un exercice philosophique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Miam » 02 nov. 2006, 23:45

Comme vous voulez Durtal. Je vous laisse bavarder avec Hokusai.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 04 nov. 2006, 00:53

"""miam dit """"""""""Une chose aussi simple que ; si une substance est conçue par soi (D3) elle n'a pas besoin d'attribut pour être conçue: cemla même dépasse complètement la "logique" de Durtal.""""""""""""""""""


mais la substance pour être conçue à besoin de l'attribut pensée .. non ?

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Messagepar Miam » 04 nov. 2006, 12:34

Pour être "constituée". Pas pour être "conçue". Une substance est conçue par ce qui appartient à son essence. Dans les définitions, ce qui appartient à l'essence d'une substance c'est l'être en soi et conçu par soi. Dans les propositions ensuite on apprend que l'infinité, la nécessité, l'existence appartiennent à l'essence d'une substance. Selon IID2, c'est donc par ceux-là qu'une substance est et est conçue. Pas par les attributs. Du reste, qu'il y ait au début une définition de la substance et une définition de l'attribut est la preuve formelle qu'ils ne sont pas conçus l'un par l'autre.

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Messagepar hokousai » 04 nov. 2006, 17:54

à miam

Je dis pour être conçue parce que Spinoza dit qu’elle se conçoit ( et non pas qu'elle se constitue )
Je m’attache à """et ce qui se conçoit pas soi """et à "" ce dont le concept etc . ""def 3

Concevoir que ce soit pas soi même ou par autre chose me parait être une activité de l’esprit( ainsi que Spinoza le dit quand il parle de concept ) ) donc une manière de l’attribut pensée dans ce cas comme dans les autres cas de concept .

L’infinité n’est pas cela par lequel le la substance est conçue, l’infinité n’est pas une manière de penser. L’infinité est extraite par analyse du concept de substance ce qui est d' ailleurs assez problématique pour un concept qui n’ayant (par définition ) besoin d’aucun autre concept n’ a pas a proprement parler pas d' analytique possible .Pas d analytique nécessaire (ou indispensable) .

L’infinité ne sert donc de rien pour concevoir la substance en revanche sans activité de l ‘esprit je ne vois pas comment elle peut se concevoir .

hokousai

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Messagepar Durtal » 13 mai 2007, 21:05

Bon. si jamais il passait par là un individu qui se pose les même questions que moi voici ce que je suis parvenu à fixer sur la question. Je n'ai pas du tout la prétention d'avoir intégralement résolu le problème mais je crois que la voie suivie n'est pas mauvaise.

Désolé c'est assez long. Le point de départ de la réflexion est la scholie de la prop. X livre I.

Les propositions XI et X, du livre I admettent par leurs seules formulations qu’il est possible qu’une même substance ait plusieurs attributs. Et Spinoza l’avoue ici ouvertement et enfonce le clou.
Non seulement il n’est pas absurde de penser qu’une substance a plusieurs attributs mais c’est même ce qui semble avant tout examen le plus probable.

Pourquoi pourrait-on penser tout d’abord, que ça l’est ? (Je veux dire, « absurde », « contradictoire »).

La remarque s’adresse à l’évidence aux cartésiens. Ceux-ci en effet identifient la substance à son attribut principal. Ainsi de la distinction réelle existant entre l’étendue et la pensée, ils concluent à la distinction de deux substances de nature différentes. Par suite il peut paraître absurde de parler d’une substance pourvue de plusieurs attributs, puisque la pluralité des attributs pose plusieurs substances et que jusqu’à preuve du contraire 1 n’est pas égal à 2.

L’argument de Spinoza s’appuie sur ce qu’il a démontré dans la proposition X, à savoir que les attributs d’une même substance doivent se concevoir par soi. Spinoza se sert donc ici de cette proposition pour suggérer que le fait que les attributs soient réellement distincts, c'est-à-dire que chacun se conçoive par lui-même, n’a rien à voir avec le nombre supposé de substances (ce n’est pas parce qu’ils constitueraient l’essence de deux substances qu’ils sont réellement distincts, même s’il est vrai par ailleurs que deux substances étant supposées, elles devraient aussi et en effet être distinctes). C’est parce que l’attribut est ce qui constitue l’essence d’une substance, et donc pas autre chose que la substance elle-même considérée d’une certaine façon, que celui ci est nécessairement « à part » de tout autre c'est-à-dire ni une partie, ni un effet d’un autre attribut dans l’hypothèse où il y en aurait plus d’un.

En fait dans le scolie, Spinoza s’appuie implicitement sur la converse de la proposition X. La proposition X s’énonce : Chaque attribut d’une même substance doit se concevoir par soi, laquelle est impliquée par la converse : Tout ce qui se conçoit par soi doit être attribut d’une même substance. Par conséquent l’inférence qui va de l’indépendance de deux attributs à la différence de deux substances n’est pas valide.

Cependant pourquoi au point de vue de Spinoza, les cartésiens font-ils cette erreur ? C'est-à-dire : quelle faute commettent-ils concernant les concepts de substance et d’attributs, de sorte qu’ils n’admettent pas que « tout ce qui se conçoit par soi doit (pour cette raison même) constituer l’attribut d’une même substance » ? C’est, je pense, qu’ils ne distinguent pas assez l’attribut de la substance, ou plus exactement qu’ils ne conçoivent pas correctement en quel sens l’attribut diffère de la substance.
Si cette question se pose (en quel sens l’attribut et la substance diffèrent), c’est que aussi bien selon Spinoza que selon les cartésiens, il n’y a entre la substance et l’attribut, qu’une distinction de raison. Ce qui veut dire que réellement l’attribut et la substance sont la même chose. L’attribut est une manière de spécifier la nature de la substance dont il est question dans un cas comme dans l’autre. Mais un cartésien pense que cette spécification a sa raison d’être dans la différence des natures des substances que justement l’on spécifie par leurs attributs différents (qu’elle en est donc le « signe »).

« La substance » pour un cartésien ne peut en réalité s’entendre que comme un équivalent de quelque chose qui pourrait aussi être rendu par l’expression « le substantiel », c'est-à-dire comme un nom de propriété : celle « d’être une substance » en général, qui convient en effet a toute substance de quelque nature qu’elle soit puisque l’on ne fait ici que marquer le caractère qui fait d’une chose une substance (« la substantialité » de la substance si l’on veut) mais le terme pour cette raison même ne désigne en réalité aucune substance particulière. En d’autres termes, l’expression reste vide tant que l’on a pas dit de quoi la substance était la substance, et ce n’est que lorsque l’on a spécifié de quel genre d’être la substance était la substance (c'est-à-dire précisé son attribut) que l’on dénote réellement une substance déterminée (ou bien la substance pensante ou bien la substance étendue). En ce sens il est contradictoire de soutenir qu’une substance à plusieurs attributs : dans la mesure en effet où l’attribut n’est jamais que ce qui permet de distinguer de quelle substance on parle, donc dans la mesure où l’attribut est la marque de la diversité des substances, dire qu’une substance a plusieurs attributs revient à dire que des substances différentes sont identiques, ce qui est en effet absurde.

La manière qu’ont les cartésiens d’identifier la substance et l’attribut revient à identifier substance et attribut de la façon suivante : si l’on considère en elle-même une substance c'est-à-dire à part des autres (ou si, a la limite, il n’en existe qu’une) alors l’attribut et la substance ne peuvent pas être distingués. Ce n’est que parce qu’il y a plusieurs substances qu’il y a lieu et qu’il est nécessaire de distinguer pour chacune l’attribut et la substance. Car étant donné qu’il y a plusieurs substances on se trouve immédiatement dans l’obligation d’indiquer ce qui dans chacune d’elle et au-delà de leur identité générique fait leur identité spécifique. (ce par quoi elles diffèrent et donc la raison pour laquelle elles sont plusieurs). De la sorte, l’attribut n’est que le signe de la différence des substances et n’est en réalité pas distinct de ces substances elles-mêmes.

A contrario si Spinoza dit que la substance a plusieurs attributs (une infinité d’attributs) et qu’il maintient lui aussi le principe de l’identité des attributs et de la substance, c’est que cette relation d’identité entre la substance et l’attribut doit, selon lui, être comprise d’une autre façon. Comment doit-elle être comprise ? Qu’est ce que l’attribut s’il n’est pas la marque distinctive des substances ? On pourrait dire que l’attribut est ce qui spécifie sous quel rapport un mode dépend de la substance. Par exemple : parler de l’attribut de la pensée, ou encore parler de « substance pensante », revient à dire (et ne revient à dire que cela) : il y a un certain type de modifications de la substance qui sont produits sous une certaine nature ou essence, et c’est en tant qu’ils sont rapportés à cette nature ou à cette essence qu’ils sont des modifications de la substance. En un mot : le concept d’attribut ne diversifie pas la nature de la substance mais la nature des modifications de la substance. Il est contradictoire de parler d’une substance composée de plusieurs substances (ou une essence faite de plusieurs essences) pour des raisons de logique élémentaire (un composé par définition est dans ou par autre chose : à savoir ses composants) mais cette restriction ne concerne nullement les individus ou les choses singulières (ce qui est exprimé par les modifications), puisque justement ceux ci ne sont pas des substances, mais ce qui peut très bien exister en vertu d’autre chose, donc ce qui peut s’expliquer ou avoir son être dans une composition de différents types de modifications. Et comme le concept d’attribut pris en général indique cette pluralité des rapports de dépendance d’une chose à la substance, et non une diversité de la substance elle-même, c'est-à-dire comme l’attribut se dit de la relation d’un mode à la substance, et par suite de la relation de plusieurs modes à la substance, la pluralité des attributs « n’entame » pas l’unité de la substance. Mais cette articulation implique que l’on se déprenne d’une certaine image de ce qu’est la substance, à savoir celle d’une sorte de « substrat » dans lequel s’additionnent et se confondent les attributs. En un sens les attributs sont chacun pour eux-mêmes un tel substrat, c'est-à-dire une « matière » pour des choses qui s’additionnent et se confondent en lui, mais cela ne peut que concerner la relation de plusieurs modes d’un même attribut à cet attribut lui-même, et il ne peut pas en aller de même pour la relation des attributs à la substance. Car la différence des attributs est irréductible, au contraire de la différence des modes d’un même attribut entre eux et à l’égard de l’attribut, différence qui n’est toujours que relative. En fait si la substance opère l’unité des attributs ce ne peut être que sur un autre mode que celui du rapport « substrat en quoi les choses se font »/ « choses faites à partir de ce substrat ». Il faut que cette unité opère à la fois comme quelque chose qui est au-delà de la multiplicité des attributs, pour la raison que l’on ne peut récupérer l’unité des attributs une fois donnée leur multiplicité mais en même temps et aussi en deçà de la multiplicité des attributs, car il n’est pas non plus possible de dériver la multiplicité des attributs d’une unité antérieurement donnée. Il faut donc que cette unité se fasse à la fois au-delà et en deçà de la multiplicité des attributs or c’est précisément ce que permet le concept de substance, précisément compris comme ce qui est cause de soi (et donc non plus comme « substrat », lequel parce qu’il devrait consister en des déterminations contradictoires serait nécessairement vide). Si l’unité de la substance est au-delà et en deçà de la multiplicité des attributs (ou, ce qui veut dire la même chose : des différentes essences de modes) c’est dans cette seule mesure où elle en est la cause. En effet pour ce qui concerne l’unité au-delà de la multiplicité on voit que le concept de cause est le bon candidat : si les attributs se rapportent en fait à une même substance, c’est au sens où c’est nécessairement par la même cause que les essences de choses « sont ». Ayant en commun ce simple fait qu’elles sont, il va de soi que c’est de la même « teneur d’être » (pour ainsi dire) qu’elles sont et donc que ce qui fait qu’elles sont (à savoir que l’être « est » ou que « l’être se fait être » et avec lui tout ce qui est) est la même chose par delà la différence de ce qu’elles sont. Pour ce qui concerne maintenant l’unité en deçà, c’est à nouveau le caractère intégralement causal de la substance qui permet de la réaliser, car la diversité même des attributs (la différence qui réside en ce qu’ils sont en contraste avec le fond d’identité du fait qu’ils sont) est précisément la façon dont tout ce qui est se fait être, l’être se faisant être « sature » de lui-même toutes les possibilités d’être (autrement dit toutes les « essences de choses » possibles) et cause donc dans l’être une diversification infini des façons d’être, par quoi nous retrouvons nos attributs irréductibles les uns aux autres. On peut donc dire à la fois que les attributs dérivent de la substance (« unité au-delà »), au sens où la substance étant la cause de tout ce qui est, en étant cause d’elle-même, est aussi la cause de l’être de tout attribut quel qu’il soit. Mais en un autre sens, on peut dire exactement le contraire : que les attributs ne dérivent pas de la substance (« unité en deçà ») dans la mesure où ce ne peut être que sous la forme de cette diversité infini des attributs que l’être se fait l’être qu’il est, et donc qu’il ne constitue pas quelque chose qui serait donné antérieurement ou à part des attributs.
Modifié en dernier par Durtal le 21 juin 2008, 10:40, modifié 1 fois.

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Messagepar aurobindo » 13 mai 2007, 21:35

pas grand chose a ajouter a un post que je trouve magistral. J'attends avec impatience les reponses ou réactions et tenterait une ouverture.

La comprehension de l'etre le plus parfait ou substance de manière intuitive est censé , je crois , etre la base de la science intuitive, ou de notre beatitude supreme , mais comment passe t-on d'une comprehension logique du systéme a une possession de la procedure decrite par Spinoza.

En d'autres terme comment se fait le passage de la connaissance de la substance ou Dieu sous le second genre a la connaissance de la substance sous le troisième genre ? Il me semble que Spinoza accorde a la compréhension logique de ses demonstrations une part determinante puisque ces lettres avec ses plus proches amis servent surtout a éclaircir ses demonstrations.

Et , dans Eth II , lorsque spinoza parle de comprendre l'indivisibilité de la substance corporelle par l'entendement , en quoi cette compréhension par l'entendement ( est -elle propre au second genre et correpond t-elle a la comprehension de la consistance logique ou va t-elle plus loin ? )se distinguerait d'une compréhension par le troisième genre ? ( j'aurai peut etre du ouvrir un autre sujet pour ces questions je laisse au moderateur le soin de rectifier si besoin est ^^)

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Messagepar Durtal » 16 mai 2007, 12:22

merci aurobindo de l'intérêt que tu as montré pour mon post.

Concernant les questions que tu poses, j'avoue pour l'instant que je n'en sais rien. Si je commence à comprendre quelque chose avec Spinoza c'est qu'il faut y aller len-te-ment et une chose après l'autre.

Toutefois je dirais que la connaissance dite du "troisième genre" étant caractérisée comme consistant en une intuition intellectuelle, cela me semble incompatible avec l'idée qu'il devrait exister une description de la procédure "pour y parvenir". Une intuition, il me semble, est quelque chose que l'on a ou que l'on n'a pas, et lorsqu'on l'a ce n'est pas parce que nous avons fait quelque chose de particulier pour l'avoir.

Parce que a bien y réfléchir, je crois que ce serait circulaire: pour que je me donne l'idée d'une procédure aboutissant au fait d'avoir l'intuition, il faut déjà que je sache ce à quoi je veux parvenir par cette procédure, donc que j'ai déjà cette intuition, mais si je l'ai alors la procédure est inutile, ou encore : j'ai l'intuition avant de mettre en oeuvre ma procédure. Inversement si je ne l'ai pas, je ne peux pas établir de procédure pour l'avoir, vu que je ne sais pas ce à quoi une telle procédure est censée aboutir, je ne sais pas ce que je cherche... Le propre de l'intuition il me semble (qu'elle soit intellectuelle ou empirique) est que l'on ne sait pas COMMENT on l'a.

Bon je sais que cela n'aide pas beaucoup, c'est plus une remarque générale sur le concept d'intuition.

Pour ce qui concerne la question sur la conception de l'étendu par l'intellect je ne vois pas sur le coup à quel passage de Eth II tu fais référence, mais est ce que Spinoza ne dit pas cela simplement pour contraster avec l'appréhension de l'étendu par l'imagination? Même si l'imagination nous présente l'étendue comme divisible en partie (je peux casser ma table en deux si je veux etc...), la raison c'est à dire la logique même du concept d'étendue nous montre que c'est là une chose en réalité impossible (Je ne divise pas en deux la substance étendue quand je casse ma table en deux. Voir les scolie du livre I sur le sujet).
Ensuite je crois que cette compréhension de l'étendue (comme indivisible) fait partie du 2em genre précisément parce que le concept d'étendue est LUI MEME un exemple de "notion commune" donc une connaissance discursive ou conceptuelle or la connaissance du troisième genre (me semble-t-il) concerne non l'appréhension de notions communes à toute choses mais l'appréhension d'essences de choses singulières (uniques), raison sans doute pourquoi il faut parler d'intuition, car nous ne pouvons avoir d'intuition que de quelque chose de singulier (ce qui nous ramène aux questions de "procédure" mais je n'y reviens pas).

Bon voilà un peu en vrac ce que je pense, j'espère t'avoir éclairé même si j'en doute.

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Messagepar Durtal » 16 juin 2008, 15:35

Louisa

Je vais essayer d’abord de rassembler les objections que tu m’as faite, de les mettre « en série » comme on dit.

A) En premier lieu nous avons à traiter une question lexicale ou plus exactement linguistique. Certes dans le texte français Spinoza écrit que « la substance pensante et la substance étendue sont une seule et même substance » ce qui incline le lecteur français à comprendre qu’il dit qu’elles sont identique. Mais il en irait autrement, d’après toi, selon le texte latin dans lequel « x et y una eademque rem sunt » ne signifierait pas que « x et y sont identiques » ou sont « les mêmes ». Nous verrons cela.

B) En second lieu tu contestes ma lecture de la préface de E5 (j’ai été trop vite en te reprochant de ne pas avoir pris en compte cette référence, je bas donc ma coulpe vigoureusement). Selon toi, si je te comprends bien, il ne serait pas question d’une critique de l’union de l’âme et du corps en tant que telle, mais de la critique de l’insuffisance de l’explication cartésienne de cette union. Parce que celui-ci a conçu l’âme et le corps comme deux substances il s’est trouvé du même coup incapable d’expliquer leur interaction et leur union.

C) Tu penses, ensuite, qu’admettre l’identité des attributs et des modes de ces attributs ne peut faire qu’éclater l’unité de la substance (ce qui, soit dit en passant, est assez curieux car, comme on dit, si je pèche ce serait plutôt dans l’autre sens, vers un « excès d’unité » en quelque sorte… mais j’anticipe). Tu insistes en tout cas sur la différence de « qualité » ontologique (si tu me passes cette expression) entre les attributs, ou entre les différentes modifications, afin de réfuter l’idée qu’ils sont identique (comme je le prétends) et tu présentes ultimement cette différence comme une raison supplémentaire d’admettre la théorie de l’union et préserver ainsi le monisme du danger de « dispersion » ontologique que je suis censé lui faire courir.

D) Enfin tu reproches à mon interprétation de rendre impossible l’explication de la subsistance de l’âme après la mort. Si elle est identique au corps alors elle périra avec lui.

J’espère ne pas avoir travesti ta pensée et avoir donné un résumé fidèle des objections que tu m’adresses. Maintenant qu’est ce que j’ai à répondre là-dessus ?

A) .

Je dois t’avouer que même si je ne suis pas un grand latiniste (et c’est un euphémisme) ton objection « linguistique » me laisse assez perplexe. Je trouve ton argument pour le moins curieux et je ne vois pas bien où il mène. Tu m’expliques en effet que le latin fait la différence entre les expressions « x, idem est, y » ou « x hoc est y » et l’expression « x et y una eademque rem sunt ». D’accord. Mais tu sembles ne plus t’apercevoir du coup que le français la fait aussi ! Si je dis :

(1) « x est identique à y »

Ce n’est pas la même expression que :

(2) « x et y sont une seule et même chose ».

On peut certes discuter de la question de savoir si (2) à la même signification que (1), ou si entre les deux il y a différence importante, mais je t’avoue que je ne vois pas très bien en quoi un appel à la traduction latine de ces deux expressions est susceptible de nous éclairer sur la question. Car si tu es capable de m’indiquer la différence qui existe entre les deux expressions latines tu dois être aussi capable de m’expliquer la différence qui existe entre les deux traductions françaises de ces expressions latines. Et inversement si je me trompe en pensant que (1) et (2) ont la même signification en français, je me tromperai de la même manière pour leur traduction latine. La référence au latin serait pertinente si par exemple nous ne pouvions traduire « x et y una eademque rem sunt » que par « x est identique à y » mais comme ce n’est pas le cas, car nous avons « x et y sont une seule et même chose », je ne vois pas où tu veux en venir. Mais c’est peut-être parce que je ne suis pas latiniste…

Quoiqu’il en soit si on laisse de coté la question du latin, la différence que tu fais entre les deux expressions est celle-ci : tu dis que (1) n’équivaut pas à (2), puisque dans (1) on affirme l’identité de x et de y entre eux alors que dans (2) il n’est pas dit que x et y sont identiques entre eux mais qu’ils sont la « même chose ». Bon d’accord…Mais si l’expression ne dit pas que x et y sont identique « entre eux » à l’évidence c’est pourtant ce qu’elle implique. Car en raisonnant contre l’hypothèse c'est-à-dire en supposant que x et y sont différents, donc que x n’est pas la même chose que y, on aboutit à ce résultat plutôt consternant : « deux choses qui ne sont pas les mêmes sont les mêmes ».

Tu pourrais bien sûr contester encore mon affirmation selon laquelle « si x est différent de y alors x n’est pas la même chose que y », et ce serait après tout dans la logique de ta thèse, mais franchement j’abandonnerai là pour ma part le débat à ce point, parce que ce serait de la pure logomachie et cela ne nous mènerait nulle part. Pour être un peu plus constructif, il y a à mon avis, je te le dis tout de suite, une part de vérité dans ce que tu affirmes ensuite. A savoir ceci :

«la chose particulière ou l’individu Spinoziste s’exprime dans de différents attributs. Ce qui est le même dans toutes les expressions (…) c’est uniquement l’ordre de connexion, le chaîne causale ».

Mais comme je tacherai de te le montrer au point C ; il n’y a aucune nécessité pour cela de faire des différences échevelées entre le « corps et l’esprit sont identique » et « le corps et l’esprit sont une seule et même chose ». Il se pourrait même ô surprise que nous tombions d’accord sur une chose ou deux… (Mais ne nous avançons pas trop cependant).

B)

Là où par contre nous risquons de ne pas être d’accord, c’est sur le sens que tu prêtes à la critique de Descartes dans la préface de E5.

Je te cite pour commencer :

« Pour Descartes âme et corps sont des substances, tandis qu’il omet d’expliquer comment des substances pourraient s’unir (…) » et plus loin « Descartes a essayé une théorie plus claire, en appelant corps et âme des substances. Pour Spinoza, ce n’est pas encore suffisamment clair, il faut démontrer more geometrico en quoi consiste cette union plus précisément. »

Ce dont il est question dans cette fameuse préface est l’impossibilité de l’interaction de l’âme et du corps. Le contexte immédiat de cette critique est en effet la discussion du pouvoir que l’âme a ou n’a pas sur le corps dans la perspective de la maîtrise des affects par l’esprit. Or Spinoza ne se contente certainement pas de dire à ce sujet que la théorie cartésienne de l’union n’est pas « assez claire » : il dit qu’elle est absurde et qu’elle n’a aucun sens. Tu parais faire comme si ; lorsque Spinoza dit ; par exemple : « je voudrais de plus savoir combien de degrés de mouvement l’âme peut imprimer à cette glande pinéale et avec quelle force la tenir suspendue », il posait uniquement une question « ouverte », en remarquant simplement que Descartes à omis d’effectuer les calculs en question ou comme si il s’était contenté d’affirmer la chose vaguement « sans la démontrer ». Or c’est bien entendu une question préjudicielle, c'est-à-dire, que Spinoza est bien persuadé, quant à lui, qu’il n’est pas possible d’effectuer de tels calculs, et encore moins de démontrer quoique ce soit sur « l’union » de l’âme et du corps. Il veut donc dire que si précisément Descartes n’a jamais été capable d’indiquer la force et le degré de mouvement que l’âme communique à la glande pinéale c’est pour la bonne raison que c’est impossible à faire et qu’il n’y a aucun sens à essayer de le faire. En effet (Prop II E2):

«Ni le corps ne peut déterminer l’âme à penser, ni l’âme le corps au mouvement ou au repos ou à quelque autre manière d’être que ce soit (s’il en est quelque autre). »

Et si il en va ainsi, c'est-à-dire si le corps et l’esprit ne peuvent agir l’un sur l’autre c’est précisément qu’une telle interaction supposerait une union et que parler d’union de l’âme et du corps est une absurdité. Car les mots ont tout de même un sens et lorsqu’on parle d’union d’âme et du corps, on suppose par là même qu’en un point au moins (ici la fameuse glande pinéale) l’âme et le corps ne « font plus qu’un », que l’une des détermination de l’âme devient l’une des déterminations du corps et inversement. L’union de l’âme et du corps implique ainsi que l’âme « se précipite » en une portion de matière offrant des surfaces connexe avec le corps et que le corps de son coté « se sublime » en une idée de sorte que l’un de ses mouvements en suive, bref implique des suppositions absurdes ou magiques (et c’est pourquoi Spinoza dit dans la préface de E5 que l’hypothèse de l’union est « plus occulte que toute qualité occulte ») Cela revient en effet à affirmer ni plus ni moins qu’une partie du corps n’est plus corporelle et qu’une partie de l’esprit n’est plus spirituelle, donc qu’il y a un corps qui n’est pas un corps et un esprit qui n’est pas un esprit.

Pour cette raison, à savoir que Spinoza critique l’interaction justement parce qu’elle suppose une union qui est impossible, ton objection selon laquelle il reproche à Descartes d’avoir conçu l’âme et le corps comme des substances (même si par ailleurs c’est parfaitement exact) est un « coup d’épée dans l’eau ». Car tu me fais cette objection pour éviter d’avoir à reconnaître que Spinoza critique bel et bien la notion d’union. Mais le problème de l’interaction et donc de l’union entre la pensée et l’étendue est exactement le même qu’on les conçoive comme des substances ou comme les attributs d’une seule substance : dans les deux cas en effet l’interaction n’est pas possible. Si tu me dis : « oui mais je sais que Spinoza pense que l’interaction est impossible, mais il a une notion d’union sans interaction ». Alors d’accord, mais à ce stade la querelle devient purement verbale. Je veux bien que tu appelles « union » le phénomène de parité des attributs et de leur mode, mais nous saurons tous les deux qu’il ne s’agit pas d’une véritable « union » ou d’une union au sens propre. Car dire de deux choses qu’elles sont « unies » alors qu’elles n’ont aucune détermination en commun, c’est à mon avis, forcer la signification du mot.

Si tu comprends ce que j’ai voulu dire ici, alors tu comprendra aussi pourquoi je disais d’une façon qui pouvait paraître étrange, que même lorsque Spinoza se sert de l’expression « union de l’âme et du corps» il n’entend pas par là une union de l’âme et du corps, je veux dire : il ne développe pas un concept d’union de l’âme et du corps.

C).


Supposons donc que tu sois d’accord avec moi jusque là, c'est-à-dire que tu m’accordes qu’il n’y a pas de théorie de l’union au sens fort, c'est-à-dire au sens authentique du mot « union », (qui consisterait en l’affirmation de déterminations communes à l’âme et au corps). En avons-nous terminé ? Non. Il nous reste encore cette question de « l’identité » que j’ai laissé en suspend tout à l’heure. Le problème que nous avons maintenant sur les bras est celui-ci : après tout s’il n’y a pas d’union au sens propre entre les modes et entre les attributs de la substance, comment expliquer leur « unité » ? Comment se fait-il donc, sans union, que les déterminations du corps et de l’esprit aillent de paire, et que Dieu s’exprimant en une infinité d’attributs ne se trouve écartelé et dispersé aux quatre vents (je tremble devant mes propres blasphèmes). En bref, s’il n’y a pas d’union, du même coup il n’y a pas d’unité et pour reprendre tes propres termes « tout devient problématique, incohérent ». Je te réponds que si il n’y a ni union ni unité c’est parce qu’il y a beaucoup moins « problématique » et beaucoup moins « incohérent » : il y a l’identité. Je vais procéder en deux temps. D’abord je vais te mettre sous les yeux une évidence textuelle qui te montra (enfin je l’espère) que c’est bien cela que Spinoza a en tête. Ensuite parce que c’est une question différente, comment il est possible de parler d’identité et en quel sens il est question d’identité, car il est vrai qu’il y a une petite subtilité.

Premier point :

Tu as tendance à t’exprimer, dans les réponses que tu m’as faites comme si, d’une part la substance était une sorte de foyer ou de creuset alchimique dans lequel tous les attributs fusionnent et, d’autre part comme si ils pouvaient néanmoins « émaner » d’elle en se différenciant. C’est, je suppose, ce genre d’images que tu as à l’esprit quand tu parles de la nécessité d’une « union » des attributs dans la substance qui les préservent de la dispersion. Cela semble être le cas du moins lorsque tu écris :

«Il y a une seule substance, et une infinité d’attributs. (…) S’il n’y avait pas une quelconque « union » entre ces attributs, comment le résultat pourrait-il être une seule et même substance ? On serait dans la dispersion totale. »

Le modèle que tu as en tête ici est manifestement que la substance est une sorte de « produit » de tous les attributs, ou si tu préfères, qu’elle est une sorte d’unité supérieure en laquelle ils convergent et annulent leurs différences. Et il est caractéristique de cette manière de voir que tu envisages la substance comme le « résultat » de cette opération d’unification des attributs. Mais naturellement cette façon d’envisager le concept de substance pose un problème. Tu ne seras sans doute pas surprise si je te dis que c’est le même qui nous empêchait plus haut d’affirmer avec Descartes l’interaction de l’âme et du corps. Ainsi et pour ne s’en tenir qu’aux deux attributs de la substance que nous connaissons, la pensée et l’étendue, si la substance était leur « fusion » en une seule entité ontologique, alors par substance nous devrions entendre quelque chose d’étendue qui n’est pas de l’étendue et quelque chose qui pense mais qui n’est pas de la pensée. En effet si la substance est (entre autre) l’union de la pensée et de l’étendue, alors du même coup, elle n’est ni la pensée, ni l’étendue mais quelque chose dont nous ne pouvons avoir aucun concept ou en tout cas, trivialement, que nous ne pouvons penser ni sous l’attribut de l’étendue ni sous l’attribut de la pensée (ce qui revient bien à dire que nous ne pouvons en avoir aucun concept).

Bref on en arrive à un point où nous sommes obligé de nous dire : soit cette interprétation de la substance est erronée, soit Spinoza a lâché la logique en cours de route (et même en fait dès le départ), puisqu’il admet au centre de son système une instance totalement inintelligible, notre entendement ne pouvant strictement rien faire (et cela en vertu de ce que dit ce système lui-même) de l’idée d’une chose qui est simultanément étendue et non étendue, pensante et non pensante et de même pour tout attribut ou toute autre tentative de qualification que l’on voudra….Je sais bien qu’il y a certains partisans de cette option parmi ceux qui participent à ce forum, mais je ne me compte pas vraiment dans leurs rangs. J’ai tendance à penser que ce n’était vraiment pas la peine d’écrire l’Ethique, si c’était pour en arriver là et c’est encore moins la peine de la lire, si l’on s’est persuadé que le secret de la sagesse gît dans l’inintelligibilité. Car à quoi bon tenter de faire comprendre et essayer en retour de comprendre quelque chose que de toute façon on aura posé comme en droit incompréhensible ? Autant aller à la pêche…

Fort heureusement je pense que ce n’est pas le cas et que c’est bien plutôt l’interprétation que tu fais de la substance qui est en cause. Comment peut-on en décider ? Très simple d’après moi. Il suffit de revenir à la définition de l’attribut.

« J’entends par attribut, ce que l’entendement perçoit d’une substance comme constituant son essence »

Qu’est ce qui là-dedans m’incline à croire que ton interprétation n’est pas la bonne ? Et bien c’est que cette définition de l’attribut implique l’identité de l’attribut et de la substance. Or dans ton interprétation l’attribut et la substance ne peuvent être que des choses différentes. En effet, si la substance doit être conçue comme « union » ou « sommation unifiante » des attributs alors nécessairement, elle en diffèrera. Ainsi on devra dire que la substance (par ex) n’est ni la pensée, ni l’étendue mais la somme ou l’union des deux, et cette union diffèrera en qualité de chacun des deux attributs pris séparément. Or la définition de l’attribut que je viens de reproduire dit tout autre chose. Et ce qu’elle dit implique ceci : quand l’on conçoit l’étendue on conçoit la substance, quand l’on conçoit la pensée, l’on conçoit aussi la substance, et inversement on ne peut pas concevoir la substance sans la concevoir soit comme substance pensante soit comme substance étendue, soit en général sous un quelconque attribut. Moralité : la substance est identique, non pas au produit de tous les attributs, au sens où elle serait ce par quoi, et par impossible, tous les attributs ne feraient plus qu’une seule « chose » ou une seule essence, mais elle est identique à chacun des attributs pris un à un et je veux dire : dans la différence de chacun des attributs entre eux. Elle est cet être qui s’exprime de cette façon là, et aussi de cette façon là, et encore de cette façon là et ainsi de suite pour l’infinité des essences par lesquelles elle s’exprime. La substance n’est pas comparable au produit d’une sorte de multiplication (au sens arithmétique) des attributs, elle est toute entière et sans reste dans « l’énumération » de tous les attributs.

Pour parler par image on pourrait dire que la différence des attributs n’est que le visage infiniment varié de l’identité. L’identité de Dieu ou de la Substance, s’exprime en une variation infinie d’essence un peu au sens où l’on parle en musique de « variations » autour d’un même thème ou d’une même mélodie. Ou encore : les attributs sont une infinité de « variantes » de la même chose, Dieu. La différence des attributs n’est donc pas un obstacle à l’identité, mais elle est justement l’expression même de l’identité de Dieu, ou la manière qu’à cette identité de s’exprimer. Par conséquent il n’y a pas besoin « d’union » des attributs dans la substance, puisque au contraire l’identité de celle-ci consiste en cette expression infiniment différenciée d’attributs.

Deuxième point :

Maintenant, quittons les images, et essayons de voir en quel sens on peut parler de l’identité de la substance au travers de l’infinité des attributs. Je passerai ensuite à l’examen des modes. La question est en somme : qu’est ce qui est identique dans tous les attributs ? Qu’est ce qui nous permet de reconnaître dans la pensée et dans l’étendue l’expression d’un seul être mais qui s’exprime d’une infinité de manières d’êtres (ou d’essences) différentes ? La réponse tu l’as en fait déjà donnée : c’est l’ordre et la connexion de toutes les choses de la nature. Si l’on veut une caractérisation « pure » du Dieu de Spinoza ou de la Substance c’est celle-ci, il est purement cet enchaînement causal qui a lieu de la même façon sous tous les attributs, et par lequel il se produit lui-même en même temps que tout ce qui existe (peut être est ce là une des chose que signifie « Deus sive Natura »). Ce qui produit cet ordre unitaire dans tous les attributs, c’est que Dieu a beau s’exprimer d’une infinité de façon différentes, c’est toujours lui-même qu’Il exprime ainsi, et dès lors tous les différents ordres de l’Etre sont, pour ainsi dire, automatiquement « coordonnés » les uns aux autres sans que ces ordres aient à se confondre ou à être « unis ». Encore une fois c’est en allant au bout de la logique de la différence des attributs que nous retrouvons l’identité de la substance. Mais je veux insister sur le fait que l’identité qui caractérise la substance, cet ordre et connexion des choses identique sous tous les attributs ; n’a pas besoin d’un support extérieur et autre que les attributs eux-mêmes et ce qui s’y déroule. C’est précisément l’intérêt du concept d’ordre, qui est un concept de forme. Car la caractéristique d’une forme est qu’elle peut se réaliser identiquement dans des matières différentes. De même « l’ordre et la connexion des choses » est identiquement projetable sur une infinité de « supports ontologiques » différents.

Or c’est la même logique qui permet d’affirmer que le corps et l’esprit sont identiques ou constituent la même chose. Tu écris :

« A mon sens tu sautes le fait qu’un mode de l’attribut de la Pensée (comme l’est l’âme) ne peut JAMAIS être identique à un mode d’un tout autre attribut, celui de l’Etendue (comme l’est le corps) (…) « le corps et l’âme CONSTITUENT une seule et même CHOSE ou Individu. C’est l’individu ou la chose qui est identique à soi même, jamais l’âme est identique au corps »

Mais je te demande, qu’entends tu ici par cette « chose » ou cet « Individu » ? L’union d’une âme et d’un corps ? C'est-à-dire quelque chose qui ne sera finalement et par la force des choses ni un corps ni une âme, mais une pure chimère ? Nous sommes encore ici confrontés à cette image selon laquelle les différents attributs formeraient des « produits » pour constituer soit la substance soit les individus singuliers qui sont causés par elle. Mais cette union est purement verbale car elle ne correspond à rien de pensable. En réalité l’individu ou la chose dont tu parles sont précisément l’identité du mode du penser qui constitue l’âme de cette chose ou individu, avec le mode de l’étendue qui constitue le corps de cette même chose ou individu. Comment est-ce possible ? Il faut réfléchir à ce qu’est réellement un « mode » et à ce que signifie réellement cette expression. Car lorsque tu parles de mode, sans t’en apercevoir, tu penses encore comme Descartes : il y a un mode de l’esprit et un mode du corps, nous sommes donc face à deux « choses » de nature différentes (comme l’huile et l’eau) qui doivent être unies pour « faire ensemble » un individu (une sorte d’émulsion de ces deux fluides). Remplace cependant un instant le terme de « mode » par celui de « modification » (je veux que tu penses à une opération et non plus à une « chose »). L’esprit individuel d’une chose est une « modification » de la substance pensante, et le corps individuel d’une chose est une « modification » de la substance étendue. Et maintenant je te demande si ces deux « modifications » (ces deux « opérations de modification ») ne peuvent pas être la même modification (la même opération).

Voici en quel sens j’entends ceci : donnons nous deux attributs aussi différents ontologiquement que tu le désirera disons –au hasard- P et E. Soit ensuite deux modes de ces attributs x et y, de sorte que x est obtenu par une modification de P en x, et y par une modification de E en y. Appelons cette modification (cette « opération » par laquelle un attribut se singularise en tel ou tel mode) la modification z soit : « Mz ». Nous avons donc quelque chose comme : P(Mz) = x et E(Mz) = y. Il n’y a dès lors plus aucune difficulté dans l’affirmation selon laquelle x=y, parce qu’elle signifie simplement que l’on obtient x et y par l’application identique de Mz dans P et dans E. En x et en y, E(Mz) et P(Mz) sont identiques bien que E et P soient différents.

Pour en appeler à une analogie peut être un peu plus « parlante », quant au concept d’identité que je cherche à appliquer ici : c’est de cette manière que nous dirions par exemple de deux individus accroupis posant chacun la main droite au sol qu’ils ont la « même » position, ou qu’ils ont une position « identique ». Dans un cas de ce genre on peut traiter comme identiques deux éléments numériquement distincts. Lorsqu’on dit qu’ils ont la « même » position, nous ne voulons pas dire pour autant que la position de l’un est la position de l’autre, comme si ils avaient le même corps ou quelque chose comme ça, cependant nous parlons effectivement dans un cas de ce genre « d’identité ».

Je reformule ceci en bon français si tu n’aimes pas mon symbolisme foireux. Ce que je veux dire est que même si les modifications (correspondant respectivement à l’âme et au corps) interviennent dans des « milieux ontologiques» différenciés elles peuvent néanmoins avoir le même sens ou la même valeur, et cela signifie simplement : la substance pensante peut se modifier de la même manière que de son coté la substance étendue. Et c’est en ce sens que l’âme et le corps d’un individu sont une seule et même chose ou sont identiques l’un à l’autre : ils sont produits tous deux par des modifications identiques l’une à l’autre dans chacun des attributs. Et c’est en ce sens là également que l’on parle de l’identité trans-attributive de Dieu ou de la Substance, lorsqu’on le caractérise comme l’ordre et la connexion de toutes les choses de la nature. Mon interprétation, qui pose en quelque sorte l’identité trans-attributive des modifications me semble rendre compte de ce que Spinoza explique lorsqu’il dit par exemple (scolie prop7 EII) « De même aussi un mode de l’étendu et l’idée de ce mode, c’est une seule et même chose, mais exprimée en deux manières… ». Et il n’y a pas besoin de fournir une interprétation spéciale de « una eademque rem sunt », je veux dire de lui faire dire autre chose que ce qu’elle dit : que les deux modes n’en sont en réalité qu’un et qu’ils sont identiques l’un à l’autre. Je comprends ta tentation d’interpréter « chose » comme faisant intervenir une entité tierce qui réunirait les deux premières, mais cette supposition introduit une grave incohérence au cœur du système de l’éthique (un élément inintelligible) et par conséquent elle a un coût exorbitant. Je crois que le concept d’identité que je fais jouer ici, lève au contraire la difficulté sans sacrifier à la cohérence du système.


D)

Ici je vais aller beaucoup plus vite. Ta question est celle de savoir comment si l’âme est identique au corps, elle ne périt pas avec lui. La réponse à ceci est simple : la partie de l’âme qui est éternelle est l’idée d’une partie du corps qui est elle aussi éternelle. On doit donc dire : la partie de l’âme qui est l’idée du corps qui périt, périt également avec lui (ce qui est bien conforme à la clause de l’identité). La partie de l’âme qui ne périt jamais est l’idée d’une certaine essence du corps qui elle non plus ne périt jamais (ce qui a nouveau respecte la clause d’identité). Je te renvoie pour ceci aux propositions XXII, XXIII et scolie de E5. Il est vrai que Spinoza dans le livre 5 s’exprime « comme si » l’éternité de l’âme impliquait le « décrochage » de l’âme et du corps. Mais les démonstrations sont sans ambiguïté : quelque chose aussi dans le corps est éternel et dont l’âme est également l’idée éternelle. J’ai lu une fois un commentateur qui pensait que si Spinoza s’exprimait lui-même ainsi contre la logique même de ses démonstrations c’est qu’il craignaient d’être pris pour un fou (parce qu’il affirme l’éternité du corps)…Pour ma part je ne sais pas trop pourquoi il fait ça mais il est vrai que c’est surprenant.
Modifié en dernier par Durtal le 17 juin 2008, 00:08, modifié 1 fois.

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Messagepar Ulis » 16 juin 2008, 21:44

Cher Durtal,
PF Moreau dit la même chose p 537 "l'expérience et l'éternité"
ulis

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Messagepar Ulis » 16 juin 2008, 21:46

Cher Durtal,
"quelque chose aussi dans le corps est éternel et dont l’âme est également l’idée éternelle"
PF Moreau dit la même chose p 537 "l'expérience et l'éternité"
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