"parallélisme" et communication

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
Règles du forum
Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
Avatar du membre
Asche
passe par là...
passe par là...
Messages : 11
Enregistré le : 15 août 2007, 00:00

"parallélisme" et communication

Messagepar Asche » 15 août 2007, 13:25

Bonjour à tous,

Je suis nouveau sur ce forum et je découvre seulement Spinoza (lecture de L'Ethique en cours). Je sais ne pas avoir saisi toutes les subtilités de la philosophie spinoziste, mais j'ai une interrogation dont j'aimerais vous faire part. Spinoza stipule que l'attribut d'Etendue ne modifie pas (ne peut modifier) l'attribut de Pensée (E3P2). Mais supposons que je vous dise de dessiner un cercle et que vous vous exécutiez, comment l'idée du cercle est-elle passée de moi à vous ? L'idée de cercle n'est pas présente dans le graphisme du mot cercle, or la seule manière dont je vous ai informé de ma demande est par le biais d'une affection de l'Etendue, c'est-à-dire par le graphisme du mot cercle sur votre écran. Il peut donc sembler qu'il y ait une forme d'échange entre ma pensée, l'Etendue puis votre pensée (et éventuellement l'Etendue à nouveau si vous avez dessiné le cercle, le dessin étant en quelque sorte un indice objectif de l'existence de l'idée du cercle dans votre pensée).

Faut-il comprendre, suivant Spinoza, que l'idée du cercle qui apparait dans votre pensée résulte d'une nécessité qui n'est qu'indirectement, ou voire même pas du tout liée à ma demande ? Cela ne suggère-t-il pas une forme de narrativité du déroulement des événements (les événements semblent coïncider entre eux (mon cercle -> votre cercle) sans qu'il y a de causalité entre eux), en contradiction avec le déterminisme ? Ou encore, faut-il comprendre que la causalité en jeu est toute autre que celle que j'imagine, qu'elle a comme cause commune un événement passé qui échappe à mon entendement, par exemple ?

Merci,

Asche

edit : Je voudrais préciser que j'entend très bien qu'il n'y ait pas de causalité entre les affections de la Pensée et de l'Etendue pour une conscience donnée (la "mienne", par exemple), les différents modes de l'une et de l'autre ayant simplement en quelque sorte une source et une localisation commune, d'où leur concordance. Ce qui me gène plus, c'est la concordance et la synchronicité d'événements distants.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 15 août 2007, 16:31

Bonjour Asche,

bienvenue sur ce forum, et merci de la question intéressante.
Il y a certainement ici des gens capables d'y donner des réponses plus 'profondes' que moi-même, mais en attendant et parce que de toute façon y réfléchir m'intéresse bien, voici ce que j'en pense.

Asche a écrit :Spinoza stipule que l'attribut d'Etendue ne modifie pas (ne peut modifier) l'attribut de Pensée (E3P2). Mais supposons que je vous dise de dessiner un cercle et que vous vous exécutiez, comment l'idée du cercle est-elle passée de moi à vous ?


à première vue, je dirais que chez Spinoza, ce n'est jamais une seule et même idée qui passe d'une personne à une autre. Ton idée (on a tendance à tutoyer sur ce forum, mais si cela te/vous dérange, il suffit de le signaler) est donc par définition une AUTRE idée que la mienne. Car ton idée est littéralement un 'produit' de ton Esprit (un conceptum, voir E2Déf.3). Dans le cas où, comme ici, tu écris le mot 'cercle', ton Esprit forme des idées de ce mot, du fait que tu es en train de l'écrire, de ce que tu t'imagines toi-même quand tu penses à un cercle, et ainsi de suite.

Après, dans un deuxième temps, moi-même je lis le mot 'cercle' sur mon écran. C'est-à-dire mes yeux reçoivent une affection visuelle, le mot 'cercle' affecte mon Corps. Cette affection, Spinoza l'appelle une image (définition: voir le scolie E2P17; pour une explication plus développée de ce mécanisme, précisément en ce qui concerne les mots: voir le scolie de E2P18).

Mon Esprit ayant la caractéristique de PERCEVOIR ce qui se passe dans son objet (= le Corps), il forme immédiatement/simultanément une idée de cette affection. Il y a donc une 'imagination' ou idée dans mon Esprit qui a l'affection de mon Corps (l'image) par ce mot lu sur un écran comme objet. Cette imagination n'est PAS encore l'idée du cercle. C'est une idée de mon affection (du fait qu'un changement s'est produit dans mon oeil).

Or, comme l'explique le scolie 2.18, il se peut que mon Esprit a si souvent été affecté simultanément par le mot 'cercle' (écrit ou prononcé) et le dessin 'cercle' (voire d'une définition du cercle en tant que chose mathématique), que l'habitude a fait qu'il a joint ces quatre imaginations (ou plutôt ces trois imaginations et éventuellement la 'notion commune' qu'est la définition mathématique du cercle, notion non plus imaginaire mais rationelle (le 2e genre de connaissance)), qu'il en a fait quatre idées 'couplées'. A partir de ce moment-là, il suffit d'être affecté par une de ces affections pour qu'immédiatement, l'Esprit en forme une idée ET y associe les autres imaginations/idées.

Concrètement: il suffit que mon Corps est affecté par le mot 'cercle', ET qu'il a déjà l'habitude d'y lier pe l'imagination du dessin, ou l'idée du dessin (imagination = idée), pour que entendre le mot déclenche immédiatement une association d'idées dans mon Esprit.

Il n'en demeure pas moins que mon idée du cercle est différente que la tienne. Dans ce sens, ce n'est pas ton idée qui 'passe' à moi, c'est ton action sur moi qui est la cause efficiente, ensemble avec la nature de mon Esprit, du fait que dans mon Esprit surgit l'idée du cercle (avec tout ce que moi-même j'ai pris l'habitude d'y associer, et qui peut être différent de ce que toi tu y associes).

Asche a écrit : L'idée de cercle n'est pas présente dans le graphisme du mot cercle, or la seule manière dont je vous ai informé de ma demande est par le biais d'une affection de l'Etendue, c'est-à-dire par le graphisme du mot cercle sur votre écran. Il peut donc sembler qu'il y ait une forme d'échange entre ma pensée, l'Etendue puis votre pensée (et éventuellement l'Etendue à nouveau si vous avez dessiné le cercle, le dessin étant en quelque sorte un indice objectif de l'existence de l'idée du cercle dans votre pensée).


la série causale temporelle ta pensée - Etendue - ma pensée n'est pas possible chez Spinoza, puisque la pensée ne peut rien causer au niveau de l'Etendue, et inversement, l'Etendue ne peut rien causer au niveau de la pensée (comme tu l'as dit toi-même dans ton 'edit'). Ce n'est donc pas l'affection de mon Corps par le mot 'cercle' sur mon écran qui 'cause' l'idée du cercle dans mon Esprit. Mon Esprit forme toujours, 'parallèlement' ou simultanément à cette affection du Corps, une idée ayant cette affection comme objet.

N'empêche qu'on peut effectivement se demander ce qui a été cause de mon idée du cercle, si ce n'est pas le fait de l'avoir lu, en extension/Etendue, sur mon écran. Forcément, cela doit être quelque chose de l'ordre d'une idée. Mais quelle idée? La tienne? Dans un spinozisme cela me semble être difficilement concevable, même si je ne me sens pas capable d'expliquer pourquoi j'ai cette impression. Mon propre Esprit, en tant qu'il est une idée? Sans doute, mais Spinoza dit que dans le cas d'une imagination (donc l'idée de l'affection visuelle par le mot 'cercle'), cette idée enveloppe aussi bien ma nature que la nature du corps extérieur (ici: le mot écrit sur l'écran). Ainsi mon Esprit ne peut jamais qu'être la cause PARTIELLE de cette imagination. Quelle est alors la deuxième partie de cette cause, qui doit être de l'ordre de la pensée mais qui n'est PAS mon Esprit? L'idée de la nature qu'EST le corps extérieur qui m'a affecté? Je n'en suis pas certaine. Les Esprits des choses communiquent-ils?

Faut-il comprendre, suivant Spinoza, que l'idée du cercle qui apparait dans votre pensée résulte d'une nécessité qui n'est qu'indirectement, ou voire même pas du tout liée à ma demande ?


je crois que si l'on ne parle que de la causalité efficiente, il est évident que le mot 'cercle' sur mon écran a été cause efficiente de mon affection, tandis que certains mouvements dans ton Corps étaient la cause efficiente du fait que le forum de ce site contient désormais ton message, lisible par tous ceux qui le fréquentent. La cause prochaine de mon affection, cela a été ce mot sur mon écran, la cause un peu plus lointaine déjà le fait que tu l'as écrit sur ton écran puis posté ici.

Si alors on tient compte du fait que chez Spinoza Corps et Esprit forment une 'union', je crois qu'on peut dire sans problème que cela a bel et bien été un ensemble d'idées chez toi (idée du cercle, idée de ton Corps écrivant ce mot, idée de ton Corps lisant ce même mot sur ton propre écran, etc), couplé parallèlement a des mouvements corporels chez toi, qui a été la cause du fait que (pour continuer ton exemple) je suis en train de dessiner un cercle. Mais je ne vais toujours dessiner que ce que MOI je pense être un cercle.

C'est exactement cela que Spinoza illustre très bien dans le scolie de l'E2P47, où il prend également l'idée du cercle comme exemple, et où il montre que parfois, ce mot peut déclencher des idées DIFFERENTES chez deux personnes différentes. Il suffit qu'ils ont eu un parcours différents, que les 'rencontres fortuites' avec la Nature ont fait que quand l'autre a entendu le mot cercle, systématiquement on y avait joint un autre dessin. Du coup, il ne va pas commencer à dessiner ce que toi tu comprends par l'idée de cercle, même s'il a très clairement entendu le mot 'cercle'.

Asche a écrit :Je voudrais préciser que j'entend très bien qu'il n'y ait pas de causalité entre les affections de la Pensée et de l'Etendue pour une conscience donnée (la "mienne", par exemple), les différents modes de l'une et de l'autre ayant simplement en quelque sorte une source et une localisation commune, d'où leur concordance. Ce qui me gène plus, c'est la concordance et la synchronicité d'événements distants.


que veux-tu dire plus précisément par 'synchronicité', dans ce cas-ci?
Cordialement,
Louisa

PS: au cas où tu ne le savais pas encore, si tu souhaites citer quelqu'un sur ce forum, il faut laisser précéder la citation par le 'code' suivant, en laissant tomber les espaces (pe si je te cite): [ q u o t e = " A s c h e " ]. Alors apparaîtra sur l'écran (une fois le message publié) 'Asche a écrit'. A la fin de la citation, il suffit de clôturer par le code [ / q u o t e ].

Avatar du membre
Asche
passe par là...
passe par là...
Messages : 11
Enregistré le : 15 août 2007, 00:00

Messagepar Asche » 15 août 2007, 18:33

Bonjour Louisa, merci pour ta réponse.

Louisa a écrit :à première vue, je dirais que chez Spinoza, ce n'est jamais une seule et même idée qui passe d'une personne à une autre. Ton idée (on a tendance à tutoyer sur ce forum, mais si cela te/vous dérange, il suffit de le signaler) est donc par définition une AUTRE idée que la mienne.


Sur ce point nous sommes d'accord, j'ai parlé de la passation d'une idée par abus de langage. Ce n'est pas tant ce point qui m'interpèle que ce qu'avance Spinoza concernant la séparation de la Pensée et de l'Etendue. Sur ce point, tu me dis ceci :

Louisa a écrit :Mon Esprit ayant la caractéristique de PERCEVOIR ce qui se passe dans son objet (= le Corps), il forme immédiatement/simultanément une idée de cette affection. Il y a donc une 'imagination' ou idée dans mon Esprit qui a l'affection de mon Corps (l'image) par ce mot lu sur un écran comme objet.


Suivant ce que tu dis, il y aurait bel et bien, dans le spinozisme, une forme liaison entre le Corps et l'Esprit, cette liaison étant la capacité de perception, est-ce bien cela ? Bien sûr cela correspond déja mieux à l'idée commune que l'on se fait du rapport corps/esprit, mais j'avais cru comprendre que selon Spinoza le Corps ne pouvait en aucune façon modifier l'Esprit, or tu me suggères l'inverse, si je t'ai bien comprise, à savoir que le mot cercle, qui se trouve sur le plan du Corps, entraine la formation de ton idée de cercle, sur le plan de l'Esprit. Mais Spinoza dit ceci "Ni le corps ne peut déterminer l'esprit à penser, ni l'esprit ne peut déterminer le corps au mouvement [...]". Il me semble qu'il y a contradiction. Elle m'apparait explicite par ceci :

Louisa a écrit :Concrètement: il suffit que mon Corps est affecté par le mot 'cercle', ET qu'il a déjà l'habitude d'y lier pe l'imagination du dessin, ou l'idée du dessin (imagination = idée), pour que entendre le mot déclenche immédiatement une association d'idées dans mon Esprit.


Puis :

Louisa a écrit :Ce n'est donc pas l'affection de mon Corps par le mot 'cercle' sur mon écran qui 'cause' l'idée du cercle dans mon Esprit. Mon Esprit forme toujours, 'parallèlement' ou simultanément à cette affection du Corps, une idée ayant cette affection comme objet.


Pour moi, ces deux choses que tu dis (ou que Spinoza dit) me semblent se contredire : "le mot déclenche immédiatement une association d'idées", puis "ce n'est donc pas l'affection de mon Corps qui 'cause' l'idée du cercle dans mon Esprit". Le simple fait de dire que l'esprit forme l'idée parallèlement ou simultanément n'est qu'une affirmation qui nécessiterait une démonstration, or si celle-ci existe, elle m'échappe. J'ai comme l'impression que Spinoza nous demande d'adhérer à cette idée sans la juger, alors même que celle-ci soulève des problèmatiques physiques, ou métaphysiques, inouïes. Je m'explique :

Asche a écrit :Ce qui me gène plus, c'est la concordance et la synchronicité d'événements distants.


Si ce n'est pas l'affection du Corps qui cause l'affection de l'Esprit, autrement dit (je ne suis pas encore à l'aise avec la terminologie spinoziste) si ce n'est pas la lecture du mot cercle qui cause l'apparition de ton idée du cercle dans ton esprit, mais que cette idée du cercle dans ton esprit survient par un enchainement d'idées qui est en quelque sorte parallèle à l'enchainement des choses, il y a alors une coïncidance proprement ahurissante entre le signal que constitue le mot cercle sur ton écran, et l'idée du cercle dans ton esprit. C'est-à-dire qu'il y a dans le déroulement de ta journée et uniquement sur le plan du Corps un événement totalement fortuit : la lecture du mot cercle. Mais il n'y a, a priori, aucun événement parallèle sur le plan de l'Esprit, dans le déroulement de ta journée, qui pourrait expliquer miraculeusement la correspondance entre la lecture du mot, et la formation de l'idée. Vois-tu où je veux en venir ?

Pour le moment, la seule solution que je suis apte à envisager, mais à quel prix, est que le Corps et la Pensée coïncident (dans une semblance de miracle) par un ordre de détermination sous-jacent qui n'a rien à avoir avec la causalité telle qu'on la conçoit en physique par exemple. C'est ce que je signifiais dans mon premier message, à savoir que le fait que j'écrive le mot cercle de mon côté, et que tu aies l'idée de cercle du tiens, et cela de telle sorte qu'il semble que l'un ait causé l'autre, s'expliquerait par un déterminisme qui ne lie pas ces deux événements l'un à l'autre en chaîne causale, mais qui les lierait tout deux de manière parallèle mais indépendante à un événement antérieur commun qui aurait entrainé (et qui entrainerait en permanence) une forme de cohérence du monde, mais cela me semble excessivement difficile à envisager sérieusement.

Voila, j'espère ne pas t'avoir trop ennuyé avec mon questionnement de débutant. En tout les cas, merci beaucoup pour ta réponse et ton mot de bienvenue. :)

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 15 août 2007, 19:50

Asche a écrit :Louisa a écrit:
Mon Esprit ayant la caractéristique de PERCEVOIR ce qui se passe dans son objet (= le Corps), il forme immédiatement/simultanément une idée de cette affection. Il y a donc une 'imagination' ou idée dans mon Esprit qui a l'affection de mon Corps (l'image) par ce mot lu sur un écran comme objet.

Suivant ce que tu dis, il y aurait bel et bien, dans le spinozisme, une forme liaison entre le Corps et l'Esprit, cette liaison étant la capacité de perception, est-ce bien cela ?


l'Esprit perçoit le Corps, en tout cas, mais je crois qu'il faut laisser tomber l'idée d'une perception où l'objet perçu serait la cause extérieure à l'acte de percevoir, sinon on n'arrive pas à comprendre le parallélisme.

Corps et Esprit sont seulement 'liés' au sens où ils 'expriment' une seule et même chose: moi. Ce sont donc deux expressions de la même chose, cette chose n'étant d'ailleurs rien d'autre que ses expressions (donc pas un troisième terme, un 'substrat', sur lequel viendraient se greffer les expressions). Le seul 'lien' qu'il y a entre Corps et Esprit, c'est qu'ils constituent une seule et même union.
Dans ce sens, il n'y a aucune 'extériorité' entre l'Esprit et ce qu'il perçoit: l'objet de l'idée n'est pas une autre 'chose' que l'idée, objet et idée sont deux modes/expressions de la même chose. La perception propre à l'idée consiste donc simplement dans le fait que l'idée 'enveloppe' son objet, objet qui constitue la chose 'idée-objet' de l'intérieur, si tu veux.
Enfin, voici ce que je pense pour l'instant. Je n'y vois pas encore plus clair que cela. D'autres pourront me corriger s'ils ne sont pas d'accord.

Asche a écrit :Bien sûr cela correspond déja mieux à l'idée commune que l'on se fait du rapport corps/esprit, mais j'avais cru comprendre que selon Spinoza le Corps ne pouvait en aucune façon modifier l'Esprit, or tu me suggères l'inverse, si je t'ai bien comprise, à savoir que le mot cercle, qui se trouve sur le plan du Corps, entraine la formation de ton idée de cercle, sur le plan de l'Esprit.


si c'est ce que j'ai suggéré je me suis mal exprimé, car en effet, le Corps ne peut EN AUCUNE façon modifier l'Esprit, le mot cercle n'ENTRAINE pas, chez Spinoza, la formation d'une idée. Tout idée a un 'contenu', si tu veux, et le mot cercle est le contenu de l'idée de ce mot (mon idée non pas du mot cercle mais du cercle en général, en revanche, est une idée composée, c'est-à-dire une idée ayant un tas d'autres idées et mouvements corporels comme objets). Ainsi, la 'chose' formée par l'idée et son objet, se forme simultanément. C'est parce qu'elle surgit simultanément, qu'une de ses expressions (l'idée) ne peut agir sur l'autre (l'objet).

Asche a écrit :Louisa a écrit:
Concrètement: il suffit que mon Corps est affecté par le mot 'cercle', ET qu'il a déjà l'habitude d'y lier pe l'imagination du dessin, ou l'idée du dessin (imagination = idée), pour que entendre le mot déclenche immédiatement une association d'idées dans mon Esprit.


Puis :

Louisa a écrit:
Ce n'est donc pas l'affection de mon Corps par le mot 'cercle' sur mon écran qui 'cause' l'idée du cercle dans mon Esprit. Mon Esprit forme toujours, 'parallèlement' ou simultanément à cette affection du Corps, une idée ayant cette affection comme objet.


Pour moi, ces deux choses que tu dis (ou que Spinoza dit) me semblent se contredire : "le mot déclenche immédiatement une association d'idées", puis "ce n'est donc pas l'affection de mon Corps qui 'cause' l'idée du cercle dans mon Esprit".


oui en effet, le mot 'déclenche' était mal choisi. Ce qui était le plus important, c'était le 'immédiatement', au sens de 'simultanément'. La cause du fait que j'ai une série d'idées dès que j'ai l'idée de l'affection de mon Corps qui consiste à entendre le mot 'cercle', ce n'est PAS cette affection, c'est le fait que dans le passé, chaque fois que j'entendais ce mot, mon Corps était simultanément affecté pe par le dessin. Comme l'une et l'autre affection se sont toujours produites en même temps, l'Esprit a lié ces deux productions, donc aussi les deux idées différentes. C'est cela (donc l'habitude, la construction de ce lien par la répétition d'une simultanéité de deux affections) qui est la cause du fait que quand j'entends le mot cercle, j'ai en même temps l'idée du dessin à l'Esprit.

Asche a écrit : Le simple fait de dire que l'esprit forme l'idée parallèlement ou simultanément n'est qu'une affirmation qui nécessiterait une démonstration, or si celle-ci existe, elle m'échappe. J'ai comme l'impression que Spinoza nous demande d'adhérer à cette idée sans la juger, alors même que celle-ci soulève des problèmatiques physiques, ou métaphysiques, inouïes.


à mon avis, ce sont les démonstrations des propositions qui affirment le soi-disant parallélisme qui 'prouvent' cette idée. En fait c'est toute la première partie de l'Ethique qui déjà va dans ce sens, qui déjà crée la base 'ontologique' pour pouvoir affirmer ce parallélisme. Selon Deleuze, on peut reconstituer le raisonnement (et donc la démonstration de la nécessité du parallélisme) en développant le concept de l'expression (voir son livre à ce sujet).
Je ne m'y connais pas encore assez, mais il me semble que cela a à voir avec le fait que la seule chose qui puisse réellement être cause de soi, donc tirer son existence déjà uniquement de son essence, c'est une chose qui doit être constituée d'une infinité d'attributs qui n'ont rien en commun entre eux (donc ne peuvent pas avoir un lien causal non plus), tandis qu'ils expriment tous une seule et même substance/essence, ce qui fait qu'une production dans un attribut ne peut pas ne pas aller de pair avec une production dans un autre attribut (sinon Dieu ne serait pas indivisible, car on pourrait avoir un changement d'une partie sans qu'il y ait un changement du tout).
Enfin, je suppose que ce que je dis ici est peu convaincant. Il faudrait sans doute l'expliciter beaucoup plus. Je voulais seulement indiquer que SI on veut une preuve du parallélisme, c'est de ce côté-ci qu'à mon avis il faut aller la chercher.

Asche a écrit :Asche a écrit:
Ce qui me gène plus, c'est la concordance et la synchronicité d'événements distants.


Si ce n'est pas l'affection du Corps qui cause l'affection de l'Esprit, autrement dit (je ne suis pas encore à l'aise avec la terminologie spinoziste) si ce n'est pas la lecture du mot cercle qui cause l'apparition de ton idée du cercle dans ton esprit, mais que cette idée du cercle dans ton esprit survient par un enchainement d'idées qui est en quelque sorte parallèle à l'enchainement des choses, il y a alors une coïncidance proprement ahurissante entre le signal que constitue le mot cercle sur ton écran, et l'idée du cercle dans ton esprit.


je crois qu'il faut distinguer l'idée ayant pour objet le mouvement corporel déclenché par la lecture physique du mot 'cercle', et l'idée ayant pour objet le cercle. Cette dernière idée ne peut qu'être composée, et donc contenir notamment l'idée ayant l'affection de mon oeil par le mot 'cercle' parmi ces objets. L'idée du cercle est donc une idée 'de deuxième degré' si tu veux (mais cela, ce n'est pas un terme de Spinoza). C'est le fait que l'idée du mot cercle (donc du mouvement dans mon oeil) surgisse qui fait que l'idée composée du cercle, que j'avais déjà, est simultanément mise sous l'attention de mon Esprit (puisque une partie de son objet est 'présente'). En ce sens, on voit bel et bien une causalité uniquement au niveau des idées. Mais ce sont toutes des idées dans MON Esprit, qui reviennent toutes parce qu'en tant qu'idées, elles sont couplées, et donc arrivent toutes dès qu'une d'entre elle arrive dans l'attention de l'Esprit. Et cette 'première' idée n'arrive pas dans l'Esprit A CAUSE du fait que mon Corps est affecté, puisque l'affection et l'idée se produisent simultanément.

Cette coïncidence ne me semble pas être plus choquante que celle qui caractérise toute perception: quand je vois une voiture passer, le moment où la voiture passe et le moment ou je la vois, c'est bel et bien le MEME moment, un seul et même moment. Que la perception (l'acte de percevoir) se fasse simultanément avec la présence de la chose perçue (la voiture), c'est plutôt ce que postule déjà le sens commun, non? Seulement, dans le cas qui nous occupe, la chose perçue, c'est une affection de notre Corps. Alors il va de soi que quelque chose a causé cette affection (le mot 'cercle' écrit sur mon écran), tout comme le passage de la voiture a été causé par quelque chose (l'automobiliste qui avait décidé de passer à ce moment précis devant ma porte).
Mais l'acte de percevoir doit forcément se produire au MÊME moment que la 'présentation' de la chose perçue à mon oeil, en principe, non? Après, on pourra se re-présenter la voiture, et avant, on n'avait pas encore vu la voiture. La CAUSE de la perception n'est jamais cette perception elle-même (donc la coïncidence entre mon oeil touché par la voiture et la présence de la voiture à mon oeil n'est jamais la cause du fait que je vois la voiture). La cause de la perception doit être cherché dans ce qui c'est passé juste AVANT la perception. La cause de la perception est ce qui a fait rencontrer mon oeil et la voiture. Elle se trouve donc dans le croisement de deux lignes causales indépendantes mais non moins déterminées: la chaîne causale qui a fait qu'à ce moment précis, je me retrouvais devant ma porte d'une part, et la chaîne causale qui a fait que l'automobiliste était dans sa voiture et également devant ma porte d'autre part. Lui peut avoir décidé de se rendre à cette heure-là au cinéma (pour un tas de raisons qui ne concernent que lui), et moi je peux avoir décidé de sortir les poubelles à cette même heure (pour un tas de raisons qui ne concernent que moi). Donc la coïncidence des deux séries peut s'expliquer par deux chaînes causales indépendantes qui se croisent, cela n'empêche que cette coïncidence était la cause de ma perception, et que ma perception en tant que telle se faisait simultanément à la présence de l'objet perçu, que donc au niveau de la perception, il y a présence de l'objet et acte de percevoir qui forment 'une seule et même chose', pour ainsi dire.
Enfin, je ne sais pas dans quelle mesure ce que j'essaie de dire est clair?

C'est-à-dire qu'il y a dans le déroulement de ta journée et uniquement sur le plan du Corps un événement totalement fortuit : la lecture du mot cercle. Mais il n'y a, a priori, aucun événement parallèle sur le plan de l'Esprit, dans le déroulement de ta journée, qui pourrait expliquer miraculeusement la correspondance entre la lecture du mot, et la formation de l'idée. Vois-tu où je veux en venir ?


oui en effet, c'est donc bel et bien le problème du parallélisme. Il faut concevoir l'événement dans mon Corps et l'événement dans mon Esprit non pas comme DEUX événements réellement distincts, mais comme deux expressions simultanées de la seule et même chose: moi. Aussi longtemps qu'on conçoit ces deux événements comme DEUX choses, on ne peut que se demande ce qui pourrait les 'lier'. Or il n'y a pas de lien entre les deux, les deux SONT la même chose.

Asche a écrit :]
Pour le moment, la seule solution que je suis apte à envisager, mais à quel prix, est que le Corps et la Pensée coïncident (dans une semblance de miracle) par un ordre de détermination sous-jacent qui n'a rien à avoir avec la causalité telle qu'on la conçoit en physique par exemple. C'est ce que je signifiais dans mon premier message, à savoir que le fait que j'écrive le mot cercle de mon côté, et que tu aies l'idée de cercle du tiens, et cela de telle sorte qu'il semble que l'un ait causé l'autre, s'expliquerait par un déterminisme qui ne lie pas ces deux événements l'un à l'autre en chaîne causale, mais qui les lierait tout deux de manière parallèle mais indépendante à un événement antérieur commun qui aurait entrainé (et qui entrainerait en permanence) une forme de cohérence du monde, mais cela me semble excessivement difficile à envisager sérieusement.


je n'ai pas tout à fait compris ton raisonnement, c'est-à-dire je ne suis pas certaine de bien comprendre ce que tu veux dire par une 'causalité physique'. Que tu écrives le mot 'cercle' est de toute façon la cause efficiente d'un effet produit entièrement à l'extérieur de toi-même: un mouvement dans mon oeil à moi. Cela me semble correspondre entièrement à la causalité mécanique telle que le proposent les sciences modernes, non? Il n'y a aucun parallélisme entre ce qui se passe dans ton Corps et ce qui se passe dans le mien, puisque là nous avons bel et bien DEUX choses différentes. Le parallélisme ne se produit que dans une seule et même chose. Et le déterminisme régit sur toute enchaînement causale, donc certainement aussi sur le lien cause-effet constitué par l'écriture du mot de ton côté (cause) et la lecture du mot de mon côté (effet).

Asche a écrit :Voila, j'espère ne pas t'avoir trop ennuyé avec mon questionnement de débutant. En tout les cas, merci beaucoup pour ta réponse et ton mot de bienvenue.


c'est à moi de te remercier! Si je ne suis plus tout à fait 'débutante' en ce qui concerne Spinoza, il est clair que j'ai encore un tas de choses à apprendre, et alors des questions de gens qui commencent (enfin commencent, tu me sembles tout de même déjà être bien avancé) souvent sont très intéressantes, parce qu'elles t'obligent à voir les choses autrement, ou à expliciter ce que tu croyais avoir compris, ce qui permet de te rendre compte de tout ce qui reste encore obscure pour toi-même, c'est-à-dire cela te permet de toute façon de mieux préciser tes propres questions :? . Puis cela peut arriver aussi, bien sûr, qu'un 'débutant' a compris quelque chose que tu avais totalement sauté toi-même. Donc voilà, c'est en tout cas avec plaisir. :D

Avatar du membre
Asche
passe par là...
passe par là...
Messages : 11
Enregistré le : 15 août 2007, 00:00

Messagepar Asche » 15 août 2007, 20:55

Merci beaucoup Louisa pour ces clarifications ! Certains points demeurent obscures pour moi. Tes explications indiquent qu'il y a beaucoup de points communs entre le spinozisme et l'advaïta vedanta (doctrine de la non-dualité hindoue, forme de monisme visant l'expérience de l'unité) avec laquelle je suis philosophiquement très à l'aise, mais la "perspective conceptuelle" est très différente. Je vais relire attentivement ton message et surtout terminer L'Ethique, et je reviendrai discuter sur ce forum. En attendant, bonne continuation et à bientot :wink:

Avatar du membre
Vagabond
passe occasionnellement
passe occasionnellement
Messages : 23
Enregistré le : 21 avr. 2007, 00:00

Messagepar Vagabond » 16 août 2007, 08:04

Bonjour Asche,

Je crois que la reponse est donne par Spinoza:

Or, il résulte clairement de tous ces faits que la décision de l'âme et l'appétit ou détermination du corps sont choses naturellement simultanées, ou, pour mieux dire, sont une seule et même chose, que nous appelons décision quand nous la considérons sous le point de vue de la pensée et l'expliquons par cet attribut, et détermination quand nous la considérons sous le point de vue de l'étendue et l'expliquons par les lois du mouvement et du repos

Avatar du membre
infernus
a déjà pris quelques habitudes ici
a déjà pris quelques habitudes ici
Messages : 39
Enregistré le : 25 août 2002, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar infernus » 16 août 2007, 13:00

Louisa écrit : « Je crois qu'il faut distinguer l'idée ayant pour objet le mouvement corporel déclenché par la lecture physique du mot 'cercle', et l'idée ayant pour objet le cercle. Cette dernière idée ne peut qu'être composée, et donc contenir notamment l'idée ayant l'affection de mon oeil par le mot 'cercle' parmi ces objets. L'idée du cercle est donc une idée 'de deuxième degré' si tu veux (mais cela, ce n'est pas un terme de Spinoza). C'est le fait que l'idée du mot cercle (donc du mouvement dans mon oeil) surgisse qui fait que l'idée composée du cercle, que j'avais déjà, est simultanément mise sous l'attention de mon Esprit (puisque une partie de son objet est 'présente'). En ce sens, on voit bel et bien une causalité uniquement au niveau des idées. Mais ce sont toutes des idées dans MON Esprit, qui reviennent toutes parce qu'en tant qu'idées, elles sont couplées, et donc arrivent toutes dès qu'une d'entre elle arrive dans l'attention de l'Esprit. Et cette 'première' idée n'arrive pas dans l'Esprit A CAUSE du fait que mon Corps est affecté, puisque l'affection et l'idée se produisent simultanément. »



Vous n’apportez pas de solution en disant ceci. On ne s’en sort pas en parlant de simultanéité, car cela ne revient qu’à constater une concordance parfaite entre deux séries dont on présuppose sans le prouver qu’elles sont indépendantes, sans esquisser l’ombre d’une explication de cette dite concordance terme à terme, à la manière d’une certaine pensée magique faisant intervenir l’harmonie préétablie d’un Deus ex machina.

Vous ne trouvez pas l’équivalent dans l’attribut pensée de ce qui cause de manière efficiente la perception physique, l’affection du mode étendu et qui est le corps visible, le signifiant matériel qu’est le mot cercle. Dans une série, la perception physique faisant communiquer, interagir entre eux les corps, permet de penser un certain rapport causal entre deux phénomènes artificiellement délimités, ici l’écriture par x du mot cercle, et sa réception par y qui en dessine un. Ne sortant pas de la série pour expliquer quelqu’une de ses variations, nous disons que des mouvements corporels ont entraîné causalement, selon tel jeu d’interactions entre différentes configurations, tels autres mouvements corporels. Le mouvement physique d’écriture du mot cercle est une cause prochaine (que nous délimitons parmi une infinité de causes tout aussi déterminantes mais dont la proximité avec l’effet causé n’est pas aussi directement observable) du mouvement physique de perception du mot cercle, qui lui même met en branle d’autres mouvements physiques en réaction à la phrase lue qui consistent à dessiner matériellement un cercle. Pour le tenant d’un parallélisme strict, il ne suffit pas de dire que l’idée de l’affection physique du mot cercle, c’est-à-dire l’idée corrélative de la perception purement physique (mais une perception/affection purement physique existe-t-elle ?) est apparue au même moment que la réception physique du signifiant matériel cercle, comme par magie. Cela ne nous fait pas avancer non plus de décomposer le processus d’enchaînement des idées comme vous le faites en une première idée-affection qui entraînerait causalement la perception mentale de l’idée générale du cercle ainsi que toutes les idées dont elle est composée et celles qui lui sont associées par l’habitude. Car il faut toujours expliquer l’apparition de cette première idée-affection du cercle par sa cause prochaine, laquelle doit être une idée et pas un mouvement corporel. La solution consistera donc à dire que ce qui cause la perception par y de l’idée de cercle, est bien une idée, à savoir l’idée de cercle perçue par x à l’origine de la transmission du message, ainsi que l’idée que x a eu de vouloir transmettre tel message.

Il faut en réalité bien comprendre que le modèle de compréhension fondamental est le monisme. C’est une seule et unique réalité modale qui se déploie, se meut, s’exprime à travers toutes ses affections. C’est après coup que nous essayons de décomposer- recomposer les processus causaux à l’œuvre dans les déterminations du mode. Pour cela il nous faut bien veiller à ne pas confondre les niveaux de langage et perspectives explicatives, ainsi que nous le rappelle Paul Ricoeur dans son dialogue avec J.-P. Changeux dans "Ce qui nous fait penser". Il s’agit de ne pas mélanger des « discours hétérogènes ». Dans un discours il est question de neurones, de connexions neuronales, de système neuronal, dans l’autre on parle de connaissances, de sentiments, d’intentions, bref d’états de l’esprit. « Ou bien je parle le langage du corps, mode fini, qui était pour celui de l’espace, ou bien je parle le langage de la pensée, mode fini distinct, qu’il [Spinoza] continuait d’appeler l’âme. Et bien je parle les deux langages, mais sans que je puisse jamais les mélanger. » Un état neuronal décrit par l’observation scientifique, est le résultat de et engendre d’autres états de la matière en mouvement. A un état a du cerveau-corps, correspond une idée a’ de cet état sous l’attribut pensée mais qui ne se confond pas avec la description neuronale en langage scientifique objectivant, et qui constitue l’esprit du même mode au même moment. Si le cerveau est indéfiniment complexe par ses composants et leurs relations, l’idée du corps qu’est l’esprit du mode dont on observe le fonctionnement physique est aussi composée d’un réseau d’idées multiples en variation perpétuelle. De sorte que chez Spinoza la pensée ne saurait se réduire à la conscience, il y a donc la place pour les petites perceptions inconscientes que Leibniz a théorisé. L’infinité des variations infinitésimales des états de la matière correspond à celle de la composition complexe de l’esprit constitué d’idées expressives d’une même modification substantielle originaire. Le scientifique essaiera dès lors d’associer les vécus intérieurs de l’esprit auxquels il n’aura accès qu’à travers l’expression langagière du patient, avec les descriptions neuronales objectives de la matière par imagerie cérébrale. Mais l’ontologie spinoziste nous interdit de voir une relation de causalité entre les deux sphères. Ce n’est pas l’état neuronal qui est cause de l’état psychique, mais tous deux se correspondent et adviennent par leur propre procès causal de production et expriment une même modification de la Nature selon deux dimensions distinctes. « Le cerveau pense » ne peut ainsi être qu’un oxymore : seul l’esprit pense, le cerveau se meut dans l’étendue. D’où les spécialisations irréductibles des sciences modernes. Si nous voulons expliquer tel phénomène particulier qui est un mouvement de l’âme, alors nous nous faisons psychologue pour tenter d’exposer les combinaisons de composants et facteurs psychologiques, comme le sont les représentations mentales inconscientes ou conscientes, qui sont à l’origine de telles réactions comportementales directement observable. Si nous voulons expliquer telle configuration de la matière à l’instant t, nous nous faisons physicien en mathématisant les vitesses, positions, masses des parties de l’étendue.

Cela signifie qu’il est possible, au moins en droit, pour un certain démon omniscient, d’expliquer par les configurations d’états de la matière, tel mouvement de l’étendu à l’œuvre par exemple dans tel rite religieux observé extérieurement. Le parti pris de Durkheim par exemple est d’expliquer ce type de comportement humain par des représentations collectives, sociales. Le religieux le fera au nom d’une révélation surnaturelle, qui se traduira toujours en fin de compte par des états de conscience. Expliquer les déterminations modales à l’œuvre dans l’effectivité d’un rite religieux au sein de la perspective de l’attribut étendu, c’est-à-dire par exemple expliquer uniquement par la matière qu’un homme se mette à genoux les mains liées reviendrait à exposer dans le détail l’indéfinie complexité d’interactions physico-chimiques des parties entre elles du mode étendu mais aussi de ce corps avec les corps extérieurs, etc. L’ontologie spinoziste interdirait alors de faire intervenir dans ces mouvements physico-chimiques quelque puissance efficace venant de l’esprit et des représentations mentales. Si cela paraît complètement contre –intuitif lorsque nous voulons expliquer un comportement ressortant par excellence de ce que nous jugeons être une activité spirituelle, à savoir le fait religieux, cela n’apparaît pas inconcevable bien qu’irréalisable.

Avatar du membre
Asche
passe par là...
passe par là...
Messages : 11
Enregistré le : 15 août 2007, 00:00

Messagepar Asche » 16 août 2007, 13:50

Bonjour infernus, et merci pour votre réponse.

infernus a écrit :Cela ne nous fait pas avancer non plus de décomposer le processus d’enchaînement des idées comme vous le faites en une première idée-affection qui entraînerait causalement la perception mentale de l’idée générale du cercle ainsi que toutes les idées dont elle est composée et celles qui lui sont associées par l’habitude. Car il faut toujours expliquer l’apparition de cette première idée-affection du cercle par sa cause prochaine, laquelle doit être une idée et pas un mouvement corporel.


C'est là précisément le coeur de mon questionnement, que j'ai tenté d'expliciter en signifiant que le mot cercle est dans l'étendue, et que rien (aucune idée) selon ma compréhension limitée du spinozisme, ne semblait pouvoir expliquer l'apparition de l'idée du cercle, chez le récepteur de mon message. Si je vous comprend bien, vous dites que l'idée cause de l'idée chez le récepteur est l'idée présente chez l'émetteur :

infernus a écrit :La solution consistera donc à dire que ce qui cause la perception par y de l’idée de cercle, est bien une idée, à savoir l’idée de cercle perçue par x à l’origine de la transmission du message, ainsi que l’idée que x a eu de vouloir transmettre tel message.

Il faut en réalité bien comprendre que le modèle de compréhension fondamental est le monisme. C’est une seule et unique réalité modale qui se déploie, se meut, s’exprime à travers toutes ses affections.


Ca répond très bien à mon interrogation (sans me convaincre pour autant :wink: ). C'est ce que je commençais à "deviner", c'est un peu ce que je voulais signifier lorsque j'ai parlé de déterminisme d'un ordre sous-jacent, à savoir l'ordre de cette réalité unique comprise comme un tout, un processus global. Maintenant ce que j'aimerais comprendre, c'est est-ce que cette réalité unique s'exprime entièrement par ses affections, ou une partie demeure-t-elle cachée ? Autrement dit, la somme des affections des attributs reflète-t-elle entièrement la nature de la Substance ? Et quid de la science, dans tout cela ?

Avatar du membre
Faun
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 421
Enregistré le : 25 oct. 2004, 00:00

Messagepar Faun » 16 août 2007, 14:11

Il ne faut pas oublier de faire intervenir la distinction entre l'idée du cercle, qui s'accompagne d'une définition dans l'intellect, et l'image du cercle, purement corporelle. Si j'ai formé, par perception d'autres cercles avec mes yeux physiques, l'image du cercle dans mon cerveau, et que j'ai associé cette image à l'image du mot "cercle", alors ce que je communique à autrui en écrivant le mot cercle, c'est l'image d'un cercle dans l'étendue, physique, qu'autrui associera à une autre image de cercle qu'il a auparavant vu dans la nature. On est la purement dans l'attribut étendu et on n'en sort absolument pas.
Maintenant si j'ai étudié la géométrie et que j'associe l'image du cercle à une définition universelle du cercle, cela constitue un ensemble composé d'une image physique et d'une idée mentale ou intellectuelle, ensemble auquel je joins l'image du mot cercle. C'est cet ensemble de deux images et d'une idée que je pourrais communiquer à quelqu'un qui a lui aussi compris dans son esprit la définition universelle du cercle, et qui ne recevra pas une simple image, ni même deux, mais qui comprendra que j'ai également dans mon esprit une idée précise et vraie du cercle.
Et il est bien certain que nous n'avons pas d'autre moyen de communiquer nos idées d'esprit à esprit sans passer par le moyen des images corporelles, sauf peut être en ce qui concerne les affects, qui sont dans l'attribut pensant et qui semblent se communiquer directement d'esprit à esprit, même si s'y joignent évidemment des mouvements corporels, des affections de l'attribut étendu. Mais nous ne sommes pas là dans la transmission d'une idée vraie d'un objet géométrique, mais dans celle d'une idée confuse, comme l'est celle du cercle pour quelqu'un qui n'aurait jamais étudié la géométrie.
Modifié en dernier par Faun le 16 août 2007, 16:21, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Asche
passe par là...
passe par là...
Messages : 11
Enregistré le : 15 août 2007, 00:00

Messagepar Asche » 16 août 2007, 15:01

Merci Faun, tes explications recoupent celles de Louisa (sa référence au scolie de E2P18), et je commence à y voir beaucoup plus clair. Effectivement le lien entre le mot cercle que j'écris, puis le mot cercle lu et le cercle dessiné se passe entièrement dans l'attribut étendu, cela m'apparait clairement maintenant !
Je peux néanmoins supposer raisonnablement que l'idée de cercle, ou du moins du mot cercle, sera présente chez le récepteur du message, c'est cela qui est encore un peu obscur pour moi. Comment l'idée chez l'émetteur peut-elle être la cause de l'idée chez le récepteur. De dire que tout est Un ne me suffit pas. Je continue de chercher :wink:


Retourner vers « L'ontologie spinoziste »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 72 invités