Essendi et esse

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Essendi et esse

Messagepar Miam » 11 janv. 2007, 17:19

Je voudrais demander à l'assistance si la traduction dont chacun use diffère de celle d'Appuhn dans les textes suivants (traduction Appuhn) :

I 24d : (ut termino Scholastico utar) Deum esse causam essendi rerum
(pour user d'un terme scolastique) Dieu est cause de l'être des choses

II 10s Deus non tantum est causa rerum secundum fieri, ut aiunt, sed etiam secundum esse
Dieu n'est pas seulement cause des choses quant au devenir, comme on dit, mais quant à l'être

Sans indiquer mes motivations (à moins qu'on ne les devine), je demande si un autre aurait eu la bonne idée, dans ces deux cas, de traduire par un autre vocable que "être" ?

Merci beaucoup
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Louisa
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Messagepar Louisa » 11 janv. 2007, 17:50

Salut Miam,

1.24d chez Pautrat:
(pour user d'un terme Scolastique) Dieu est causa essendi des choses.
(en italique dans le texte)

1.24d chez Henri Lurié
(pour me servir d'une expression scolastique): Dieu est cause de l'essence des choses (causa essendi rerum
(italique: idem)

Comme tu le sais peut-être, Lurié ne prétend pas présenter une nouvelle 'traduction' de l'Ethique. Il a toute une théorie pour expliquer cela, que je n'ai pas encore lue, mais voici ce qu'il écrit dans son introduction au sujet de l'essentia:

"Pour être bref - car le sujet pourrait facilement nous entraîner dans une dissertation d'au moins 200 pages - de la manière dont Spinoza oppose dès le début de son oeuvre (cf.I/d.1) 'essentia' à 'existentia' et par la définition qu'il en donne (cf. II./d.2), il est manifeste qu'il n'entend pas par essentia ce que nous entendons généralement par essence (cf.N.L.I.): 'Ce qui constitue la nature d'une chose; un liquide mobile et volatil, une huile aromatique et, absolument, le carburant des moteurs à explosion.' Car pour Spinoza essentia est tout simplement le fait-d'être qui s'oppose à existentia, au fait-d'exister d'une chose. "Au fait-d'être d'une chose, dit-il (II./d.2), appartient ce sans quoi la chose et, réciproquement, ce qui sans la chose, n'est ni possible ni pensable." Or, il est évident qu'une essence, un extrait, un noyau ou quelque partie sous-jacente, peut-être et se concevoir sans la chose elle-même. Nous voyons donc que pour Spinoza, comme pour Shakespeare, 'être ou ne pas être' est la question, la seule question.
Je me rends parfaitement compte que mon attitude involontairement un peu ironique à l'égard de tous ces honnêtes et dévoués traducteurs du passé (car tout criticisme d enos vivantes autorités académiques est exclu) ne va pas faciliter ma propre position."

Extrait de l'Ethique', Henri Lurié, Editions du Rocher, 1974, pg. 11. Je n'ai aucune idée de ce que ce Lurié vaut, donc je te l'envoie juste tel quel.

2.10s chez Pautrat:
Dieu non seulement est la cause des choses selon l'être-fait, comme ils disent, mais aussi selon l'être.

2.10s chez Lurié:
Dieu n'est pas seulement cause des choses quant au devenir, comme ils disent, mais encore quant au fait-d'être.

R. Caillois traduit dans les deux cas comme Appuhn.
Louisa

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Messagepar Krishnamurti » 11 janv. 2007, 20:06

Pour Robert Misrahi :

(pour employer un terme scolastique) Dieu est la cause de l'être des choses58.

58. En termes scolastiques : ratio essendi (dont le sens est en fait : fondement d'existence). Pour Spinoza, Dieu est la « cause » actuelle et permanente de l'existence même des choses; mais il s'agit d'une causalité immanente et non pas transcendante et lointaine. Les choses sont donc « contingentes » par rapport à leur essence (mais en fait nécessaires par rapport à la totalité. Cf. Prop. 29).


...c'est-à-dire que Dieu est la cause des choses non seulement quant au devenir, comme on dit, mais aussi quant à l'être.

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Messagepar Miam » 14 janv. 2007, 13:46

Merci. Je me disais aussi que traduire silmplement "causa essendi" par "cause de l'être", ne collait pas, ni "secundum esse" par "être" (qu'on se réfère à Thomas et aux cinquièmes Réponses de Descartes). D'ailleurs, chez Spinoza, Dieu peut-il être proprement dit "cause de l'être des choses"? De leur existence et de leur essence, sans conteste, puisque la puissance de Dieu est son essence. Mais non son être. Cela a l'air énorme comme cela, mais je pense que, dans l'Ethique, Dieu n'est ppas cause de l'être des choses, seulement cause des choses, et que la simultanéité entre choses dans chaque attribut, qui forme un être, passe par l'objectivité de l'idée, donc par l'idée de Dieu dans chaque mental constitué de idée du corps, c'est à dire des êtres objectifs. Telle est la parenté entre la pensée et l'être chez Spinoza, au delà de l'aperception cartésienne de l'existence. Enfin bon : je me comprends...

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Messagepar Henrique » 14 janv. 2007, 21:02

Essentia, renvoie à esse. L'essence, ce serait sans passer par le latin, l'êtreté : ce qui dans un être donné renvoie au pur fait qu'il soit, de même que la saleté est dans un être sale ce qui renvoie à ce qu'il y a de sale seulement en lui, indépendamment de tout autre caractère. Certes, mais ce n'est pas séparable de la nature d'un être, i.e. ce qui le fait être ce qu'il est : le désir est l'êtreté de l'homme au sens où sans désir, il n'y a pas d'homme et où sans homme il n'y a pas de désir, mais à l'intérieur de l'être de l'homme, on peut concevoir de multiples autres objets qui se rapportent soit au désir soit à d'autres réalités qui n'en relèvent pas (ex. le fait qu'il soit étendu). On pourra alors distinguer ce qui naît de l'être de l'homme (c'est-à-dire de sa nature : tous les désirs qui naissent du conatus, le fait de désirer telle ou telle chose, d'éprouver de la joie, de la tristesse etc.) et ce qui se rapporte à des objets extérieurs (avoir les cheveux de telle ou telle couleur, être peint en bleu à l'occasion d'un match de foot...). Il me semble qu'ici Gilson et son L'être et l'essence est utile.

L'existence de l'homme, soumis en tant qu'être étendu fini à de multiples actions de l'extérieur, englobe ainsi sa nature (son conatus) et la nature d'autres êtres qui l'affectent. Son essence, c'est ce qui dans son être n'appartient qu'à lui et qui sans lui ne peut donc être pensé.

Voilà pourquoi Spinoza définit la cause de soi comme ce dont l'essence enveloppe l'existence, autrement dit ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante : un être qui est causé par autre chose, son essence, autrement dit sa nature, peut être conçue comme inexistante du fait qu'il n'existe qu'en vertu de cette autre chose, dont l'idée supprimée, supprime l'idée de l'effet. L'existence de Dieu est son essence même du fait qu'il n'y a rien en dehors de lui dont la nature puisse limiter l'être. En d'autres termes, l'étendue ou la pensée sont à la fois l'essence et l'existence même de Dieu parce que ces attributs n'ont à se mélanger avec rien d'autre.

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Messagepar Miam » 16 janv. 2007, 15:26

"Essentia, renvoie à esse. L'essence, ce serait sans passer par le latin, l'êtreté "

Précisément, une essence (comme par exemple l'attribut en I 10s et 11s) est "de l'être", ou une "entité", mais non "un être". Une chose a une essence lorsqu'on peut la définir : x est y. (C'est là, certes un point de vue averroïste que n'avalise pas Gilson. Mais pourquoi devrait-on lire Spinoza à partir du seul Thomas, je vous le demande.) Cette chose n'est pas pour autant "un être". Sans cela, un attribut serait un être, ce que ne peut dire Spinoza. Sans cela le cheval volant serait un être parce qu'il est une essence (on peut le définir) et une existence (en tant qu'il est contenu dans l'attribut, puisqu'il apparaît bien dans la durée comme le corrélat objectif d'une idée). Or il n'est pas un être : on ne rencontre pas de cheval volant existant en acte.

Le Désir est l'essence de l'homme pour les motifs suivants :
- d'une part le Désir est attribué à l'homme suivant l'usage de la langue et pas du tout pour des raisons philosophiques, comme l'écrit Spinoza lui-même, de sorte à le distinguer de l'impulsion animale;
- d'autre part le Désir n'est rien d'autre que le conatus. Or il y a un conatus du corps comme il y a un conatus du mental. C'est seulement parce qu' il s'agit ici d'affects, on peut les assimiler.

Dans cette mesure, je suis d'accord avec ce que tu écris après si tu distingues "un être" et "une entité" (ou essence ou chose). Donc : "un être qui est causé par autre chose". Non : "une CHOSE qui est causée par une autre". Du reste la causa sui n'est pas le propre de l'Etant (Dieu) mais de n'importe quelle substance infinie et concerne l'essence et l'existence, pas l'être. Sans cela tu rabats Spinoza sur une onto-théologie sans aucun intérêt et tout à fait inféodée au courant de pensée de son époque sur le chemin d'un principe de raison suffisante de Suarez à Leibniz, comme le font les commentateurs cartésiens et/ou thomistes (par exemple Marion).

Où Spinoza écrit-il que Dieu est cause de l'être des choses ? Je veux dire dans l'Ethique, car le Court traité est en effet (si on excepte les notes) une onto-théololgie.

Si tu réagis par peur d'une plongée dans l'idéalisme lorsque j'examine la relation non causale entre l'être et la pensée, sache qu'elle est immédiatement compensée par l'antériorité de la puissance d'agir (qui opère dans chaque attribut) sur la puissance de penser (qui s'applique objectivement à tous les attributs). Mieux : c'est cette antériorité qui permet précisément l'ouverture à l'être pour le mental (en même temps que la limitation a priori de tout entendement), dans la mesure où la puissance de penser (et donc les êtres objectifs) relève d'un mode et non de l'essence de Dieu. C'est pourquoi je ne pense pas que l'on puisse dire à proprement parler que Dieu est cause de l'être des choses. Du reste, lorsque Schuller (je crois) demande à Spinoza pourquoi il n'y a pas plusieurs mondes, c'est à dire pourquoi les attributs doivent suivre un même ordre, Spinoza le renvoie au parallélisme, à savoir à une exigence purement épistémique. L'être n'est jamais ontologiquement prouvé (I 10s et 11s, qui sont les seules pages proprement ontologiques de l'Ethique ne sont pas des démonstrations). Et certainement pas à partir de la seule puissance (essence) causale de Dieu. Comment le pourraît-il si l'on ne perçoit pas tous les attributs (une infinité) par lesquels s'exprime cette puissance ? Il est seulement supposé comme condition de possibilité d'une connaissance objective à partir de la simultanéité RESSENTIE du mental et du corps. D'ailleurs la perception par l'entendement est alléguée dès le départ dans la définition de l'attribut.

Il en est de même de la nécessité. Il s'agit de la nécessité des choses-essences dans chaque attribut et, par conséquent seulement, de l'être (simultanéité dans plusieurs attributs) EN FONCTION de l'exigence d'objectivité (épistémique) et d'infinité (hénologique).

Par ailleurs, dans ce que tu écris, il ne faut pas confondre l'être et l'existence comme le font les scolastiques. On oublie le plus souvent la filiation platonicienne et juive de Spinoza. On ne pourraît comprendre Spinoza à partir du vocabulaire philosophique vulgaire qui dépend de 2000 ans de christianisme latin, de 800 ans de thomisme et de 200 ans de kantisme. Bref : on ne peut comprendre spinoza en l'intégrant coûte que coûte à la voie royale de notre modernité telle qu'elle est décrite habituellement. Spinoza est beaucoup plus original qu'on ne le croit communément, y compris ses commentateurs attitrés dont, hélas, bien peu sont effectivement spinozistes...

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Messagepar Miam » 17 janv. 2007, 13:10

Pour revenir sur ces termes scolastiques qui resteront obscurs pour certains lecteurs.

"Causa essendi" se rencontre pour la première fois chez Augustin où elle s'oppose à la "causa intelligendi" et à la "causa fieri" (tout est trinitaire chez Augustin). La causa essendi est alors la cause de la subsistance, la causa intelligendi la cause de la connaissance et la causa fieri la cause du devenir. La causa essendi sera ensuite diffusée par Pierre Lombard. Bref, cela remonte loin. La causa ici en question est la cause efficiente. On trouve l'opposition causa essendi/fieri chez Thomas. Mais une fois que la philosophie aura abandonné la relation aristotélicienne matière-forme (dans le devenir forme du potentiel), ces deux seront assimilés dans la seule causa essendi, qui sera donc à la fois la cause de la subsistance et la cause du devenir.

"Secundum esse" n'est rien d'autre que l'essence dans la nature : in fieri = dans le devenir, secundum esse = dans le fait d'être telle chose et non pas une autre. On le voit fort bien dans les réponses cartésiennes aux cinquièmes objections. Il y s'agit de la problématique de la continuation continuée.

Dans les deux cas, il n'est nullement question de l'être comme l'entend Spinoza, mais de l'essence (le fait d'être telle chose) et de l'existence (le fait de durer et donc de devenir dans l'existence).

Par suite et d'une manière générale, je ne vois pas pourquoi il faudrait supposer que Spinoza use des termes "être" et "essence" comme le fait Thomas dans l'"être et l'essence", si c'est cela que veux dire Henrique en me conseillant de lire l'"être et l'essence" de Gilson. Au contraire : selon moi Spinoza s'oppose totalement à Thomas (entre autre sur la distinction réelle de l'essence et de l'existence) et se rapproche plutôt d'une interprétation averroïste de l'être, de l'existence et de l'essence, comme on peut la lire chez Dietrich de Freiberg dont l'"être et l'essence" s'oppose expressément à celui de Thomas. Chez Thomas l'être (l'existence) est livré en surplus à l'essence (comme possible) = "forme seconde". Chez Dietrich, l'être (l'existence) est une certaine forme de l'essence elle-même (bref : c'est sa "forme première" d'ailleurs il n'y en a plus d'autres.

J'espère que cela éclairera quelques-uns.

J'en profite pour rendre hommage aux averroïste injustement condamnés en 1270. De même qu'à ce panthéiste matérialiste qu'est David de Dinant (un David wallon !) condamné en 1201. Et bien sûr à Bruno brûlé en 1600. Car l'histoire des idées est le plus souvent subordonnée à la politique et il convient de savoir que notre usage actuel du vocabulaire philosophique est de ce fait tributaire de l'histoire politique.

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Messagepar Louisa » 17 janv. 2007, 14:53

Miam a écrit :Par suite et d'une manière générale, je ne vois pas pourquoi il faudrait supposer que Spinoza use des termes "être" et "essence" comme le fait Thomas dans l'"être et l'essence", si c'est cela que veux dire Henrique en me conseillant de lire l'"être et l'essence" de Gilson. Au contraire : selon moi Spinoza s'oppose totalement à Thomas (entre autre sur la distinction réelle de l'essence et de l'existence) et se rapproche plutôt d'une interprétation averroïste de l'être, de l'existence et de l'essence, comme on peut la lire chez Dietrich de Freiberg dont l'"être et l'essence" s'oppose expressément à celui de Thomas. Chez Thomas l'être (l'existence) est livré en surplus à l'essence (comme possible) = "forme seconde". Chez Dietrich, l'être (l'existence) est une certaine forme de l'essence elle-même (bref : c'est sa "forme première" d'ailleurs il n'y en a plus d'autres.

J'espère que cela éclairera quelques-uns.


merci pour ces infos, qui en ce qui me concerne créent effectivement des petits ilôts de clarté.

Une question que je me pose en te lisant: as-tu une idée de comment il faudrait comprendre la notion de 'forme' dans ce que tu viens d'écrire? Dans le sens latin de 'forma' (qui s'approcherait voire serait synonyme de 'nature' ou 'essence'?)? Ou dans le sens ordinaire, non philosophique (une 'sorte' d'existence (mais alors quelles seraient les autres 'sortes' d'existence?))?
Sinon si j'ai bien compris, pour Thomas l'existence serait un simple 'accident' de l'essence (et dans ce sens s'y ajoute, Dieu étant le seul où cela n'est pas le cas et où l'essence enveloppe l'existence). Faudrait-il donc voir un lien entre l'existence comme 'accident' et l'existence comme 'forme seconde'?
Enfin est-ce que selon toi on pourrait dire que déjà pour Dietrich de Freiberg, toute essence 'existe' nécessairement? Autrement dit, est-ce que tu y verrais déjà une première formulation de l'idée de Spinoza de travailler avec un type d'existence qui est celui d'exister, en tant qu'essence, en Dieu? Et est-ce cela qui viendrait alors d'Averroës?
Si oui, pourrait-on dire que sur ce point, Spinoza a fini par opérer un genre de synthèse entre les deux conceptions, celle de Thomas qui devient chez Spinoza l'existence dans la durée (et qui chez lui aussi n'est pas enveloppé dans l'essence, sauf pour Dieu), et celle d'Averroès et des averroïstes du XIIIe, qui devient chez Spinoza un deuxième type d'existence, celle des essences en Dieu?

Quant à l"Etre et l'essence" de Gilson: je me souviens de l'avoir feuilleté un jour, si je ne m'abuse il ne s'agit pas vraiment d'un commentaire de ces deux notions uniquement chez Thomas, mais d'un aperçu de l'évolution de ces termes dans l'histoire de la philosophie, avec quelques pages consacrées à Spinoza. Il est donc possible qu'il y indique une différence entre l'usage de l'être et de l'essence chez les deux.

Sinon j'ai entre-temps pu vérifier chez Guérinot: il traduit également 'causa essendi' par 'cause de l'être'. Je n'avais plus la référence de la II.10 en tête, donc je ne sais pas comment il a traduit 'secundum esse'.
Louisa

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Messagepar Miam » 17 janv. 2007, 20:11

Salut Louisa

1. Quant à la notion de forme en philosophie, c'est très compliqué. Il faut remonter à Aristote et à ses diverses interprétations scolastiques qui confondent le plus souvent la forme (morphè) et la spécificité (eidos). On peut même remonter jusqu'à Platon (où la forme est en effet l'eidos).

2. Non ce n'est pas un accident. Du moins pas au sens aristotélicien. A moins de considérer la création d'un existant par Dieu comme un accident. Mais ce n'est pas au même sens. C'est une volonté. Pas un accident.

3. Quant à Dietrich, on ne peut dire cela non plus parce que, contrairement à Spinoza, il assimile l'être et l'existence, tandis que pour Spinoza, l'existence d'un mode fini, c'est l'essence en tant qu'elle dure. Ce qui leur est commun, c'est de concevoir l'existant (= un être pour Spinoza) comme une essence bien formée.

4. Non. La pensée de Spinoza n'est pas une synthèse entre deux courants aristotéliciens. Il y a bien plus chez Spinoza : du néoplatonisme, du stoïcisme, du judaïsme, de l'épicurisme, du cartésianisme évidemment etc... Et Spinoza n'en fait pas la synthèse car il n'en reprend que ce qui s'accorde avec sa pensée.

5. C'est bien possible. Mais l'"être et l'essence" c'est "de ente et essentia" : l'étant et l'essence. Je vois mal comment on pourrait concilier l'étant selon Thomas (c'est à dire l'existant au sens courant) avec l'Etant absolument infini de Spinoza. Du reste, j'ai lu d'autres bouquins de Gilson et, de fait, il considère toute l'histoire de la philosophie à partir de Thomas (contrairement à Libeira par exemple) comme d'autres à partir de Descartes. Or ces derniers se fondent sur les homonymies plutôt que sur les idées, quitte à torturer Spinoza. Ainsi le fait Carraud, émule de Marion (qui lui est très bon mais n'aime pas Spinoza) concernant la "causa sui" cartésienne. De même Wolfson qui rapproche Spinoza de Thomas en se basant sur le seul vocabulaire. Je pense qu'il faut lire Spinoza à partir de Spinoza et ensuite seulement élucider les problèmes de filiation. Cela suppose que l'on lise l'histoire de la philosophie à partir de Spinoza, et non Spinoza à partir de tel ou tel autre philosophe.

Je suis désolé, mais j'ai bien d'autres choses à lire que Gilson. Sans doute Henrique pourrait-il m'éclairer sur le sujet qui nous concerne mais, eu égard à ce qu'il écrit dans son précédent message, je ne vois pas le rapport. Gilson a-t-il observé que l'être et l'essence était distincts en Dieu chez Spinoza ? Cela m'étonnerait (ça se saurait). En cela Spinoza me paraît unique. Il y a bien en outre une distinction entre être et existence chez Thomas (en Dieu) mais elle est toute marginale et ne concerne pas notre sujet.


A bientôt
Miam

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Messagepar hokousai » 18 janv. 2007, 00:22

A miam

Si vous considérez les def 3 et 6(de deo) vous pouvez penser à une onto- théologie car Spinoza y parle d ‘être en soi pour la substance et d ‘étant pour Dieu .

Je ne vois pas d’être chez Spinoza ( le mot sans doute mais pas l’idée )
Il n’y a que la substance et des modifications .
La substance n’est pas un être , elle n’est pas /elle existe .
On a donc une existence ce qui n’est pas une entité (elle n’a pas une etantité non plus)
La substance est par essence (par nature ) non pas un être stable identique à lui même mais une ouverture (non clôture ) consistant donc en une infinité d’ attribut " exprimant " .

Structure parfaite donc ouverte . La clôture sur soi , cet enferment dans l’être identique à lui même serait une finitude donc une imperfection .La perfection implique l’infinitude et l’infinitude implique l’existence, l’existence implique la modification .

Les modifications n’ont pas d’être , elles existent mais par autre chose .

Il n y a pas à se quereller sur l’être chez Spinoza , à chaque fois qui y a "être "cela peut être compris par « exister » .

Il n’y a que la substance qui à la limite pourrait être comprise comme un Etre (ou L’ Etre ) , mais il n’est pas dit dans la première définition qu’il s’agit d’un être , car à sa nature n’appartient pas l’ être mais l’exister .

hokousai



( je suis assez d’accord avec le texte de Henrique bien qu’il persiste à parler d’être , mais comment ne pas utiliser ce verbe là , et aussi ce nom (être ) ? Ce mot est un piège qui a fait les choux gras de toutes les scolastiques et pas seulement , voyez Heidegger , il n’ en est jamais sorti .
Je ne dis pas que vous n êtes pas intéressant mais comme d’ habitude ça part un peu dans tous le sens )


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