Messagepar ShBJ » 21 juin 2008, 16:47
A Durtal et Louisa,
afin que les positions soient aussi claires que possible (la mienne, à tout le moins) j'énonce très brièvement ce que je comprends et affirme du problème qui nous occupe, en laissant de côté celui du corps considéré sous une certaine forme d'éternité, que je suis cependant avec attention :
1) Le terme même d'union est polémique chez Spinoza... le terme !... pas le problème qui est posé... autrement dit, reprendre le mot de Descartes alors que Spinoza entend par union de l'esprit et du corps une correspondance non causale entre les deux, et revenir sur ce mot au début de la cinquième partie de l'Ethique, voilà qui dit suffisamment que Spinoza souhaite de se démarquer de Descartes et de rendre enfin intelligible ce qui d'après Descartes n'est qu'éprouvé et reconduit à l'omnipotence divine - comprendre, au sens strict du terme, ce n'est ni sentir, ni imaginer, ni éprouver.
2) Tous les grands penseurs après Descartes reprennent la question et écartent explicitement la solution cartésienne en condamnant son irrationalité - ainsi Malebranche ou Leibniz... les lettres à Elisabeth peuvent être fort belles, elles n'en demeurent pas moins décevantes (d'après eux et Spinoza) parce qu'elles renoncent à résoudre le problème par la raison.
3) La solution spinoziste du problème - que l'on appelle "union" ou tout ce qu'on voudra ce qui se joue dans le rapport de l'esprit au corps - exige que soient démontrées deux proposition : d'une part, qu'une même substance a plusieurs attributs, d'autre part, que chaque esprit singulier est corrélé à son corps singulier... or, a) la démonstration de la possibilité de l'existence d'une substance à plusieurs attributs (E, I, 9) fait appel au gros bon sens, dont je ne sache pas qu'il ait voix au chapitre en pareil domaine, tandis que b) la corrélation individuelle de l'esprit et du corps (E, II, 13) n'est jamais démontrée, mais simplement présupposée, justement à la manière de Descartes - nous éprouvons qu'il arrive des choses. Il me semble au reste que Leibniz lui reproche déjà de passer la difficulté de l'individuation sous silence, dans le texte qu'il est convenu d'appeler Réfutation inédite de Spinoza.
4) Ainsi, pour reprendre un exemple qui a été donné par je ne sais plus qui, que se passerait-il si je vivais, n'étant pas daltonien, dans un monde peuplé de daltoniens (attendu que l'on appelle daltoniens des gens qui confondent systématiquement le vert et le rouge, ce qui en toute rigueur médicale est parfaitement faux) ? Eh bien, il ne se passerait rien... percevant rouge ce qu'ils perçoivent vert et ayant appris depuis l'enfance que ce que je vois rouge se nomme "vert" j'userais des termes "vert" et "rouge" exactement comme eux... de même, corrélé à un corps qui n'est pas le sien, mon esprit verrait sa puissance de penser augmentée ou diminuée par des rencontres à partir desquelles il s'efforcerait de persévérer dans son être de façon nécessaire et déterminée. J'entends bien qu'un tel monde est à peine pensable, en ce qu'il choque l'imagination, mais il n'a rien d'impossible - il est donc pensable au sens strict et Spinoza se devait, pour parfaire sa démonstration, d'en tenir compte.
Mon salut sur vous.
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ShBJ le 22 juin 2008, 00:30, modifié 1 fois.