’appartenait non pas à la nature naturée mais à l’essence de la substance constituée par les attributs (I 15s). C’est précisément cela l’enjeu.

A Hokusaï :

Comme vous dites, l’être et l’étant ne semblent pas intelligibles. Sauf qu’on a oublié l’expression. L’être livré par les attributs, ce sont les affections contenues dans ces attributs. C’est ce qui exprime l’attribut et l’essence de la substance constituée par ceux-ci. Or l’expression n’est pas d’ordre logique mais ontologico-affectif. Exprimer c’est « être affecté dans autre chose ». C’est ainsi qu’également les attributs expriment chacun « de l’existence », « de la nécessité » et « de l’éternité » qu’ils livrent à l’essence de la substance (qu’enveloppe l’essence de la substance qu’ils constituent). C’est donc bien l’Etant (ens) qui s’exprime à travers les êtres (esse). L’inverse terminologique de Heidegger. Car il y a des êtres formels et actuels de modes. Sans oublier les être objectifs de la puissance de penser. Et ce sont ces êtres qui expriment. Seuls les êtres expriment et ils expriment un « sens ». Ce qu’expriment les choses singulières (leur être), c’est l’essence de la substance. C’est le sens de l’être qui est « exprimé », « indiqué », mais aussi « dit ». Chez Spinoza, on « dit » un sens (sensus) et non une signification (significatio). La sémantique spinozienne est très particulière et c’est ici qu’elle intervient. Exprimer, ce n’est pas « dire (la signification) de… » mais dire le sens de l’être dans l’Etant. (contre Deleuze, on n’exprime pas seulement une essence. L’essence n’est pas le sens. Du reste pas chez Aristote non plus malgré l’interprétation d’Aubenque. Par ailleurs, l’expression n’est pas toujours triadique comme le pense Deleuze : ainsi les attributs qui expriment et une infinité, et une éternité et une nécessité…).

A+
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Messagepar Joske » 16 mai 2006, 16:06

à miam:

« Une infinité de choses en une infinité de modes », ce sont donc toutes les choses contenues dans tous les attributs, en une infinité de modes par attribut (un mode dans chaque attribut par chose).


Ici il y a quand même un problème dans ton explication, c'est que tu me sembles oublier que Spinoza parle uniquement de la pensée et qu'elle est un peu particulière au niveau des modes.
Sous l'attribut pensée seul, il y a une infinité de modes par chose et une infinité de choses à penser donc il y a une infinité de choses sous une infinité de modes.
Pour moi, c'est cela qui permet d'expliquer que la substance n'est pas seulement la somme des attributs car par analogie il y a dans la pensée une infinité de modes MOINS 1 (le mode pensée) pour une seule chose et cette infinité de modes MOINS 1 a bien un point commun: il s'agit tous d'idées, donc exprimant une même chose dans la pensée. Autrement dit, le mode pensée de la chose existe mais n'existe pas vraiment. Il y a une idée étendue de la chose, une idée x de la chose, mais pas d'idée pensée distincte de la chose. Cette idée pensée c'est la somme de toutes les idées (correspondant à l'infinité de modes MOINS 1) de la chose et si elle est capable de prendre conscience qu'elle est cela (avoir l'idée d'elle-même, l'idée de l'idée) alors elle n'est pas non plus que la somme de ces idées qui la composent.

La divergence entre nos deux interprétations réside en ce que, à la suite de Deleuze, tu distingues selon moi abusivement entre nature-naturante et nature-naturée alors qu'il me paraît plus probable de penser que cette distinction n'est pas ontologique, elle n'est que logique. La nature-naturante et la nature-naturée sont identiques, c'est l'intellect qui les distingue. C'est toujours la même nature, sauf en ce qu'on la considère sous l'aspect constitutif ou productif. Ici, j'approuve complètement la critique de Macherey que j'ai découverte récemment sur ce lien (voir sous le titre: "le qualitatif et le quantitatif"): http://hyperspinoza.caute.lautre.net/im ... ticle=1362

J'ai bien l'impression qu'on ne convergera pas sur ce point. :)

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Messagepar hokousai » 16 mai 2006, 17:10

à miam
""""Comme vous dites, l’être et l’étant ne semblent pas intelligibles.""

Non non ! j'ai dit le contraire : seul est intelligible se qui se décline selon les catégories de l' être .

De votre réponse je ne garde que cela """"Sans oublier les être objectifs de la puissance de penser. Et ce sont ces êtres qui expriment. """

............................................................................

Pour le reste je ne comprends pas vraiment ......ce que vous dîtes ne m'apparaît pas clair et distinct ....( mais ce n'est que depuis mon modeste point de vue )


""""""""Exprimer c’est « être affecté dans autre chose »."""""""""
Je ne comprends pas .Je ne comprends pas ""être affecté dans autre chose "" Il n'est pas de la grammaire d' être affecté de l'être DANS autre chose .

POur ce qui est des affects, jamais(au grand jamais ) je ne suis affecté DANS autrui .

hokousai

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Messagepar hokousai » 16 mai 2006, 23:02

à Joske


""""""""""""""Par contre je ne souscris pas à ceci: "l’idée de l’attribut pensée n’est pas connectée avec l’idée de l’attribut étendue". Car l'idée de l'attribut pensée est l'attribut pensée qui a l'idée de lui-même, c'est donc l'attribut pensée et il est connecté à l'idée de l'attribut étendue puisqu'il la contient. """"""""""""""""""

reprenons d’ après le texte de l’éthique
citations :
""""Un intellect fini en acte ou infini en acte doit embrasser les attributs de Dieu et les affections de dieu et rien d’ autre…… L’intellect en acte fini ou infini doit être rapporté à la nature naturante ( pro 30 et 31 part 1) """"

Donc

1)L’intellect en acte n’est pas l’attribut pensée mais seulement une manière précise de penser .

2) Les idées d’ attributs ne sont pas connectées car leurs objets ne le sont pas . Car il est de la nature de la substance que chacun des attributs se conçoivent par soi puisque tous les attributs qu ‘elle a se sont toujours trouvés ensemble en elle et que l’un ‘na pu être produit par l’autre . ( scolie prop 10 part 1)

Il n y a pas de causalité transversale dont pas de connections .

bien à vous
hokousai

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Messagepar Miam » 17 mai 2006, 13:34

A Joske:

Bon. On va en rester là pour l'instant, d'autant que je ne comprends pas bien ton premier paragraphe. Merci en tous cas pour le texte de Macherey ! A sa lecture, je comprendrai sans doute plus clairement ce que tu cherches à me dire.

A Hokusaï:

Il me semblait que si le sipinozisme, comme vous l'affirmez, est une théologie négative, alors l'être (ou plutôt l'Etant) demeure inintelligible. Par ailleurs je ne trouve pas de "catégories de l'être" chez Spinoza. Quand bien même: si ce qui est intelligible, c'est "ce qui se décline sous les catégories de l'être", alors ce n'est pas l'être.

Miam

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Messagepar Joske » 17 mai 2006, 14:17

hokusai:

désolé, je vais encore te pondre une tartine... :)

1)L’intellect en acte n’est pas l’attribut pensée mais seulement une manière précise de penser .


D'un point de vue logique, c'est tout à fait exact. D'un point de vue ontologique, j'en doute. Ce qui différencie un attribut d'un mode, c'est uniquement la manière de le concevoir, cf Déf 4 et 5 Part I. L'attribut pensée ou l'entendement infini, c'est selon moi tout un en réalité, ils ne sont distingués que par la raison. Dit autrement, il n'y a pas d'un côté une nature naturante et de l'autre une nature naturée, il s'agit toujours de la même et unique nature conçue différemment.
Toujours dans le même ordre d'idées, les attributs eux-mêmes ne sont distingués que par la raison. En réalité, il n'y a qu'une seule chose, la substance. Cela se démontre autrement par le fait que le vide n'existe pas, donc aucune distinction réelle non plus. Spinoza en parle longuement dans le scholie de la prop. 15, à ceci près qu'il se réfère à l'étendue.

2) Les idées d’ attributs ne sont pas connectées car leurs objets ne le sont pas . Car il est de la nature de la substance que chacun des attributs se conçoivent par soi puisque tous les attributs qu ‘elle a se sont toujours trouvés ensemble en elle et que l’un ‘na pu être produit par l’autre . ( scolie prop 10 part 1)


Mon argumentation est ici la même qu'au point précédent. Etant posé que les distinctions réelles n'existent pas, la causalité non plus, comment les objets qui correspondent aux attributs ne seraient-ils pas connectés puisqu'ils sont un, qu'ils font partie de la même réalité absolument infinie (la substance)? Ce qui fait la particularité des attributs par rapport aux modes, c'est qu'effectivement, même sur le plan logique (tel que perçu par l'entendement), l'un ne peut causer l'autre. Non pas parce qu'ils n'auraient pas de point commun ontologique (on a vu qu'ils en avaient un, la substance) mais parce qu'ils sont éternels et infinis, c'est-à-dire conçus logiquement dans la non-causalité (les modes étant conçus dans la causalité).
Donc les idées de ces attributs, c'est-à-dire les attributs eux-mêmes puisque les attributs sont ce que perçoit l'entendement de la substance, ne sont pas dans la causalité (l'un ne peut produire l'autre). Sur ce point nous sommes d'accord. Mais ces idées sont connectées ontologiquement, elles ont un point commun: la pensée (ou la substance, c'est idem), car ce sont toutes des idées.

Il n y a pas de causalité transversale dont pas de connections .


Je pense avoir démontré qu'il y a bien une connexion (même si elle n'est pas de l'ordre de la causalité, c'est-à-dire de la logique, mais de l'ontologique). Si tu le nies, autant dire aussi qu'il n'y a pas de connexion entre l'âme et le corps d'un homme car ils ne peuvent se causer l'un l'autre (prop. 2 part III). Or, c'est absurde, car "l'âme et le corps sont une seule et même chose" (scholie de la même prop.).


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