Louisa,
Louisa a écrit :En effet, une relation de partie à la totalité n'est certainement pas, en tant que telle, une relation de contradiction ou de contrarieté.
Or je crois que nous sommes tous ici d'accord pour admettre que l'idée inadéquate est partielle, l'idée adéquate non. Et justement ... il suffit de dire cela pour avoir une contradiction logique (P étant l'équivalent de "est partiel", nous avons bel et bien un rapport de P à non P). En soulignant cela, je ne veux nullement "ergoter", mais mettre en évidence l'un des problèmes que j'ai avec ton interprétation, telle que je l'ai compris pour l'instant. On va peut-être pouvoir avancer en essayant d'expliciter chacun ce qu'on comprend plus précisément par "être partiel", quand il s'agit des idées inadéquates.
Ce raisonnement est ce qu’on appelle un sophisme, Louisa : de ce que les propriétés « être une partie » et « être un tout » sont incompatibles entre elles, ne suit pas que la partie d’un tout est contraire à ce tout. Si on dit, de plus, d’une chose qu’elle est une partie, on pose par là même qu’elle est une partie de quelque autre chose. Or relativement aux idées, il n’y a que les idées inadéquates et les idées adéquates. Donc si une idée inadéquate est dite être une partie, ce sera nécessairement ou bien la partie d’une autre idée inadéquate ou bien la partie d’une idée adéquate, c’est à dire : ce sera dans les deux cas la partie d’une idée adéquate. Et il en suit bien ce que nous voulions à savoir que les idées inadéquates ne sont pas, eu égard, aux idées adéquates dans une relation de contrariété. Et ce en aucun sens du terme. Je conclus de ceci….que tu ergotes et qu’il ne suffit pas de dire qu’on ne fait pas une chose pour ne pas la faire!
Louisa a écrit :Première question: de QUELLES idées s'agit-il, quand nous disons qu'une idée inadéquate est partielle et en tant que telle ne s'oppose pas au tout auquel elle appartient comme si elle était le contraire de ce tout?
Reprenons l'exemple du soleil. Il y a l'idée adéquate du soleil (l'idée que le soleil est), et l'idée de l'affection de mon Corps par les rayons de soleil. Cette idée, dit Spinoza, indique plus l'étât de mon Corps que la nature du soleil. Elle ne me donne pas vraiment accès à l'idée qu'est le soleil, elle ne m'en fait voir qu'une partie (je n'en perçois que ce qui est capable de frapper mon oeil à moi). L'idée X qui est dans mon esprit est donc partielle au sens où elle ne me dit qu'une partie de la vérité du soleil, elle n'est qu'une partie de l'idée qu'est le soleil (= idée Y).
Ton exemplification du concept d’idée inadéquate est incorrecte. L’idée « x » qui enveloppe une affection de mon corps par l’essence du soleil, n’est pas une partie de l’idée « y », c’est à dire une partie de l’idée du soleil ! Rends toi un peu compte de ce que cela signifie : que mon œil ou mon cerveau sont des parties du soleil ! L’idée adéquate dont il est question dans cet exemple n’est pas celle du soleil. Il s’agit d’une idée composée de l’idée adéquate de mon corps ainsi que de l’idée adéquate du soleil, c’est à dire l’idée adéquate
du système que forment la rencontre de ces deux corps (ce que j’appelais tantôt l’idée « z »). Nous sommes avec cet exemple dans le cas de figure que Spinoza représente en disant : Dieu a l’idée adéquate de quelque chose en tant qu’il constitue la nature de l’esprit d’un être humain en même temps que la nature de l’esprit d’une autre chose. Ce dont je ne perçois qu’ « une partie » est donc le système « corps humain/soleil », et non pas « le soleil » tout seul. Dieu quant à lui perçoit adéquatement ce système puisqu’il est aussi bien mon propre corps que celui du soleil, mais moi je ne le perçois pas adéquatement puisque mon corps ne fait précisément
pas partie du soleil. Je n’ai qu’un point de vue sur le « système », celui de mon corps et c’est pour cela que je perçois toute la chose partiellement et confusément. Le soleil et mon corps sont des parties de l’essence de Dieu en tant qu’il est substance étendue, et donc les idées de ces choses sont des parties de l’essence de Dieu en tant qu’il est substance pensante, mais il ne suit pas de là que ces parties sont chacune des parties l’une de l’autre…! Tu crois utile de préciser cependant :
Louisa a écrit : En quel sens X est-elle une partie d'Y, plus précisément encore? X est en réalité un EFFET de Y. Et c'est précisément cela la raison pour laquelle X est condamnée à ne nous donner qu'une info partielle sur ce qu'est Y, car comme le dit Spinoza dans le TIE, une connaissance des causes par les effets est toujours partielle. Elle ne nous dit de la cause que ce que celle-ci produit sur moi comme effet, elle ne nous donne pas une idée adéquate de la cause même. Tandis que pour avoir une connaissance adéquate il faut d'abord une connaissance de la cause, ou une définition de la cause, de telle sorte que toutes ses propriétés et effets peuvent être compris correctement en les déduisant d'elle (raison pour laquelle le TIE nous dit qu'il faut le plus vite possible trouver une idée adéquate de Dieu, puis déduire tout le reste de cette idée, comme il le fait effectivement dans l'Ethique). L'idée X fait donc partie de l'idée Y en tant qu'elle se trouve parmi les effets que Y est capable de produire. X n'est pas égale à Y. L'idée dans mon Esprit est une AUTRE idée que l'idée qu'est le soleil. Il s'agit de deux idées différentes, mais l'une étant un effet de l'autre, on peut dire que X est une partie de Y, tenant compte du fait que dans le spinozisme, la cause enveloppe toujours ses effets. Inversement, l'Esprit qui a l'idée X ne possède qu'une information ou connaissance (ou idée) partielle de Y. Nous avons donc deux idées différentes: l'idée Y qu'est le soleil, et l'idée X dans mon Esprit. Sont-elles contraires l'une à l'autre. Pas du tout! Une idée d'un effet n'est jamais contraire à une idée de sa cause.
J’ai peur néanmoins que ces précisions n’arrangent pas vraiment nos affaires. Car l’idée de l’effet de l’essence du soleil sur mon corps n’est toujours pas une partie de l’idée du soleil ou une partie de cette essence. Ce qui est un effet appartenant à la nature du soleil est, par exemple, qu’il propage des rayons lumineux. Mais le soleil peut exister et propager ses rayons sans que mon corps existe, ou que mon œil soit là pour les recevoir. Donc, bien entendu, les modifications de mon corps par le soleil (les « effets » qui nous occupent) n’appartiennent pas à l’essence de ce dernier, de même que les idées de ces modifications. La cause qui est en question ici est la modification du corps humain par le soleil ( ou la modification de l’idée du corps humain par l’idée du soleil) et l’effet est une certaine perception de l’idée du soleil par l’esprit humain tout comme inversement cette modification doit avoir aussi certains effets sur l’essence du soleil. (
Je me permets à ce sujet une petite digression : Bien que, en l’occurrence, les effets supposés sur le soleil de sa rencontre avec un oeil soient, c’est le moins que l’on puisse dire, assez difficiles à apercevoir, je pense qu’il n’est pourtant pas complètement absurde de dire qu’il « arrive » quelque chose à un rayon lumineux (je suppose qu’il est dévié) quand il rencontre un œil de la même manière qu’il « arrive » quelque chose à cet œil quand il rencontre un rayon lumineux. En ce sens un peu contre-intuitif, je le reconnais, je pense qu’il est permis de dire que l’essence du soleil est co-affectée par la relation. Fin de la digression). Ou n’est il pas clair pour toi que cet « effet » ne pourrait avoir lieu si le soleil seul était donné et non le corps humain ? ou le corps humain seul et non le soleil ? Il s’agit donc exactement de la même confusion que dans le paragraphe précédent, qui se poursuit sous l’angle des causes et des effets. C’est le système (ou la rencontre) « corps-humain /soleil » qui est une cause produisant certains effets sur les deux éléments du système. Tu ne peux pas te contenter de dire « ma perception inadéquate du soleil est un effet de l’essence du soleil et donc, pour la raison que l’effet enveloppe sa cause, c’est une partie de l’idée adéquate du soleil » parce que c’est simplement du
charabia. Tu omets dans ton raisonnement un élément capital, à savoir que le corps humain et ce qu’il peut, font partie de la cause de l’effet à étudier, et que c’est
surtout de cela dont il est question avec cet exemple. Ce qui rend ce que tu dis, sauf ton respect, totalement confus (et c’est le cas de le dire).
Donc si on remet un peu tout ça « à l’endroit » nous avons : a) l’idée d’un corps humain, idée que Dieu conçoit adéquatement b) l’idée du soleil que Dieu conçoit adéquatement et c) l’idée de la rencontre d’un corps humain et du soleil, laquelle également, par (a) et par (b), est nécessairement conçue adéquatement par Dieu. Et que l’idée du soleil ( y) et l’idée de mon corps (x) ne soient pas la même chose, n’implique pas que l’idée de leur rencontre (z) n’est pas la même chose que l’idée de leur rencontre (z), c’est à dire que l’idée de leur co-affection n’est pas l’idée de leur co-affection! Comme c’est de cela qu’il s’agit et de nulle autre chose, ce que tu conclus de tout ceci ensuite est inopérant. En effet si ce sont là les prémisses desquelles tu comptes inférer que dans la perception du soleil une idée inadéquate de celui-ci est produite qui diffère de l’idée adéquate du soleil qui est en Dieu, raison pour laquelle l’idée inadéquate du soleil en l’esprit humain ne peut pas être en même temps être conçue adéquatement en Dieu, cela me semble pour le moins mal parti. Car cela montre seulement que tu ne saisis pas bien le sens du problème que pose l’exemple auquel tu te réfères.
Il faut d’abord que tu comprennes, en effet, que l’idée
de la perception du soleil par un être humain, n’est pas la même chose que l’idée adéquate du soleil
lui même et à plus forte raison pas la même chose qu’une partie de cette idée adéquate. La question n’est donc pas celle de savoir si l’idée inadéquate du soleil dans l’esprit humain est simultanément adéquate en Dieu, la question est de savoir si, tandis que l’esprit humain a une perception inadéquate du soleil, cette idée (c’est à dire cette perception elle même) est également inadéquate en Dieu, ou si elle n’est pas bien plutôt adéquate, précisément parce que la
cause pour laquelle cette perception est dite inadéquate en l’esprit humain (c’est à dire l’ignorance de la réelle nature du soleil), est nécessairement supprimée quand on considère l’esprit de Dieu. (Et nous sommes ici paradoxalement, alors même que nous parlons d’imagination, amené tout près de la thématique du troisième genre de connaissance, c’est à dire des perceptions adéquates de choses singulières qui constituent la manière dont Dieu connaît et pense)
Une fois compris ces données, pour réfuter ce que j’avance, tu dois montrer qu’il est impossible que Dieu puisse concevoir adéquatement le
rapport ou la rencontre entre deux corps,
si les esprits de ces corps eux mêmes (pris l’un à part de l’autre) se conçoivent inadéquatement l’un l’autre (si il conçoivent inadéquatement le rapport qu’ils ont chacun avec l’autre), comme c’est le cas dans notre exemple de la perception du soleil par l’esprit humain.
D.