Démonstration de Ethique I 21 : des modes infinis

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Pourquoipas
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Démonstration de Ethique I 21 : des modes infinis

Messagepar Pourquoipas » 18 mars 2007, 11:38

Je vais m'attaquer à la démonstration de la I 21, à ma connaissance jamais réellement commentée. Démonstration essentielle car c'est elle qui fonde la relation entre les attributs et les modes, et la question des modes infinis et finis.
Je crois que toute la question de cette démonstration tient dans l'exemple qu'il prend (qui n'est pas n'importe lequel) et surtout dans l'utilisation de la I 11, dont je me demande s'il l'utilise là dans le cadre de l'exemple choisi (l'idée de Dieu dans la pensée) ou dans n'importe quel cadre, puisqu'on nous affirme que la démonstration est universelle.
Car si je prends par exemple mon chat dans l'Etendue, en suivant la démonstration, la seule conclusion possible est pour Spinoza, je pense : mon chat est éternel et infini par l'attribut Etendue.

Je suis ici le texte même de la démonstration.
– Hypothèse (concipe) : mon chat (chat ici = corps de mon chat) fini et ayant une existence (ou durée) déterminée est conséquence de la nature absolue de l'Etendue. OK.
– Or l'Etendue, puisque supposée un attribut de Dieu, est nécessairement infinie par sa nature (par I 11 : ici, je tique : en quoi a-t-on besoin ici de la preuve que Dieu existe ? - la déf 6 ne suffisait pas ? - ou la I 11 ici n'est utilisable que dans le cas de l'"idée de Dieu dans la Pensée" ? - ce qui, il me semble, infirmerait la validité universelle de la proposition à démontrer). Mais disons OK.
– Mais, en tant qu'on la suppose "avoir" (et là je n'arrive pas vraiment à cerner le sens de ce verbe ici : impliquer, envelopper, être cause ?) le chat, l'Etendue est supposée finie. Disons OK.
– Or, l'Etendue ne peut être supposée finie (par déf. 2) que si elle est "(dé)terminée" (léger changement de terme de la déf 2 à la démo) par une chose de même nature, à savoir l'Etendue elle-même. OK.
– Mais ce ne peut être par l'Etendue constituant mon chat (ici on est passé de [/i]habere[/i] à [/i]constituere[/i] : est-ce à dire que ces termes sont ici synonymes ?), car en cela on l'a supposée finie : là je ne comprends pas. Si Spinoza avait dit : une chose ne peut être limitée par elle-même, OK. Mais ce n'est pas ce qu'il dit. Est-ce à dire que, bien qu'on ait supposé l'Etendue finie, elle garde quand même son essence, sa nature, infinie ? ce qui permettrait en effet de répondre à la déf 2.
– Donc (je reprends) notre Etendue finie, "(dé)terminée", ne peut l'être que par l'Etendue, en tant qu'elle ne "constitue" pas le chat, "qui cependant ne peut qu'exister nécessairement (par I 11)". Là j'ai un problème avec le [/i]quae[/i] : si ce relatif se rapporte à l'"idée de Dieu" (// chat), je ne vois pas bien le rapport avec la preuve que Dieu existe ; si ce relatif se rapporte à cogitationem (// ici, l'Etendue), alors OK la présence de I 11 est ici justifiée ; mais alors, pourquoi le tamen (= cependant, pourtant) ? En quoi l'Etendue limitée par l'Etendue non limitée (si j'ai bien compris - j'espère que vous me suivez) empêcherait l'existence nécessaire de cette dernière ??? Mais faisons comme si le tamen n'existait pas et disons : l'Etendue "ayant", "constituant" le chat, donc finie, est "terminée" par l'Etendue – existant nécessairement – ne constituant pas le chat.
– Il y a donc une Etendue ne constituant pas le chat et dont la nature, en tant qu'Etendue absolue (ici, cela signifie "infini en son genre", je suppose), n'a pas le chat pour conséquence nécessaire.
– CE QUI EST CONTRAIRE A L'HYPOTHESE !!!!
– Si je transpose la dernière phrase de Spinoza, ça donne : donc, si mon chat dans l'Etendue, ou quoi que ce soit (car la démonstration est universelle) dans un attribut de Dieu, est conséquence nécessaire de la nature absolue de cet attribut, alors mon chat ne peut qu'être nécessairement infini, et n'a donc ni bornes, ni durée déterminée.
Vous me direz qu'il y a deux façons de contredire l'hypothèse : nier la finitude du chat, ou nier qu'il soit conséquence de la nature absolue de l'attribut de Dieu.
Vous me direz aussi : ben, pas de problème, on nie qu'il soit conséquence de la nature absolue etc.
Le problème est que si vous me dites ça, ça se retourne contre l'exemple donné par Spinoza : à mon avis, il aurait pu aussi bien conclure que l'"idée de Dieu dans la Pensée" n'est pas conséquence nécessaire de la nature absolue de l'attribut.

On verra plus tard pour la deuxième partie de la démonstration (difficile aussi, car là "éternité" semble bien signifier "durée sans commencement ni fin", contrairement à ce qui est dit en déf 8).

Voilà, j'en suis là... Pourriez-vous me dire s'il y a erreur de lecture et/ou de logique (de ma part) quelque part ?

PVB
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Messagepar Miam » 18 mars 2007, 22:32

Cher Pourquoi pas, je te soumets ma lecture.

Tu écris

« Je suis ici le texte même de la démonstration.
– Hypothèse (concipe) : mon chat (chat ici = corps de mon chat) fini et ayant une existence (ou durée) déterminée est conséquence de la nature absolue de l'Etendue. OK. »

N’oublies-tu pas qu’il s’agit de la nature « absolue » de l’étendue ? Car plus loin et un peu partout, Spinoza dit des modes finis qu’ils suivent de la nature de l’attribut (ou de l’attribut, c’est selon) en omettant ce caractère « absolu ». Cela ne signifie-t-il pas qu’un mode fini est « de l’étendue », mais que là où il y a étendue, on ne trouve pas un même mode fini ? Aussi la où il y a étendue, on ne trouve pas nécessairement ton chat, tandis que là où se trouve l’idée de Dieu il y a nécessairement pensée et, parallèlement, la où il y a mouvement, il y a nécessairement étendue.

Tu écris :

»– Or l'Etendue, puisque supposée un attribut de Dieu, est nécessairement infinie par sa nature (par I 11 : ici, je tique : en quoi a-t-on besoin ici de la preuve que Dieu existe ? - la déf 6 ne suffisait pas ? »

Non. Car la définition 6 n’est démontrée réelle qu’à partir de la preuve de l’existence de ce qu’elle définit.

Tu écris :

»– Mais, en tant qu'on la suppose "avoir" (et là je n'arrive pas vraiment à cerner le sens de ce verbe ici : impliquer, envelopper, être cause ?) le chat, l'Etendue est supposée finie. Disons OK. »

L’attribut « a » ses modes dans la mesure où il s’agit des modes de cet attribut, c’est à dire contenus dans cet attribut ou qui suivent (de la nature) de cet attribut.

Tu écris :

« – Or, l'Etendue ne peut être supposée finie (par déf. 2) que si elle est "(dé)terminée" (léger changement de terme de la déf 2 à la démo) par une chose de même nature, à savoir l'Etendue elle-même. OK. »

Là il me semble que tu confonds l’attribut et le mode (qu’il faut démontrer infini). Dans ton exemple, c’est le mouvement (en général) qui doit être supposé fini et donc limité par l’étendue, comme l’idée de Dieu peut être supposée finie et donc limitée par la pensée (infinie). Ou bien c’est un autre mode qui est fini. Mais ce n’est pas l’étendue, ni l’étendue finie, car l’attribut est infini selon D6 et aussi I 8 : c’est un mode de l’étendue.

Tu écris :

« – Mais ce ne peut être par l'Etendue constituant mon chat (ici on est passé de habere à constituere : est-ce à dire que ces termes sont ici synonymes ?), car en cela on l'a supposée finie : là je ne comprends pas. Si Spinoza avait dit : une chose ne peut être limitée par elle-même, OK. Mais ce n'est pas ce qu'il dit. Est-ce à dire que, bien qu'on ait supposé l'Etendue finie, elle garde quand même son essence, sa nature, infinie ? ce qui permettrait en effet de répondre à la déf 2. »

Il y a bien une différence entre « avoir » et « constituer ». Car si l’attribut a bien ses modes, il ne constitue l’essence d’aucune chose singulière (cf. II 37 et ailleurs encore) et donc d’aucun mode fini, tandis qu’il constitue l’essence du mouvement précisément parce que, contrairement au chat, là où il y a étendue, il y a nécessairement mouvement.

Tu écris :

« – Donc (je reprends) notre Etendue finie,
"(dé)terminée", ne peut l'être que par l'Etendue, en tant qu'elle ne "constitue" pas le chat, "qui cependant ne peut qu'exister nécessairement (par I 11)". Là j'ai un problème avec le quae : si ce relatif se rapporte à l'"idée de Dieu" (// chat), je ne vois pas bien le rapport avec la preuve que Dieu existe ; si ce relatif se rapporte à cogitationem (// ici, l'Etendue), alors OK la présence de I 11 est ici justifiée ; »

C’est ce qu’il me semble.

« mais alors, pourquoi le tamen (= cependant, pourtant) ? En quoi l'Etendue limitée par l'Etendue non limitée (si j'ai bien compris - j'espère que vous me suivez) empêcherait l'existence nécessaire de cette dernière ??? »

Parce qu’il est étonnant qu’il y ait une même chose finie partout là où il y a une chose infinie. Ce qui peut éclairer la suite de ton raisonnement. Enfin bon : je le lis comme cela.

A+
Miam

PS: je vois que tu as changé de logo. Etant donné le glissement progressif, faut-il s'attendre à voir bientôt cet homme à poil ?

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Messagepar Pourquoipas » 19 mars 2007, 11:18

Ante scriptum : Cela dépendra, caro Miamo, de l'emplacement de mon prochain tatouage (toujours spinoziste bien sûr)... et naturellement de la modération (ave Henrice !)... Spinozaetnous, site interdit aux mineurs ? Qu'en penserait le TTP ? De toute façon, tu n'ignores pas que le corps humain est affecté et affecte d'un très grand nombre de façons...

Sur ce, au boulot (très-trop rapidement) :
Je te répondrai plus longuement sur certains points de ton message. Mais j'espère qu'on aura l'occasion (avec tous les gens d'ici intéressés) d'étudier encore et encore cette proposition qui est fondamentale et que, je le répète, je n'ai vue réellement commentée nulle part (Guéroult ou Macherey, par exemple, se contentant de paraphraser la démonstration). En fait, je n'ai jamais rien lu de satisfaisant sur la question des modes infinis (faut dire aussi que Spinoza est succinct sur le sujet, tout tient à peu près en les prop. I 21-23).
Je dirai juste ici que, si j'ai pris l'exemple d'un mode fini, limité, c'est que la première phrase de I 21 Dm m'y autorise (à mon avis), puisque justement dès les premiers mots, Spinoza évoque l'absurdité sinon l'impossibilité de l'hypothèse. Je la traduis : "Conçois, s'il se peut (et si tu le nies), que quelque chose (aliquid) dans un quelconque attribut de Dieu soit conséquence (je durcis ici la traduction de sequor, "suivre" me paraissant un peu fade) de sa nature absolue", etc.
N'oublions pas qu'il s'agit d'une hypothèse absurde : j'ai donc le droit de prendre mon chat comme exemple (il me regarde bizarrement maintenant...).
C'est tout pour le moment : je vais encore me replonger pour la énième fois dans cette démonstration. Mais il est essentiel d'y aller lento gradu, tranquille, en essayant de faire abstraction de la littérature spinoziste à ce sujet (abondante et, en fait, muette).
Donc y réfléchir encore et encore.

Je mettrais aussi en annexe à ce point les échanges avec Tschirnhaus de la fin de la vie de Spinoza (j'ai pas les textes sous la main, mais je vais relire). Trois fois Tschirnhaus lui pose la question du rapport entre l'Etendue infinie et les choses finies : la première fois, Spinoza élude en parlant de Descartes (ce qu'on ne lui demandait pas et, en disant, si j'ai bonne mémoire, qu'à partir d'une masse immobile, rien ne peut suivre) ; la seconde en ne répondant tout simplement pas ; la troisième en disant qu'il n'a encore rien mis en ordre sur le sujet – de toute évidence, à ce moment de sa vie, sa préoccupation première n'est pas la physique, ni même la métaphysique, mais l'éthique, voir dans sa dernière année, 1676, tous les développements dans ses lettres sur la volonté, la conduite morale, etc. Pour lui, l'urgence c'est le salut, l'éthique, la morale (pour moi, c'est la même chose, mais bon, on va pas partir maintenant là-dessus).

Portez-vous bien
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Messagepar Miam » 19 mars 2007, 14:59

OK. Mais je crois que Spinoza vise ici Descartes. C'est que pour ce dernier, l'âme (mens) humaine, bien que finie, suit absolument de la pensée divine infinie. Via la volonté comme on sait (Méditation III). Bref : le "je pense donc je suis" c'est déjà l'amplitude de l'infini dans une chose finie. Mais cette chose finie n'est précisément pas un mode, comme chez Spinoza. C'est une substance pensante. Et c'est par cette relation privilégiée à l'infini divin qu'elle est dite une substance. Aussi, du point de vue spinozien, on pourrait dire que pour Descartes, l'âme humaine suit de la nature absolue de Dieu (de l'infinité divine via la pensée). Mais Descartes n'aurait jamais dit cela d'un chat. C'est pourquoi je ne suis pas sûr que l'exemple du chat soit valide. Ne le serait-il pas plus si l'on choisit l'âme humaine ou la volonté, censément infinie pour Descartes ?

Amicalement
Miam

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Messagepar Pourquoipas » 21 mars 2007, 14:26

Miam a écrit :(...)
Tu écris

« Je suis ici le texte même de la démonstration.
– Hypothèse (concipe) : mon chat (chat ici = corps de mon chat) fini et ayant une existence (ou durée) déterminée est conséquence de la nature absolue de l'Etendue. OK. »

N’oublies-tu pas qu’il s’agit de la nature « absolue » de l’étendue ? Car plus loin et un peu partout, Spinoza dit des modes finis qu’ils suivent de la nature de l’attribut (ou de l’attribut, c’est selon) en omettant ce caractère « absolu ». Cela ne signifie-t-il pas qu’un mode fini est « de l’étendue », mais que là où il y a étendue, on ne trouve pas un même mode fini ? Aussi la où il y a étendue, on ne trouve pas nécessairement ton chat, tandis que là où se trouve l’idée de Dieu il y a nécessairement pensée et, parallèlement, la où il y a mouvement, il y a nécessairement étendue.



Je t'ai déjà répondu que l'emploi du terme aliquid me donnait le droit de prendre n'importe quel exemple dans n'importe quel attribut (j'aurais bien aimé en trouver un autre que l'Etendue, mais bon, j'en connais pas...). Pour ton second message, quant au fait que Spinoza viserait ici Descartes (pour qui, à mon souvenir, notre volonté, indéterminée et infinie, est la même qu'en Dieu) par son exemple de l'"idée de Dieu dans la pensée", qui, quoique infinie, ne sera chez Spinoza qu'un mode, pourquoi pas ? Mais est-ce qu'il ne s'agit pas plus d'une question de vocabulaire qu'autre chose ?
Ici, il semble clair qu'il s'agisse de la Pensée de Dieu (génitif subjectif : la pensée que Dieu a – si on peut dire que la Substance-Dieu a ses attributs), mais je me suis quand même posé la question s'il ne s'agissait pas de l'idée qu'un être pensant avait de Dieu.

Miam a écrit :Tu écris :

»– Or l'Etendue, puisque supposée un attribut de Dieu, est nécessairement infinie par sa nature (par I 11 : ici, je tique : en quoi a-t-on besoin ici de la preuve que Dieu existe ? - la déf 6 ne suffisait pas ? »

Non. Car la définition 6 n’est démontrée réelle qu’à partir de la preuve de l’existence de ce qu’elle définit.



Mouais, tu as peut-être raison, mais je ne suis pas sûr du tout que cette fameuse distinction définition nominale-réelle soit si essentielle qu'on le dit.

Miam a écrit :(...)
Tu écris :

« – Or, l'Etendue ne peut être supposée finie (par déf. 2) que si elle est "(dé)terminée" (léger changement de terme de la déf 2 à la démo) par une chose de même nature, à savoir l'Etendue elle-même. OK. »

Là il me semble que tu confonds l’attribut et le mode (qu’il faut démontrer infini). Dans ton exemple, c’est le mouvement (en général) qui doit être supposé fini et donc limité par l’étendue, comme l’idée de Dieu peut être supposée finie et donc limitée par la pensée (infinie). Ou bien c’est un autre mode qui est fini. Mais ce n’est pas l’étendue, ni l’étendue finie, car l’attribut est infini selon D6 et aussi I 8 : c’est un mode de l’étendue.



Cette "confusion" vient du texte de Spinoza. Voici ce qu'il dit exactement : "At (per def. 2) finita concipi non potest, nisi per ipsam cogitationem determinetur. – Or (par déf. 2) elle [la pensée] ne peut être conçue finie que si elle est déterminée par la pensée même." Que dit la déf 2 ? "Cette chose est dite finie en son genre qui peut être terminée par une autre de même nature." Or, tout est res (chose), et Dieu n'y échappe pas. La question est ici : quelle est la nature de l'attribut ? Son infinité (toute la difficulté de la démonstration de la I 21 tient là) ? Qu'elle a-constitue ou pas l'"idée de Dieu" (Pensée) ou mon chat (Etendue) ?
A moins qu'on traduise per ipsam cogitationem par "par cette pensée" (= celle de l'"idée de Dieu" – dans mon exemple, "le corps de mon chat" dans l'Etendue). Mais cela s'accorde peu avec la suite.
A ce niveau de l'Ethique, je ne crois pas qu'il est temps encore d'évoquer les modes infinis canoniques (entendement infini, mouvement-repos). Je me demande parfois si ce n'est la foutue lettre à Schuller (numéro ?) qui nous fout dans la merde plus qu'autre chose...

Autre problème que pose cette démonstration : l'utilisation et le sens du terme absolu, et de l'expression nature absolue ??? Cela je pense mérite qu'on s'y arrête un peu et qu'on médite la question. Au premier regard, je dirais qu'absolu veut dire : qui ne dépend de rien d'autre que de soi-même. Or jusqu'ici ce terme n'a été employé, sauf erreur, que pour la Substance, servant justement à faire la différence entre l'infinité de la Substance (absolue) et celle des attributs (infinis chacun en son genre).

Etc.

Je voulais surtout souligner que cette démonstration soulève à chaque pas de très grosses difficultés, d'autant plus cruciales qu'il s'agit du texte essentiel (sinon le seul) fondant la doctrine des modes infinis.

PS – Je me demande parfois si, dans cette démonstration, Spinoza n'est pas en train de nous indiquer (à sa manière, assez vicieuse quand il s'y met) que tous les modes sont infinis... (Car, tel que je suis parti, je vais finir par comprendre : soit tous les modes sont infinis, soit aucun ne l'est.) On nous précise bien que la démonstration est universelle (c'est le cas de toute démonstration d'ailleurs, mais pourquoi le préciser ici ?...)

Et je n'en suis pas encore à la démonstration de l'éternité de ces modes ! (2e partie de la démo)

Porte-toi bien
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Messagepar Faun » 22 mars 2007, 10:16

Je ne comprend pas pourquoi vous voyez une difficulté, sinon parce que vous prenez un exemple qui contredit d'emblée l'hypothèse. La seule conclusion possible, dans votre exemple, est que le chat ne suit pas de la nature absolue de Dieu, mais de la nature finie et déterminée d'un autre chat, qui lui même suit de la nature finie et déterminée d'un autre chat, et ainsi à l'infini. Vous ne pouvez prendre comme exemple, en effet, que l'idée de Dieu dans l'attribut pensé (car c'est ce qui intéresse Spinoza dans le livre 1), ou dans l'étendue, le mouvement et le repos, la rapidité et la lenteur, et rien d'autre.
La proposition 28 du livre 1 enfonce le clou :
"une chose finie et qui a une existence déterminée n'a pu être produite par la nature absolue d'un des attributs de Dieu ".

Finalement ce que Spinoza affirme avec cette proposition et les suivantes, c'est qu'il y a une distinction entre deux ordres d'existence : les choses qui existent nécessairement, et sont infinies, et celles qui, comme l'homme ou dans votre exemple ce chat, n'enveloppent pas l'existence nécessaire, mais qui selon l'ordre de la nature des choses finies, peuvent exister ou ne pas exister (axiome 1 partie 2).

Cette distinction sera légèrement atténuée par le livre 5 lorqu'il sera dit (scholie proposition 40 partie 5) que l'intellect humain est une partie de l'intellect infini et éternel de Dieu, mais dans le premier livre ce n'est pas le moment de le dire. Car finalement l'intellect humain n'est rien d'autre que l'intellect de Dieu, considéré partiellement et abstraction faite de ses connexions avec tous les autres esprits de la Nature, qui tous ensemble constituent l'intellect infini et éternel de Dieu. Il en va de même pour ce chat, dont le corps est une partie du corps éternel et infini de Dieu, et ce chat n'est conçu comme fini qu'abstraction faite de ses connexions avec tous les autres corps de Dieu.

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Messagepar Pourquoipas » 22 mars 2007, 11:33

Merci pour ces précieuses informations (que j'avoue que j'ignorais, à ma grande honte), ô grand maître en spinozisme. Je ne suis moi qu'un pauvre paysan, bête et discipliné, qui essaie de comprendre ce qu'on lui dit (et non les commentaires qui abondent, à la fois bavards et silencieux, au sujet de Spinoza).

Faun a écrit :Je ne comprend pas pourquoi vous voyez une difficulté, sinon parce que vous prenez un exemple qui contredit d'emblée l'hypothèse.


Je n'ai pas pris un exemple qui contredisait l'hypothèse. Relisez la première phrase de la démonstration. De plus, êtes-vous sûr de savoir ce qu'est un raisonnement par l'absurde ?

Faun a écrit :La seule conclusion possible, dans votre exemple, est que le chat ne suit pas de la nature absolue de Dieu, mais de la nature finie et déterminée d'un autre chat, qui lui même suit de la nature finie et déterminée d'un autre chat, et ainsi à l'infini.


OK, refaites-moi la démonstration pas à pas.

Faun a écrit :Vous ne pouvez prendre comme exemple, en effet, que l'idée de Dieu dans l'attribut pensé (car c'est ce qui intéresse Spinoza dans le livre 1), ou dans l'étendue, le mouvement et le repos, la rapidité et la lenteur, et rien d'autre.


Qu'est-ce qui, à ce niveau de l'Ethique (prop 21), vous permet de l'affirmer ? Il me semblait que dans un ouvrage mathématique on n'avait pas le droit de faire appel à des théorèmes non encore démontrés. Je vous fais aussi remarquer que dans la I 21, nous ne savons même pas encore si la Pensée et l'Etendue sont des attributs de Dieu (c'est pourquoi il dit "la Pensée, puisque supposée un attribut de Dieu").
De plus, vous étiez dans la tête de Spinoza quand il a écrit la partie I ?

Faun a écrit :La proposition 28 du livre 1 enfonce le clou :
"une chose finie et qui a une existence déterminée n'a pu être produite par la nature absolue d'un des attributs de Dieu ".


Même remarque.

Faun a écrit :Finalement ce que Spinoza affirme avec cette proposition et les suivantes, c'est qu'il y a une distinction entre deux ordres d'existence : les choses qui existent nécessairement, et sont infinies, et celles qui, comme l'homme ou dans votre exemple ce chat, n'enveloppent pas l'existence nécessaire, mais qui selon l'ordre de la nature des choses finies, peuvent exister ou ne pas exister (axiome 1 partie 2).

Cette distinction sera légèrement atténuée par le livre 5 lorqu'il sera dit (scholie proposition 40 partie 5) que l'intellect humain est une partie de l'intellect infini et éternel de Dieu, mais dans le premier livre ce n'est pas le moment de le dire. Car finalement l'intellect humain n'est rien d'autre que l'intellect de Dieu, considéré partiellement et abstraction faite de ses connexions avec tous les autres esprits de la Nature, qui tous ensemble constituent l'intellect infini et éternel de Dieu. Il en va de même pour ce chat, dont le corps est une partie du corps éternel et infini de Dieu, et ce chat n'est conçu comme fini qu'abstraction faite de ses connexions avec tous les autres corps de Dieu.


Même remarque.
Encore merci pour cette excellente récitation de vos leçons.

Moi, un type me dit qu'il sait comment je peux parvenir au salut et à la béatitude, et ce en me le démontrant mathématiquement. Bien sûr que je suis preneur. Mais je demande aussi à voir et à comprendre ce qu'il me dit, paragraphe par paragraphe, phrase par phrase, mot par mot. Je regarde si les raisonnements sont bien construits, quel est le statut d'un exemple dans une démonstration (comme ici : on dirait que vous ne voyez pas que l'"idée de Dieu dans la pensée" est ici un exemple, et pas autre chose).
Donc, faites comme moi, lisez la démonstration phrase par phrase, mot à mot, méditez-la, et revenez me contredire (je suis preneur).
Modifié en dernier par Pourquoipas le 08 juin 2011, 09:15, modifié 2 fois.

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Messagepar Faun » 22 mars 2007, 14:56

L'idée de Dieu dans la pensée n'est précisément pas un exemple, c'est l'unique objet de l'Ethique et la clef de la béatitude : faire que toutes nos pensées soient liées à l'idée de Dieu et à rien d'autre, proposition 14 partie 5.

Le moyen de distinguer les modes infinis des modes finis est simple, demandez-vous : "cette chose est-elle partout ?". Si la réponse est oui, alors il s'agit d'un mode infini. Si la réponse est non, c'est un mode fini.

Maintenant si l'objet de votre fil est de vous moquer de Spinoza en prétendant qu'il démontre que votre chat est éternel et infini, et par conséquent connu de tous, je n'ai rien d'autre à ajouter.

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Messagepar Pourquoipas » 22 mars 2007, 19:12

Votre réponse n'en est pas une : pas l'once d'un raisonnement.
Vous ne savez lire ni Spinoza ni les messages qui ont précédé.
Si quelqu'un ici prend Spinoza au sérieux, c'est moi. Je ne joue pas, moi, à la bataille navale, je lis les textes (en latin, sinon en néerlandais) et je cherche à comprendre.

J'espère que vous n'êtes pas professeur.

Avec vous, le débat est clos
Modifié en dernier par Pourquoipas le 08 juin 2011, 09:16, modifié 2 fois.

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Messagepar Louisa » 22 mars 2007, 23:24

Comme en ce qui me concerne il y a également un tas de choses qui ne sont pas claires dans cette démonstration, je reparcours le raisonnement de Pourquoipas, avant tout en tant qu'exercice pour moi-même, mais aussi dans l'espoir que cela donne à quelqu'un une idée d'une solution possible.

Pourquoipas a écrit :Je crois que toute la question de cette démonstration tient dans l'exemple qu'il prend (qui n'est pas n'importe lequel)


dans ce cas, il s'agirait d'une faille dans le système, ce qui ne me semble pas à exclure a priori. Mais si on part de l'idée qu'en philo le lecteur a comme tâche de RENDRE cohérent ce qu'il lit, alors on doit pouvoir trouver une solution qui respecte le fait qu'il parle bel et bien d'exemple. Et alors la démonstration doit effectivement être valable quand on prend un autre exemple semblable. Les critères auxquels cette chose doit répondre sont tout à fait clairs: 1) être chose fini, 2) ayant une existence ou une durée déterminée.

Pourquoipas a écrit :et surtout dans l'utilisation de la I 11, dont je me demande s'il l'utilise là dans le cadre de l'exemple choisi (l'idée de Dieu dans la pensée) ou dans n'importe quel cadre, puisqu'on nous affirme que la démonstration est universelle.


en effet, il dit qu'il s'agit d'une démonstration universelle, ce qui est encore renforcé par le 'quicquid sumatur', ce quicquid étant bien n'importe quelle chose. C'est pourquoi je crois qu'il faut supposer qu'il utilise la I 11 de manière générale, et non PAS dans le cadre de l'exemple spécifique qu'il a pris.

Pourquoipas a écrit :Car si je prends par exemple mon chat dans l'Etendue


exemple qui répond aux deux critères mentionnés, et donc personnellement j'opte pour l'idée que la démonstration doit être tout aussi convaincante qu'en prenant l'idée de Dieu comme exemple.

Pourquoipas a écrit :en suivant la démonstration, la seule conclusion possible est pour Spinoza, je pense : mon chat est éternel et infini par l'attribut Etendue.


ce serait fort étonnant, bien sûr. Parcourons la suite pour réfléchir aux arguments:

Pourquoipas a écrit :Je suis ici le texte même de la démonstration.
– Hypothèse (concipe) : mon chat (chat ici = corps de mon chat) fini et ayant une existence (ou durée) déterminée est conséquence de la nature absolue de l'Etendue. OK.


oui, cela me semble OK. Je ne vois pas pourquoi on devrait déjà ici prendre un mode infini, comme le suggère Miam (si je l'ai bien compris; je n'ai lu qu'assez rapidement les autres réponses ici, donc désolée déjà si c'était trop vite), vu que le critère même de l'exemple, c'est d'être chose finie. A mon avis, cela signifie que la démonstration s'écroulerait entièrement dès qu'on prend un mode infini comme exemple.

Pourquoipas a écrit :
– Or l'Etendue, puisque supposée un attribut de Dieu, est nécessairement infinie par sa nature (par I 11 : ici, je tique : en quoi a-t-on besoin ici de la preuve que Dieu existe ? - la déf 6 ne suffisait pas ? - ou la I 11 ici n'est utilisable que dans le cas de l'"idée de Dieu dans la Pensée" ? - ce qui, il me semble, infirmerait la validité universelle de la proposition à démontrer). Mais disons OK.


de premier abord, j'avais le même problème: si X est supposé un attribut de Dieu, par la déf VI on est déjà obligé de le supposer nécessairement infini. Or ici il dit 'infinie par sa nature'? La déf VI ne parle pas de la nature de Dieu, la I 11 montre que l'existence de Dieu suit de sa nature même. Cela pourrait-il être la raison pour laquelle il a besoin de la I 11, et que la déf VI ne suffit pas?

Pourquoipas a écrit :
– Mais, en tant qu'on la suppose "avoir" (et là je n'arrive pas vraiment à cerner le sens de ce verbe ici : impliquer, envelopper, être cause ?) le chat, l'Etendue est supposée finie. Disons OK.


une chose finie doit être une affection de la Substance, qui par la déf V est en autre chose et se conçoit en autre chose. C'est donc comme ça que je comprends pour l'instant ce 'habet': comme ce qui caractérise ce 'alio'.
En tout cas, si on pense à l'Etendue en tant que 'chat', il me semble évident qu'alors on la pense comme finie.

Pourquoipas a écrit :– Or, l'Etendue ne peut être supposée finie (par déf. 2) que si elle est "(dé)terminée" (léger changement de terme de la déf 2 à la démo) par une chose de même nature, à savoir l'Etendue elle-même. OK.


si on reprend la déf 2, on peut y lire que toute pensée est bornée par une autre pensée. Pour moi, cela indique que quand il utilise 'cogitatio', il ne faut pas nécessairement supposer qu'il s'agit de l'attribut Pensée. Il peut tout aussi bien s'agir d'une pensée déterminée, donc d'une idée. Pourtant, ce n'est pas le cas ici, je crois, sinon la phrase n'aurait pas trop de sens. S'il fallait l'expliciter, je dirais donc: l'attribut de l'Etendue ne peut être supposée finie (par déf 2) que si cet attribut est déterminée/borné par une chose de même nature, à savoir l'attribut de l'Etendue lui-même.

Pourquoipas a écrit :– Mais ce ne peut être par l'Etendue constituant mon chat (ici on est passé de habere à constituere : est-ce à dire que ces termes sont ici synonymes ?), car en cela on l'a supposée finie : là je ne comprends pas. Si Spinoza avait dit : une chose ne peut être limitée par elle-même, OK. Mais ce n'est pas ce qu'il dit. Est-ce à dire que, bien qu'on ait supposé l'Etendue finie, elle garde quand même son essence, sa nature, infinie ? ce qui permettrait en effet de répondre à la déf 2.


Pour le habere vs constituere: pas d'idée, donc j'opte provisoirement pour l'idée qu'ils ne sont pas forcément synonymes, mais dans ce contexte-ci équivalents.
Puis la 'chose' de la déf 2 est donc à mon sens ici non pas un mode mais un attribut, l'Etendue dans ton exemple. Donc pas le chat. Car un attribut est par la I 11 infini, et pour 'borner' quelque chose (un attribut), il faut autre chose qui est néanmoins de la même nature. C'est-à-dire il faut un autre attribut Etendue, car seul en tant qu'Etendue l'attribut est infini, en tant que chat il est fini. Le chat ne pourrait jamais borner un attribut, car il n'est pas de la même nature. Un chien peut borner un chat, ce qui rend le chat fini. Mais pour rendre un attribut fini, il faut un autre attribut. Qui plus est, de la même nature. Mais déjà ici, il me semble, l'absurde apparaît: pour montrer que l'attribut Etendue, en tant qu'il serait constitué par une chose finie (le chat), est finie, il faut supposer un autre attribut Etendue qui 1) aurait la même nature, et 2) le bornerait. Or il appartient à la nature même de tout attribut d'être infini. Si donc un deuxième attribut Etendue X pourrait borner un premier attribut Etendue Y, il faudrait non seulement que X existe, mais que X soit infini ET de la même nature que Y. Or, si X est infini et si X est de la même nature que Y, il s'en suit nécessairement que Y doit aussi avoir une nature infinie. Du coup, X ne peut pas la borner. Bref, on tourne en rond. C'est donc absurde de supposer qu'un attribut, par nature infinie, pourrait être borné, sous l'un ou l'autre aspect (pe sous l'aspect 'chat', quand il s'agit de l'Etendue), par un autre attribut de même nature, car ce qui est infini ne se laisse par définition pas borner. Ou est-ce que je me trompe quelque part en raisonnant ainsi?

Pourquoipas a écrit :– Donc (je reprends) notre Etendue finie, "(dé)terminée", ne peut l'être que par l'Etendue, en tant qu'elle ne "constitue" pas le chat


jusque là, en ce qui me concerne, ça va: si on doit trouver un attribut Etendue capable de borner l'attribut Etendue qui 'a' (habet) le chat, on ne peut pas prendre l'Etendue en tant que chat, car alors justement on prend l'Etendue en tant que fini, tandis que pour borner quelque chose, il faut avoir la même nature. S'il appartient à la nature d'un attribut d'être infini, on ne peut donc pas le borner par un autre attribut en tant que celui-ci est constitué par quelque chose de fini (mais justement, n'est-ce pas le but de Spinoza de montrer que l'essence qui est infinie ne peut pas être constituée par des choses finies?).

Pourquoipas a écrit :"qui cependant ne peut qu'exister nécessairement (par I 11)". Là j'ai un problème avec le quae : si ce relatif se rapporte à l'"idée de Dieu" (// chat), je ne vois pas bien le rapport avec la preuve que Dieu existe ; si ce relatif se rapporte à cogitationem (// ici, l'Etendue), alors OK la présence de I 11 est ici justifiée


en effet, à mon avis c'est bien l'attribut Etendue qui existe nécessairement, par hypothèse (la I 11 montrant que tout attribut existe nécessairement; et l'hypothèse lié à notre exemple ici prenant l'Etendue comme attribut). Si le 'quae' référait à l'idée de Dieu, alors il me semble que justement, cette idée de Dieu ne fonctionne plus dans la démonstration comme exemple mais comme ce qui devrait nécessairement exister. Or 'exister nécessairement' n'était pas parmi les critères énoncés au début.
Donc 2 arguments potentiels pour lier le 'quae' à l'attribut:
1) la référence à I 11
2) le fait qu'il ne s'agit que d'un exemple 'quicquid'

Pourquoipas a écrit :mais alors, pourquoi le tamen (= cependant, pourtant) ?


pas d'idée, j'y réfléchis.

Pourquoipas a écrit :En quoi l'Etendue limitée par l'Etendue non limitée (si j'ai bien compris - j'espère que vous me suivez) empêcherait l'existence nécessaire de cette dernière ???


euh ... non, je ne suis plus trop je crains. Pourquoi passer d'Etendue fini/infinie à Etendue limité/non limitée (ou bornée/non bornée)? Ou n'est-ce pas un passage, et veux-tu seulement dire 'en quoi l'Etendue finie, bornée par l'Etendue infinie, empêcherait-elle l'existence nécessaire de l'Etendue infinie'? Si c'est ça ce que tu veux dire: je ne vois pas ce qui t'oblige, dans le texte, de supposer que l'Etendue finie empêcherait l'existence nécessaire de l'Etendue infinie... ?

Pourquoipas a écrit :Mais faisons comme si le tamen n'existait pas et disons : l'Etendue "ayant", "constituant" le chat, donc finie, est "terminée" par l'Etendue – existant nécessairement – ne constituant pas le chat.


ok

Pourquoipas a écrit :– Il y a donc une Etendue ne constituant pas le chat et dont la nature, en tant qu'Etendue absolue (ici, cela signifie "infini en son genre", je suppose), n'a pas le chat pour conséquence nécessaire.


as-tu l'une ou l'autre raison pour laisser tomber le 'propterea'? Si oui laquelle?
Sinon je dirais: 'Il y a donc une Etendue ne constituant pas le chat, et c'est pourquoi de sa nature, en tant qu'Etendue absolue, ne suit pas nécessairement le chat'. (je suppose aussi qu'absolue ici est égale à infinie)
Autrement dit: PARCE QU'il y a une Etendue (nommons-là Etendue x, pour la distinguer de l'autre, celle qui 'habet' le chat) qui ne constitue pas le chat (ça, c'est normal, parce qu'on la voulait justement comme attribut AUTRE que l'attribut qui constitue le chat, et cela pour borner ce premier attribut, bornement sans lequel on ne pouvait pas conclure que le premier attribut Etendue (nommons-le y, donc celui qui 'habet' le chat) soit fini; et cette conclusion était nécessaire si on voulait concevoir y comme étant un attribut de la nature de qui suit une chose finie, c'est-à-dire il nous faut bien concevoir y comme attribut constitué par une chose finie) - donc je reprends: PARCE QU'il y a une Etendue ne constituant pas le chat, on ne peut que constater que donc il y a un attribut Etendue x (qui en fait est le même que l'Etendue y, seulement ici on le considère en tant qu'Etendue absolue, donc infinie) de la nature de laquelle ne suit pas nécessairement le chat.
Mais ... x et y étant ici en fait le même attribut, seulement considéré sous de différents aspects (en tant qu'infini ou en tant que chat), on vient de conclure que donc sous un certain aspect (l'attribut en tant que absolu), le chat ne suit pas nécessairement de cet attribut. Or, l'hypothèse même de toute la démonstration était qu'il serait possible que de la nature d'un attribut suivrait quelque chose de fini. Donc on vient d'établir par hypothèse que de l'attribut en tant qu'absolu suivrait une chose finie.
Et donc en raisonnant sur base de l'hypothèse, on arrive à une conclusion absurde: que cet attribut constituerait le chat et en même temps ne constituerait pas le chat. Chose impossible, bien sûr. C'est donc l'hypothèse elle même qu'il faut laisser tomber, en d'autres termes: rien de ce qui suit de la nature absolue d'un attribut peut être fini.

Pourquoipas a écrit :– CE QUI EST CONTRAIRE A L'HYPOTHESE !!!!
– Si je transpose la dernière phrase de Spinoza, ça donne : donc, si mon chat dans l'Etendue, ou quoi que ce soit (car la démonstration est universelle) dans un attribut de Dieu, est conséquence nécessaire de la nature absolue de cet attribut, alors mon chat ne peut qu'être nécessairement infini, et n'a donc ni bornes, ni durée déterminée.


oui, cela me semble être tout à fait correcte. Mais attention, cela n'implique pas DU TOUT que dès lors, le chat EST infini!! Cette phrase dit seulement que SI (ce qui reste à prouver, bien sûr) ton chat suit nécessairement de la nature absolue de l'attribut Etendue, ALORS il ne peut q'être infini.
Si donc quelqu'un réussissait à prouver que le chat suit nécessairement de la nature absolue de l'attribut Etendue, alors il faudrait bien reconnaître que le chat est infini. Mais je ne vois aucune preuve de cela dans l'Ethique. Toi oui?
(d'ailleurs à mon avis le premier 'autrement' de la I 11 le montre déjà, à mon avis, quand il souligne qu'un cercle (ou donc un chat, bref une chose finie) n'existe pas nécessairement, sur base de sa propre nature (comme c'est le cas pour Dieu et les attributs), il doit son existence de l'ordre de la nature corporelle toute entière. C'est-à-dire ... le cercle ne suit pas de la nature absolue de l'attribut Etendue, mais de l'ORDRE de cette nature. Peut-on en déduire que cette nature et son ordre sont deux choses différentes? Pour l'instant, je crois que oui. Toute chose finie suit de l'ordre commun des choses (dans leur attribut), mais les choses infinies suivent de la nature même de Dieu, qui elle aussi est infinie.)

Pourquoipas a écrit :Vous me direz qu'il y a deux façons de contredire l'hypothèse : nier la finitude du chat, ou nier qu'il soit conséquence de la nature absolue de l'attribut de Dieu.
Vous me direz aussi : ben, pas de problème, on nie qu'il soit conséquence de la nature absolue etc.


pourquoi faudrait-il contredire ainsi l'hypothèse? N'est-elle déjà pas contredite? Je ne vois pas ce que l'on a encore à nier ... ? Il faudrait maintenant plutôt prouver, non? Car la conclusion s'énoncé dans la forme 'si ..., alors' (le 'si' ici n'était pas exactement le même que l'hypothèse de la démonstration, qui justement quant à elle COMPREND l'idée de chose finie). Si donc on veut un chat infini (le 'alors'), il va falloir prouver la prémisse de la conclusion: que ce chat suit de la nature infinie de Dieu. Chose qu'en theorie, on pouvait faire, mais que justement, Spinoza ne fait pas, il me semble, dans le sens où déjà dans le 'autrement' de I 11, il montre bien qu'il y a des choses comme le triangle (bref les modes) qui ne suivent que de l'ordre commun de la nature, et donc pas de la nature absolue de cette nature (et on sait que par après, il va 'enfoncer le clou', comme le dit Faun).

(ce qu'on pouvait m'objecter: dans ce 'autrement' Spinoza parle de la causalité via causes extérieures. Il reste le fait que Dieu est également, non en tant qu'ordre commun de la nature mais justement dans son essence, cause immanente de toutes choses ... c'est pourquoi je n'ai jamais bien compris pourquoi chez Spinoza les choses singulières ne possèdent pas l'être de la substance ... . Mais bon, toujours est-il que précisément en II 10 il répète que la substance ne constitue pas la forme de l'homme, et qu'à l'essence de l'homme n'appartient pas l'être de la substance. Cette proposition nous oblige aussi, il me semble, d'accepter la conclusion de la démo de I 21: la substance, et donc les attributs, ne constituent pas les choses singulières, et ces choses singulières ne possèdent pas l'être des attributs. Cet être se caractérisant par l'infinité, elles sont nécessairement finies.)

Pourquoipas a écrit :Le problème est que si vous me dites ça, ça se retourne contre l'exemple donné par Spinoza : à mon avis, il aurait pu aussi bien conclure que l'"idée de Dieu dans la Pensée" n'est pas conséquence nécessaire de la nature absolue de l'attribut.


je ne crois pas que la conclusion de cette démo se prononce là-dessus. Il s'agit, encore une fois, d'une conclusion dans la forme 'si ..., alors ...'. Cela ne nous oblige pas du tout à considérer quoi que ce soit comme fini ou infini. Cela énonce seulement la CONDITION nécessaire pour être dit 'infini'. A ce stade-ci, il ne se prononce pas du tout sur ce qui en réalité répond à cette condition et ce qui pas. Et donc il ne dit pas ce qui est infini et ce qui ne l'est pas.

Pourquoipas a écrit :On verra plus tard pour la deuxième partie de la démonstration (difficile aussi, car là "éternité" semble bien signifier "durée sans commencement ni fin", contrairement à ce qui est dit en déf 8).


en effet, c'est aussi ce qui me semble hautement problématique ... le problème se trouve déjà dans l'énoncé de la proposition en tant que telle: 'a dû exister toujours et être infini' = 'est éternel et infini'. Puis dans la démo il dit 'ne peut avoir d'existence/durée déterminée'. Faut-il en conclure qu'une durée infinie serait encore une durée 'déterminée'? Bref, il faudrait peut-être effectivement analyser la démo pas à pas, pour mieux comprendre. Ce que je n'ai pas encore fait. D'ailleurs je ne suis pas du tout certaine que les raisonnements ci-dessus soient correctes, donc idem, chaque contre-argument est le bienvenu.
Louisa


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