un exercice philosophique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 13 juil. 2008, 23:39

Durtal a écrit :Ton idée est que: il n'y a de notion commune qu'à partir du moment où il y a idée claire et distincte. La question que je t'adresse ( avec le sommeil ou l'ivresse) revient donc en somme à de te demander: qu'entends tu par l'expression "avoir une idée claire et distincte".

Il ressort de tout ce que tu dis que avoir une "idée claire et distincte" veut dire pour toi "vivre un épisode conscient d'un certain type. Le type d'épisode correspondant aux idées claires et distinctes" d'accord?


Bonjour Durtal,

d'accord SI la question est de savoir quel est le rapport entre l'idée claire et distincte et l'état de sommeil. Car là tu demandes ce qu'il en est d'une idée vraie du point de vue de la durée, qui n'est pas le point de vue de l'éternité.

Durtal a écrit :La question est alors: lorsque dans le sommeil ( ou dans l'ivresse) nous n'avons pas d'idées claires et distinctes de quoi que ce soit, est-ce que nous n'avons plus de notions communes ou bien est ce que tu admets que nous pouvons "avoir" des notions communes même quand nous n'avons pas ces fameux épisodes conscients d'un certain genre que tu appelles "avoir une idée claire et distincte"?


il me semble que parler de l'idée d'avoir des idées adéquates à des moments où nous sommes inconscients est absurde, d'un point de vue de la durée, chez Spinoza. L'ivresse étant un état où nous restons néanmoins conscients de certaines choses, je crois qu'on doit admettre que nous y avons toujours certaines idées claires et distinctes. Mais avoir des idées adéquates lors du sommeil ... comment serait-ce possible? N'oublie pas qu'avoir une idée adéquate c'est agir. Nous serions donc "actifs" la nuit ... ? Certes, le corps peut bien des choses étranges, la nuit, mais cela n'est étrange que précisément parce que l'Esprit, en ces moments-là, n'est plus conscient de rien. C'est ce qui fait que dans nos rêves, nous pouvons affirmer les choses les plus absurdes, que jamais nous ne tiendrions pour vraies pendant la journée. Cela montre que pendant le sommeil, les idées adéquates que nous SOMMES, ne sont plus PRESENTES à l'Esprit, et en ce sens précis nous ne les avons pas.

Durtal a écrit :Si tu ne l'admets pas et bien je te le dis: RIEN dans ce cas ne sera susceptible de constituer une "notion commune". Car ton critère d'admission serait alors tellement exigeant que même les notions communes les moins problématiques ( dans le cadre de notre discussion s'entend), ainsi les axiomes et les postulats d'Euclide par exemple, ne pourraient selon tes critères être admis parmi les notions communes. Tout simplement parce qu'il faudrait que nous ayons en permanence par exemple, la proposition d'Euclide que tu cites "à l'esprit", pour être dit "avoir" cette notion commune. Ce qui est une idée franchement stupide.


à mon avis tu confonds deux choses: la permanence (toujours limitée) dans le temps, et l'existence éternelle en Dieu (hors temps). Jamais Spinoza ne dit que pour pouvoir être appelé "axiome" ou "notion commune", il faut qu'on ne nie pas cette idée la nuit, dans nos rêves. On peut s'imaginer dans nos rêves toutes les absurdités que l'on veut, le matin il suffit d'être affecté par la lumière du jour pour avoir une affection du Corps par quelque chose qui a le fait d'exprimer l'attribut de l'Etendue comme propriété commune avec nous, et pour immédiatement en avoir une idée adéquate.

Durtal a écrit :Nécessairement, à moins que tu ne veuilles réellement soutenir la position que je viens de décrire, ce que tu veux dire par "avoir une idée adéquate" doit s'entendre en un sens dispositionel ou au sens, si tu préfères, "d'une aptitude à l'avoir", mais si tu m'accordes cela, tu m'accordes tout le reste. Et tout ce fatras de faux problème sur l'usage du conditionnel part au diable...


ce serait bien facile en effet ... :) . En réalité, le conditionnel est là, et jamais Spinoza ne prétend que pendant le sommeil nous avons des idées adéquates - il dit même très peu de choses sur le sommeil, donc ce sera difficile d'obtenir une quelconque info concernant les notions communes en scrutant ce qu'il dit par rapport au sommeil.

Ce qu'il y a, c'est que bien sûr ce qui appartient à notre "mémoire" ne s'efface pas la nuit (au contraire, entre-temps nous savons que c'est précisément le sommeil qui permet de consolider les infos acquises pendant la journée). Mais de nouveau, tout ce qui est de l'ordre du mémoire ne constitue PAS la part éternelle de notre Esprit. Une permanence dans le temps, au sens d'être gravé dans notre mémoire, n'est donc aucunement une condition nécessaire pour pouvoir être une idée adéquate, puisque seules les idées adéquates constituent la part éternelle de l'Esprit, et non pas notre mémoire en tant que telle.

Bref, je ne peux que répéter qu'à mon sens les choses sont plus compliquées que tu ne le proposes, chez Spinoza. Dire de tout ce dont Spinoza trouve que cela aurait dû être une notion commune, que c'est en réalité une notion commune, c'est avancer une thèse qui ne se justifie que sur base de l'opinion commune qu'une idée vraie doit être vraie en permanence. Or une opinion commune n'est pas une notion commune, en des termes proprement spinozistes (l'opinion relevant du premier genre de connaissance, la notion commune du deuxième). Il faudrait donc pouvoir montrer en quoi ce genre de permanence dans le temps serait aussi ce qui caractérise la notion commune spinoziste, en se basant sur le texte et non pas sur l'opinion commune (sachant par exemple que pour Descartes (comme chez Euclide), jamais une notion commune ne peut être démontrée ... si la même chose vaut chez Spinoza (à vérifier), le fait même que Spinoza démontre systématiquement ce dont il dit que cela auraît dû être une notion commune suffirait pour prouver qu'elle ne l'est pas).

Durtal a écrit : Ce que tu dis aussi sur mon argument concernant l'impossibilité pour "le faux de devenir le vrai"est totalement indigent...


Je disais l'inverse: l'impossibilité pour le vrai de devenir faux, dans le spinozisme.
Cordialement,
L.

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tecti
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à Louisa

Messagepar tecti » 14 juil. 2008, 14:07

Louisa,

Il faudrait donc pouvoir montrer en quoi ce genre de permanence dans le temps serait aussi ce qui caractérise la notion commune spinoziste, en se basant sur le texte et non pas sur l'opinion commune (sachant par exemple que pour Descartes (comme chez Euclide), jamais une notion commune ne peut être démontrée ... si la même chose vaut chez Spinoza (à vérifier), le fait même que Spinoza démontre systématiquement ce dont il dit que cela auraît dû être une notion commune suffirait pour prouver qu'elle ne l'est pas).


C'est ce que ShBJ essayait de dire me semble-t-il lorsqu'il nous dit que les premières propositions de l'Ethique ne disent rien. Elles montrent juste la non-contradiction de la chose. Mais personne, pas même Spinoza ne peut parler de Dieu, encore moins le démontrer.

d'accord SI la question est de savoir quel est le rapport entre l'idée claire et distincte et l'état de sommeil. Car là tu demandes ce qu'il en est d'une idée vraie du point de vue de la durée, qui n'est pas le point de vue de l'éternité.


Une permanence dans le temps, au sens d'être gravé dans notre mémoire, n'est donc aucunement une condition nécessaire pour pouvoir être une idée adéquate, puisque seules les idées adéquates constituent la part éternelle de l'Esprit, et non pas notre mémoire en tant que telle.


Je ne vois pas trop de sens dans tout ce que tu dis entre éternité et durée. Ca ne tient pas la route : tu dis :
A) Pour ce qui est des idées adéquates, il y a différence entre la durée et l'éternité. (donc : elles se comprennent de deux manières différentes)
B) Les idées adéquates constituent la part éternelle de notre esprit et ne s'inscrivent pas dans la durée. (donc : elles ne se comprennent que d'une seule manière)
Ca c'est juste en passant.

Ce que tu dis me paraît creux et confus... :
La question du sommeil de Durtal n'était posée que pour développer le message précédent et pour te faire aller plus loin dans ton raisonnement, jusqu'à dévoiler l'absurdité, je cite :
Louisa :
Conséquence de cette interprétation: il faut accepter qu'il ne suffit pas d'avoir une propriété commune aux autres choses pour avoir une notion commune, encore faut-il que nous sommes affectées directement par cette propriété dans nos rapports à nous-mêmes ou au monde, pour que nous puissions en avoir une idée aussi claire qu'une notion commune, bref pour que nous puissions en avoir une notion commune. Sans cette affection, l'idée de la propriété commune n'est PAS présente à notre Esprit. On pourrait effectivement éventuellement dire: on n'y fait pas attention. Dès lors, il ne s'agit pas d'une notion commune non plus.

Durtal :
Supposons un individu ayant des notions communes. On peut aussi supposer je pense qu'il arrivera que cet individu dorme. Ma question est alors de savoir ce que tu dirais en considérant les choses à ce point de vue. Que doit-on dire? Est-ce qu'il a encore ces notions communes durant le sommeil ou bien est-ce qu'il faut dire que chaque matin il doit recommencer à les former parce qu'elles ont disparu de son esprit durant le sommeil?


Si je reprends ce que tu disais Louisa : Pour avoir une notion commune il faut qu'elle soit présente à l'esprit. Si elle est présente à l'esprit, alors elle est claire, donc cela peut être une notion commune. Pour qu'elle soit présente à l'esprit il faut que le corps soit affecté car l'esprit ne perçoit que les affections du corps.
Et Durtal : puisque le corps doit être affecté pour que la notion commune existe, alors que se passe-t-il lors du sommeil?

Et tu réponds :
une fois que l'on tient compte du fait qu'il faut bel et bien une affection avant de pouvoir avoir une idée adéquate quelconque (notion commune ou autre), la question que tu poses devient effectivement tout à fait pertinente et intéressante.

Alors que le but de la question était de te faire voir les limites de ton raisonnement.

Pour ce qui est des affections, Spinoza dit que l'esprit a une idée du corps qu'en tant qu'il perçoit les affections du corps, ou quelque chose comme ça. Mais ça ne veut pas dire que l'esprit n'a d'idées qu'en tant que le corps est affecté. Comment l'esprit peut-il percevoir les affections du corps? Parce que ce sont la même chose. Alors il serait absurde qu'une affection dans un attribut ne soit pas également présent dans un autre. L'ordre et la connexion des choses est le même que l'ordre et la connexion des idées.
Il n'y a pas le corps d'un côté et l'esprit complètement dépendant des états du corps. C'est la même chose. Donc en dormant, autant le corps ne se dissout pas et ses parties ne partent pas en vadrouille, autant l'esprit reste intact. Les idées de l'esprit (que l'on pourrait percevoir de manière analogue aux parties du corps) continuent à constituer l'esprit même lorsque l'on dort. Il n'y a pas de recomposition au réveil, d'oubli ou de réaquisition. On est juste en train de dormir, le corps se repose, l'esprit fait ce qu'il veut mais en aucun cas il n'est plus composé par les idées de la veille. L'esprit est un corps.

Si tu es d'accord, alors le problème des notions communes coule de source. Mais vu ce que tu viens d'écrire, tu ne dois pas être d'accord.
Mais avoir des idées adéquates lors du sommeil ... comment serait-ce possible? N'oublie pas qu'avoir une idée adéquate c'est agir. Nous serions donc "actifs" la nuit ... ? Certes, le corps peut bien des choses étranges, la nuit, mais cela n'est étrange que précisément parce que l'Esprit, en ces moments-là, n'est plus conscient de rien. C'est ce qui fait que dans nos rêves, nous pouvons affirmer les choses les plus absurdes, que jamais nous ne tiendrions pour vraies pendant la journée. Cela montre que pendant le sommeil, les idées adéquates que nous SOMMES, ne sont plus PRESENTES à l'Esprit, et en ce sens précis nous ne les avons pas.

Il ne faut pas confondre les termes de Spinoza et la définition généralement admise. Tu te trouverais alors à affirmer que Spinoza croit dans le Dieu chrétien mais dit ensuite des trucs bizarres. Que l'esprit soit "actif" lorsqu'il a des idées adéquates ne veut pas dire qu'il agit dans le sens qu'il fait. L'esprit peut agir (faire) en évitant une passion malheureuse, ou en cherchant de quelle manière il pourra s'assurer une autre passion. Mais il n'agira pas dans le sens des idées adéquates. L'esprit est composé d'idées adéquates et d'idées inadéquates, soit d'actions et de passions.
Mais ces idées adéquates ne sont pas constamment présentes à l'attention de la personne. Elle peut penser au dernier album qui vient de sortir de son groupe préféré et pour autant avoir des idées adéquates qui forment, qui sont son esprit. Elles sont quand même adéquates. Sans aucune affection particulière envers elles.
La nuit, c'est l'imagination qui travaille.
Et la mémoire n'a rien à faire dans ce problème : c'est effectivement l'impact des affections qui reste, mais on en a rien à faire. Les idées sont ce qui constitue l'esprit. La mémoire n'est qu'un jouet. Et c'est peut-être là le problème : tu penses que les idées adéquates forment l'âme humaine en tant qu'elle en a le souvenir, que sa mémoire fonctionne. Tu poses : esprit = mémoire.
Si c'est le cas : eh bien ce n'est pas ça. Si ce n'est pas le cas, je ne sais pas quoi.

En tout cas, je récapitule :
1) l'esprit c'est le corps sous un autre attribut
2) la mémoire n'est pas l'esprit
3) l'esprit est constitué d'idées
4) autant les parties du corps ne disparaissent pas quand il dort, autant les idées de l'esprit ne disparaissent pas la nuit.

Maintenant, les notions communes :
Pour moi, tu inverses le sens d'idée adéquate et de notion commune. Tu dis avoir une idée adéquate puis une notion commune. Alors que la notion commune, étant ce qui est commun à tous, est une vérité. De toutes manières elle composera chaque individu puisqu'elle est ce qui a de commun (esprit et corps sont la même chose). Mais il n'y a pas tout le monde qui a une idée claire et distincte, donc adéquate, de la notion commune. Cette notion commune existe peu importe quoi que ce soit. Mais elle est reconnue en tant que telle que par certains qui ont alors une idée adéquate de la chose en question. Et alors ils reconnaissent que c'est une notion commune, ou que ça devrait en être une pour tout le monde. Mais les autres n'ont pas encore d'idée adéquate sur la question et jugent donc confusémment et ne reconnaissent pas cette notion commune.

Et maintenant le conditionel :
Cite-moi précisemment s'il te plaît le passage où tu vois devrait être. J'ai essayé de reprendre cette expression juste en haut, mais je ne l'ai pas trouvée dans le livre.
Moi je n'ai que : "cette Proposition serait pour tous un axiome et on la rangerait au nombre des notions communes", E, I, 8, scolie 2.
Tu me diras, ça revient au même.
J'espère qu'on touche au problème précis, parce que là ça traine et souvent sur des pacotilles (conditionnel par exemple!).
Je suis tout également désolée d'avoir fait long...

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Messagepar Durtal » 14 juil. 2008, 15:04

Je voudrais ajouter au message de Tecti:

a) J'insiste mais vraiment sur une chose qu'elle dit: les idées sont l'esprit. Or tu sembles, louisa, manquer systématiquement cette perspective originale du Spinozisme car tu t'exprimes uniquement comme si l'esprit était susceptible ou non "d'avoir" certaines idées.

b) peut être encore plus important: les idées, dans le Spinozisme sont des choses, d'authentiques choses, et donc comme il en va du concept de chose en général, elles n'ont pas besoin d'être perçues par un esprit humain pour être ce qu'elles sont, et j'ajoute: même celles qui constituent l'esprit humain en question. C'est ce qui explique entre autre qu'alors même qu'un esprit humain conçoit inadéquatement certaines choses, simultanément ces choses sont conçues adéquatement dans la pensée de Dieu dont l'esprit humain est une partie. Toute idée inadéquate est comme le "revers" d'une idée adéquate que nous sommes susceptibles d'acquerir: c'est la le principe même de la liberté humaine ou de la maîtrise des affects par l'esprit.

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Re: à Louisa

Messagepar bardamu » 14 juil. 2008, 15:49

tecti a écrit :(...)
La nuit, c'est l'imagination qui travaille.
Et la mémoire n'a rien à faire dans ce problème : c'est effectivement l'impact des affections qui reste, mais on en a rien à faire. Les idées sont ce qui constitue l'esprit. La mémoire n'est qu'un jouet. Et c'est peut-être là le problème : tu penses que les idées adéquates forment l'âme humaine en tant qu'elle en a le souvenir, que sa mémoire fonctionne. Tu poses : esprit = mémoire.
Si c'est le cas : eh bien ce n'est pas ça. Si ce n'est pas le cas, je ne sais pas quoi.

En tout cas, je récapitule :
1) l'esprit c'est le corps sous un autre attribut
2) la mémoire n'est pas l'esprit
3) l'esprit est constitué d'idées
4) autant les parties du corps ne disparaissent pas quand il dort, autant les idées de l'esprit ne disparaissent pas la nuit.
(...)

Bonjour Tecti,
je ne crois pas que ce soit ce que veuille dire Louisa bien que son langage me semble un peu équivoque.
Si j'ai bien saisi, il s'agit de distinguer entre "avoir" au sens d'"avoir en acte" (sens qu'utiliserait Louisa) et "avoir" dans un sens de constitution passive.
Dans le sommeil, il n'y aurait pas d'idée adéquate en acte, c'est-à-dire que la pensée n'utiliserait pas et ne pourrait former ces idées.

Ceci étant, le mécanisme me semble assez simple chez Spinoza :
- lors de rencontres on peut saisir/former des idées adéquates
- on peut ensuite les mettre en mémoire (cf la définition dans E2p18 scolie)
- et on peut les réactiver selon telle ou telle condition

Ce processus est plus ou moins décrit explicitement dans E5p10 scolie :
"Ainsi donc, ce que l'homme a de mieux à faire tant qu'il n'a pas une connaissance accomplie de ses affects, c'est de concevoir une règle de conduite parfaitement droite et fondée sur des principes certains, de la déposer dans sa mémoire, d'en faire une application continuelle aux cas particuliers qui se présentent si souvent dans la vie, d'agir enfin de telle sorte que son imagination en soit profondément affectée, et que sans cesse elle se présente aisément à son esprit."

La règle de conduite est l'idée adéquate, saisissable dans son éternité, la mémoire est le "lieu" où l'inscrire dans la durée, et cette inscription jouera sur l'imagination qui est au même niveau que la mémoire, celui des affections produites par les rencontres fortuites.
Dans les périodes inactives de l'esprit (sommeil, ivresse...) les idées adéquates peuvent encore jouer pour autant qu'elles soient inscrites dans la mémoire mais leur effet reste aléatoire n'ayant pas le secours de l'activité de l'esprit.
Dans les périodes actives, selon la qualité de l'esprit de la personne, la mémoire sera un adjuvant plus ou moins important. Le sage n'a plus guère besoin de mémoire pour penser adéquatement, c'est spontané chez lui.

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bardamu

Messagepar tecti » 14 juil. 2008, 16:09

à Bardamu

Je ne suis pas tout à fait d'accord sur l'utilisation de cette citation : il y est question d'une solution remplaçant la Raison. Cette conduite est à tenir si on n'a pas déjà l'idée adéquate. C'est un substitut. Si la personne avait l'idée adéquate qu'il faut vaincre la Haine par l'Amour, alors forcément elle en aurait le sentiment et serait constituée par cette idée. Et l'idée adéquate ne serait pas dans la mémoire. Elle formerait l'âme, Durtal fait bien de vraiment le souligner. Inscrire des principes dans la mémoire et les utiliser sert pour ceux qui n'ont pas encore l'idée adéquate de la chose mais veulent bien entendre que cela est plus raisonnable.

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Re: bardamu

Messagepar bardamu » 14 juil. 2008, 21:04

tecti a écrit :à Bardamu

Je ne suis pas tout à fait d'accord sur l'utilisation de cette citation : il y est question d'une solution remplaçant la Raison. Cette conduite est à tenir si on n'a pas déjà l'idée adéquate. C'est un substitut. Si la personne avait l'idée adéquate qu'il faut vaincre la Haine par l'Amour, alors forcément elle en aurait le sentiment et serait constituée par cette idée. Et l'idée adéquate ne serait pas dans la mémoire. Elle formerait l'âme, Durtal fait bien de vraiment le souligner. Inscrire des principes dans la mémoire et les utiliser sert pour ceux qui n'ont pas encore l'idée adéquate de la chose mais veulent bien entendre que cela est plus raisonnable.

Re-bonjour Tecti,
je suis bien d'accord qu'il s'agit d'un substitut (cf la fin de ce que je disais ci-dessus) mais la question portait sur l'action des idées adéquates quand l'esprit est inactif (sommeil, ivresse...). Or dans ces circonstances, le sage est un idiot comme un autre, c'est-à-dire que son essence de sage n'a pas l'occasion de s'exprimer. Il n'y a alors que le conditionnement mémoriel pour garder quelque trace d'adéquat dans l'action. Le contraire de l'esprit actif, c'est le somnambule, le degré zéro d'activité de l'esprit dans la durée, le corps qui agit sans la "direction de l'esprit" (E3p2 scolie).

Les affects sont des variations dans la durée et même un sage peut très bien être atteint temporairement de "folie", c'est-à-dire que ce qui constitue son esprit du point de vue de l'éternité et domine de manière habituelle dans la durée, est temporairement surpassé par un affect produit par les circonstances. L'axiome en début de partie IV indique ainsi que toute chose peut être surpassée par une autre, ce qui implique des impuissances dans le contrôle des affects, mais dans E5p37 scolie, Spinoza précise que c'est du point de vue de la durée, d'où 2 régimes d'expression des essences, l'un conflictuel dans la durée, l'autre d'unité éternelle en Dieu.

Il ne suffit pas que l'esprit soit constitué par des idées adéquates il faut encore que de celles-ci découlent des affects à même de "combattre" d'autres affects, c'est-à-dire que l'esprit raisonnable soit actif dans la durée pour produire des affects raisonnables.

Je n'ai pas tout suivi du raisonnement de Louisa et je ne suis pas certain de son usage de "avoir", mais il me semble clair qu'il faut distinguer entre l'idée qui constitue l'esprit selon l'éternité et l'idée dans sa capacité d'action selon les circonstances, dans la durée.
C'est au demeurant tout un problème puisque si on se fixe sur l'état d'un être dans la durée pour déterminer "l'idée qui exprime l'essence de son corps", alors on tend à une essence qui change à chaque instant (cf les lettres de Blyenbergh). Face à un gars ivre qui vomit, on voit un ivrogne. Quand sorti de son ivresse, il montre qu'il est sage, il faut peut-être se dire qu'il peut y avoir des sages ivres, que l'essence ne se voit pas au premier abord.

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Messagepar Durtal » 14 juil. 2008, 21:24

Il n'y a pas de problème avec tout ça Bardamu

Ce que l'on s'acharne a essayer de faire reconnaître à Louisa, c'est simplement le fait qu'il peut y avoir des notions communes quoiqu'elles ne soient pas reconnues (ie: quoiqu'elles ne soient pas "présentes à l'esprit") de tous les hommes. C'est un débat parfaitement idiot mais c'est bien celui là :D

D.

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Messagepar Louisa » 15 juil. 2008, 03:10

Bonsoir à tous,

merci de vos commentaires. Je réponds pour l'instant uniquement à Durtal, une réponse à Tecti arrive sous peu.

Durtal a écrit :) J'insiste mais vraiment sur une chose qu'elle dit: les idées sont l'esprit. Or tu sembles, louisa, manquer systématiquement cette perspective originale du Spinozisme car tu t'exprimes uniquement comme si l'esprit était susceptible ou non "d'avoir" certaines idées.


apparemment je me suis mal exprimée. Si pour l'instant je n'ai pas parlé de l'idée qu'EST l'Esprit (sauf dans mon dernier message), c'est parce que ce que l'Esprit EST existe de toute éternité en Dieu, c'est son essence éternelle, tandis que ta question portait très clairement sur l'Esprit en tant qu'il existe dans le temps (puisqu'il s'agit d'un Esprit capable de dormir, se réveiller, devenir ivre etc), c'est-à-dire en tant qu'il est "chose périssable". De ce point de vue (donc du point de vue de la durée), l'Esprit A aussi bien des idées adéquates qu'inadéquates, et celles-ci sont présentes à l'Esprit chaque fois qu'il ou le Corps est affecté.

Pour déjà anticiper ma réponse à Tecti: comme l'a entre-temps précisé Bardamu, je n'étais pas en train de confondre la mémoire et l'éternité des idées adéquates. J'ai parlé de la mémoire, encore une fois, parce que cela me semble être la seule réponse adéquate à la question de Durtal quant à ce qui arrive aux idées pendant la nuit. Grâce à la mémoire, fonction temporalisante de la même nature que l'imagination, pas mal des idées que nous avions la veille peuvent redevenir présentes à l'Esprit le lendemain. Il suffit pour cela que nous soyons affecté par quelque chose qui réactive les "traces" physiques des objets de ces idées. Or cela n'a RIEN à voir avec la vérité de l'idée en question, puisque ce mécanisme vaut tout aussi bien pour les idées inadéquates que nous ayons la veille que pour les idées adéquates.

C'est pourquoi à mon sens la question de Durtal, qui certes est intéressante en tant que telle, ne peut nous amener à l'une ou l'autre conclusion concernant le problème qui nous occupe, et qui est celui de savoir si pour Spinoza l'idée de l'essence de Dieu est une notion commune ou non. Car là la question est de savoir pourquoi une connaissance adéquate d'une propriété commune (l'idée de l'essence de Dieu) peut être "enveloppée" dans toute idée, SANS pour autant être une notion commune, comme le dit explicitement Spinoza. Il y va de la distinction entre une idée adéquate quelconque, et une notion commune. A mon sens il s'agit de deux types de "vérités" différents. Il faudrait donc pouvoir déterminer en quoi consiste la différence (Spinoza le dit: une idée adéquate peut être moins claire qu'une notion commune, mais qu'est-ce à dire?).

Enfin, j'y ajoute juste que je suis tout à fait d'accord avec ce que Bardamu vient d'écrire. C'est exactement ce que j'essaie de dire depuis quelques jours - mais formulé de façon plus claire et plus succincte ... . Or pour cette même raison, je ne vois pas comment adhérer à la thèse que proposent Tecti et Durtal.

Durtal a écrit :b) peut être encore plus important: les idées, dans le Spinozisme sont des choses, d'authentiques choses, et donc comme il en va du concept de chose en général, elles n'ont pas besoin d'être perçues par un esprit humain pour être ce qu'elles sont, et j'ajoute: même celles qui constituent l'esprit humain en question.


les idées humaines sont effectivement des choses. Mais ce sont des "concepts", des choses PRODUITES par tel ou tel Esprit humain. Ce ne sont pas des "perceptions" de l'Esprit humain. C'est pourquoi il n'y a pas d'idées humaines en dehors des Esprits humains. Tu me sembles passer à une idée frégéenne de la vérité, qui attribue la vérité à une "pensée" qui existe indépendamment d'un "porteur" qu'est l'Esprit de tel ou tel individu humain. Alors en effet, on ne sait plus que considérer l'idée dans son éternité, comme le veut Frege. L'orginalité de Spinoza, à mon sens, consiste bien plutôt dans le fait que les idées adéquates ne sont pas seulement "en Dieu", mais aussi des affects humains, des choses qui se produisent et se déroulent dans le temps. C'est cette deuxième dimension qui semble manquer dans ta conception des idées adéquates .

Durtal a écrit : C'est ce qui explique entre autre qu'alors même qu'un esprit humain conçoit inadéquatement certaines choses, simultanément ces choses sont conçues adéquatement dans la pensée de Dieu dont l'esprit humain est une partie. Toute idée inadéquate est comme le "revers" d'une idée adéquate que nous sommes susceptibles d'acquerir: c'est la le principe même de la liberté humaine ou de la maîtrise des affects par l'esprit.


je ne crois pas que c'est la cas. La maîtrise des affects ne consiste nullement à acquérir une idée adéquate de la chose qui nous a affecté (même si cela aide, bien sûr, mais cela n'aide qu'indirectement, au sens où toute idée adéquate augmente notre puissance et donc notre résistance aux affects-passifs). La maîtrise des affects consiste bien plutôt dans le fait d'ELOIGNER l'idée d'une cause extérieure. L'idée inadéquate en nous n'est qu'une idée partielle. Dieu en a une idée adéquate parce qu'il a également en lui l'autre moitié de cette idée, c'est-à-dire l'idée de l'essence du corps extérieur qui nous a affecté. Mais le remède aux affects ne consiste pas à retrouver cette deuxième idée. Il consiste à repousser davantage l'idée d'une cause extérieure, pour retrouver l'idée adéquate de notre nature, idée enveloppée dans l'idée inadéquate, mais que nous pouvons retrouver précisément parce qu'il s'agit d'une idée que nous SOMMES.

Ainsi, au lieu d'ajouter à l'idée inadéquate une autre idée, qui la rendrait adéquate, il s'agit de détruire l'idée inadéquate en la divisant en une idée de cause extérieure et une idée de ma nature à moi, les deux étant enveloppées confusément dans l'idée inadéquate de l'affection (voir les premières propositions de l'E5). C'est cela ce qu'il faut faire une fois affecté par un affect-passion. A côté de cela, il y a également des règles de vie, qui elles sont bel et bien destinées à nous permettre de produire des idées adéquates et par là de diminuer la chance de subir un affect-passion. Mais ces règles sont "préventives". Ce qu'il faut faire une fois qu'on pâtit, c'est trouver en quoi cette passion témoigne quelque part néanmoins de notre puissance, de notre nature à nous. Ce n'est pas aller trouver une idée adéquate de la chose extérieure qui nous a affecté. Cela, on ne pourra faire qu'une fois que nous ne pâtissons plus, et que nous pouvons de nouveau enchaîner nos affections selon un ordre pour l'intellect.

Ceci est d'autant plus important que cela ressemble fort au problème qui nous occupe: une idée adéquate de l'essence de Dieu enveloppée dans une idée inadéquate de Dieu, perdant par là même son statut de "notion commune". La seule façon de "retrouver" cette idée de l'essence de Dieu, c'est par le deuxième genre de connaissance, en raisonnant more geometrico. Or si par là on obtient bel et bien une idée adéquate de cette idée de l'essence de Dieu comme étant une propriété commune, on ne l'obtient plus du tout de manière "immédiate" comme c'est le cas pour les notions communes. On l'a obtenue par une démonstration, là où jamais les notions communes relèvent d'une démonstration (elles sont au contraire les fondements de toute démonstration).
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Messagepar Louisa » 15 juil. 2008, 03:31

Ps: autre problème concernant les notions communes: on sait qu'il s'agit d'idées ayant pour objet une propriété commune à mon corps et au corps extérieur qui m'affecte. Cette propriété ne constitue l'essence d'aucune chose singulière, dit Spinoza. La définition de l'essence rend ceci effectivement logique. Or il se fait que la partie éternelle de l'Esprit est constituée de ... toutes nos idées adéquates. Elle doit donc aussi être constituée des notions communes. Mais comment cela est-il possible, si les propriétés communes ne constituent l'essence d'aucune chose ... :?:

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Messagepar Durtal » 15 juil. 2008, 16:51

Louisa a écrit :apparemment je me suis mal exprimée. Si pour l'instant je n'ai pas parlé de l'idée qu'EST l'Esprit (sauf dans mon dernier message), c'est parce que ce que l'Esprit EST existe de toute éternité en Dieu, c'est son essence éternelle, tandis que ta question portait très clairement sur l'Esprit en tant qu'il existe dans le temps (puisqu'il s'agit d'un Esprit capable de dormir, se réveiller, devenir ivre etc), c'est-à-dire en tant qu'il est "chose périssable". De ce point de vue (donc du point de vue de la durée), l'Esprit A aussi bien des idées adéquates qu'inadéquates, et celles-ci sont présentes à l'Esprit chaque fois qu'il ou le Corps est affecté.


Mais ce qui existe "de toute éternité" existe à plus forte raison quand l'esprit existe en acte ou alors faut-il dire que l'esprit cesse d'être éternel quand il dure???? C'est cela que tu veux dire?

Dieu (et donc l'éternité de la "chose" Dieu) est une cause immanente. L'éternité de l'esprit n'est pas un truc hors du monde, perdu dans les limbes de "l'au delà".... La durée est une façon abstraite de concevoir l'existence la façon concrète étant de la concevoir comme éternité. Nous ne nous concevons pas toujours comme éternels (c'est à dire nous ne nous concevons pas toujours adéquatement) mais cela ne veut pas dire que nous ne le sommes pas: c'est à dire que certaines idées adéquates ne constituent pas notre esprit "actuellement" même si nous sommes passifs. (comme dans le sommeil ou dans l'ivresse).

Et encore une fois je sais tout de même ce sur quoi ma question portait, et je suis heureux de constater que je ne m'exprime pas de façon tout à fait inintelligible puisque Tecti a très bien expliqué de quoi il s'agissait: je voulais te présenter un cas limite pour mettre ton raisonnement à l'épreuve de sa propre insuffisance, ce que tu ne sembles toujours pas avoir saisi parce que la réponse que tu lui apportes ne lèves pas du tout l'hypothèque et reconduit exactement la même difficulté. En effet tu écris:

Louisa a écrit :"Grâce à la mémoire, fonction temporalisante de la même nature que l'imagination, pas mal des idées que nous avions la veille peuvent redevenir présentes à l'Esprit le lendemain."


a) par là tu admets que les notions d'Euclide (par ex.) disparaissent bien pendant la nuit.

b) qu'il faut y penser continument durant toute la période de veille. En effet tu nous dis, assez sympathiquement, qu'on "s'en ressouvient au matin", mais cela ne suffit pas encore! Si l'on n'y pense plus disons une demi heure après le réveil elles ne seront plus à l'esprit et nous cesserons à nouveau de les avoir! Même situation que pour le sommeil! (c'était ça le but de l'exemple du sommeil)

c) a quoi j'ajoute une chose que j'avais déjà dite à Hokusai. Si on te suit et si on te prend au mot il est besoin d'accepter cette contrainte supplémentaire: Non seulement UN homme doit y penser tout le temps mais TOUS les hommes doivent y penser tout le temps EN MEME TEMPS, sinon on ne pourra dire qu'ils ont des "notions qui leur sont communes". Si les uns en effet dorment ou pensent à autre chose tandis que d'autres ont "une idée claire et distincte" d'un axiome d'euclide alors il ne sera plus par la force de ta belle théorie (cet axiome) une "notion qui leur sera commune".

Ce que je dis est que ce point de vue est totalement et irrémédiablement déraisonnable et je ne pensais même pas que l'on puisse sérieusement en discuter. Mais si !

Louisa a écrit :C'est pourquoi à mon sens la question de Durtal, qui certes est intéressante en tant que telle, ne peut nous amener à l'une ou l'autre conclusion concernant le problème qui nous occupe, et qui est celui de savoir si pour Spinoza l'idée de l'essence de Dieu est une notion commune ou non.


Aussi n'était-ce pas son but! Il s'agissait simplement d'essayer de te faire reconnaître qu'en avançant l'idée de l'identité de la notion commune et de l'épisode de conscience "avoir une idée claire et distincte" tu avançais quelque chose de très imprudent. Et donc qu'en général on ne pouvait arguer du fait que tel ou tel homme n'a pas présent à l'esprit "l'idée claire et distincte de Dieu" qu'il n'en a pas par ailleurs une connaissance ou une notion.

Louisa a écrit :Car là la question est de savoir pourquoi une connaissance adéquate d'une propriété commune (l'idée de l'essence de Dieu) peut être "enveloppée" dans toute idée, SANS pour autant être une notion commune, comme le dit explicitement Spinoza. ).


Cette théorie sur l'enveloppement ne me semble rien d'autre qu'une nouvelle fantaisie de ta part. Que le concept de Dieu soit enveloppé dans n'importe quelle idée ne veut pas dire que ce concept est plus obscur que le concept de cette chose dont on a l'idée!!!! Pourquoi avoir été chercher une idée pareille? Cela signifie que Dieu n'est pas représentable comme une "chose" particulière (celle dont on a l'idée) ou qu'elle n'est pas identifiable à cette chose particulière dont on a l'idée (et pour cause: Dieu n'est pas une chose particulière) mais qu'en revanche il constitue toute l'essence de cette chose particulière. Ce n'est que le développement sur le plan de la gnoséologie de la définition de l'essence, de laquelle il suit que nul être singulier ne peut être ni se concevoir sans que l'essence de Dieu soit et soit conçue, mais qu'à l'inverse l'essence de Dieu peut être et peut être conçue hors l'essence d'une chose singulière donnée (ainsi par exemple elle constitue l'essence de toute les choses singulières c'est à dire ce qui leur est commun à toute).

Durtal a écrit :b) peut être encore plus important: les idées, dans le Spinozisme sont des choses, d'authentiques choses, et donc comme il en va du concept de chose en général, elles n'ont pas besoin d'être perçues par un esprit humain pour être ce qu'elles sont, et j'ajoute: même celles qui constituent l'esprit humain en question.


Louisa a écrit :C'est pourquoi il n'y a pas d'idées humaines en dehors des Esprits humains.



C'est une nouvelle plaisanterie? Je ne vais pas certes pas te contredire sur cette tautologie. Du reste je ne vois pas pourquoi tu penses que je le contredirais. Toute la théorie des passions et de la passivité en général repose sur l'idée que nous avons une idée confuse de notre esprit et des idées qui le constituent. Une passion de l'esprit est une idée tronquée partielle mais cette idée est simultanément en Dieu adéquate et parfaite. Donc la connaissance de notre esprit et de ce qu'il est n'est pas conçue par nous tant que nous sommes soumis aux affects qui sont des passions alors qu'elle l'est dans la pensée de Dieu.

Louisa a écrit :me sembles passer à une idée frégéenne de la vérité, qui attribue la vérité à une "pensée" qui existe indépendamment d'un "porteur" qu'est l'Esprit de tel ou tel individu humain. Alors en effet, on ne sait plus que considérer l'idée dans son éternité, comme le veut Frege.


Il serait plus sage apparemment de laisser Frege de coté. Le "porteur" dont tu parles n'est pas chez Spinoza, pour les idées en général, l'esprit humain lui même, mais Dieu en tant qu'il est substance pensante. Et les pensées formées par l'esprit humain sont les pensées mêmes de Dieu en tant qu'il forme l'idée d'un corps humain. Par ailleurs Dieu forme les pensées d'une infinité de choses d'une infinité de manière en dehors de l'esprit humain. "L'homme n'est pas un empire dans un empire".

Louisa a écrit :L'orginalité de Spinoza, à mon sens, consiste bien plutôt dans le fait que les idées adéquates ne sont pas seulement "en Dieu", mais aussi des affects humains, des choses qui se produisent et se déroulent dans le temps. C'est cette deuxième dimension qui semble manquer dans ta conception des idées adéquates.


Les idées adéquates correspondent soit à l'intuition des essences éternelles de choses, soit aux notions communes qui affectent l'esprit par ce qu'il a de commun avec tous les autres esprits et ces affects ne sont pas sujets à variation dans la durée, puisque par eux nous percevons les choses sous une sorte d'éternité (ou ce qui revient à dire la même chose: ils affectent notre imagination toujours de la même manière quelque soit le temps et le lieu). Donc tu parles du premier genre de connaissance et des affections de l'imagination par les choses singulières, desquelles ne naît aucune idée adéquate. Ni le troisième genre ni le second ne procède d'une affection du corps par une chose singulière donc d'un "affect" au sens ou tu l'entends.

Durtal a écrit : C'est ce qui explique entre autre qu'alors même qu'un esprit humain conçoit inadéquatement certaines choses, simultanément ces choses sont conçues adéquatement dans la pensée de Dieu dont l'esprit humain est une partie. Toute idée inadéquate est comme le "revers" d'une idée adéquate que nous sommes susceptibles d'acquerir: c'est la le principe même de la liberté humaine ou de la maîtrise des affects par l'esprit.


Louisa a écrit :je ne crois pas que c'est la cas. La maîtrise des affects ne consiste nullement à acquérir une idée adéquate de la chose qui nous a affecté (même si cela aide, bien sûr, mais cela n'aide qu'indirectement, au sens où toute idée adéquate augmente notre puissance et donc notre résistance aux affects-passifs). La maîtrise des affects consiste bien plutôt dans le fait d'ELOIGNER l'idée d'une cause extérieure.


Spinoza a écrit :PROPOSITION III (E5)
Une affection passive cesse d'être passive aussitôt que nous nous en formons une idée claire et distincte.


ainsi que

Spinoza a écrit :Dans les propositions qui précèdent, j'ai réuni tous les remèdes des passions, c'est-à-dire tout ce que l'âme, considérée uniquement en elle-même, peut contre ses passions. Il résulte de là que la puissance de l'âme sur les passions consiste : 1° dans la connaissance même des passions (voyez le Schol. de la Propos. 4, part. 5)



Louisa a écrit :Ainsi, au lieu d'ajouter à l'idée inadéquate une autre idée, qui la rendrait adéquate, il s'agit de détruire l'idée inadéquate en la divisant en une idée de cause extérieure et une idée de ma nature à moi


Oui et cette opération ne supposerait-elle pas, par hasard, que tu connaisses l'essence de la chose qui t'affectes? Comment fais-tu pour savoir que A n'est pas B si tu n'a pas la connaissance de B? A moins que tu ne comprennes les choses comme si c'était une sorte de "méthode coué" consistant se répéter dans le vide" je suis affecté par une cause extérieure, je le sais, ça va beaucoup mieux maintenant" sans comprendre la nature précise de cette cause? Les idées ne sont pas des peintures muettes...


Louisa a écrit : Ceci est d'autant plus important que cela ressemble fort au problème qui nous occupe: une idée adéquate de l'essence de Dieu enveloppée dans une idée inadéquate de Dieu, perdant par là même son statut de "notion commune". La seule façon de "retrouver" cette idée de l'essence de Dieu, c'est par le deuxième genre de connaissance, en raisonnant more geometrico. Or si par là on obtient bel et bien une idée adéquate de cette idée de l'essence de Dieu comme étant une propriété commune,on ne l'obtient plus du tout de manière "immédiate" comme c'est le cas pour les notions communes . On l'a obtenue par une démonstration, là où jamais les notions communes relèvent d'une démonstration (elles sont au contraire les fondements de toute démonstration).
L.


Ton idée selon laquelle les notions communes sont des sortes "de données immédiates de la conscience" est tout à fait inconsistante. Mais je remarque que tu finis par faire tout de même des concessions importantes:ainsi d'après toi nous "retrouvons" l'idée de Dieu, et qui plus est comme une "propriété commune" deux propositions que tu avais commencé par nier farouchement. Certes tu vas encore chipoter pour dire que ce n'est pas une notion commune puisque Spinoza dit qu'elle "devrait" l'être, mais enfin on voit le bout du tunnel. Je termine juste par une ultime citation de Spinoza:

Spinoza a écrit :PROPOSITION XVIII (E5)
Personne ne peut haïr Dieu.
Démonstration : L'idée de Dieu, qui est en nous, est adéquate et parfaite (par la Propos. 46 et 47, part. 2). (...)


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