Descartes lettre 16.10.39

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Descartes lettre 16.10.39

Messagepar Louisa » 22 mai 2007, 12:31

Bonjour à tous,

je suis à la recherche d'une lettre de Descartes à Mersenne et qui date du 16 octobre 1639. Quelqu'un sait-il par hasard s'il existe un site internet où l'on peut télécharger ce document?
En vous remerciant à l'avance,
louisa

Pourquoipas
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Re: Descartes lettre 16.10.39

Messagepar Pourquoipas » 22 mai 2007, 13:09

Bonjour Louisa,

Comme il s'agit d'une lettre assez longue où il parle de divers sujets de physique (hydraulique, optique) et de philosophie (sur la vérité) vers la fin, je peux te recopier et mettre ici les passages qui t'intéressent et même la totalité (mais il me faut alors un peu plus de temps). C'est pas un problème pour moi, ces sujets m'intéressent aussi.
(Tu préfères une orthographe modernisée ou celle même de Descartes ?)
Dans l'édition Adam-Tannery, elle se trouve au tome II, p. 587-599.

J'en profite pour signaler que, pour ceux qui s'intéressent à Spinoza commentateur de Descartes, et qui sont du côté de Paris-sur-Seine le 9 juin, il y a une journée franco-japonaise sur les Principia, dont voici le programme (en plus on peut bouffer gratos !) :

Centre d’Etudes Cartésiennes (Université de Paris-Sorbonne) en collaboration avec le Centre d’Histoire des Systèmes de Pensée Modernes (Paris I), le CERPHI (UMR 5037)
Journée d’étude franco-japonaise, « Spinoza interprète de Descartes : les Principia Philosophiae Cartesianae »
Samedi 9 juin 2007 — Centre Panthéon, 12 place du Panthéon, Paris 5e, Salle 1 (Esc. M, 1er étage)

9 h 30. M. Fichant, J.-L. Marion, D. Kambouchner : Ouverture de la journée

9 h 45. Pierre-François Moreau (ENS-LSH/UMR 5037): « D'une seule vue ainsi qu'en un tableau »

10 h 15. Izumi Suzuki (Tokyo): « Degrés de réalité » et puissance. Remarques sur Principia... I, 7, scolie

10 h 45. Discussion. Pause.

11 h 30. Chantal Jaquet (Paris I): Erreur et privation dans les Principia ... I, XV

12 h 00. Katsuzo Murakami (Univ. Toyo, Tokyo): Les preuves de l’existence des corps et le statut de l’imagination

12 h 30. Discussion

Buffet.

14 h 30. Denis Kambouchner (Paris I): La correction des preuves de Dieu

15 h 00. Michio Kobayashi (Kyoto): Causalité cartésienne et causalité spinoziste

15 h. 30. Discussion.

16 h Frédéric Manzini (Paris IV) : Reliqua desiderantur. Sur les Principia, III

16 h 30. Discussion générale

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Messagepar Louisa » 22 mai 2007, 15:35

Cher Pourquoipas,

merci beaucoup de ta réponse rapide et de toutes ces infos! :amen:

Je cherche en effet principalement le(s) passage(s) concernant la vérité. Pour l'instant, l'orthographe n'a pas trop d'importance (il faudrait d'abord que je voie ce qu'il écrit plus précisément).
Merci à l'avance!
louisa

Pourquoipas
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Messagepar Pourquoipas » 22 mai 2007, 16:36

Voilà :

Mon révérend père,

(...)

Au reste, depuis mes dernières, j’ai pris le temps de lire le livre que vous m’avez fait la faveur de m’envoyer *, et pour ce que vous m’en avez demandé mon sentiment et qu’il traite d’un sujet auquel j’ai travaillé toute ma vie, je pense vous en devoir ici écrire. J’y trouve plusieurs choses fort bonnes, sed non publici saporis ; car il y a peu de personnes qui soient capables d’entendre la Métaphysique. Et pour le général du livre, il tient un chemin fort différent de celui que j’ai suivi. Il examine ce que c’est que la Vérité ; et pour moi, je n’en ai jamais douté, me semblant que c’est une notion si transcendantalement claire, qu’il est impossible de l’ignorer : en effet, on a bien des moyens pour examiner une balance avant que de s’en servir, mais on n’en aurait point pour apprendre ce que c’est que la vérité, si on ne la connaissait de nature. Car quelle raison aurions-nous de consentir à ce qui nous l’apprendrait, si nous ne savions qu’il fût vrai, c’est-à-dire si nous ne connaissions la vérité ? Ainsi on peut bien expliquer quid nominis à ceux qui n’entendent pas la langue, et leur dire que ce mot vérité, en sa propre signification, dénote la conformité de la pensée avec l’objet, mais que, lorsqu’on l’attribue aux choses qui sont hors de la pensée, il signifie seulement que ces choses peuvent servir d’objets à des pensées véritables, soit aux nôtres, soit à celles de Dieu ; mais on ne peut donner aucune définition de Logique qui aide à connaître sa nature. Et je crois le même de plusieurs autres choses, qui sont fort simples et se connaissent naturellement, comme sont la figure, la grandeur, le mouvement, le lieu, le temps etc., en sorte que, lorsqu’on veut définir ces choses, on les obscurcit et on s’embarrasse. Car, par exemple, celui qui se promène dans une salle, fait bien mieux entendre ce que c’est que le mouvement, que ne fait celui qui dit : est actus entis in potentia prout in potentia, et ainsi des autres.
L’auteur prend pour règle de ses vérités le consentement universel ; pour moi, je n’ai pour règle des miennes que la lumière naturelle, ce qui convient bien en quelque chose : car tous les hommes ayant une même lumière naturelle, ils semblent devoir tous avoir les mêmes notions ; mais il est très différent, en ce qu’il n’y a presque personne qui se serve bien de cette lumière, d’où vient que plusieurs (par exemple tous ceux que nous connaissons) peuvent consentir à une même erreur, et il y a quantité de choses qui peuvent être connues par la lumière naturelle, auxquelles jamais personne n’a encore fait de réflexion.
Il veut qu’il y ait en nous autant de facultés qu’il y a de diversités à connaître, ce que je ne puis entendre autrement que comme si, à cause que la cire peut recevoir une infinité de figures, on disait qu’elle a en soi une infinité de facultés pour les recevoir. Ce qui est vrai en ce sens-là ; mais je ne vois point qu’on puisse tirer aucune utilité de cette façon de parler, et il me semble plutôt qu’elle peut nuire en donnant sujet aux ignorants d’imaginer autant de diverses petites entités en notre âme. C’est pourquoi j’aime mieux concevoir que la cire, par la seule flexibilité, reçoit toutes sortes de figures, et que l’âme acquiert toutes ses connaissances par la réflexion qu’elle fait, ou sur soi-même pour les choses intellectuelles, ou sur les diverses dispositions du cerveau auquel elle est jointe, pour les corporelles, soit que ces dispositions dépendent des sens ou d’autres causes. Mais il est très utile de ne rien recevoir en sa créance, sans considérer à quel titre ou pour quelle cause on l’y reçoit, ce qui revient à ce qu’il dit, qu’on doit toujours considérer de quelle faculté on se sert etc.
Il n’y a point de doute qu’il faut aussi, comme il dit, prendre garde que rien ne manque de la part de l’objet, ni du milieu, ni de l’organe etc., afin de n’être pas trompé par les sens.
Il veut qu’on suive surtout l’instinct naturel, duquel il tire toutes ses notions communes ; pour moi, je distingue deux sortes d’instincts : l’un est en nous en tant qu’hommes et est purement intellectuel ; c’est la lumière naturelle ou intuitus mentis, auquel seul je tiens qu’on se doit fier ; l’autre est en nous en tant qu’animaux, et est une certaine impulsion de la nature à la conservation de notre corps, à la jouissance des voluptés corporelles etc., lequel ne doit pas toujours être suivi.
Ses Zététiques sont fort bons pour aider à faire les dénombrements dont je parle en la page 20 ; car, lorsqu’on aura dûment examiné tout ce qu’ils contiennent, on pourra s’assurer de n’avoir rien omis.
Pour ce qui est de la religion, j’en laisse l’examen à Messieurs de la Sorbonne, et je puis seulement dire que j’y ai trouvé beaucoup moins de difficulté en le lisant en français, que je n’avais fait ci-devant en le parcourant en latin ; et qu’il y a plusieurs maximes qui me semblent si pieuses et si conformes au sens commun, que je souhaite qu’elles puissent être approuvées par la théologie orthodoxe. Enfin, pour conclusion, encore que je ne puisse m’accorder en tout aux sentiments de cet auteur, je ne laisse pas de l’estimer beaucoup au-dessus des esprits ordinaires. Je suis,
Mon Révérend Père,
Votre très humble et très affectionné serviteur,
Descartes

Du 16 octobre 1639

* Il s'agit de De la vérité, en tant qu'elle est distincte de la Révélation, du Vraisemblable, du Possible et du Faux, par Edouard Herbert de Cherbury, paru en français en 1639 — et avant en latin (Paris, 1624 - Londres, 1633) sous le titre De veritate prout distinguitur a revelatione, a verisimili, a possibili et a falso.

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Messagepar Louisa » 22 mai 2007, 22:38

Merci beaucoup!

Descartes a écrit :Ainsi on peut bien expliquer quid nominis à ceux qui n’entendent pas la langue, et leur dire que ce mot vérité, en sa propre signification, dénote la conformité de la pensée avec l’objet, mais que, lorsqu’on l’attribue aux choses qui sont hors de la pensée, il signifie seulement que ces choses peuvent servir d’objets à des pensées véritables, soit aux nôtres, soit à celles de Dieu ; mais on ne peut donner aucune définition de Logique qui aide à connaître sa nature.


c'était bien ce passage que je cherchais. J'y ajoute quelques questions que je me posais.

A quoi pourrait référer cette distinction définition 'quid nominis' (de nom?) vs. définition Logique? On dirait que la définition Logique devrait expliquer la nature de la chose (est-elle pour autant déjà une définition 'réelle', et si oui pourquoi l'appeler 'logique'?), tandis que la définition de nom explique seulement le sens du mot? Mais comment cela se fait-il que comprendre le sens du mot ne suffit pas pour connaître la chose? Qu'est-ce que la définition Logique y ajouterait encore?
D'autre part, si l'on prend les premières définitions de l'Ethique, qui quasiment toutes commencent par 'Par xxx, j'entends', faudrait-il dire qu'il s'agit de simples définitions de nom (= définition nominale, j'imagine)? Ou est-ce que le 'intellego' en fait une connaissance de nature déjà ... ?

Sinon je suppose que cette lettre a été écrite directement en français, et qu'il n'en existe pas de version latine?

Enfin concernant le passage où il parle de la cire: n'ayant pas encore vraiment lu Descartes, je me demande si c'est comme ça que l'on peut interpréter ce que Spinoza appelait une conception de l'idée comme un genre de 'tableau muet', dans le sens où la cire prend littéralement la forme de son objet?
Cordialement,
louisa.

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Messagepar Pourquoipas » 23 mai 2007, 00:24

Louisa a écrit :Merci beaucoup!

Descartes a écrit :Ainsi on peut bien expliquer quid nominis à ceux qui n’entendent pas la langue, et leur dire que ce mot vérité, en sa propre signification, dénote la conformité de la pensée avec l’objet, mais que, lorsqu’on l’attribue aux choses qui sont hors de la pensée, il signifie seulement que ces choses peuvent servir d’objets à des pensées véritables, soit aux nôtres, soit à celles de Dieu ; mais on ne peut donner aucune définition de Logique qui aide à connaître sa nature.


c'était bien ce passage que je cherchais. J'y ajoute quelques questions que je me posais.

A quoi pourrait référer cette distinction définition 'quid nominis' (de nom?) vs. définition Logique? On dirait que la définition Logique devrait expliquer la nature de la chose (est-elle pour autant déjà une définition 'réelle', et si oui pourquoi l'appeler 'logique'?), tandis que la définition de nom explique seulement le sens du mot? Mais comment cela se fait-il que comprendre le sens du mot ne suffit pas pour connaître la chose? Qu'est-ce que la définition Logique y ajouterait encore?
D'autre part, si l'on prend les premières définitions de l'Ethique, qui quasiment toutes commencent par 'Par xxx, j'entends', faudrait-il dire qu'il s'agit de simples définitions de nom (= définition nominale, j'imagine)? Ou est-ce que le 'intellego' en fait une connaissance de nature déjà ... ?


Je crois qu'en fait Descartes ici nous dit qu'il n'est pas possible de définir la vérité, que c'est une notion première. Compare avec l'exemple de la balance qu'il donne plus haut : si je n'en ai jamais vu, il faut qu'on m'en donne une définition pour que je sache la reconnaître et m'en servir ("une machine à deux plateaux servant à déterminer le poids inconnu d'un objet posé sur l'un des plateaux grâce au poids connu d'autres objets sur l'autre plateau") - je peux ne pas en connaître le nom et savoir ce que c'est.
Pour la vérité, prenons la définition classique "conformité d'une pensée à son objet", Descartes la lit ainsi : "la pensée d'une chose peut être vraie, soit en nous soit en Dieu", disant donc en fait qu'il ne peut y avoir de définition de la vérité puisque cette définition implique la connaissance même de ce qu'est la vérité. Idem pour le mouvement, le lieu, le temps, etc. Il s'agit d'intuitions premières et partagées par tous, ne nécessitant aucune définition faisant appel à autre chose qu'elles-mêmes (voir exemple ce qu'il dit du mouvement : celui qui marche en sait plus sur le mouvement que celui qui dit c'est "l'acte d'un être en puissance en tant qu'en puissance" - j'avoue que je ne comprends pas non plus).
Il évoque aussi le cas de celui qui chercherait à apprendre auprès d'un autre ce qu'est la vérité : comment pourrait-il l'apprendre et donc la reconnaître et l'approuver s'il ne savait déjà ce que c'est ?
Quand à la fameuse distinction définition nominale-réelle, j'avoue ne pas bien comprendre : quand Spinoza, dans une de ses lettres, évoque la définition d'un temple non encore construit, cad dans la tête de l'architecte, cette définition est nominale et réelle, il me semble. L'existence concrète du temple est une autre affaire.

Et donc dans les définitions du début de l'Ethique, je ne vois pas ce que vient faire là la distinction nominal-réel, puisque la définition (l'essence) des notions définies y est donnée. Ensuite il s'agira de prouver l'existence de la chose.
Ce sera fait d'abord pour la substance, qui ne peut être effet de quoi que ce soit d'autre, donc est cause de soi, donc existe. Puis Dieu. Ce ne sera pas le cas des choses finies (voir la déf. 2), appelées ensuite modes, sur l'existence desquels Spinoza n'a aucun doute, même fictif, sauf erreur.

Louisa a écrit :Sinon je suppose que cette lettre a été écrite directement en français, et qu'il n'en existe pas de version latine?


La lettre a été écrite directement en français.

Louisa a écrit :Enfin concernant le passage où il parle de la cire: n'ayant pas encore vraiment lu Descartes, je me demande si c'est comme ça que l'on peut interpréter ce que Spinoza appelait une conception de l'idée comme un genre de 'tableau muet', dans le sens où la cire prend littéralement la forme de son objet?


En fait, si j'ai bien compris ce passage, Descartes critique seulement une manière de parler de l'auteur qu'il évoque (Cherbury) : il dit que si on concevait que l'âme a autant de facultés que de manières différentes de connaître, il faudrait dire aussi que la cire ramollie a autant de facultés de recevoir de formes qu'elle n'a de façons d'en recevoir. Descartes ajoute (ce qui n'est pas rien) : "ce qui est vrai en ce sens-là". Mais Descartes ajoute qu'il craint que les "ignorants" ne se servent de cette manière de parler pour "imaginer diverses petites entités en notre âme". Qu'entend-il exactement par là ? J'avoue que je ne vois pas bien. Peut-il craint-il qu'il y ait passage de simple "disposition à" à "être réel, entité" interne à l'âme...

Bon, tout ça, brut de décoffrage.

Louisa a écrit :Cordialement,
louisa.


Porte-toi bien

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Messagepar Louisa » 24 mai 2007, 14:45

Pourquoipas a écrit :Je crois qu'en fait Descartes ici nous dit qu'il n'est pas possible de définir la vérité, que c'est une notion première. Compare avec l'exemple de la balance qu'il donne plus haut : si je n'en ai jamais vu, il faut qu'on m'en donne une définition pour que je sache la reconnaître et m'en servir ("une machine à deux plateaux servant à déterminer le poids inconnu d'un objet posé sur l'un des plateaux grâce au poids connu d'autres objets sur l'autre plateau") - je peux ne pas en connaître le nom et savoir ce que c'est.
Pour la vérité, prenons la définition classique "conformité d'une pensée à son objet", Descartes la lit ainsi : "la pensée d'une chose peut être vraie, soit en nous soit en Dieu", disant donc en fait qu'il ne peut y avoir de définition de la vérité puisque cette définition implique la connaissance même de ce qu'est la vérité. Idem pour le mouvement, le lieu, le temps, etc. Il s'agit d'intuitions premières et partagées par tous, ne nécessitant aucune définition faisant appel à autre chose qu'elles-mêmes (voir exemple ce qu'il dit du mouvement : celui qui marche en sait plus sur le mouvement que celui qui dit c'est "l'acte d'un être en puissance en tant qu'en puissance" - j'avoue que je ne comprends pas non plus).
Il évoque aussi le cas de celui qui chercherait à apprendre auprès d'un autre ce qu'est la vérité : comment pourrait-il l'apprendre et donc la reconnaître et l'approuver s'il ne savait déjà ce que c'est ?


c'est assez remarquable, car dans ce cas, Descartes devrait plutôt être d'accord avec Spinoza quand celui-ci dit que la vérité est norme d'elle-même, non? Comme il le dit dans le TIE: 'habemus enim ideam veram').
Je sais que Gilles Olivo a publié un ouvrage à ce sujet, où - si j'ai bien compris - il défend l'idée que Descartes serait tout de même à la recherche de l'essence de la vérité, et qu'enfin il la trouve dans la notion de certitude. Mais je n'ai pas encore pu lire ce livre. En tout cas, pour l'instant j'étais dans l'idée que chez Descartes, contrairement à Spinoza, il fallait tout de même toujours avoir recours à Dieu comme fondement de toute vérité.
Je comprends bien que quand on dit que "l'acte d'un être est en puissance dans la mesure où il est en puissance" (ce qui me semble être une traduction peut-être un tout petit peu plus correcte que la tienne, où tu laisses tomber le 'est', et donc on ne voit pas trop le côté 'définition'?), qu'on n'a rien dit du tout à part une simple tautologie. Mais justement, je croyais donc que là où Descartes a besoin du doute méthodique et du cogito pour trouver une première vérité, et puis de Dieu pour la fonder, à Spinoza il suffit de prendre n'importe quelle idée vraie pour savoir ce qu'est la vérité. Or dans cette lettre, on dirait que Descartes est tout de même assez proche de Spinoza ... ?!
Mais il faudrait peut-être mieux savoir ce que Descartes veut dire par définition nominale et définition Logique.

Pourquoipas a écrit :Quand à la fameuse distinction définition nominale-réelle, j'avoue ne pas bien comprendre : quand Spinoza, dans une de ses lettres, évoque la définition d'un temple non encore construit, cad dans la tête de l'architecte, cette définition est nominale et réelle, il me semble. L'existence concrète du temple est une autre affaire.


mais n'est-ce pas seulement le cas dans des situations où ce qui est défini est inventé par un homme? Donc où ce que cet homme particulier va appeler 'temple' est le plan qu'il en construit, plan qui en même temps doit définir l'essence de ce temple?

Pourquoipas a écrit :Et donc dans les définitions du début de l'Ethique, je ne vois pas ce que vient faire là la distinction nominal-réel, puisque la définition (l'essence) des notions définies y est donnée. Ensuite il s'agira de prouver l'existence de la chose.


comme il commence systématiquement par 'intellego', j'avais plutôt l'impression qu'il s'agit de définitions nominales, qui expliquent simplement le sens que par la suite Spinoza donnera à ces mots. La preuve de l'existence ne vient que par après, dans les premières propositions. Mais est-ce qu'on a besoin d'une preuve d'existence avant qu'on puisse parler de définition réelle?

Pourquoipas a écrit :Louisa a écrit:
Sinon je suppose que cette lettre a été écrite directement en français, et qu'il n'en existe pas de version latine?

La lettre a été écrite directement en français.


merci! Aurais-tu éventuellement aussi la référence précise (titre du volume, éditeur, année d'édition etc)?

Pourquoipas a écrit :Louisa a écrit:
Enfin concernant le passage où il parle de la cire: n'ayant pas encore vraiment lu Descartes, je me demande si c'est comme ça que l'on peut interpréter ce que Spinoza appelait une conception de l'idée comme un genre de 'tableau muet', dans le sens où la cire prend littéralement la forme de son objet?


En fait, si j'ai bien compris ce passage, Descartes critique seulement une manière de parler de l'auteur qu'il évoque (Cherbury) : il dit que si on concevait que l'âme a autant de facultés que de manières différentes de connaître, il faudrait dire aussi que la cire ramollie a autant de facultés de recevoir de formes qu'elle n'a de façons d'en recevoir. Descartes ajoute (ce qui n'est pas rien) : "ce qui est vrai en ce sens-là". Mais Descartes ajoute qu'il craint que les "ignorants" ne se servent de cette manière de parler pour "imaginer diverses petites entités en notre âme". Qu'entend-il exactement par là ? J'avoue que je ne vois pas bien. Peut-il craint-il qu'il y ait passage de simple "disposition à" à "être réel, entité" interne à l'âme...


voici la façon dont j'avais de premier abord compris ce passage. Il semble être d'accord pour comparer l'entendement avec de la cire, mais se distingue de Cherbury quand celui-ci prétend que les facultés de l'âme sont aussi diverses que la diversité que l'on trouve dans tous les objets que l'on peut connaître. Si on prend l'âme en tant que cire, alors il faut s'imaginer que chaque objet qui y laisse sa trace crée une nouvelle faculté de connaître dans la cire. Descartes préfère supposer une seule faculté de l'âme, la lumière naturelle, qui est entièrement flexible, c'est-à-dire qui peut recevoir les formes de tout objet qu'elle connaît, sans pour autant qu'il y ait question d'une création d'une nouvelle facultés. Sinon les facultés seraient elles-mêmes comme des formes dans la cire, tandis que ces formes ne sont que les objets de l'entendement, et la seule et unique faculté cet entendement lui-même, flexible mais au fond sans se diviser ou changer en fonction de l'objet connu. Que penses-tu de cette interprétation?
Est-ce que Descartes compare lui-même, ailleurs, l'âme à de la cire? Cette lettre me donne l'impression que oui, mais peut-être n'est-ce pas le cas?

En tout cas merci de tes commentaires!
louisa

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Messagepar Louisa » 24 mai 2007, 15:36

PS: en feuilletant dans 'Descartes et l'essence de la vérité' de G.Olivo, je découvre que c'était bel et bien Descartes lui-même qui compare l'entendement à de la cire. Olivo cite les Regulae XII:

G. Olivo a écrit :En tout cas, cette force cognitive tantôt pâtit, tantôt agit, et imite parfois le cachet, parfois la cire."


Olivo pg. 314 (Puf, Epiméthée).

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Messagepar Pourquoipas » 24 mai 2007, 19:40

Louisa a écrit :
Pourquoipas a écrit :(...) (voir exemple ce qu'il dit du mouvement : celui qui marche en sait plus sur le mouvement que celui qui dit c'est "l'acte d'un être en puissance en tant qu'en puissance" - j'avoue que je ne comprends pas non plus). (...)


(...) Je comprends bien que quand on dit que "l'acte d'un être est en puissance dans la mesure où il est en puissance" (ce qui me semble être une traduction peut-être un tout petit peu plus correcte que la tienne, où tu laisses tomber le 'est', et donc on ne voit pas trop le côté 'définition'?), qu'on n'a rien dit du tout à part une simple tautologie. (...)


Juste sur ce point pour le moment :

Descartes a écrit :Car, par exemple, celui qui se promène dans une salle, fait bien mieux entendre ce que c’est que le mouvement, que ne fait celui qui dit : est actus entis in potentia prout in potentia, et ainsi des autres.


Je lisais la phrase comme une définition "scolastique" du mouvement : j'avais donc laissé le est (pour moi équivalent à un signe "égal", actus étant un attribut et non un sujet) hors guillemets. Vu le contexte, ça me semble plausible.

Pour les références (je les avais déjà données), il s'agit, dans la célèbre édition Adam-Tannery en 11 volumes, constamment republiée et complétée chez Vrin, du tome II, p. 587-599. Généralement, les autres éditions de Descartes, et les citation qu'on en fait, donnent le tome, la page, parfois la ligne, de cette édition.

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Modifié en dernier par Pourquoipas le 01 juin 2007, 23:48, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 25 mai 2007, 16:49

Pourquoipas a écrit :Juste sur ce point pour le moment :

Descartes a écrit:
Car, par exemple, celui qui se promène dans une salle, fait bien mieux entendre ce que c’est que le mouvement, que ne fait celui qui dit : est actus entis in potentia prout in potentia, et ainsi des autres.


Je lisais la phrase comme une définition "scolastique" du mouvement : j'avais donc laissé le est (pour moi équivalent à un signe "égal", actus étant un attribut et non un sujet) hors guillemets. Vu le contexte, ça me semble plausible.


oui en effet, c'est bien moi qui me trompe. J'ai pris le 'actus' comme sujet de 'est', tandis qu'en relisant, je vois bien que le sujet ne peut être rien d'autre que le mouvement. Ce n'est donc pas l'acte qui y est défini, comme je le croyais, mais bel et bien le mouvement, comme tu dis. Du coup, je ne comprends plus très bien non plus ce qu'il veut dire par là... . Que pour avoir une connaissance de la nature de certaines choses, il faut en avoir l'expérience? Mais ici il semble s'agir d'une expérience purement visuelle: non pas se mouvoir soi-même, mais regarder quelqu'un se promener dans la salle (je suppose qu'il ne faut pas comprendre cet 'entendre' littéralement ...). Un 'ce dont on ne peut parler, il faut le montrer' avant la lettre ... ?

Pourquoipas a écrit :Pour les références (je les avais déjà données), il s'agit, dans la célèbre édition Adam-Tannery en 11 volumes, constamment republiée et complétée chez Vrin, du tome II, p. 587-599. Généralement, les autres éditions de Descartes, et les citation qu'on en fait, donnent le tome, la page, parfois la ligne, de cette édition.


merci, et désolée de répéter ma demande ... tu avais en effet déjà mentionné tout ceci, mais donc il me fallait aussi l'année d'édition, le titre exacte du volume, et la page exacte du passage concerné (celui où il parle de la conformité de l'idée à son objet) - n'ayant pas le livre chez moi et étant assez loin d'une bibliothèque ... .
Merci encore une fois!!
Amicalement,
louisa


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