Dieu pense

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Dieu pense

Messagepar zerioughfe » 02 déc. 2003, 19:19

Quand Spinoza dit que Dieu pense, que veut-il dire exactement ? Dieu pensait-il avant que l'homme apparaisse sur le terre ? Autrement dit : Dieu pense-t-il seulement en tant qu'il contient l'esprit humain (et les différentes idées des choses singulières), ou a-t-il un entendement à l'image de l'esprit humain et indépendant de lui ?

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Re: Dieu pense

Messagepar bardamu » 02 déc. 2003, 20:31

zerioughfe a écrit :Quand Spinoza dit que Dieu pense, que veut-il dire exactement ? Dieu pensait-il avant que l'homme apparaisse sur le terre ? Autrement dit : Dieu pense-t-il seulement en tant qu'il contient l'esprit humain (et les différentes idées des choses singulières), ou a-t-il un entendement à l'image de l'esprit humain et indépendant de lui ?


cf Ethique 1, proposition 17, scholie.

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Re: Dieu pense

Messagepar sescho » 02 déc. 2003, 21:05

zerioughfe a écrit :Quand Spinoza dit que Dieu pense, que veut-il dire exactement ? Dieu pensait-il avant que l'homme apparaisse sur le terre ? Autrement dit : Dieu pense-t-il seulement en tant qu'il contient l'esprit humain (et les différentes idées des choses singulières), ou a-t-il un entendement à l'image de l'esprit humain et indépendant de lui ?


Spinoza considère qu'il y a deux (dans une infinité) dimensions parfaitement distinctes d'existence : l'existence selon l'Etendue (modes : les corps) et l'existence selon la Pensée (modes : les pensées). Il pose en même temps que ces deux dimensions sont en parfait "parallélisme" pour ne faire qu'un au sein de Dieu - La Nature : à chaque corps correspond parfaitement une idée (nécessairement vraie) de ce corps, et inversement (c'est la même chose vue suivant des dimensions de Dieu - La Nature différentes). Dieu pense donc en tant qu'une dimension de lui-même, la Pensée, se "superpose" totalement avec une autre, l'Etendue. L'entendement divin est donc très différent de l'entendement humain, lequel - appartenant évidemment à la dimension "Pensée" -, associé à un certain corps, n'en est qu'une partie "tronquée". Je ne peux pas y croire personnellement (mais encore une fois je nie qu'en disant qu'il n'y a que l'Etendue on sache de quoi l'on parle, même si j'adhère en gros à cette vision de l'unité de la Nature) mais je trouve en même temps cela génial car d'une fantastique ouverture d'esprit... :idea:
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Messagepar zerioughfe » 03 déc. 2003, 13:26

Spinoza, dans le passage de l'Ethique cité par Bardamu a écrit :Donc, l'intelligence de Dieu, en tant qu'elle est conçue comme constituant l'essence divine, diffère de notre intelligence tant sous le rapport de l'essence que sous le rapport de l'existence, et ne lui ressemble que d'une façon toute nominale, comme il s'agissait de le démontrer. Or chacun voit aisément qu'on ferait la même démonstration pour la volonté de Dieu.

D'accord, mais ça ne m'avance guère... Est-ce que Dieu ressent quelque chose quand une balle tombe par terre ? Est-ce que la terre "ressent" quelque chose ? Est-ce que la modification de l'idée de "terre" par l'idée de "balle qui tombe" est une sensation ? Ou n'est-ce qu'un modification abstraite et insensible ?

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Messagepar bardamu » 03 déc. 2003, 20:33

zerioughfe a écrit :D'accord, mais ça ne m'avance guère... Est-ce que Dieu ressent quelque chose quand une balle tombe par terre ? Est-ce que la terre "ressent" quelque chose ? Est-ce que la modification de l'idée de "terre" par l'idée de "balle qui tombe" est une sensation ? Ou n'est-ce qu'un modification abstraite et insensible ?


A la demande générale, une petite improvisation de vision animiste où les "atomes" (terme qui n'a pas trop sa place chez Spinoza) pensent.

Toute chose participe d'une pensée c'est-à-dire d'un mode d'existence qui distingue : le champ des points singuliers, points de courbure, sommets, maxima et minima de forces.
Le désir (conatus) d'un "atome" c'est ce qui fait qu'un coin de substance conserve ses rapports, le conatus c'est la manière dont ce coin comprend le monde (cf sens éthymologique de "comprendre"), l'intègre ou en dérive (sens de dérivée et intégrale en mathématique). Les "atomes" comprennent parfaitement le monde et prennent les chemins les moins coûteux en énergie pour se déplacer en suivant les géodésiques gravitationnelles. Certaines "molécules" comprennent aussi le monde en se liant pour se conserver, leur rapport n'étant pas viable en dehors d'un "organisme". La vie est un mode de pensée et d'étendue de la substance, une manière d'être finie qui comprend l'infini et ses lois pour se conserver localement. Mais il n'y a pas de différence fondamentale entre le vivant et le non-vivant et il n'y a pas de différence fondamentale entre le pensant et le non-pensant.
On ne pense qu'en distinguant et ce qui distingue dans un "atome" est sa pensée : ce qui fait que le sodium a une réaction explosive face à l'eau, est sa pensée : ça l'énerve, ça l'aggresse et il fait tout péter.

Résumé de l'improvisation : l'homme sent, ressent, distingue, synthétise, agit, réagit, agit, et tout ce qui se conserve aussi : les "atomes" et "molécules" pensent.

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Messagepar ghozzis » 03 déc. 2003, 21:16

Sophiste! Tu t'es démasqué! :o

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Messagepar bardamu » 03 déc. 2003, 23:07

ghozzis a écrit :Sophiste! Tu t'es démasqué! :o


You talkin' to me ?

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Messagepar zerioughfe » 04 déc. 2003, 11:03

Oui mais que pense Spinoza ?

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Messagepar infernus » 04 déc. 2003, 16:44

ahahahahah :lol:

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Messagepar Henrique » 09 déc. 2003, 02:39

Il y a souvent une confusion sur E1P17, scolie, que l'on sort de son contexte, Yves n'y avait pas échappé : cf. ICI.

En fait, dans ce passage, Spinoza explique que l'entendement infini et l'entendement fini peuvent avoir une signification univoque parce que l'entendement infini n'est pas un attribut de Dieu : ne constitue pas son essence, contrairement à ce que suppose la tradition, mais n'est qu'un mode, infini certes, mais mode de la nature naturante dont l'entendement humain est lui-même une partie. Il s'agit surtout dans ce passage de réfuter Leibniz et un peu Descartes qui supposaient l'entendement infini comme entrant dans l'essence fondamentale de Dieu, de sorte qu'il concevrait chaque chose avant de la faire exister.

Dieu pensait-il avant que l'homme apparaisse sur le terre ? Autrement dit : Dieu pense-t-il seulement en tant qu'il contient l'esprit humain (et les différentes idées des choses singulières), ou a-t-il un entendement à l'image de l'esprit humain et indépendant de lui ?


D'après Misrahi, en dehors de l'homme l'entendement infini n'est rien, autrement dit ce dernier n'est que la somme des entendements finis :E5P36, cor. le confirme dans ce sens :"Il suit de là que Dieu, en tant qu'il s'aime lui-même, aime les hommes et que, par suite, l'Amour de Dieu envers les hommes et l'Amour de l'Esprit envers Dieu, sont une seule et même chose". Finalement, l'amour de Dieu envers lui-même se réduirait à l'amour intellectuel des hommes pour Dieu.

Mais c'est à mon sens glisser sur la formulation exacte de Spinoza. C'est d'abord en tant que Dieu s'aime lui-même qu'il aime les hommes, comme modes de sa substance : Spinoza dit pourtant bien dans la p36 que "l'amour intellectuel de l'Esprit envers Dieu est une partie de l'amour infini dont Dieu s'aime lui-même."

Donc Dieu se pense-t-il lui-même indépendamment de l'homme ? E2P3 montre qu'il existe nécessairement en Dieu une idée aussi bien de son essence que toutes les choses qui suivent nécessairement de cette essence. Ce qui permet de savoir que Dieu est chose pensante (E2P1), c'est qu'il y a des pensées singulières qui doivent se comprendre en tant que modes d'un attribut unique : la pensée. Et il y a dans la Pensée une idée pour chaque chose dans l'étendue, au même titre que pour le corps humain (E2P13,S).

En ce qui nous concerne, il y a donc dans l'entendement infini (qui n'est pas antérieur aux choses mais simultanées à elles) l'idée de l'homme aussi bien que de toutes choses. Cette idée n'est autre que l'idée qu'a l'homme de lui-même, aussi bien que l'idée que la pierre doit avoir d'elle-même (l'ordre des choses est le même que l'ordre des idées). Mais à la différence de l'idée qu'un homme a de lui-même, l'entendement infini est l'idée que chaque étant a de lui-même, c'est l'idée de la totalité des êtres dans leur concaténation non pas simplement au moment présent mais de toute éternité. Ainsi Dieu se pense de toute éternité à travers l'infinité de ses modes : nature naturante et nature naturée ne sont que deux aspects d'une seule et même réalité.

Poser la question de ce qui se passait en Dieu avant que l'homme n'aparaisse, c'est penser la substance en termes de temporalité, divisant l'être en passé, présent, avenir ce qui n'est pas la logique de la substance qui est éternelle. Dans l'éternité, il n'y a pas de passé, présent, avenir, il n'y a que la nécessité de l'existence de toutes choses (que nous croyons inadéquatement passées, présentes ou avenir) en tant qu'elle découle de l'être absolument infini. Dieu certes se pense à travers chaque chose qui découle de son essence mais de toute éternité.

Je dirai donc pour répondre exactement à ta question que l'entendement infini, qui se trouve en Dieu à titre de mode (infini), n'est pas indépendant de l'idée qui correspond dans la pensée à chaque chose singulière : il est toutes ces idées en tant qu'elles sont éternellement, immédiatement et unitairement (concaténation) présentes dans la Pensée. A travers ce mode infini, la substance a conscience d'elle-même.

Est-ce que Dieu ressent quelque chose quand une balle tombe par terre ? Est-ce que la terre "ressent" quelque chose ? Est-ce que la modification de l'idée de "terre" par l'idée de "balle qui tombe" est une sensation ? Ou n'est-ce qu'un modification abstraite et insensible ?


L'entendement infini étant la connaissance éternelle de tout ce qui pour nous a existé, existe ou existera, il n'y aura pas d'affects de joie ou de tristesse : l'idée de la totalité de tout ce qui existe rend impossible que l'on parle de plus ou moins grande perfection. Le réel étant la perfection, Dieu jouit de la béatitude qui est satisfaction de posséder la perfection (E5P33, S). En ce sens, Dieu jouit éternellement de la perfection du mouvement de la balle en tant que ce mouvement se comprend nécessairement à l'intérieur de la totalité de ce qui existe. Mais il ne "ressent" que ce que "ressent" la chose elle-même : si elle n'a pas d'organe sensoriel, la connaissance qu'il aura de lui-même en tant que substance modifiée en ceci ou cela ne sera pas sensorielle. Mais ce n'est certainement pas une connaissance abstraite (E2P30,S1) : c'est la connaissance intuitive de chaque chose dans sa singularité autant que dans son unité avec le tout unique dont elle est une partie. L'entendement infini est entièrement intuitif : il est pensée "en un seul coup d'oeil" de chaque chose ("passée, présente et avenir") dans sa relation avec tout.

Bon je ne sais pas si j'ai été suffisamment clair, il faut que j'aille dormir :)...

Alp
Henrique


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