Conatus, puissance et être

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Panache
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Conatus, puissance et être

Messagepar Panache » 11 juin 2007, 14:07

Bonjour à tous. A nouveau je sollicite l’intelligence collective du Forum. Encore une fois si mes questions sont trop simples, je vous prie de m’orienter vers une référence d’introduction à Spinoza. Encore une fois je ne sais pas bien ou placer l entrée. Mon intéret se situe dans les sciences de l homme, mais la question porte sur ce qui est la cause interne fondamentale chez Spinoza : persévérer dans l être ou chercher la puissance et sur les contradictions possibles entre ces deux notions.

J’ai lu que

« L’homme est conatus. Effort que déploie « chaque chose [pour] persévérer dans son être » (E, III, 6) , le conatus est un élan de puissance. On pourrait revenir, et en toute rigueur il le faudrait, sur les fondements de l’ontologie particulière – une ontologie de l’activité – d’où se déduit le conatus comme « essence actuelle de chaque chose » (E, III, 7). » C’est issu d’un article Frédéric Lordon, et bon j ai pris mon Ethique et je suis allé voir. Ce qui me gène c’est E III 6 et E III 12.

Deux choses me gènent. D’abord, la différence entre une conservation et une recherche d’accroissement.
Pourquoi est-ce que chaque chose ne cherche pas à dépasser son être vers un être plus puissant ? Par exemple les mues des insectes, la croissance des enfants, des arbres, la quête de perfection dans un art. (III, 6)
Ou si, tant est que chaque chose s’efforce uniquement de persévérer dans son être, pourquoi l’âme cherche t-elle à accroître la puissance du corps (III, 12), c est a dire via (III,11) à accroître sa puissance et non pas simplement à conserver son niveau de puissance, afin de conserver son être (III, 6) ?

Plus fondamentalement, ce qui me gène, c est le lien entre ce qui est du domaine de l’être, (puis je dire essence, substance, qualia ?) et ce qui est du domaine de la puissance (puis je faire un lien avec Energie ?).
(J’ai du mal avec la distinction essence substance chez Spinoza et un coup d oeil sur le site me dit que la notion d essence n est pas claire chez Spinoza)

J’aimerai beaucoup avoir votre avis éclairé sur la question suivante. Comment un être puissant et impuissant peuvent-ils être le même être ? La variation de puissance n’entraîne t elle pas nécessairement une variation de l’être ? (qu'est ce qui permet de dire que je suis le meme, malade et déprimé que en forme et joyeux, de dire que je suis le meme chomeur et charpentier, sans ou avec papiers)
On pourrait répondre, que l’être est un intervalle de puissance. En deçà d’une certaine puissance, je suis mort, au-delà, je suis Sur-humain.

On pourrait poser plus fondamentalement, qu il n’y a pas d’être, qu il n y a que rapports de puissances. Dans ce cas la, il me semble qu’on est dans une philosophie Nietzschéenne qui me va bien, que je comprends bien. Le monde tel que perçu est le résultat des forces qui se rencontrent. Les lois de son fonctionnement sont produites par nos instruments de mesure qui arraisonnent le monde. La matière est avant tout énergie, les différences qualitatives se résument à du quantitatif. (en forçant le trait) Toute quête de vérité est dérisoire, puisque tout est interprétation.

Ou au contraire, on peut poser qu être et puissance sont radicalement sur deux plans différents.
La dualité savoir-action, le savoir étant toujours produit d’une abstraction de l’action est posée déjà chez les grecs, bien présente dans la philosophie de Kant. Il y a de l’être qui préexiste aux phénomènes. Toute quête de puissance est dérisoire, tant que l’humain est prisonnier des apparences.

Ou enfin, on peut se demander : est ce que être et puissance, savoir et action, tout en étant sur des plans différents, se coproduisent ? Par exemple les idées inadéquates mènent à l’impuissance et vice versa. Et aussi chaque chose chercherait à la fois la plénitude de son être et son dépassement dans un être plus puissant.


D’une manière générale, comme apparent dans une autre discussion, la distinction savoir-action est une question importante pour moi. Ce qui me gène dans l’œuvre de Spinoza telle que je la comprends, c’est qu’elle n’est pas clairement dans un camp. Nietszche par exemple est facile à ranger, cohérent, l’être n’existe que comme produit de puissances. Et Kant me paraît aussi facile à ranger. Mais la position de Spinoza, je ne la comprends pas.

Je comprends qu’il puisse y avoir de l’être ou y avoir de la puissance, je comprends que les deux puissent interagir, qu’il puisse y avoir quête de puissance et résistance au changement d’état, mais je ne comprends pas comment on peut vouloir uniquement persévérer dans son être (ou même se perfectionner dans son être) et en même temps croître en puissance.

L explication est peut être qu'on ne souhaite croître en puissance que de façon seconde.
Chaque être a en lui une essence qui souhaite se déployer de façon parfaite et il cherche a acquérir la puissance qui lui permet de la déployer face à l'adversité et uniquement celle là.
En revanche aucun être n’aspire à devenir autre afin de gagner en puissance. Et ainsi il n’y a pas un enfant qui aspire à devenir autre en devenant adulte afin de gager en puissance, mais un humain qui réalise progressivement la plénitude de son être et est soucieux d’acquérir la puissance nécessaire pour ce faire. C est une question de regard.

En bref, dans ce cas, tout est déjà donné, il y a constamment des variations de composition, liés à des chocs extérieurs, mais au niveau le plus infime, aucun être ne se transforme en un autre par lui même et aucun être ne désire devenir autre, si ce n’est sous une influence externe. Le progrès de chaque être vers la perfection de son être est naturel, en revanche, le changement d un etre en un autre est toujours accidentel et d'ailleurs n est qu un changement dans la composition des briques qui forment l etre.

Si cette dernière explication est la bonne, alors Cela m’aide à mieux comprendre le papier de Lordon et a mieux le conctester.

Si l explication est bonne, cela me donne encore une fois l’impression que le titre du site est exaggéré. Attendu que si les choses sont, elles n’ont pas besoin de notre affirmation pour être, tandis que si elles sont produites, si il y a aspiration au dépassement en toute chose, alors vraiment il y a affirmation.

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Re: Conatus, puissance et être

Messagepar Faun » 13 juin 2007, 08:40

Panache a écrit :Chaque être a en lui une essence qui souhaite se déployer de façon parfaite et il cherche a acquérir la puissance qui lui permet de la déployer face à l'adversité et uniquement celle là.


La perfection des choses est donnée pour Spinoza, car la réalité est perfection, par suite chaque partie de la réalité, chaque chose, est parfaite et ne manque de rien.

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Messagepar Miam » 14 juin 2007, 15:36

Deleuze a répondu à ta question d’une façon qu’on pourra dire « élégante » mais qui semble néanmoins incorrecte à Zourabichvili et à moi-même.

Selon Deleuze, chaque individu est structurellement doté d’un « pouvoir d’être affecté » (expression qui a ma connaissance n’existe pas dans l’Ethique). Chaque individu est un degré de la puissance infinie de Dieu « exprimée d’une façon certaine et déterminée » selon ce « pouvoir » structurel de chacun à « être affecté » (pp. 197-198). Ce pouvoir ou « aptitude à être affecté » est toujours « nécessairement rempli » tant qu’existe le mode (p. 198). En effet, chaque degré de puissance est un degré de puissance infinie. C’est un degré d’intensité d’une même puissance qui n’admet aucun reste (qui est infinie). C’est seulement dans l’existence finie que chaque mode exprime cette puissance de façon quantitative et extensive. Cette « réification » deleuzienne du mode dans son passage à l’existence comme hors de l’attribut fait l’objet de la critique de Zourabichvili.

Dans l’existence, selon Deleuze, cette aptitude d’être affecté peut être « remplie » par des affects actifs ou passifs. Lorsque le « pouvoir d’être affecté » est rempli par des affects passifs, « ce pouvoir lui-même se présente comme une force ou puissance de pâtir » (expression non plus présente dans l’Ethique), c’est à dire comme « puissance d’imaginer » (p. 201) . Il en va de même pour les affects actifs (et il s’agirait alors donc de la puissance d’agir et de l’entendement). Conclusion : « la proportion des affections passives et actives serait susceptible de varier pour un même pouvoir d’être affecté » (p. 202).

Mais cela n’explique pas encore le lien entre la puissance et les deux sortes d’affects. Aussi faut-il pour Deleuze « faire intervenir un autre niveau de variation possible ». Le pouvoir d’être affecté est doué d’une certaine « élasticité » (p.202) entre un maximum et un minimum. Le rapport de mouvement et de repos (du moins dans sa version primitive) constitue comme une marge à l’intérieur de laquelle le pouvoir d’être affecté « se forme et se déforme » (p.202). Par ailleurs, si « physiquement » les puissances d’agir et de pâtir sont deux forces qui varient corrélativement, le pouvoir d’être affecté restant le même », « métaphysiquement » (sic) la « force passive » compte pour rien (p. 204). Elle n’est pas une force à proprement parler. Elle n’affirme ni n’exprime rien. « Les affections actives sont seules à remplir réellement et positivement le pouvoir d’être affecté. La puissance d’agir à elle seule est identique au pouvoir d’être affecté tout entier ; la puissance d’agir à elle seule exprime l’essence et les affections actives à elles seules expriment l’essence ». Deleuze distingue alors les « variations dynamiques du pouvoir d’être affecté » et les « variations métaphysiques de l’essence elle-même ». De la sorte, « Il est bien vrai que le monde existant est toujours aussi parfait qu’il peut l’être, mais seulement en fonction des affections qui appartiennent actuellement à son essence » (p. 205). Chez Spinoza comme chez Leibniz, trois niveaux se distinguent : mécanisme (extensif et quantitatif), force (intensif et quantitatif), essence (intensif et qualitatif). C’est la séparation de ces trois niveaux que critique Zourabichvili.

Le conatus présentera alors la même ambivalence que la puissance : le conatus, c’est « l’essence du mode (ou degré de puissance), mais une fois que le mode a commencé à exister » (p. 209). C’est l’affirmation de l’essence dans l’existence du mode. Il n’est donc pas séparable des affections. Il varie selon ces affections. Mais comme les affections passives comptent pour rien, « le conatus est toujours identique à notre puissance d’agir ». Les variations du conatus sont donc les « variations dynamiques de notre puissance d’agir » (p. 211). Et notre puissance d’agir, c’est notre essence. C’est l’individu comme degré de puissance infinie.

De la sorte, Deleuze répond à ta question : il n’y a nulle contradiction entre la conservation de l’être ou de l’essence et l’augmentation de puissance. L’essence n’est rien d’autre que la puissance d’agir qui tend à s’augmenter. Le fait que la puissance d’agir diminue en vertu des circonstances extérieures n’exclut pas qu’elle tende à s’augmenter. En ce sens, l’effort, la tendance à augmenter sa puissance, demeure moteur même dans les labyrinthes de l’imagination la plus passive. Pour conserver son essence entendue comme rapport de mouvements et de repos, l’individu plongé dans les affections du monde extérieur doit faire effort et cet effort produit des fluctuations, des hausses et chutes de puissance selon les circonstances. La puissance, l’effort (conatus) et l’essence sont donc une seule et même chose.

Quant à la distinction à faire entre « être » et « puissance », elle ne va pas de soi, pas même chez Nietzsche. Il s’agit ici d’ « êtres » parce que l’on parle d’individus qui existent à un moment du temps. Ce sont donc des « essences actuelles » et non pas seulement « formelles », car il y a des essences formelles qui n’existent pas. Ce sont donc des « conatus » = essence actuelle (III, 7). L’être ne peut pas être opposé à la puissance, c’est à dire à la volonté de puissance dans l’existence.

En ce sens il y a bien des « variations de l’être ». Du moins des variations dans la durée de la puissance d’agir d’un individu. Mais « sub specie aeternitatis », ces variations disparaissent : tous les affects actifs, existés à quelque moment du temps que ce soit, constituent l’essence (et donc la puissance d’agir) éternelle de l’individu. Dans cette mesure, dire comme tu le fais que « Chaque être a en lui une essence qui souhaite se déployer de façon parfaite », c’est prendre le point de vue traditionnel, c’est concevoir l’essence comme une possibilité (Avicenne), voire une finalité. Alors que l’essence n’est que ce qu’elle est : rien d’autre que les affects actifs de l’existence qui la constituent.

A mon sens, Spinoza est plus proche de Nietzsche que tu ne le crois. Mais je le rappelle : je ne suis pas entièrement d’accord avec la lecture de Deleuze…

Miam

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Messagepar hokousai » 16 juin 2007, 19:47

Si Deleuze distingue des variations métaphysiques de l’essence elle même , il ne me semble pas vraiment spinoziste .
Chez Spinoza l’essence ne varie pas et c’est justement ce qui justifie le conatus/l’effort ( persévérer dans son être ).Il ne s’ agit aucunement pour un mode (une chose ) d’acquérir plus ou moins de puissance mais d’exprimer d’une manière précise et déterminée la puissance de Dieu par laquelle Dieu est et agit .
La chose n’a pas le pouvoir d’augmenter sa puissance se serait changer de nature . Son effort n’est pas un effort vers la puissance, c’est cet effort qui est sa puissance même (ce qu’ elle peut ) et cet effort tend à la faire persévérer dans son être (telle quelle, comme mode )

Le mot conatus est traduit par effort, certes , mais quel effort s’il s’agit de conformité du mode à ce qu’il est et ne peut pas ne pas être .

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Merci merci

Messagepar Panache » 18 juin 2007, 21:27

Mille mercis pour ses réponses que je sens extrêmement pertinentes. Voila que par deux fois je me sens presque plus embarrassé par les réponses que par mes questions. D'autant plus qu'il y a désaccord entre les répondants.

Mon objectif en fait est de faire dialoguer une conception de l'essence commce qui préexiste, le noumene Kantien ou la chose en soi, avec une conception dans lequel il n y a que des existants et donc pas d'essence au sens Kantien.
Du coup appeler essence ce qui existe, c'est provoquer une confusion des termes de sorte qu'il n y a plus de débat possible. De sorte que si j'entends que Nietzsche et Spinoza sont peut être assez proche, l'avantage de Nietzsche serait dans le fait qu'il laissent aux kantiens le terme "essence" de sorte qu'il est plus facile d'opposer ceux qui croient aux essences (qui n'existent pas) et ceux qui célèbrent l'existant.

Bon je viens de me promener un peu sur le forum, il m apparait qeu Miam et Henrique sont régulierement en désaccord. Ca serait bien une petite présentation des différents courants d interprétation de Spinoza et au moins des différents membres actifs ici, pour pouvoir positionner leurs propos

Je crains de me répéter hélas. C'est terrible. Ca n empeche que ca me confirme que je dois aller lire Deleuze.
Et notamment ce texte que j ai commencé a lire
http://www.webdeleuze.com/php/texte.php ... a&langue=1
Merci encore, je fais ce que je peux avec ce que vous me donnez.

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Messagepar hokousai » 19 juin 2007, 19:39

Il me semble que pour Spinoza l’essence n'est rien en dehors de la chose en ce sens il n'y a pas d essence ( comme séparée ) ce qui ne signifie pas que les choses n'existent pas .
Dans ce que miam dit
l’essence n’est que ce qu’elle est : rien d’autre que les affects actifs de l’existence qui la constituent.
?
Il faudrait plutôt le dire de la chose que de l'essence . Quand Spinoza parle de l’essence de la chose il parle en fait de la chose , la chose est ce qu’ elle est mais ce qu’elle est ce n'est pas autre que ce qu'elle est . Il n'y a pas de programme transcendant informant et formant la chose ( ou modification ,ou mode, ou manière )

Ce qui ne signifie pas que la chose ne soit pas précise . Le précis des modes ( chez Spinoza ) pose un problème . Par le précis les modes sont individualisés . Le précis des modes pose des limites et de ce fait conséquemment les choses ( au sens spinoziqte qui n’est pas le sens commun actuel de » chose « )ont des limites , elles sont ce qu’elles sont et n’ évoluent pas La chose n 'a ainsi rien en soi qui puisse la supprimer .

.Cette affirmation ,certes ,peut induire à penser la chose dans la perspective traditionnelle essentialiste sauf que le mode n’est pas redoublé chez Spinoza d’ une essence universelle d’ où procèderait les choses particulières .
Comment penser la généralité (espèce, genre ) ?(une rose /des roses ) C est la question qui a généré la théorie des essences séparées .

On peut penser par inclusion ( ou imbrication ) des modes .
.La manière de faire des roses étant plus largement active que la manière de faire cette rose particulière là .


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