un exercice philosophique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 17 juil. 2008, 02:09

Durtal a écrit :Bon nous progressons.

Tu vois que cela ne t'as pas fait de mal de relire un peu tout ça.... Tu me dis là des choses beaucoup plus sages qu'auparavant.


Pourrais-tu préciser de quelles choses tu parles? C'est qu'à mon avis, je n'ai pour l'instant jamais changé quoi que ce soit dans ma position.

Durtal a écrit :a) Il y a une chose, cependant que je comprends pas du tout dans ce que tu me racontes: c'est ce que tu veux dire par "elles ne sont pas produites par la raison". Et surtout pourquoi tu insistes tant là dessus? je ne comprends pas. Enfin si je comprends que tu veux dire qu'étant donné qu'elles sont le fondement de la raison elle ne sont pas "inventées" ou "produites" par la raison, mais la question que je me pose est: "et alors?". Je ne vois pas.


ok, dans ce cas je n'étais pas très clair. 3e tentative de reformuler.

Le corollaire dit qu'il est de la nature de la Raison de percevoir les choses sous un certain aspect de l'éternité. Or comme tu le dis, les notions communes ne sont pas produites par la raison. Qu'est-ce qui garantit dès lors qu'elles aussi ont leur part d'éternité, puisque seul le deuxième (raison) et troisième (idée d'une essence) genre de connaissance peuvent produire des idées adéquates?

Pour comprendre en quoi les notions communes, qui de prime abord sont de simples idées d'affections du Corps comme n'importe quelle autre idée du premier genre de connaissance, sont non pas inadéquates mais nécessaires et même de ce point de vue éternelles, donc vraies, on ne peut pas se baser sur le fait qu'elles sont le produit de la raison ou du 3e genre. Le problème est donc de comprendre comment elles peuvent être vraies. C'est là qu'il faut bien comprendre ce "sans aucune relation de temps", qui n'est pas du tout la même chose qu'un "sans aucune relation au temps" ou un "hors temps". Sinon on ne voit pas ce qui pourrait rendre vraies les notions communes, tu vois?

Deuxième problème: si tu es d'accord pour dire que les notions communes ne sont pas produites par la raison, donc par des raisonnements, des déductions, des démonstrations, on rejoint l'idée habituelle de la notion commune, telle qu'elle l'était déjà chez Euclide: il s'agit de choses qui ne PEUVENT pas être démontrées ou produites par la raison. Or les deux occurrences sur lesquelles toi-même, ShBJ et Tecti vous basez pour revendiquer le statut de notion commune pour l'idée de l'essence de Dieu, ce sont des occurrences où cette idée est produite par un raisonnement. Les raisonnements peuvent certes produire des idées adéquates. Mais pas de notions communes. On pourrait bien sûr penser qu'il en va autrement chez Spinoza, et en théorie cela me semble être tout à fait possible. Mais alors il faut pouvoir montrer pourquoi on devrait penser cela. De prime abord, le fait qu'il reconnaît qu'il s'agit de fondements de nos raisonnements rend une telle démonstration difficilement concevable.

Durtal a écrit :b) Moi je n'ai aucun problème avec l'idée qu'elle ne serait "que" dans l'éternité ( au sens de "seulement" éternelle) puisque je me permets de te rappeler que mon interprétation du concept spinoziste d'éternité n'exclut pas la durée ou l'existence dans le temps ( c'est toi qui semble séparer ontologiquement les deux choses).


:D
A mes yeux c'est Spinoza qui sépare ontologiquement les choses, dès qu'il définit l'éternité comme ce qui ne s'explique pas par le temps. A partir de ce moment-là, on ne peut pas dire que l'éternité "inclut" ou enveloppe le temps. Eternité et temps sont ontologiquement différents en effet, puisque du point de vue du temps la chose peut être détruire et du point de vue de l'éternité non. Les deux s'opposent, au lieu de s'inclure.

Durtal a écrit : Et donc que l'expression "QUE" dans l'éternité n'a aucun sens dans mon interprétation. Ce qui est dans le temps est nécessairement aussi dans l'éternité ( même si l'inverse n'est pas vrai bien sûr).


les idées inadéquates, la servitude, les passions ... sont dans le temps, mais pas dans l'éternité. L'imagination et la mémoire ne sont que dans le temps, pas dans l'éternité.

Durtal a écrit : Pour le dire rapidement et simplement je pense que ce que nous découvrons "au coeur" de la durée (en réfléchissant un peu) c'est l'éternité. Et que la voie principale pour comprendre ceci est précisément constituée par les notions communes et par la Raison. En d'autre termes ce que je pense est que: l'éternité est la vérité de la durée. Et que c'est là première "leçon" de la Raison.


oui, cela pourrait être possible. Mais qu'est-ce qui te ferait penser cela?
Bonne nuit,
L.

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Messagepar Faun » 17 juil. 2008, 03:01

Dans le scolie de la proposition 37 partie 5, Spinoza affirme que l'axiome de la quatrième partie n'est vrai qu'en tant que nous concevons les choses singulières en relation avec un temps et un lieu précis, c'est à dire en tant que nous les imaginons. Lorsque nous les concevons à l'aide de l'intellect, cet axiome ne s'applique plus, puisque le temps et la mesure de l'espace sont des êtres d'imagination, comme Spinoza l'affirme dans la lettre 12. Dans cette même lettre Spinoza distingue l'éternité de la durée, l'éternité s'appliquant à la substance et la durée aux modifications de la substance. Mais la substance ne peut être conçue sans ses modifications, puisque celles-ci sont des parties de celle-là. S'il y a une distinction elle se situe donc entre la durée indéfinie des modifications (que nous imaginons plus facilement, c'est à dire que nous mesurons grâce au temps) et l'existence infinie, c'est à dire l'éternité de la substance. Nous parlons de la mort des modifications et de leur destruction uniquement parce que nous séparons les modifications des attributs dont elles sont des parties, c'est à dire parce que nous les imaginons. Si nous concevions les modifications toujours en tant que parties de la substance, nous ne pourrions pas former ces idées de destruction et de mort, qui n'existent que dans l'imagination, c'est à dire qui n'existent pas du tout. C'est pourquoi Spinoza dit que l'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et que sa sagesse est une méditation de la vie. La vie qui est Dieu, comme on peut le lire dans le chapitre 6 des pensées métaphysiques.

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Messagepar Louisa » 17 juil. 2008, 03:15

Faun a écrit :Si nous concevions les modifications toujours en tant que parties de la substance, nous ne pourrions pas former ces idées de destruction et de mort, qui n'existent que dans l'imagination, c'est à dire qui n'existent pas du tout.


je crois que là tu touches à l'essence du problème: l'imagination chez Spinoza n'est-elle "rien du tout", ou a-t-elle une existence à elle?

A mon sens il est plus probable que dans le spinozisme, elle a son existence à elle. Pourquoi? Parce que sans elle l'E4 et la première partie de l'E5 n'auraient pas de sens. Spinoza n'aurait jamais pu démontrer quoi que ce soit concernant les passions si les passions n'existent pas d'une certaine façon. Or les idées inadéquates existent bel et bien, et ne disparaissent même pas à la lumière de la connaissance du deuxième genre (voir l'exemple du soleil, que l'on voit toujours près de nous même une fois que l'on connaît la distance "vraie"). Les idées inadéquates sont "mutilées", donc partielles. Cela ne les réduit point au néant. Cela signifie simplement que pour en avoir une idée vraie, il faut y ajouter autre chose.

Puis n'oublie pas que l'Amour de Dieu se base essentiellement sur le mécanisme de l'imagination, du "rendre présent" de l'idée de Dieu chaque fois que nous avons une idée quelconque. Comment renvoyer tout cela à du vide, sachant que le vide n'existe pas chez Spinoza, et que l'Ethique contient bel et bien des vérités concernant le premier genre de connaissance (qui, justement, est déjà une "connaissance")?
L.

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Messagepar Faun » 17 juil. 2008, 03:57

Les passions existent parce qu'elles sont des affections réelles des essences, c'est la modification d'une essence par une autre. Elles sont des passions parce que l'essence ainsi modifiée par une rencontre avec quelque chose d'extérieur est passive. Ce n'est pas pour cela que l'affection, et l'affect qui en découle, n'existent pas. Que l'affection soit active ou passive n'enlève rien à sa réalité.

d'autre part l'amour de Dieu ne naît pas de l'imagination mais de l'intellect, comme le prouve le corollaire de la proposition 32 partie 5.

L'imagination n'est pas une connaissance, c'est un délire, un rêve éveillé. Et en effet nous voyons le soleil à environ 60 mètres de nous, comme dans un rêve. Et donc le temps, la mort et la destruction sont également des illusions, de même qu'est une illusion la déesse Kali des hindous. Le hindous ont formé depuis longtemps ce concept de "maya", l'illusion, le rêve, l'hallucination dans lesquels vivent les êtres.

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Messagepar Louisa » 17 juil. 2008, 04:22

Faun a écrit :d'autre part l'amour de Dieu ne naît pas de l'imagination mais de l'intellect, comme le prouve le corollaire de la proposition 32 partie 5.


oui d'accord, mais la 5.32 parle de l'Amour INTELLECTUEL de Dieu, et non pas de l'Amour de Dieu. On se situe alors dans la deuxième partie de l'E5, tandis que je parlais moi-même de la première partie. Là il s'agit d'avoir présent à l'Esprit l'idée de Dieu (acquise par le 2e genre de connaissance, donc par l'intellect, certes) et d'associer le plus souvent possible toute image, toute affection du Corps, à cette idée. Il s'agit donc de tout un "art" du rendre présent à l'Esprit, ou de l'imaginer distinctior.

Faun a écrit :L'imagination n'est pas une connaissance, c'est un délire, un rêve éveillé.


désolée, mais chez Spinoza l'imagination constitue le premier genre de CONNAISSANCE.

Faun a écrit :Et en effet nous voyons le soleil à environ 60 mètres de nous, comme dans un rêve.


non, dans un rêve nous pourrions le voir à n'importe quelle distance. En tant que nous laissons frapper notre rétine par les rayons de soleil en revanche, c'est toujours la même distance qui est suggérée, et pas du tout n'importe quoi.

Faun a écrit :Et donc le temps, la mort et la destruction sont également des illusions, de même qu'est une illusion la déesse Kali des hindous. Le hindous ont formé depuis longtemps ce concept de "maya", l'illusion, le rêve, l'hallucination dans lesquels vivent les êtres.


croire qu'une idée issue de l'imagination est une idée adéquate, cela est bien sûr une illusion. Mais chez Spinoza, il faut déjà se placer du point de vue du deuxième genre de connaissance pour avoir une idée qui exclut l'existence de ce qui est rendu présent à l'Esprit par le premier genre de connaissance (SI l'existence en question est exclue, ce qui n'est pas toujours le cas). Le premier genre de connaissance ne contient AUCUNE ERREUR. Inversement, dire que d'un point de vue du temps, toute chose singulière tôt ou tard est détruite par une autre, c'est avoir une idée adéquate, dans le spinozisme, un axiome même, ce n'est pas du tout une idée illusoire.
Cordialement,
L.

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Messagepar Faun » 17 juil. 2008, 07:23

Durtal a écrit :Du point de vue de l’éternité il y a une jouissance infinie d’exister, ou encore la béatitude. L’éternité est ce qui nous fait vivre de « la vie de Dieu ». Et je trouve le poème de Baudelaire rappelé à notre attention par Faun parfaitement bienvenue en manière de contrepoint. Je ne veux pas faire de lyrisme de pacotille mais ce n’est pas l’éternité « du cimetière », il s’agit d’ une éternité active et vivante, qui vit et qui agit de la vie et de la puissance même d’agir de Dieu.


Je pense à ce propos que ce poëme de Baudelaire est éminemment polémique, ou ironique, quand on connaît le goût de Baudelaire pour la modernité en art.
La modernité d'une oeuvre pour lui est précisément une beauté inscrite dans le devenir infini des êtres. La beauté n'est pas un sphinx incompris qui trône immuable dans l'azur.

"L'azur
Séraphique sourit dans les vitres profondes,
Et je déteste, moi, le bel azur !"

Mallarmé, Hérodiade
Modifié en dernier par Faun le 17 juil. 2008, 16:06, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 17 juil. 2008, 13:12

Faun a écrit :Dans le scolie de la proposition 37 partie 5, Spinoza affirme que l'axiome de la quatrième partie n'est vrai qu'en tant que nous concevons les choses singulières en relation avec un temps et un lieu précis, c'est à dire en tant que nous les imaginons. Lorsque nous les concevons à l'aide de l'intellect, cet axiome ne s'applique plus, puisque le temps et la mesure de l'espace sont des êtres d'imagination, comme Spinoza l'affirme dans la lettre 12. Dans cette même lettre Spinoza distingue l'éternité de la durée, l'éternité s'appliquant à la substance et la durée aux modifications de la substance. Mais la substance ne peut être conçue sans ses modifications, puisque celles-ci sont des parties de celle-là. S'il y a une distinction elle se situe donc entre la durée indéfinie des modifications (que nous imaginons plus facilement, c'est à dire que nous mesurons grâce au temps) et l'existence infinie, c'est à dire l'éternité de la substance. Nous parlons de la mort des modifications et de leur destruction uniquement parce que nous séparons les modifications des attributs dont elles sont des parties, c'est à dire parce que nous les imaginons. Si nous concevions les modifications toujours en tant que parties de la substance, nous ne pourrions pas former ces idées de destruction et de mort, qui n'existent que dans l'imagination, c'est à dire qui n'existent pas du tout. C'est pourquoi Spinoza dit que l'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et que sa sagesse est une méditation de la vie. La vie qui est Dieu, comme on peut le lire dans le chapitre 6 des pensées métaphysiques.


Merci!

C'est exactement ce que je pense aussi.

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Messagepar Durtal » 17 juil. 2008, 13:54

Louisa.

Louisa a écrit :
je crois que là tu touches à l'essence du problème: l'imagination chez Spinoza n'est-elle "rien du tout", ou a-t-elle une existence à elle?


Spinoza a écrit :PROPOSITION XXXIII
Ce n'est rien de positif qui fait la fausseté des idées.
Démonstration : Si vous niez cela, essayez de concevoir un mode positif de la pensée qui constitue la forme de l'erreur et de la fausseté. Un tel mode ne se peut trouver en Dieu (par la Propos. précédente), et il ne peut non plus exister ni se concevoir hors de Dieu (par la Propos. 15, partie 1). Par conséquent, ce ne peut rien être de positif qui fait la fausseté des idées. C. Q. F. D.


Et cesse de dire que les idées "inadéquates existent" quand nous connaissons les véritables rapports de distance entre nous et le soleil et que nous continuons a le voir a la distance apparente qu'il a, nous savons pourquoi il est ainsi, et notamment pourquoi ce n'est pas contradictoire. C'est à dire nous concevons adéquatement que cette distance apparente résulte de ce que la nature du soleil s'explique alors par la nature de notre essence et nous "n'imaginons plus" alors l'essence du soleil et la nôtre. Nous les concevons clairement et distinctement dans leurs mutuels rapports. Encore une fois toute l'éthique converge vers cette idée selon laquelle:

Spinoza a écrit :PROPOSITION III
Une affection passive cesse d'être passive aussitôt que nous nous en formons une idée claire et distincte.
Démonstration : Une affection passive, c'est une idée confuse (par la Déf. génér. des passions) ; si donc nous nous formons de cette affection même une idée claire et distincte, cette idée ne se distinguera de l'affection, en tant que l'affection est rapportée uniquement à l'âme, que d'une distinction abstraite (par la Propos. 21, part. 2, et son Schol. 1), et en conséquence (par la Propos. 3, part. 3) l'affection passive cessera d'être passive. C. Q. F. D.


Si dans nos rapports avec les autres corps nous sommes actifs, alors toute chose étant égale par ailleurs (c'est à dire les rapports en question par hypothèse restant les mêmes) nous les concevrons clairement et distinctement quand nous ne faisions que les imaginer en étant passifs.

D.

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Messagepar Louisa » 17 juil. 2008, 14:56

Louisa a écrit:
je crois que là tu touches à l'essence du problème: l'imagination chez Spinoza n'est-elle "rien du tout", ou a-t-elle une existence à elle?

Durtal:
Spinoza a écrit:

PROPOSITION XXXIII
Ce n'est rien de positif qui fait la fausseté des idées.
Démonstration : Si vous niez cela, essayez de concevoir un mode positif de la pensée qui constitue la forme de l'erreur et de la fausseté. Un tel mode ne se peut trouver en Dieu (par la Propos. précédente), et il ne peut non plus exister ni se concevoir hors de Dieu (par la Propos. 15, partie 1). Par conséquent, ce ne peut rien être de positif qui fait la fausseté des idées. C. Q. F. D.


je disais que pour Spinoza l'IMAGINATION existe, au lieu de n'être rien du tout, comme toi-même et Faun viennent de le dire, et tu me réponds par une citation qui dit que la FAUSSETE n'a rien de positif, c'est-à-dire par l'argument même que j'ai donné ci-dessus pour expliquer POURQUOI l'imagination existe. Je suppose que mon argument n'était donc pas très clair. Le voici formulé autrement.

En effet, cette proposition dit que l'idée inadéquate n'enveloppe pas une chose réelle que l'on peut saisir ou désigner, et qui la rendrait fausse. L'erreur n'est pas quelque chose qui existe en soi, et qui s'installerait dans les idées pour les "rendre" fausses. Mais qu'est-ce que cela signifie? Que l'idée inadéquate est elle-même inexistante, vous en concluez. Si de prime abord cette conclusion ne semble pas être absurde, il suffit de penser au fait que tout le 4e livre de l'Ethique tente de développer des stratégies pour combattre les idées inadéquates, pour voir que cette conclusion ne peut pas être la bonne.

Si alors on pense au fait que Spinoza dit et répète que l'idée inadéquate, en soî-même, n'est NI VRAI NI FAUX, mais qu'il faut AJOUTER à cette idée une autre idée, qui exclut l'existence de x que l'idée inadéquate croit percevoir dans le monde, alors on comprend qu'une idée inadéquate n'est inadéquate non pas parce qu'elle contiendrait physiquement l'une ou l'autre "fausseté", mais parce que pour en avoir une idée adéquate, il ne suffit pas d'en avoir une idée, il faut une deuxième idée. L'idée inadéquate est donc PRIVEE de quelque chose. Mais pour être privé de quelque chose, il faut bel et bien d'abord exister, non .... ?

Rappelons que l'idée adéquate dans mon Esprit, est également adéquate en Dieu et cela non pas en tant qu'il est infini, mais en tant qu'il s'explique par mon Esprit SEUL. L'idée inadéquate dans mon Esprit, en revanche, est également adéquate en Dieu (ce qui prouve d'ailleurs déjà qu'elle existe, Dieu n'ayant pas une idée adéquate de ce qui finalement ne serait "rien" ... !!), et cela non pas en tant qu'il s'explique par mon Esprit seul, mais en tant qu'il s'explique par mon Esprit ET par le corps extérieur qui vient d'affecter mon Corps.

Ce n'est pas parce qu'une idée est confuse (= inadéquate) qu'on peut déjà faire comme si elle n'existait pas. Cela veut simplement dire qu'il faut y ajouter une autre idée pour produire une idée adéquate ayant cette idée confuse comme objet.

C'est ce que Spinoza fait quant à l'idée inadéquate qu'une majorité de gens ont de Dieu et de son essence. Il a produit par le deuxième genre de connaissance, donc par la voie déductive, une AUTRE idée de Dieu, capable de s'ajouter à l'idée confuse que nous en avions avant de lire l'Ethique. Pour la même raison, cette idée adéquate de l'essence de Dieu n'est PAS une notion commune, car on ne peut démontrer déductivement ce qui est fondement de toute déduction.

Durtal a écrit :Et cesse de dire que les idées "inadéquates existent" quand nous connaissons les véritables rapports de distance entre nous et le soleil et que nous continuons a le voir a la distance apparente qu'il a, nous savons pourquoi il est ainsi, et notamment pourquoi ce n'est pas contradictoire. C'est à dire nous concevons adéquatement que cette distance apparente résulte de ce que la nature du soleil s'explique alors par la nature de notre essence et NOUS "N'IMAGINONS PLUS" alors l'essence du soleil et la nôtre. Nous les concevons clairement et distinctement dans leurs mutuels rapports.


pour une fois, je me contenterai d'une citation: Spinoza E2P35 sc:

"De même, quand nous fixons le soleil, nous l'imaginons à une distance d'environ deux cents pieds de nous, erreur qui n consiste pas dans cette seule imagination, mais dans le fait que, tandis que nous l'imaginons ainsi, nous ignorons sa vraie distance et la cause de cette imagination. Car, même si plus tard nous savons qu'il est à une distance de nous de plus de 600 diamètres de la terre, NOUS N'EN CONTINUERONS PAS MOINS A L'IMAGINER proche; car, si nous imaginons le soleil si proche, ce n'est pas parce que nous ignorons sa vraie distance, mais parce qu'une affection de notre Corps enveloppe l'essence du soleil, en tant que le Corps lui-même est affecté par lui."

Durtal a écrit :Encore une fois toute l'éthique converge vers cette idée selon laquelle:

Spinoza a écrit:
PROPOSITION III
Une affection passive cesse d'être passive aussitôt que nous nous en formons une idée claire et distincte.
Démonstration : Une affection passive, c'est une idée confuse (par la Déf. génér. des passions) ; si donc nous nous formons de cette affection même une idée claire et distincte, cette idée ne se distinguera de l'affection, en tant que l'affection est rapportée uniquement à l'âme, que d'une distinction abstraite (par la Propos. 21, part. 2, et son Schol. 1), et en conséquence (par la Propos. 3, part. 3) l'affection passive cessera d'être passive. C. Q. F. D.

Si dans nos rapports avec les autres corps nous sommes actifs, alors toute chose étant égale par ailleurs (c'est à dire les rapports en question par hypothèse restant les mêmes) nous les concevrons clairement et distinctement quand nous ne faisions que les imaginer en étant passifs.


à mon sens Faun et toi-même négligent le fait que chez Spinoza le mot "imagination" n'a pas le sens qu'il a dans le langage ordinaire. L'imagination telle qu'il l'a définit n'y ressemble plus que de très très très loin. Une imagination est une idée. Une idée ayant une affection du Corps comme objet. Cette affection du Corps, il l'appelle "image". Il faut donc nier la possibilité même des corps singuliers d'être affectés pour dire que d'un point de vue spinoziste l'imagination n'existe pas ou n'est "rien".

Quand nous sommes actifs, nous nous affectons nous-mêmes, nous produisons une idée et en vertu du parallélisme immédiatement aussi une affection de notre Corps ou une image. Jamais nous ne quittons le registre de l'imagination, tant que nous vivons.

C'est pourquoi ce n'est pas un remède très efficace non plus de dire, comme toi et Faun le faites, que tout ce qui relève de l'imagination, ce n'est "rien". On peut dire cela à un enfant qui vient de tomber, avec un peu de chance il y croira, arrêtera de pleurer, et oubliera que son genou fait mal. Mais pour la destruction et les souffrances que s'infligent les adultes les uns aux autres, juste dire que la destruction, ce n'est "rien" ... cela me semble être tout sauf spinoziste.

Au lieu de faire comme si les passions, ce n'est "rien", il les traite comme s'il s'agit de "lignes, de plans ou de corps". Les "Affects de haine, de colère, d'envie, etc., considérés en soi, suivent les uns des autres par la même nécessité et vertu de la nature que les autres singuliers; et partant, ils reconnaissent des causes précises, par lesquelles ils se comprennent, et ont des propriétés précises, aussi dignes de notre connaissance que les propriétés de n'importe quelle autre chose qui nous charme par sa seule contemplation. Je traiterai donc de la NATURE DES AFFECTS ET DE LEURS FORCES..."

Comment étudier les "propriétés et forces" de quelque chose, si selon vous cette chose en fait n'existe pas, n'est "rien" ... ?
Cordialement,
L.

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Messagepar Faun » 17 juil. 2008, 16:12

Louisa, j'ai déjà répondu à vos objections concernant les passions plus haut.

Que l'imagination soit une illusion que Spinoza rejette dans le premier genre de connaissance n'empêche pas qu'elle soit en effet une puissance. Des affects bien réels peuvent en effet naître d'idées illusoires. L'art des prêtres a d'ailleurs toujours consisté à exercer un pouvoir via la puissance de l'imagination, qui est très forte chez les ignorants comme le dit Spinoza.
L'art des philosophes consiste principalement à dissiper ces mauvais rêves.


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