Essendi et esse

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 21 janv. 2007, 22:33

chère Luoisa
je réponds plus précisément à vos arguments

:
Le changement en Dieu est donc une variation de perfection d'un degré de puissance précis et déterminé, à la suite d'une affection. Mais Dieu étant défini par la puissance infinie et la sûprême perfection, l'unité de la Nature en tant que telle ne peut pas devenir plus ou moins parfait. Elle ne change donc pas. Elle est constamment maximale. Ici aussi, on voit en quoi consiste l'immuabilité (immutabilitas) de Dieu: pas de variation de puissance au niveau de la totalité. Et comme l'essence est également définie, chez Spinoza, par un degré de puissance, on constate de nouveau que l'essence de la Substance est définie d'une telle façon qu'aucun changement n'est pensable.


Vous me parlez de l’unité de la nature :la substance est une (prop5).
Mais cette unité n’est pas déduite de la perfection (prop5).
Elle ne peut certainement pas devenir plus ou moins parfaite parce que la perfection ne se déduit pas de l’unité .
Elle ne peut pas devenir autre que une puisque l’éternité précède l’ unité car à nouveau l’unité n’est pas déduite de l’ éternité ..

Vous auriez du me dire et cela seulement """la puissance infinie et la suprême perfection, ne peuvent pas devenir respectivement plus ou moins puissante ni plus ou moins parfaite."""
Ce qui explique votre étrange propos . [quote]Elle est constamment maximale[.quote].

»"""""Il ne pourra y en avoir plusieurs mais bien qu’une seule """"«
La maximalité qui s’ applique scalairement à la puissance et à la perfection ne s’applique pas à l unité ..
IL faut revoir votre argument .

……………….

. Si le terme de puissance est compris comme force .Et il semble que vous le compreniez ainsi .
Pour moi Dieu n’a pas de puissance au sens où Dieu n’ a pas ni désir, ni besoin (d une force efficiente ) et ceci parce qu’il ne connaît aucune entrave contre laquelle il devrait exercer une puissance (ou force) .

En effet la puissance comme force ( musculaire par exemple ) varie .

Mais la puissance qui est raison d’ agir et qui est la nécessité de sa nature n’ est pas de l’ordre de la quantité mais des principes .Le principe ici est la nécessité et ce principe est éternel , hors de toute considération sur la variation ou le changement .Il est erroné de monter que Dieu ne change pas (si cela a un sens) en se rapportant à la puissance .
…………………………

hokousai

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Louisa
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Messagepar Louisa » 22 janv. 2007, 00:41

Un PS à Miam par rapport à ce que je viens d'écrire:

si donc on maintient l'idée de deux modes d'exister chez Spinoza (2.8 + 5.29s), je crois que l'on peut reprendre le scolie de 1.24c comme suit:

Spinoza y dit que Dieu n'est pas seulement la cause que les choses commencent à exister, mais aussi qu'elles persévèrent dans l'exister. Ceci comme corollaire à la proposition qui dit que l'essence des choses n'enveloppe pas l'existence.

On pourrait dès lors dire, il me semble, que dans le corollaire il veut montrer que l'essence d'une chose singulière n'est ni la cause du fait qu'elle commence à exister, ni la cause du fait qu'elle persévère dans l'existence. Dans les deux cas, la cause est Dieu. Autrement dit (comme il le dit une phrase plus loin), l'essence n'est ni cause de l'existence de la chose, ni de sa durée. Sa durée est donc le fait qu'elle persévère dans son existence, son existence ici le fait de commencer à exister. L'essence de la chose n'est pas la cause du fait que la chose persévère dans son existence, car alors elle devrait envelopper la durée. L'essence est donc seulement effort à perséverer dans son 'esse', ici son existence. Mais Dieu est la cause aussi bien de l'existence de la chose que du fait qu'elle a une durée, qu'elle persévère dans son être/existence.

Autrement dit, Spinoza ici dit que l'essence d'une chose n'est ni la cause du premier mode d'existence, celui d'exister en Dieu (= commencer à exister), ni la cause du deuxième mode d'existence (celui d'exister dans la durée, ou dans le temps). De ces deux modes d'existence d'une chose, Dieu est la cause. Dans le premier cas il est la cause immanente de la chose, dans le deuxième cas il est seulement cause en tant qu'il s'explique par une autre chose, existante elle aussi dans la durée.

Ensuite, après avoir nié à l'essence la possibilité de causer une existence, ni de façon absolue, ni dans le temps, il montre en 1.25 que Dieu est aussi la cause de l'essence de la chose.

Autrement dit: à mon avis il n'y a pas encore question de la cause de l'essence en 1.24, car on a besoin de la démo de 1.25 pour pouvoir accepter que Dieu est la cause de l'essence d'une chose. D'ailleurs, si on traduit 'causa essendi' par 'cause de l'essence' dans une phrase qui dit que Dieu est la cause 'ut in existendo perseverent, sive (...) essendi', il me semble que l'on risque de confondre le fait de persévérer dans son être avec l'effort de perséverer dans son être. Car l'essence, ici, serait alors exactement la même chose que de perséverer dans son existence. Ce qui me semble être impossible, chez Spinoza. Car justement, la chose n'enveloppe pas une durée déterminée, cette durée dépend de la rencontre avec les autres choses de la nature. Or si l'essence de la chose, ce serait de persévérer dans son être, l'essence devrait forcément envelopper la durée.
Enfin il me semble que si Spinoza dit à la fin du corollaire que quand on prête attention à l'essence d'une chose, nous ne trouvons ni existence ni durée, j'ai l'impression qu'ici Spinoza compare deux causes potentielles aussi bien de l'existence que de la durée d'une chose: Dieu comme cause, et l'essence de la chose comme cause. Ce qui le rend à nouveau un peu bizarre de traduire la cause de la persévérance dans l'exister ou de la durée de la chose une 'cause de l'essence' de la chose (car cela n'est pas une réponse à la question de ce qui cause les deux types d'existence).

Bref, il me semble que quand on traduit ici 'causa essendi' par 'cause de l'essence', on identifie la persévérance dans l'exister autrement dit la durée avec l'essence, ce qui est absurde. La persévérance dans la durée me semble plutôt être un type/mode d'existence, tandis que le fait même d'exister en Dieu ou, comme le dit Dietrich, le fait d'être-une-essence correspond au deuxième mode de l'existence, qui ici est simplement appelé 'commencer d'exister'.

Dans ce cas, qu'est-ce que cela donnerait pour 2.10 scolie?

Là aussi, il faudrait alors donner raison à PAUTRAT, et non pas à Appuhn.

Spontanément, je lisais également le 'fieri' comme 'devenir'. Mais si on regarde le dictionnaire, on voit qu'il s'agit tout de même d'un sens précis de devenir: pas tellement celui de se développer ou évoluer dans le temps, mais plutôt celui de naître, de surgir, d'être fait. C'est d'ailleurs ce qu'on retrouve dans la fameuse expression 'ex nihilo nihil fieri': ce n'est pas que le 'nihil', le 'rien' lui-même 'devient', mais de rien rien ne peut naître.
Enfin je viens de faire une petite recherche sur l'expression 'secundum fieri', et j'ai trouvé ceci chez Richard Rufus of Cornwall:
"illud quod primo modo est in potentia proprie dicitur fieri com exit in actum". Donc ici aussi, le fieri est utilisé pour désigner le fait même d'entrer dans l'existence. Fieri, c'est passer de l'état de puissance à l'état d'acte. Autrement dit, fieri, c'est devenir mais seulement dans ce sens précis de 'commencer à exister', tel que l'utilise déjà le 1.24.

Alors en 2.10, Spinoza dit littéralement 'secundum fieri, ut ajunt': il indique donc qu'il reprend ici la notion dans le sens habituel. On sait bien que chez lui, toute chose est en acte, mais on peut toujours se poser la question de la cause de ce fait d'être en acte. La réponse à cette question reste une réponse à la question de la cause secundum fieri.

Et alors on retrouve l'opposition typique de l'esse comme être en acte ou exister, tandis que le fieri désigne le fait d'être de la chose qui est en acte. Dès lors, il faut bien respecter la structure de la phrase telle que Spinoza l'écrit: 'Dieu, de toutes choses, tant de leur essence que de leur existence, est la cause unique, c'est-à-dire que Dieu non seulement est la cause secundum fieri, comme ils disent, mais aussi secundum esse.'
On a donc le parallèle 'essence-secundum fieri, existence-secundum esse'. Dans ce cas, on reste tout à fait cohérent avec ce qui a été dit en 1.24: Dieu est d'une part cause du fait que les choses commencent à exister (c'est donc le secundum fieri). Mais Dieu est aussi cause du fait que les choses existent dans la durée, soit de leur 'esse'. Et alors il vaut effectivement mieux traduire comme le fait Pautrat: le 'secundum fieri' dans le sens précis du devenir ici: 'selon l'être-fait', et le 'secundum esse' dans le sens habituel 'selon l'être'.

Problème potentiel avec cette interprétation: on glisse du commencer à exister comme premier mode de l'existence au fieri comme essence. Cela serait difficilement justifiable si l'on maintenait une différence entre la puissance et l'acte, comme le font les aristotéliciens, car le fieri désigne alors justement le passage à l'acte, donc le passage à l'être. Or pour Spinoza, toute puissance est en acte. Le passage à l'existence en acte n'en est donc pas un. Du coup, les essences ne passent pas à l'acte ou à l'être. Elles sont de toute éternité, mais d'un autre type d'existence que celui de l'être ou de l'existence dans la durée: elles le sont parce qu'elles sont des vérités éternelles en Dieu.
En abolissant la différence entre puissance et acte, Spinoza est donc bien obligé de reconnaître que dès lors, toute essence doit exister de toute éternité. Or on constate chaque jour que les corps et donc les hommes sont périssables, et Spinoza ne veut pas appeler 'faux' ce que nous perçevons spontanément. D'où, à mon avis, la nécessité de travailler avec deux types d'existence, un qui caractérise l'essence telle qu'elle est en Dieu (et qui correspond mutatis mutandis à ce qui 'devient' quand la puissance est actualisée, bref au 'commencer-d'être' de toute essence (ou de tout être-fait)), et un qui caractérise l'essence telle qu'elle existe dans la durée. Tout comme on s'imagine le soleil être à 200 pieds, mais que l'on peut savoir en même temps qu'il se trouve beaucoup plus éloigné de la terre que ce que notre existence dans un temps et un lieu précis (5.29) nous fait concevoir ou imaginer.

Je ne veux pas du tout suggérer par là qu'à mon avis il faudrait comprendre le 'esse' partout chez Spinoza dans le sens de 'existence dans la durée'. Quand pe 2.10 dit qu'à l'essence de l'homme n'appartient pas l'être de la substance, 'esse' semble plutôt être synonyme pour 'nature' (car il réfère au 1.7: A la nature d'une substance appartient d'exister' pour réaffirmer ici que l'être de la substance enveloppe l'existence nécessaire). Je veux seulement dire qu'il me semble qu'il y a tout de même quelques arguments pro la traduction de ces 2 expressions scolastiques (et dont il dit les deux fois explicitement qu'il va prendre le sens habituel, scolastique des termes) 'causa essendi' et 'secundum esse' par 'cause de l'être' et 'selon l'être', l'esse étant ici, à ces deux endroits précis, opposé à l'essence, tout comme l'exister dans le temps (esse) s'oppose au fait de commencer d'exister (fieri).
Mais tu as peut-être l'une ou l'autre (voire un tas de) objection(s) contre cette interprétation ... ?
Louisa
Modifié en dernier par Louisa le 22 janv. 2007, 02:14, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 22 janv. 2007, 02:07

PS 2 à Miam:

voici que je viens de trouver un troisième endroit dans l'Ethique où Spinoza parle explicitement d'un autre mode d'existence que celui de la durée, et où en plus il réfère à ce cor 1.24 où il utilise l'expression de 'causa essendi'. C'est le 2.45 scolie:

"Ici, par existence je n'entends pas la durée, c'est-à-dire l'existence conçue abstraitement, et comme une certaine espèce de quantité. Car je parle de la nature même de l'existence, laquelle s'attribue aux choses singulières pour la raison que, de l'éternelle nécessité de la nature de Dieu, suivent une infinité de choses d'une infinité de manières (voir 1.16). Je parle, dis-je, de l'existence même des choses singulières en tant qu'elles sont en Dieu. Car, quoique chacune d'elles soit déterminée par une autre chose singulière à exister d'une manière précise, il reste que la force par laquelle chacune persévère dans l'exister suit de l'éternelle nécessité de la nature de Dieu. A ce sujet, voir le Cor. 1.24)."

Miam a écrit :Quant à Dietrich, on ne peut dire cela non plus parce que, contrairement à Spinoza, il assimile l'être et l'existence, tandis que pour Spinoza, l'existence d'un mode fini, c'est l'essence en tant qu'elle dure. Ce qui leur est commun, c'est de concevoir l'existant (= un être pour Spinoza) comme une essence bien formée.


ce que je voulais donc dire, c'est que j'ai l'impression que si l'on prend l'essence en tant qu'elle dure, alors on obtient effectivement une conception de l'existence qui n'est pas compatible avec celle de Dietrich (mais qui s'approche de Thomas: l'existence comme s'ajoutant à l'essence dans le sens où il faut une cause extérieure avant que la chose puisse durer, autrement dit l'existence dans la durée n'appartient pas à l'essence de la chose, comme le dit Thomas).

Mais quand on prend l'essence en tant qu'elle est en Dieu, alors on obtient une conception de l'existence qui est proche de celle de Dietrich, dans le sens où alors plus aucune chose n'était dépourvue d'existence avant de commencer à durer, car elle possèdait déjà une existence de toute éternité, non pas dans la durée mais en Dieu. C'est l'essence en tant que force de persévérer dans son être, bref l'essence en tant que degré de puissance. L'essence telle que causée, tout comme son existence, par la nature de Dieu. Autrement dit : il s'agit de l'existence de l'essence telle qu'elle est causée par une cause immanente à cette essence. Certes, ce type d'existence néanmoins n'est pas enveloppée dans l'essence, chez Spinoza, mais elle lui est tout de même déjà beaucoup plus 'intime' que chez Thomas. Puis le fait de concevoir toute essence comme étant par définition en acte va aussi dans le sens de Dietrich.
Tandis que l'essence considérée dans son existence dans la durée n'est pas causée par la nature de Dieu, mais seulement par une de ces affections (un autre mode, une autre chose). Autrement dit: il s'agit de l'existence de l'essence telle qu'elle est causée par une cause transitive, extérieure à elle-même (aussi extérieure que chez Thomas donc).

Donc bon, voici la manière la plus concise dont je crois que je puisse expliquer/résumer en quoi je voyais un lien entre les deux modes de l'existence chez Spinoza et l'existence de Dietrich par rapport à celle de Thomas.
C'est en essayant de l'expliciter que je suis tombée sur quelques arguments pro la traduction de la causa essendi comme cause de l'être et la secundum esse comme selon l'être, ceux-ci se basant précisément sur le fait que pour les scolastiques, l'existence n'est pris que dans le sens d'existence dans la durée, signification traditionnelle de l'esse (tandis que dans les deux cas, 1.24 et 2.10, Spinoza veut montrer que Dieu est cause aussi bien de l'un type de l'existence de l'essence, scolastique, que de l'autre (proprement spinoziste, et plus proche de la conception de Dietrich)). Sans ton détour par Dietrich et Thomas je n'aurais sans doute jamais pensé à tout cela.
Enfin je rappelle que ceci n'est aucunement une objection à ta façon de concevoir l'être chez Spinoza. Je n'ai pas encore une idée un peu claire de la distinction proprement spinoziste entre être, essence, étant, et nature, donc à ce niveau-là je ne peux rien dire. Il s'agit juste d'une réponse possible à ta question cc la traduction de ces deux expressions scolastiques, dans le sens où j'ai l'impression d'avoir trouvé quelques arguments qui favorisent une traduction qui, à ces endroits précis (1.24 + 2.10) maintient le sens scolastique de l'être (existence dans la durée). C'est de ces arguments que je me demande ce que tu en penses.
Toute critique étant donc la bienvenue,
bien à toi,
Louisa

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Messagepar hokousai » 22 janv. 2007, 21:06

Päge wikipédia sur "monisme"
lire rubrique "spinozisme "
( et ce n'est pas moi qui l' ai écrite )

http://fr.wikipedia.org/wiki/Monisme

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Messagepar Louisa » 22 janv. 2007, 23:34

A Hokousai:
merci pour le lien. Je viens de le lire mais j'avoue que je ne vois pas trop ce que vous vouliez dire par là. Sinon une réponse à vos deux derniers messages arrive sous peu.

A Miam:
je viens de lire ce que tu as écris ci-dessous. Il y a bien sûr un tas de choses que je ne comprends pas vraiment, mais il me semble que ton deuxième point touche à ce que je voulais dire ici, donc je le reprends un instant:

Miam a écrit :2. Il n’y a pas univocité de l’être, mais seulement de l’essence. L’essence du mode, c’est la production du mode dans l’attribut (le mode constitue l’attribut). Donc c’est l’essence de l’attribut. Et celui-ci constitue l’essence de la substance. Il s’agit toujours de la même essence. Par contre, il n’y a qu’un Etant (Ens), l’absolument infini. Les essences ne sont pas des étants (entia) mais « de l’être » (esse) ou des entités (entitatis). Et certaines de ces essences seulement ont un « être formel » (esse formale) ou « actuel » : à savoir les choses qui sont « dites exister » autrement que comme des essences contenues dans l’attribut (II 8 et 8s). Si, enfin, dans le troisième genre de connaissance (V 30d), les choses sont sub specie aeternitatis « comme des étants réels » (ut entia realia), c’est cependant à partir d’un concept de l’entendement et « en vertu de l’essence de Dieu » (per Dei essentiam) infinie et éternelle, qui se distingue toujours de son être absolument infini.


Je comprends II 8 scolie un peu différemment que toi, je crois. J'ai l'impression que tu n'y tiens compte que d'un mode d'existence, celui dans la durée, tandis qu'à mes yeux, ce scolie est un des endroits où Spinoza développe sa théorie des deux modes de l'existence.

Comme déjà dit, je n'ai pas encore très bien compris la distinction proprement spinoziste entre être et essence. Donc je ne comprends pas non plus pourquoi tu sembles déduire de cette II.8 que seulement certaines choses ont un 'être formel' (II.8 ne parle que d'essence formelle, donc je suppose que tu arrives à cette conclusion par un autre raisonement ajouté à II.8? Si oui, lequel?). En tout cas, j'ai l'impression que le corollaire parle d'abord des 'choses singulières qui n'existent pas sinon en tant que comprises dans les attributs de Dieu', puis des choses singulières telles qu'elles 'sont dites exister' c'est-à-dire en tant qu'elle sont aussi dites durer.
Or cela, exister seulement en tant que compris dans les attributs de Dieu, et non pas dans la durée, c'est précisément ce qui me semble être le type d'existence dont parle le scolie de II.45. C'est le type d'existence dont Dieu est la cause en tant qu'il fait que les choses commencent à exister. C'est à mon avis le type d'existence propre à toute essence formelle. C'est donc la façon dont j'ai jusqu'à présent interprété la prop II.8 elle-même: "Les idées des choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenus dans les attributs de Dieu".
Mais cela implique que toute chose a une essence formelle, aussi celle qui n'existe pas encore dans la durée. L'existence dans la durée s'ajoute donc, d'une certaine manière, à l'existence en Dieu (l'existence dans les attributs de Dieu). D'où le 'également' dans le scolie II.8: "quand les choses singulières sont dites exister, NON SEULEMENT en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu [existence en Dieu, existence de l'essence formelle en tant que telle, Louisa], mais en tant EGALEMENT qu'elles sont dites durer".

C'est alors justement parce que une essence existe non seulement dans la durée mais également éternellement, en Dieu (j'inverse la formule), que la connaissance du troisième genre est possible. Mais alors il ne faut plus lire les 'entia realia' dans un sens purement métaphorique, car effectivement, en tant que notre essence est une partie de l'essence et de la perfection/réalité infinie de Dieu, nous participons de la nature divine (voir IV.45 scolie du cor II). Le 'concipere ut' n'est alors rien d'autre que le 'concipere quatenus', impliquant un point de vue spécifique sur une seule et même chose. Les choses alors deviennent réellement des étants, mais elles ne sont 'réelles' que dans la mesure où elles participent à la réalité de Dieu, participation qui est possible non pas parce que Dieu, sous tel ou tel mode fini, les fait exister dans la durée, mais parce que la nature de Dieu est infinie et qu'en suivent une infinité de manières. Et on ne peut concevoir les choses dans leur réalité que quand on les conçoit sub specie aeternitatis, et non pas quand on les conçoit 'sub durationem', c'est-à-dire en tant qu'elles existent dans la durée. La raison conçoit déjà les choses singulières sub specie aeternitatis, mais elle conçoit uniquement leurs propriétés communes. Le 3e genre par contre conçoit les essences mêmes des choses singulières sub specie aeternitate, c'est-à-dire telles que c'est essences existent réellement en Dieu.
On trouve cette distinction dans un certain sens déjà en 1.15 scolie: concevoir quelque chose en tant qu'affectée (ce qui implique, il me semble, la durée), c'est concevoir les choses 'modaliter', tandis que les concevoir telles qu'elles sont réellement, 'realiter', c'est les concevoir par l'essence de Dieu (fin du scolie, juste avant l'exemple cc l'eau). Certes, il s'agit deux fois d'un concevoir, mais nous pouvons concevoir adéquatement et inadéquatement. Concevoir les choses 'modaliter', c'est les imaginer, donc en avoir des idées inadéquates. C'est les concevoir dans la durée. Concevoir les choses 'realiter', c'est-à-dire telles qu'elles sont réellement, c'est les concevoir par l'essence indivisible, immuable et éternelle de Dieu. C'est le propre du troisième genre de connaissance. C'est pourquoi, à mon avis, ce troisième genre ne nous fait pas 'apparaître' les choses COMME SI c'étaient des étants réels. Le troisième genre est celui qui nous fait voir les choses telles qu'elles sont: des parties de Dieu. Que dans cette optique elles sont des étants réels ne me semble pas étonnant, si l'on tient compte du fait que pour les voir dans leur réalité, il faut précisément les voir en Dieu, et non pas dans la durée. Et on sait que Dieu est l'étant suprême. Ce qui peut-être implique déjà également qu'il y a d'autres étants, inférieurs.

Mais bon, comme déjà dit, il y a un tas de choses que je ne comprends pas encore. Tu sembles pe faire une distinction entre l'être de Dieu et l'essence de Dieu. Le fait même que Spinoza utilise tantôt 'esse', tantôt 'essentia' le justifie déjà. Mais en quoi pourrait consister la différence? Je ne le vois pas encore. Eventuellement tout ce que je viens d'écrire n'est plus valable une fois que l'on a compris cette distinction?
A bientôt,
Louisa

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Messagepar Miam » 23 janv. 2007, 17:23

Louisa,

Tu peux comprendre ce que j'ai dit comme tu le veux. Par conséquent je ne répondrai pas point par point à ton texte où tu réfléchis plutôt que de conclure. Mais je ne pense pas que l'on puisse réduire la métaphysique spinozienne à une synthèse ou même un mélange entre Thomas et Dietrich. Ensuite, chez Spinoza on ne peut distinguer réellement la causalité des modes entre eux et la causalité divine. Ainsi, lorsque Spinoza écrit dans la première partie de l'Ethique que "Dieu n'est pas à proprement parler la cause éloignée des choses". La cause de l'essence des choses n'est pas distincte de la cause de leur existence. C'est Dieu (causa essendi). On ne peut ainsi distinguer deux ordres : celui des essences et celui des existences, sinon par une distinction temporelle (entre le point de vue de l'éternité et celui de la durée). Par conséquent, il n'y a pas de distinction réelle de l'existence (ou l'être chez les scolastiques) et de l'essence chez Spinoza, pas même quant aux modes finis. Et en cela, Spinoza est infiniment plus proche de Dietrich que de Thomas, SINON Qu'EXISTER ne veut pas dire la même chose chez Spinoza que CHEZ TOUS LES SCOLASTIQUES, y compris Dietrich, puisque ceux-ci assimilent une chose existante et un être, tandis que le cheval volant, comme corrélat objectif d'une idée qui dure dans l'existence, est existant (il dure) sans pourtant qu'il soit "un être" (formel ou actuel). Donc : pas de synthèse ici non plus. Ce qu'emprunte Spinoza à Thomas, c'est le vocabulaire, parce que c'est aussi le vocabulaire suarezien et, partant, celui de son époque. Mais je n'y vois aucune synthèse entre Dietrich et Thomas, d'autant qu'il faudrait alors y ajouter Descartes et encore bien d'autres si l'on veut tenter cette idée (invalide à mes yeux) de "synthèse".

A+
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Messagepar Miam » 24 janv. 2007, 17:16

Il faut aussi faire attention à la distinction entre le temps et la durée. Le temps est une quantification imaginaire de la durée. Le temps est un être d'imagination, mais la durée est une "affection de l'existence", comme Spinoza l'écrit aussi dans les PM.

L'existence, c'est ce qu'exprime un attribut. L'existence s'assimile à l'éternité lorsqu'elle est infinie ou nécessaire (dixit Spinoza à plusieurs endroits. C'est là les définitions de l'éternité, qui est aussi la "jouissance éternelle de l'existence").

La distinction entre l'essence et l'existence dans le mode fini réside dans l'impossibilité qu'on a de prévoir quand et ou son essence passe à l'existence, autrement dit : quand et ou les conditions physiques dans l'espace-temps sont remplies pour produire telle essence à tel moment et à tel endroit. La durée est la manière d'exister d'un mode fini. Elle n'est rien d'autre que le continuum du conatus (= essence actuelle) avec ses hausses et ses chutes de puissance. Le temps imaginaire en revanche découpe ce continuum infini et l'imagine divisible (de même qu'on s'imagine l'étendue divisible). Pour situer la durée dans la métaphysique : de même qu'un mode est une affection de l'essence de l'attribut et (c'est la même essence) de la Substance, de même la durée est une affection de l'existence de la Substance qu'exprime chaque attribut.

Ceci pour les modes finis. Mais la distinction entre l'essence et l'existence n'est pas nécessairement temporelle. Ainsi pour les modes infinis et éternels. Ils sont éternels bien que leur essence n'enveloppe pas l'existence. D'une manière générale, la distinction essence-existence relève d'une échelle des manières d'exister des choses, de la Substance aux modes finis, selon la manière dont l'existence et tous les autres modes d'exister - l'éternité, l'infinité, la nécessité - appartiennent ou non et/ou constituent ou non l'essence (ou l'être) de la chose. C'est pourquoi la durée est le mode d'un mode d'exister.

Miam

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Messagepar Louisa » 26 janv. 2007, 16:57

Salut Miam,

merci de tes réponses. Quelques réflexions par rapport à elles.

Miam a écrit :Tu peux comprendre ce que j'ai dit comme tu le veux. Par conséquent je ne répondrai pas point par point à ton texte où tu réfléchis plutôt que de conclure. Mais je ne pense pas que l'on puisse réduire la métaphysique spinozienne à une synthèse ou même un mélange entre Thomas et Dietrich.


je dirais plutôt que je peux comprendre ce que tu as dit comme je le peux, et non pas comme je le veux ... :-).
Sinon je rappelle que l'hypothèse que j'étais en train d'explorer n'était aucunement celle qui propose de réduire la métaphysique spinozienne à une synthèse de quoi que ce soit. Il ne s'agit pas de LA métaphysique spinozienne, il s'agit d'une simple impression, concernant un point très précis, d'un lien éventuel entre les deux façons de concevoir l'existence que propose Spinoza et celle de Dietrich et de Thomas d'autre part. Il ne s'agirait donc pas d'un mélange, mais d'une combinaison d'éléments de la conception de l'existence de chacun, éléments reprise dans une conception de l'existence tout à fait originale, donc éléments retraduits dans un tout autre et nouveau système de pensée :
- Thomas: A: l'existence s'ajoute à l'essence au moment où la chose est créée
- Dietrich: B: l'existence accompagne toujours déjà toute essence, puisqu'elle est sa forme même (ce qui rend la création impensable)
- Spinoza: A': l'existence dans le temps dépend d'un autre mode fini, qui donne naissance à un deuxième mode via l'affection (l'existence du mode n'est donc pas compris dans son essence, mais s'y ajoute de l'extérieur) + B': l'existence en Dieu est éternelle et accompagne toute essence du fait même que la nature de Dieu en est cause immanente.

Miam a écrit :
Ensuite, chez Spinoza on ne peut distinguer réellement la causalité des modes entre eux et la causalité divine. Ainsi, lorsque Spinoza écrit dans la première partie de l'Ethique que "Dieu n'est pas à proprement parler la cause éloignée des choses". La cause de l'essence des choses n'est pas distincte de la cause de leur existence. C'est Dieu (causa essendi). On ne peut ainsi distinguer deux ordres : celui des essences et celui des existences, sinon par une distinction temporelle (entre le point de vue de l'éternité et celui de la durée). Par conséquent, il n'y a pas de distinction réelle de l'existence (ou l'être chez les scolastiques) et de l'essence chez Spinoza, pas même quant aux modes finis. Et en cela, Spinoza est infiniment plus proche de Dietrich que de Thomas


oui, effectivement. Il ne s'agit pas de deux façons d'exister réellement distinctes, la distinction ne se fait qu'au niveau conceptuel (c'est pourquoi je disais qu'il s'agissait du 'en tant que', mais j'aurais peut-être dû le souligner davantage pour que ce fût vraiment clair). Et alors je suis tout à fait d'accord avec toi: quand il s'agit de la question de savoir s'il y a une distinction réelle ou non, Spinoza semble être plus proche de Dietrich, qui déjà propose seulement une distinction 'in modo significandi'.
Je ne voulais rien dire d'autre que cela: en ceci, selon cet aspect précis, Spinoza semble introduire une notion plus proche de Thomas, et en cela une notion un peu plus proche de Dietrich. Tout comme le fait même de nier toute création l'approche d'autres philosophes anti-création, mais cela ne fait pas encore de LA métaphysique de Spinoza une synthèse générale de tous ces courants de pensée.

Miam a écrit :SINON Qu'EXISTER ne veut pas dire la même chose chez Spinoza que CHEZ TOUS LES SCOLASTIQUES, y compris Dietrich, puisque ceux-ci assimilent une chose existante et un être, tandis que le cheval volant, comme corrélat objectif d'une idée qui dure dans l'existence, est existant (il dure) sans pourtant qu'il soit "un être" (formel ou actuel).


déjà le fait même que Dietrich ne travaille pas avec le premier type d'existence qu'utilise Spinoza, celui d'exister dans le temps, rend la conception dietrichienne de l'existence assez différente de celle de Spinoza, il me semble, à part d'un tas d'autres nouveautés introduites par Spinoza. C'est pourquoi, encore une fois, je ne prétends pas du tout voir le spinozisme comme synthèse générale de ces deux courants.

Miam a écrit :Il faut aussi faire attention à la distinction entre le temps et la durée. Le temps est une quantification imaginaire de la durée. Le temps est un être d'imagination, mais la durée est une "affection de l'existence", comme Spinoza l'écrit aussi dans les PM.


n'ayant pas encore lu les PM, je ne savais pas qu'il y écrivait cela, donc merci pour l'info!
Or comme il fait dans l'Ethique explicitement la distinction (non pas réelle, mais 'in modo significandi') entre une existence dans la durée et une existence éternelle, ne faudrait-il pas en conclure que la durée n'est qu'une affection de l'existence dans le temps? En tout cas, ici pour moi tu introduis quelque chose d'assez nouveau, et qui ne va pas encore tout à fait de soi pour moi. C'est que je concevais (peut-être à tort donc) les choses quasiment inversement: la durée est une addition de différents 'moments', donc de différents affections du Corps et de leurs idées, une suite de 'présences'. Car sans la faculté d'imaginer, nous n'aurions aucune idée de ce que c'est que le présent, et alors il me semble impossible de concevoir quelque chose comme la durée (qui ajoute tout simplement l'idée de passé et de continuité entre présent et passé à l'idée de présent). C'est donc pourquoi la durée me semblait être tout aussi imaginaire que le temps. Et pourquoi, s'il faut définir dans l'Ethique la durée comme affection de l'existence, il me semble que cela devrait être l'existence dans le temps, et non pas l'existence dans l'éternité, puisque l'éternité n'a rien à voir avec la durée infinie.
Où, dans ce raisonnement, est-ce que je me tromperais selon toi?

Miam a écrit :L'existence, c'est ce qu'exprime un attribut. L'existence s'assimile à l'éternité lorsqu'elle est infinie ou nécessaire (dixit Spinoza à plusieurs endroits. C'est là les définitions de l'éternité, qui est aussi la "jouissance éternelle de l'existence").


en fait ... est-ce qu'il ne dit pas plutôt que justement, l'éternité n'est PAS l'existence infinie, mais bel et bien l'existence nécessaire, ce qui chez lui est défini par le fait que l'existence suit nécessairement de l'essence de la chose elle-même que l'on dit être éternelle? Car si tu définis l'éternité comme existence infinie, comment vas-tu la distinguer de la sempiternité?
Dès lors, l'attribut n'est-il pas éternelle précisément parce que son essence enveloppe nécessairement l'existence?

Miam a écrit :La distinction entre l'essence et l'existence dans le mode fini réside dans l'impossibilité qu'on a de prévoir quand et ou son essence passe à l'existence, autrement dit : quand et ou les conditions physiques dans l'espace-temps sont remplies pour produire telle essence à tel moment et à tel endroit.


ici aussi ta définition m'étonne un peu. Est-ce que la distinction première entre l'essence et l'existence dans le mode fini ne réside pas dans le fait que son essence n'enveloppe pas nécessairement son existence? L'existence ici comprise dans les deux sens que propose Spinoza: existence éternelle en Dieu, existence temporelle dans la durée. Car l'existence temporelle dans la durée, le mode fini la reçoit de Dieu en tant qu'il s'explique par un autre mode fini, et l'existence éternelle, le mode fini le reçoit également de Dieu, mais de Dieu en tant qu'il est la cause immanente de toute essence.
L'impossibilité de prévoir ce qui arrivera à tel ou tel moment dans le temps, n'est-elle pas alors plutôt liée au fait que nous n'avons pas d'idée adéquate du temps en tant que telle, vu que le temps, nous l'imaginons, et que nous n'avons pas d'idées adéquates en imaginant?
Si en revanche on considère l'essence du mode fini sub species aeternitatis, parler de prévoir quand quelque chose arrivera dans le temps n'a plus de sens parce que précisément, le sub specie aeternitatis suppose d'avoir mis entre parenthèses tout ce qui concerne l'imagination et la mémoire, donc tout ce qui a trait au temps.
Dans ce sens, il me semble que la production de l'essence a lieu de toute éternité, sans commencement ni fin (d'où l'éternité de l'essence de chaque chose singulière). Le 'passage à l'existence' n'est que l'existence de cette essence du point du vue du temps, donc l'essence dans ses affections (et donc ses imaginations).

Miam a écrit :La durée est la manière d'exister d'un mode fini.


mais que fais-tu alors avec I.24, II.8, II.45 et V.29? En V.29 il dit littéralement: "Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières, selon que nous les concevons soit en tant qu'elles existent en relation à un temps et à un lieu précis, soit en tant qu'elles sont contenus en Dieu". Phrase reprise par II.45 comme suit: Ici, par existence [d'une chose singulière, Louisa] je n'entends pas la durée, c'est-à-dire l'existence conçue abstraitement, et comme une certaine espèce de quantité. Car je parle de la nature même de l'existence (...) Je parle, dis-je, de l'existence même des choses singulières en tant qu'elles sont en Dieu".
Si tu as l'impression qu'il ne faut pas déduire de cela que le mode fini a DEUX manières d'exister, comment est-ce que tu interprètes alors ces passages?


Miam a écrit : Elle n'est rien d'autre que le continuum du conatus (= essence actuelle) avec ses hausses et ses chutes de puissance.


II.45: "il reste que la force par laquelle chacune persévère dans l'exister suit de l'éternelle nécessité de la nature de Dieu. A ce sujet, voir le Coroll. Prop 24. p.1."
1.24 Cor: "leur essence ne peut être la cause de leur existence ni de leur durée, mais seulement Dieu"

vu qu'il dit NI existence NI durée, et vu que dans le scolie II.45 il réfère à ce corrolaire tout en disant dans ce scolie qu'il distingue existence et durée, ne faut-il pas en conclure que donc pour Spinoza l'existence dans la durée ou l'existence dans un temps et lieu précis ne sont qu'une façon de concevoir l'existence d'une essence, celle de l'existence de l'essence en Dieu, hors durée, en étant une deuxième?
Dans ce cas, le conatus en tant que force par laquelle chacun persévère dans l'exister, c'est l'essence éternelle, et non pas la durée. La durée, c'est la persévérance concrète dans des temps et des lieus précis, et ce n'est que de ce point de vue qu'il y a variabilité de la puissance.

Miam a écrit : Le temps imaginaire en revanche découpe ce continuum infini et l'imagine divisible (de même qu'on s'imagine l'étendue divisible).


l'imagination découpe en effet ce qui est réellement continu et indivisible. Mais c'est à mon sens précisément pourquoi il faut situer la durée du côté du temps et de l'imaginaire: une durée n'est jamais infinie, elle a toujours un début et une fin, elle ré-introduit un ordre temporel dans ce qui en réalité ne contient pas de succession de moments temporels. Autrement dit, tu me sembles ici proposes de concevoir la durée elle-meme sub specie aeternitatis, c'est-à-dire comme indivisible. On peut faire cela bien sûr, vu qu'en réalité tout est indivisible. Mais en quoi est-ce que cela ferait de la durée telle que la vivent les humains une chose non imaginaire?

Miam a écrit :Ceci pour les modes finis. Mais la distinction entre l'essence et l'existence n'est pas nécessairement temporelle. Ainsi pour les modes infinis et éternels.


donc même question: n'as-tu pas l'impression que V.29 et II.45 disent que pour les modes finis, la distinction fondamentale entre l'essence et l'existence consiste dans le fait que l'essence n'enveloppe pas nécessairement l'existence, et que l'existence de l'essence, aussi bien celle en Dieu (éternelle) que celle dans la durée (temporelle) a Dieu pour cause? Si oui ne faut-il pas en conclure que la distinction entre l'essence et l'existence ne peut donc jamais être temporelle, tandis que le mode fini a une existence temporelle aussi bien qu'éternelle, selon le point de vue que l'on adopte sur elle?
A bientôt,
Louisa

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Messagepar hokousai » 27 janv. 2007, 00:18

chère Louisa

Penser par essence stable- éternelle- immuable cela conduit par exemple à penser la manière de faire des hommes comme éternelle ou échappant à la durée( ou à la modification )
On peut parler d’ une essence et d’une essence éternelle de l’ homme . il y aucune raison pour que la manière de faire de hommes ou des pommes change ,si elle change ce ne sont plus alors les mêmes manière dont on parle et l’idée d’ essence éternelle est conservée .

Spinoza parle de manières" précises" , il envisage une certaine stabilité dans les modes de productions des chose particulières .Ce qui n’implique pas qu’ils existaient ou existeront toujours
L’essence de l’homme ( mode ) n’est pas éternelle ,elle n’enveloppe pas l’ existence, l’existence concrète de tel homme . L’essence de l’homme n’appartient pas à l’être de la substance. Elle est constituée (l’essence ) par des modifications précises des attributs de Dieu .

.Donc exit de l ‘essence éternelle des choses particulières .
Ce qui est éternel ce sont les modes infinis , une modification infinie des attributs prop 23/1

Ce que Spinoza sauve de la mutabilité générale ce ne sont pas le essences mais les vérités , les vérités éternelles . Ce qui est commun à tout ne constitue l’essence d’ aucune chose e singulière

prop 44/2""
les fondements de la raison sont des notions qui expliquent ce qui est commun à tout et qui n’expliquent l’essence d’aucune chose singulière et qui POUR CETTE RAISON doivent se concevoir sans aucune relation au temps mais sous une espèce d’ éternité

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Messagepar Louisa » 27 janv. 2007, 00:36

Cher Hokousai,

Hokousai a écrit :

Louisa a écrit:
Ce qui fait que l'expression 'non A' où A est la substance n'a pas de sens chez Spinoza. On ne peut donc construire l'expression 'non non A', car celle-ci demande à s'imaginer le contraire de 'non A', or 'non A' n'a pas de sens. Donc 'non non A' non plus.


Mais c'est ce que je dis .Cela n'a pas de sens ( c'est un non sens ) que l'identité à soi de la substance .


On ne peut pas concevoir qu’une substance se distingue d’une autre .
Si elles ont des attributs différents elles n’ont rien de commun ente elle (ceci par la définition 3 et pas par la 4 def des attributs )
C’est parce que le concept de substance n’ a pas besoin du concept d’autre chose( def d ‘une substance indépendamment des attributs )
Qu’il ne peut y en avoir qu’une seule de concevable .
Mais je dis que cette substance est alors indistingable , ce qui ne signifie pas qu'elle soit inconnaissable . Elle est connaissable parce que nous y introduisons de la distinction . L’esprit humain est fini à tout le moins se connaît comme fini , il peut effectivement penser des stabilités .

Mais demeurant sous ce rapport ( à la finitude ) il ne peut comprendre aisément que l’idée d’identité à soi de la substance est un non sens .
Cette idée du non -sens de l’identité à soi de la substance introduit à l’infinitude .


à mon sens vous appliquez une conception non spinoziste de l'identité de soi à la doctrine spinoziste. C'est seulement à la jugeant de l'extérieur que l'on peut trouver une façon de comprendre l'identité à soi telle qu'elle n'a plus de sens chez Spinoza. En revanche, Spinoza lui-même définit les affections de quelque chose par deux manières: d'une part il y a des affections du Corps de quelque chose qui peuvent détruire ce Corps c'est-à-dire qui peuvent faire que les parties du Corps commencent à s'unir sous un autre rapport que celui qui caractérisait la chose en question (avaler un poison pe). Alors le Corps, après ce type d'affection, n'est plus le même, n'a pas gardé sa nature ni conservé sa forme. Là, il n'y a plus d'identité à soi dans le sens spinoziste. A côté de cela, il y a des affections du Corps qui laissent le rapport entre les parties du Corps intact (boire un verre d'eau pe), et aussi longtemps que ce Corps est affecté par un tel type d'affection, Spinoza décide de l'appeler 'le même'.

Ici, on a donc la 'mêmeté' ou 'ipséité' comme critère spinoziste de l'identité à soi. Le critère que vous proposez, au contraire, est un critère essentiellement non spinoziste. Vous définissez l'identité de soi par la puissance de négation de l'autre, cet autre étant éventuellement tout ce qui n'est pas soi. On peut effectivement définir l'identité de soi par la possibilité de nier quelque chose, mais je ne suis pas certaine que politiquement ce soit un choix si intéressant.
Si pe vous dites que la Substance spinoziste est indistinguable, vous comprenez par là qu'elle ne peut pas être distingué par quelque chose d'autre d'elle. Cela ne me semble pas être tout à fait correcte, dans le sens où Spinoza donne bel et bien un critère pour pouvoir distinguer autre chose que la Substance: il faudrait qu'elle ait d'autres attributs. En théorie, distinguer la Substance d'autre chose est donc tout à fait possible. Or une fois que l'on développe la notion de Substance dans toute sa logique interne (cause de soi, c'est-à-dire chose qui n'a pas de cause et dont l'essence enveloppe nécessairement l'existence), on voit que la seule Substance est celle qui englobe tout ce qui existe. De facto, il ne reste donc rien en dehors de cette Substance.
D'autre part, je ne vois pas en quoi un être fini ne pourrait pas s'imaginer une ipséité comme identité à soi. C'est même ce qui me semble très facile: il suffit de ne penser qu'à soi-même, sans penser à d'autres choses, pour se demander: 'est-ce que je suis le même qu'il y a deux minutes?'. Tout un chacun répondra aisément à cette question: 'oui'. Voilà ce qui suffit pour fonder une identité à soi qui consiste en une mêmeté.

D'où ma question: est-ce que vous avez l'impression que votre façon de définir l'identité à soi est spinoziste ou non? Si oui, où trouver quelque chose chez Spinoza qui la justifie? Sinon, on revient à ce qui reste pour l'instant pour moi assez mystérieux dans votre approche de la philosophie: pourquoi appliquer un concept externe à une pensée x, concept lié à une pensée y, pour évaluer une pensée x? A quoi bon?

Pour déjà essayer de répondre moi-même à cette question, sur base de ce que vous en avez déjà dit: cela fait partie d'une attitude de lecture à la fois 'critique' et 'empirique'. Car comment juger de la vérité d'un texte si on ne part pas de ses propres évidences et vérités?

Ce que je répondrais à cela: la philosophie est précisément l'art de suspendre ses propres évidences, voire d'apprendre à ressentir en quoi elles ne sont pas si évidentes que cela mais de simples résultats d'habitudes de penser, sans ancrage plus profond dans le réel que d'autres évidences opposées. Vous pouvez alors fabriquer votre propre pensée, qui sera une explicitation de ces évidences, et ensuite comparer point par point dans quelle mesure toutes les grandes pensées y correspondent. Mais ce que je ne comprends pas tout à fait, c'est ce que cela vous apporte. Tandis qu'interroger ses propres évidences (ici pe essayer de penser les choses sous un autre concept d'identité à soi que celui qui vous plaît le plus jusqu'à présent) apporte au moins une chose: se libérer de préjugés en apprenant à voir les choses sous de différents points de vue, donc enrichir sa façon de concevoir le monde.

Donc voilà, je dirais que parler d'une identité à soi de la Substance est effectivement un non sens, mais cela seulement dans le sens de UN non sens. Cela montre qu'il y ait moyen de concevoir un concept d'identité à soi qui n'est pas applicable à la pensée spinoziste de la Substance. Mais alors? Il y a un tas de façons de concevoir un concept d'identité qui n'est pas applicable au spinozisme, et il n'y en a probablement qu'un seul qui y est compatible, celui que Spinoza propose lui-même. Ce n'est donc que si vous adoptez un point de vue externe au spinozisme que vous pouvez découvrir qu'un tas de concepts n'ont plus de sens, si on essaie de les appliquer à la pensée que propose d'expérimenter Spinoza. Mais n'est-il pas plus intéressant d'essayer d'expérimenter chaque pensée pour ce qu'elle affirme, au lieu de chercher en quoi on peut nier certaines choses d'elle?
Cordialement,
Louisa


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