"parallélisme" et communication

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Faun
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Messagepar Faun » 17 août 2007, 20:09

Toute cette théorie matérialiste est bien jolie, mais cela n'a absolument rien à voir avec Spinoza. Pour Spinoza le corps ne peut avoir aucun effet sur l'esprit, ni l'inverse. Par suite les idées ne sont pas causées par les neurones, ni les neurones par les idées. Ce qui fait que la communication est possible, c'est que tous les hommes pensent, c'est un axiome chez Spinoza. Et il est vrai qu'un livre est un objet corporel, composé d'images (les mots), qui sont également des choses corporelles, et donc ce qui se transmet d'un homme à l'autre, ce sont des images, des mots, c'est à dire des affections de l'attribut étendu dans le langage Spinoziste, et rien d'autre. Ce n'est que parce que les hommes ont appris à lire et à écrire, qu'ils ont le pouvoir d'associer, arbitrairement, certaines idées qui sont dans l'attribut pensant à certaines images de corps qui sont dans l'attribut étendu.
Mais l'attribut pensant est bien quelque chose de réel, d'existant chez Spinoza, et aussi dans la Nature, et les idées sont aussi réelles que les corps, même si personne n'a jamais vu une idée avec ses yeux, ce qui fait que beaucoup doutent de l'existence de l'esprit.

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Messagepar Asche » 18 août 2007, 14:36

Effectivement, cela semble expliqué dans le scolie E2P17 auquel faisait référence Louisa au tout début de la discussion.

Car aussi longtemps que le corps humain est ainsi affecté, l'esprit humain considérera cette affection du corps; c'est-à-dire qu'il aura l'idée d'un mode existant en acte, idée qui enveloppe la nature du corps extérieur [...]


J'en déduis que si l'idée du mode (l'idée du mot 'cercle') est associé par "conditionnement" à l'idée du cercle, alors cette idée apparaitra.

Toute mes excuses pour avoir ignoré cette explication.

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Qu'est ce que la "perception"?

Messagepar Vagabond » 18 août 2007, 19:14

Ce qui semble contredire l'idee d'un parallelisme absolument strict enoncee par Faun, non?

Pour Spinoza le corps ne peut avoir aucun effet sur l'esprit, ni l'inverse. Par suite les idées ne sont pas causées par les neurones, ni les neurones par les idées. Ce qui fait que la communication est possible, c'est que tous les hommes pensent, c'est un axiome chez Spinoza.


Je pense que le tenant principal de cette discussion - ou mieux: l'enjeu du parallelisme - c'est l'impossibilite du "libre-arbitre": car je ne bouge pas du fait d'une libre decision de mon ame.

Toute la nature semble bien pouvoir etre decrite en terme de parallelisme entre les deux attributs etendue et pensee. Si ces attributs sont definis principalement par rapport aux etres humains, ils doivent etre transposables memes dans "les corps les plus simples"...

Par exemple, la lumiere est a la fois ondulatoire (i.e. une "idee" mathematique et immaterielle) et corpusculaire (les photons). Or en Physique il y a bien des interactions multiples entre les "champs" et les corpuscules, les corps, la matiere: meme si j'avoue que ces traitements sont ainsi suivis parce qu'ils sont les plus simples pour aboutir pour nous humains.
Il semble qu'il y a des passerelles entre ces deux mondes... Ou plutot: dans les traitements de phenomenes tels que le l'electricite ou le magnetisme, on melange les deux aspects. Seulement par convenance ou facilite mathematique?
Peut-etre que ces traitements sont abusifs. Il est vrai que les atomes, les molecules peuvent etre penses a la fois comme des petites boules qui s'entrechoquent (attribut etendue) et comme des choses ayant des affinites chimiques (attribut pensee). Leur evolution peut etre traitee en termes de position et de vitesse ou en terme d'energie cinetique et potentielle (toujours associee aux champs dans lesquels baignent les corps).
Peut-etre que pour traiter l'electricite par exemple il faudrait etudier le mouvements des photons (vecteurs du champ electro-magnetique) et de la pression qu'ils exercent sur les ions ou les electrons... Mais ce serait presque inoui de complexite.
Alors que la force de Lorentz: F = q(E + vXB) ("intriquant" le champ electromagnetique (E,B) et la force exercee F sur une particule chargee q) est verifiee pour tant et tant de systemes...

D'ailleurs dans l'autre proposition, Spinoza semble assouplir son parallelisme:

Si le corps humain est affecté d'une modification qui exprime la nature d'un corps étranger, l'âme humaine apercevra ce corps étranger comme existant en acte ou comme lui étant présent, jusqu'à ce que le corps humain reçoive une modification nouvelle qui exclue l'existence ou la présence de ce même corps étranger.


Ce qui semble impliquer que "les idees" ou les representations humaines, les reflexions, les pensees, se "transmettent" grace aux ou par les corps, par le biais des choses de l'attribut etendue. Ou bien au contraire: y a-t-il vraiment un determinisme purement ideel que nous ne connaissons pas encore vraiment?

Donc que veut dire Spinoza quand il parle de "perception" - si ce n'est une interaction etendue-pensee?

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azizi
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Messagepar azizi » 19 août 2007, 02:41

Mes chers amis j'aime bcp spinoza et surtout son révolution contre l'ecole rabinique,descartes constituait pour lui un idole le mien aussi.

je suis juristes Marocain et j'ai créé un blog pour le droit mais il n'y a pas un droit sans philosophie. Ma référence à votre site est une exigence logique qui émane d'un esprit ouvert tolérant et respectueux des autres.
je vous invite tous mes chers amis de visiter ce blog,blog des débat utils et des idées..
www.juratores.skyrock.com

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Re: Qu'est ce que la "perception"?

Messagepar Asche » 19 août 2007, 12:30

Vagabond a écrit :Ce qui semble contredire l'idee d'un parallelisme absolument strict enoncee par Faun, non?


Je pense que je commence à piger. Le mot 'cercle' n'est rien d'autre qu'une série de lettres ou de sons et ne contient pas en lui-même, intrinsèquement, l'idée de cercle ou l'idée du mot 'cercle', cela est évident pour tous. Ainsi il est impossible qu'il soit la cause de l'idée de cercle ou de l'idée du mot 'cercle'. Les idées émergent simplement par leur association au mot, mais le mot 'cercle' n'est pas la cause de l'idée en tant qu'elle est l'idée du 'cercle' ou du mot 'cercle'. Je pense que c'est ce qu'il faut comprendre. Le mot est la cause indirecte (par le mécanisme d'association) de la réapparition dans l'esprit de l'idée, mais il n'est pas la cause de l'idée en ce qui la constitue. L'idée du cercle ne peut, en tant que telle, qu'être causée par l'ensemble des autres idées qu'elle contient (idée de point, de centre, de ligne, de distance, d'égalité, etc). Le parallélisme n'est donc pas ce que j'ai cru à prime abord. Louisa parlait de cause efficiente, je n'avais pas saisi la subtilité. Il y a bien une forme de liaison entre l'étendue et la pensée, mais cette liaison ne concerne pas la nature des modes de ces attributs, mais seulement leur ordre.

Vagabond a écrit :Je pense que le tenant principal de cette discussion - ou mieux: l'enjeu du parallelisme - c'est l'impossibilite du "libre-arbitre": car je ne bouge pas du fait d'une libre decision de mon ame.


Tout les modèles déterministes interdisent le libre arbitre, ce n'est pas propre au spinozisme. De plus, on pourrait imaginer un libre arbitre confiné au monde des idées (penser ce que l'on veut, sans pour autant causer un effet sur l'étendue), le parallélisme ne démontre donc pas directement l'absence de libre arbitre.

Vagabond a écrit :Par exemple, la lumiere est a la fois ondulatoire (i.e. une "idee" mathematique et immaterielle) et corpusculaire (les photons). Or en Physique il y a bien des interactions multiples entre les "champs" et les corpuscules, les corps, la matiere: meme si j'avoue que ces traitements sont ainsi suivis parce qu'ils sont les plus simples pour aboutir pour nous humains.


La physique quantique suggère plutôt l'inverse, ce sont les particules qui s'avèrent être une abstraction "humaine", tandis que la réalité serait ondulatoire. Dans tout les cas, onde ou particule, en tant que mode de l'étendue, cela fait partie de l'étendue, et en tant que mode du penser, c'est-à-dire en tant que théorie, cela fait partie de la pensée. Le rapprochement que tu fais ici me semble bien fragile et abusif.

Vagabond a écrit :D'ailleurs dans l'autre proposition, Spinoza semble assouplir son parallelisme:
Si le corps humain est affecté d'une modification qui exprime la nature d'un corps étranger, l'âme humaine apercevra ce corps étranger comme existant en acte ou comme lui étant présent, jusqu'à ce que le corps humain reçoive une modification nouvelle qui exclue l'existence ou la présence de ce même corps étranger.

[...]
Donc que veut dire Spinoza quand il parle de "perception" - si ce n'est une interaction etendue-pensee?


C'est aussi ce que j'ai cru un moment mais je pense maintenant que tout cela se situe dans l'étendue. L'âme qui perçoit le corps étranger, ce n'est pas (encore) de la pensée, c'est de l'image, ça appartient à l'étendue, si je ne me trompe. C'est-à-dire qu'il faut bien différencier conceptuellement le couple corps/esprit et le couple étendue/pensée. C'est seulement lorsque cette image sera associée à l'idée de cette même image, qu'on pourra évoquer le parallélisme. Il semble bien que pour Spinoza il existe une liaison étendue-pensée, mais les modes de tel attribut ne peuvent pas déterminer la nature des modes (par exemple l'idée du cercle en tant qu'elle est l'idée du cercle) d'un autre attribut. C'est comme cela qu'il faut entendre le parallélisme. Et vu comme ça, c'est beaucoup plus logique !

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Louisa
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Messagepar Louisa » 23 août 2007, 16:58

Bonjour Asche!

désolée pour cette réponse un peu tardive, quelques jours de maladie m'ont empêché d'y revenir plus tôt.

Asche a écrit :Louisa a écrit:
Et on sait que pour Spinoza, à l'intérieur d'un attribut il y a causalité d'un mode sur un autre (c'est même la seule causalité qu'il accepte, au niveau modale). Dès lors, la question devient: est-ce qu'une idée appartenant à l'Esprit de Paul peut, en tant que telle, causer une idée appartenant à l'Esprit de Pierre?


Je m'avance, mais ne peut-on pas imaginer que pour Spinoza la causalité entre idées (et pareillement entre corps), ne fait que figurer une causalité (la seule) sous-jacente, non manifeste mais réelle et propre à la substance et sur laquelle nous ne pourrions rien dire hors de ce que l'on déduit de ses affections sur différents attributs ? Autrement dit, la causalité se situe-t-elle vraiment au niveau des modes, les modes sont-ils concrètement les "moteurs" de la causalité, ou au contraire les modes ne font-ils que refléter sous certains aspects manifestes le véritable processus en cours dans la substance ?


je crois qu'on peut dire en effet que la causalité qui détermine les effets d'un mode d'un attribut sur un autre mode appartenant au même attribut, est exactement la même que celle qui détermine la chaîne causale entre une autre expression modale de la même chose mais dans un autre attribut, et son effet. C'est ainsi que je comprends pour l'instant le parallélisme.
Or dans ta façon de présenter les choses, le risque n'est-il pas de s'imaginer un niveau de causalité littéralement sous-jacent aux choses? C'est le fait que tu parles de 'reflet' qui me donne cette impression. Car si tu appelles la causalité du niveau disons zéro le 'véritable' processus, on dirait que les modes (niveau plus un) ne sont plus que des apparences. On est proche alors d'une pensée 'émanatiste', où une source contiendrait toutes les causes de façon 'éminente', tandis que le monde ne serait que ce qui en découle, le reflet étant toujours moins parfait que la source.
Si c'est cela à quoi tu pensais, je crois que c'est difficile de le concilier avec la pensée spinoziste. Car n'oublie pas qu'il dit qu'il n'y a rien hors de la substance (c'est-à-dire les attributs) et les modes. Les modes ne sont pas des 'apparences' mais des modifications, des affections de l'attribut. On ne peut pas penser un mode pe comme quelque chose dont on voit d'abord le reflet dans le miroir, et qui aurait une existence véritable hors du miroir. Le mode ne dédouble pas quelque chose de singulier déjà présent dans l'attribut, il MODIFIE cet attribut. Au lieu d'avoir une causalité réelle et puis une causalité liée au miroir, dans lequel tous les modes réels seraient réflétés, il n'y a qu'une seule causalité réelle, qui com-prend les modes.
Sinon le 'moteur' de la causalité demeure simplement la cause première, c'est-à-dire la substance. Seulement, là aussi chaque mode est doué d'un degré de puissance, qui fait qu'il produit nécessairement et de façon déterminée des effets sur lui-même et sur d'autres modes. Si bien que la cause première est en même temps une cause immanente, qui fait qu'en effet, en tant que chaque mode est une partie de la puissance productrice divine, chaque mode est lui-même moteur de ces actions (et moteur 'à moitié' de ses passions)). Si on dédouble ces deux types de causalité (causalité substantielle ou cause première et causalité entre les modes), on néglige l'apport de la cause immanente, je crois, qui fait que justement, la substance est cause première donc premier moteur de tout, tandis qu'en tant que cause immanente de chaque mode, ce mode lui-même devient un 'petit' moteur, une partie du seul et unique moteur qui détermine le tout.
Enfin, je ne sais pas si c'est très clair ce que je dis. Il faudrait peut-être d'abord voir dans quelle mesure ceci répond à ta question ou si je ne t'ai pas très bien compris.

Je mentionne cependant que c'est par cette hypothèse que j'entrevois depuis le début de lourds problèmes métaphysiques, plus précisément concernant la nature de ce processus dans la substance, mais je ne m'expliquerai éventuellement que si j'ai un écho concernant cette idée que j'avance sans savoir s'il est peut cadrer avec la philosophie de Spinoza.


en tout cas, tel que tu le décris j'ai l'impression que l'on tombe de nouveau dans un dualisme, et que c'est précisément pour remédier aux failles traditionnelles d'un dualisme que Spinoza a proposé son immanentisme moniste. Mais tu vois peut-être d'autres problèmes?

Asche a écrit :Louisa a écrit:
j'ai lu ce livre avec beaucoup de plaisir, mais pour l'instant, même si j'y ai appris un tas de choses, je reste sceptique quant à l'idee principale. Car si le titre est bel et bien 'la conscience expliquée', simplement dire que la conscience n'est qu'une illusion ne me semble pas vraiment être une 'explication', c'est plutôt jeter le bébé avec l'eau du bain. Donc comme tu le dis: pour moi cette théorie ne résoud PAS le problème corps-esprit.


Oui c'est l'impression qu'il donne à plusieurs de ses détracteurs, de seulement feindre d'expliquer la conscience en ignorant la question essentielle qui nous intéresse, à savoir celle qui concerne la nature de l'expérience subjective.


je dirais plutôt qu'il n'explique pas comment articuler l'expérience subjective aux processus cérébraux qu'il décrit. Il donne un modèle du fonctionnement éventuel du cerveau conscient, mais je ne vois pas très bien en quoi cela 'expliquerait' l'aspect spirituel de la conscience. On peut toujours dire qu'il ne croit pas que cet aspect existe et que donc cela n'a pas de sens d'en parler, mais une croyance n'est pas une explication. Que le niveau spirituel n'est rien d'autre que de la matièrel semble être son hypothèse de départ. Sur base de celle-ci, je ne vois pas comment son livre pourrait traiter du problème du spirituel et a fortiori du problème de l'articulation entre les deux. Cela n'a du sens de traiter de ce problème que si l'on travaille sur base d'une autre hypothèse: que les deux niveaux existent et qu'il y a une articulation.

Asche a écrit : Pour ma part je ne suis pas aussi catégorique que toi, j'ai le sentiment qu'il tient là une part de la réponse. C'est aussi ce qu'il prétend. Je veux dire par là qu'il a conscience des critiques qu'on lui oppose et qu'il pense que sa théorie couvre bel et bien le champs de l'expérience intime, il faut peut-être lui "donner sa chance". Je vais tenter de m'expliquer mais je ne garantie pas que ce soit très intelligible. Mon impression, car c'est bien de cela qu'il s'agit, et non d'une certitude ni d'une compréhension, est que suivant son modèle, dès qu'il y a pertinence (dans un cadre compétitif) d'un processus vecteur de signaux (un processus neurologique), alors il devient légitime de parler d'information, et que l'information est la conscience. En effet, et j'ai le sentiment que Dennett n'est lui-même pas clair sur ce point, l'information n'a de sens que relativement à l'expérience subjective. Il n'y a pas, en soi, d'information dans l'univers. L'information est ce que le sujet "extrait" de l'univers et qui constitue sa nature (au sujet, qui est à entendre ici de façon non-dualiste et non comme un spectateur). Pour schématiser, conscience = information = sujet.


je ne me souviens plus exactement de comment Dennett formule lui-même ce que tu écris ici, mais sur base de ce que tu en dis, j'ai l'impression que dans ce cas, je ne vois plus très bien la différence entre perception et conscience. La perception est déjà une façon d'extraire de notre environnement des données sensibles. Or nous savons que même une tique fait cela. En théorie, on devrait alors dire non pas que la tique est MOINS consciente qu'un être humain, mais seulement consciente de MOINS de choses que les hommes, la tique ne percevant que 2-3 facteurs (la chaleur des corps qui rentrent dans son champ de perception, etc), tandis que nous sommes constitués, comme le dit Leibniz, de mille petites perceptions. On pourra alors dire que dans ce cas, la conscience doit être le taux d'élaboration de réseaux entre ces petites perceptions, d'une telle façon que plus un réseau intègre de différentes perceptions, plus le système qui contient ce réseau (notre cerveau) doit être dit 'conscient'. Je trouve cette théorie vraiment géniale, et très intéressante. Au niveau de l'Etendue, cela me semble être fort plausible, mais ... est-ce autre chose que ce que Spinoza disait déjà? Concrètement oui, bien sûr, on ne peut pas comparer l'Ethique à Consciousness Explained, et celui-ci ajoute un tas d'infos fascinants à la question. Mais quand Spinoza dit pe que notre Esprit est une idée, idée de notre Corps, et idée COMPOSÉE d'une infinité d'autres idées, celles-ci ayant des affections de notre corps (donc des modifications à cause de rencontre internes ou externes, bref en un sens des perceptions) comme objet, ne dit-il pas à sa façon déjà que l'Esprit (qui chez lui est toujours conscient) c'est l'idée qui englobe toutes ces idées?
Alors on peut dire que Dennett essaie de retraduire cette théorie en des termes purement neuronaux, et c'est tout le mérite du livre. Mais je ne vois pas en quoi il dépasserait le niveau des neurones, et qu'il nous dirait aussi quelque chose sur le lien entre neurones et idées, si tu vois ce que je veux dire?

Asche a écrit :Pour envisager la légitimité de l'hypothèse de Dennett et de mon interprétation très personnelle de celle-ci, il faut postuler que l'univers est ainsi fait qu'il y a conscience, c'est-à-dire information manifeste (et l'information est toujours manifeste comme je viens de le suggérer), lorsque le processus physique à l'oeuvre s'inscrit dans une logique d'évaluation du signal, ou logique "computationnelle". OR à mon sens, TOUT dans l'univers s'inscrit dans une telle logique


oui, cette idée me semble être très intéressante, et c'est aussi ce que je trouve moi-même chez Dennett. Mais n'est-ce pas déjà formulée par Spinoza et Leibniz quand ils parlent de l'animisme universel? L'idée que toute chose a un esprit? Seulement, eux ils proposent la théorie du parallélisme pour expliquer l'articulation esprit-corps. Chez Dennett je ne vois pas de théorie qui explique cette articulation. Il s'en tient au niveau des corps, on dirait. Ce qui bien sûr est très bien, cela n'enlève rien à la grande qualité de son livre. Seulement, je ne vois pas comment en tirer des conclusions pour le niveau purement spirituel. Il ne parle pas des idées, il parle des corps. C'est ce qui me fait penser que pour lui, les idées n'existent pas en tant que pures idées, ce sont toujours uniquement des choses corporelles. C'est une hypothèse comme une autre, mais c'est une hypothèse, pas une vérité ou une explication, il me semble.

Asche a écrit : et plus globalement dans un cadre darwiniste, mais à des niveaux très différents. Dans le cerveau humain, la capacité de computation est si intense et si complexe qu'il se forme une sorte d'îlot de conscience duquel découle une trompeuse impression d'unité (qui n'est pas à confondre avec l'autre illusion d'unité, plus "grave" celle-là, constituée par le "moi" qui procède l'identification à l'ego). Vu sous cet angle, la conscience serait en quelque sorte un "plan" de la réalité qui serait déterminé par la matière, mais qui n'aurait aucun pouvoir de détermination sur sur celle-ci. Il faut comprendre ici que ce "plan" est contingent, il n'existe pas de manière absolument nécessaire, il n'existe que dans la mesure où il y a de la matière qui compute, mais puisque toute matière compute, il existe constamment.


oui, je crois qu'en grandes lignes je suis tout à fait d'accord, sauf que je ne comprends pas très bien pourquoi tu dit que ce plan de la réalité n'a aucun pouvoir de détermination sur la matière. Dennett réduit ce plan à de la pure matière je croyais, non? Alors comment une partie de la matière qui est constamment en interaction complexe avec son environnement matériel (les mille perceptions) pourrait-il ne pas à son tour avoir des effets sur la matière?
Autrement dit: je ne vois pas en quoi le plan formé par la conscience tel que tu le décris (et qui me semble en effet correspondre à ce que je me souviens de Dennett) aurait un aspet immatériel?

Tout cela nécessiterait d'être clarifié, bien entendu. D'ailleurs ce n'est peut-être qu'un délire personnel, car en fait je n'y connais pas grand chose, ni en philo, ni en sciences cognitives.


en tout cas, je ne prétends pas du tout être une experte en la matière non plus. Seulement, j'ai l'impression que ce que tu dis est fort proche de l'explication de Dennett ET aussi de ce que Spinoza dit cc l'attribut de la pensée.

Asche a écrit :Louisa a écrit:
C'est le réseau lui-même qui contient la conscience. Du moins dans son aspect corporel. Et on pourrait effectivement se demander pourquoi, dans ce cas, il faudrait encore parler d'un 'esprit', puisqu'on n'a plus besoin d'un spectateur?

Oui, peut-être faut-il abandonner l'idée de plusieurs esprits séparés, comme je le suggère dans ma "théorie" ?


je n'ai pas vraiment compris en quoi ce que tu écrivais impliquait qu'il fallait abandonner l'idée de plusieurs esprits séparés. A mon sens tu donnais une explication entièrement matérialiste au processus de la conscience, tout en maintenant l'idée qu'il y aurait un aspect spirituel à la conscience, quand tu dis que la conscience ne peut pas 'intervenir' dans la matière. Mais je ne vois pas très bien ce que du coup l'idée de conscience spirituelle vient faire dans une explication purement matérielle. C'est peut-être pourquoi je n'ai pas trop compris non plus que tu abandonnais l'idées de plusieurs esprits séparés.

Asche a écrit : Enfin une chose est certaine pour moi, et je tiens cela de mon étude des spiritualités non-dualistes, les phénomènes de conscience (perceptions, pensée, ...) n'adviennent pas à "quelqu'un" ni à un spectateur d'aucune sorte, mais ils adviennent, "tout court". La pratique de la constatation de cette vérité est une porte d'accès à l'Eveil : quand je regarde, et que je constate qu'il n'y a personne qui regarde mais qu'il n'y a que la vision, non-duelle, je permet la dissolution de mes préjugés égoïques (inadéquats?) dans ma simple présence. Cela rejoint Spinoza lorsqu'il parle d'abandonner l'idée des causes extérieures, mais c'est un autre sujet.


je ne m'y connais pas DU TOUT en religions non occidentales, donc je ne pourrai rien en dire. Juste une question donc: spontanément, j'ai tendance à penser l'inverse de ce que tu écris ici. C'est que tu me sembles travailler avec deux sens de dualisme différents: il y a le dualisme occidental classique, qui est celui entre un corps particulier et l'esprit particulier de ce corps (dualisme corps-esprit), puis il y a le fait que quand il y a perception, il faut bien qu'il y ait une chose qui perçoit et une chose qui est perçu (le dualisme sujet-objet). Si en effet ce dernier dualisme ne fait pas l'unanimité déjà en Occident, je peux m'imaginer qu'on le retrouve plus rarement encore ailleurs. Mais je ne vois pas très bien en quoi cela pourrait nous aider à résoudre le premier type de dualisme, celui du corps-esprit.
Pour la présence: il y a des gens sur ce forum qui sont assez bien informés des pratiques/philosophies orientales et qui donc pourront en dire plus. Seulement en ce qui concerne Spinoza: j'ai l'impression que pour lui, 'rendre présent', c'est précisément le rôle de l'imagination. Les idées adéquates sont toujours des résultats d'une conception/contemplation 'sub specie aeternitats', c'est-à-dire hors temps. C'est pourquoi pour l'instant j'hésite à lier la présence (ou la 'conscience pleine') des bouddhistes pe à ce que Spinoza a voulu donner comme signification à ce terme.

Asche a écrit :Louisa a écrit:
Seulement, il y a d'autres conceptions de l'esprit possibles, notamment celle de Spinoza. Et alors je ne vois pas ce que Dennett pourrait avoir montré qui irait à l'encontre de la conception spinozienne, il ne traite tout simplement pas de ce problème, il me semble.


Il me semble que tu réponds toi-même à cette question, ici :

Louisa a écrit:
j'aurais tendance à dire que les implications métaphysique de Dennett, c'est qu'il faudrait abandonner toute possibilité de 'causalité spirituelle', de causalité d'idée à idée. Donc de toute interaction qui serait non corporelle.


ce sont des 'implications' de ce qu'il écrit, mais je n'ai pas l'impression qu'il a MONTRÉ pourquoi il faudrait accepter ces implications. Comme je viens de le dire, j'ai plutôt l'impression que son hypothèse de travail, à la base de tout le livre, ne dit rien d'autre que ces 'implications'.

Asche a écrit :Dennett s'inscrit dans un monisme matérialiste, malgré que nous soyons d'accord pour dire que sa théorie est comme tronquée de la part "spirituelle" et est par conscéquent incomplète.


oui voilà, c'est donc bel et bien son point de départ qui 'élimine' l'esprit. Mais c'est pourquoi à mon sens lui dire qu'il n'explique en rien le rapport corps-esprit, est légitime, non?

Asche a écrit :
Louisa a écrit:
Moi-même pour l'instant j'ai préfère croire à l'existence d'un tel type de causalité (mais cela ce n'est que depuis que j'ai lu Spinoza, avant j'étais plutôt 'matérialiste'). Pourquoi? Parce que j'ai l'impression que pe l'idée de culpabilité, c'est une idée qui en tant que telle, si on l'apprend à un enfant pe, aura des effets sur sa personnalité et sa vie entière.

Bien sûr mais nous n'avons pas besoin de la 'causalité spirituelle' pour cela. Si l'idée en tant qu'expérience mentale ne fait qu'émerger de processus neurologiques, cela est autant valable pour la mère que pour l'enfant.


oui ok, mais tout est déjà dit avec la notion de "émergence". Dire que le spirituel 'émerge' du physique, souvent ne veut rien dire d'autre, j'ai l'impression, qu'on accepte bien que nous avons des expériences spirituelles, mais qu'en fait ce ne sont que des illusions. Ce qu'il fallait prouver (que le spirituel n'existe pas, n'a pas de causalité en soi) est simplement évacué en 'déclarant' que cela n'existe pas. C'est pourquoi pour moi il s'agit d'une croyance, pas du tout d'une théorie philosophiquement ou scientifiquement expliquée/démontrée.
Ce n'est que quand on prend le terme 'émergence' au sens proprement scientifique qu'il ne s'agit plus d'un simple 'déclarer inexistent'. Mais justement, dans ce cas l'émergence se caractérise toujours par le fait de former un plan de la réalité qui contient ses propres lois, lois qui ne sont PAS réductibles aux lois qui caractérisent le plan 'soujacent', c'est-à-dire le plan d'où il émerge.

Asche a écrit : Vu de "l'extérieur", une mère transmettra certaines idées à son fils, il y a aura des "effets negatifs" chez l'enfant qui lui apparaitront comme étant de la culpabilité, etc, même si fondamentalement tout n'aura été qu'échange physique. Les monistes matérialistes cherchent eux aussi à rendre compte de la réalité telle qu'elle est, et ne peuvent donc pas nier l'influence de l'éducation, seulement elle ne se passe pas forcément là où on le croit.


je dirais plutôt: un moniste matérialiste travaile avec l'hypothèse de base que tout ce qui existe DOIT être réductible aux lois de la matière. C'est une croyance comme une autre, il me semble, non?

Asche a écrit :Louisa a écrit:
Cela n'empêche qu'éventuellement, la manière de penser qu'implique la notion de culpabilité (la doctrine chrétienne pe), pourrait en tant que telle avoir d'autres effets qu'une autre manière de penser. Qu'éventuellement les idées se communiquent en tant qu'idées ou par le moyen du corps n'y change rien.

La manière de penser "pourrait" avoir un effet, oui, mais cela n'est pas encore une certitude, en ce qui me concerne. Et je ne pense pas que la manière dont se communique l'idée n'y change rien. Si on envisage que l'idée n'est que pur effet, causée par le corps, ce n'est pas l'idée de culpabilité qui sera à l'origine d'un mal-être, mais plutot un mal-être qui se traduira, par correspondance, par l'idée de culpabilité.


oui d'accord, le fait de supposer une causalité proprement spirituelle n'est pas moins une croyance que l'hypothèse matérialiste.
Sinon ce que je voulais dire par ma deuxième phrase, c'était simplement que la question de savoir si l'idée de Paul cause directement l'idée chez Pierre, ou s'il faut passer par un intermédiaire, ne change en rien le fait que l'on peut postuler qu'il y ait une causalité purement spirituelle.

Asche a écrit :Louisa a écrit:
Cela est important car cela implique que la philosophie, pe reste une activité 'cruciale' pour 'l'humanité', au sens où SI une manière de penser entraîne certaines choses et en empêche d'autre, ALORS travailler sur le niveau purement intelligible de l'existence humaine est très important

Peut-on seulement arrêter de réfléchir ? Si il n'y a pas de causalité spirituelle, le fait de le savoir ne pourra pas avoir comme effet que l'on cesse de réfléchir, puisque précisément on viendra de postuler que le savoir est inapte à produire un effet. Donc je ne m'inquiète pas trop à ce sujet !


ben ... si le monisme matérialiste dit que 'réfléchir' ce n'est rien d'autre qu'un processus matériel qui répond à des lois purement matérielles, on va bien sûr continuer à réfléchir (comme tu le dit, on ne pourrait pas ne pas le faire), mais ce que je voulais dire c'est: quel sens est-ce que cela aurait encore de s'occuper d'un travail (au sens de 'métier', activité professionnelle) purement conceptuel, c'est-à-dire un travail où l'on essaie par la construction de nouvelles idées et par elle seule d'influencer les pensées des autres, si le monisme matérialiste avait raison, donc si c'était prouvé qu'il n'existe aucune causalité proprement spirituelle?

Asche a écrit :Lousia a écrit:
La question est de savoir si cela vaut la peine de travailler sur des 'idées pures', si on est fondamentalement matérialiste. Et de savoir si un travail purement 'idéelle' est seulement possible, quand on est matérialiste, a fortiori quand on est un philosophe matérialiste ... ?

Je me répète, mais si l'on est matérialiste radical, sans pour autant nier l'expérience subjective (ce qui serait ridicule), alors le "travaille sur les 'idées pures'" se produit en quelque sorte spontanément, il ne saurait être question de cesser de réfléchir. Pour cesser de réfléchir, selon le point de vue matérialiste, il faudrait stoper la matière, or nous n'avons pas un tel pouvoir. Le travail intellectuel n'est que le reflet d'un travail matériel, il doit donc perdurer.


comment, si tout est matériel, pourrait-il exister, à côté de cela, un monde qui serait le 'reflet' de ce monde matériel? J'ai l'impression que dès qu'on travaille avec cette notion de reflet, on est de nouveau dans le problème corps-esprit, donc dans un potentiel dualisme. Si on veut être matérialiste, on doit déclarer 'inexistant' tout ce qui est 'intellectuel', non?

Asche a écrit :Ceci dit, tes dernières remarques soulèvent la question du libre arbitre et de la place de la réflexion intellectuelle dans la conception du bonheur spinoziste, et je pense que c'est un sujet sur lequel on pourrait s'étendre longuement encore. J'ai le sentiment que Spinoza, en postulant un déterminisme implacable, nous incite à calmer nos prétentions à maîtriser le monde, il nous guide vers une écoute de soi, plus silencieuse. La réflexion n'est pas écartée, mais est-elle le moteur du bonheur ? J'en doute...


tout dépend de ce que tu appelles réflexion, mais je ne vois rien chez Spinoza qui irait à l'encontre de l'idée de 'maîtriser' le monde, et le fait même qu'il faut essayer de voir l'essence singulière d'un maximum de choses hors de nous pour arriver à la béatitude (voir 5e livre de l'Ethique) exclut, je crains, l'idée d'une philosophie du bonheur concentrée sur une 'écoute de soi'. Il s'agit bien de s'unir à TOUT le monde, et cela sans cesse, maximalement. Mais comme je viens de voir que Flumigel a repris la discussion là-dessus, il faut peut-être la prolonger dans l'autre fil.
Merci de tes réflexions!
Louisa

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Messagepar hokousai » 29 août 2007, 01:19

à Infernus




Vous n’apportez pas de solution en disant ceci. On ne s’en sort pas en parlant de simultanéité, car cela ne revient qu’à constater une concordance parfaite entre deux séries dont on présuppose sans le prouver qu’elles sont indépendantes, sans esquisser l’ombre d’une explication de cette dite concordance terme à terme, à la manière d’une certaine pensée magique faisant intervenir l’harmonie préétablie d’un Deus ex machina.


Il me semble que pour Spinoza aucun évènement du monde dans l’étendue ne peut être aussi pensé . Mais il ne nous est pas donné d’ avoir nous toutes les idées de tous les évènements du monde des corps ni même celle des évènements de notre propre corps .Il n’empêche que toute modification d’ un corps est en parallèle une modification dans l’attribut pensée .( en Dieu c’est à dire le plus souvent bien au delà de nos possibilités de penser )

La cause d’une idée c’est une idée ce n’est pas un mouvements (modifications ) d’un corps .
Nous pouvons, nous , établir des causalités transversales qui sont de notre science générée par l’ habitude d’ observer la présence par exemple de l’idée de cercle lorsque qu’ un cercle est perçue par les yeux .

Ce qui a causé l’idée de cercle est néanmoins une modification de la pensée et non de l’étendue .Je veux dire que la chaîne de causalités naturelle dans laquelle s’inscrit une idée est la chaîne des idées pas celle des corps .A moins que vous ne puissiez plus distinguer ce qu’est une idée d’une chose étendue .

C’est la causalité transversale qui est posée comme deus ex machina ou vertu dormitive ou que sais -je d’efficience comme pétition de principe .


[/quote]

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Messagepar infernus » 30 août 2007, 18:40

A Hokusai, qui écrit : « C’est la causalité transversale qui est posée comme deus ex machina ou vertu dormitive ou que sais-je d’efficience comme pétition de principe. »

La causalité « transversale » paraît pourtant intuitivement être une explication plus naturelle, spontanée, fût-elle forgée par vingt siècles de christianisme. Nous n’avons en tout cas pas une vision plus claire et distincte de ce en quoi consiste réellement une causalité intra-attribut, c’est-à-dire que le passage entre ce qui cause et ce qui est causé ne nous est jamais donné à voir clairement et distinctement en lui-même, mais bien plutôt reconstruisons nous artificiellement quelque succession d’états au moyen de divers procédés. La critique humienne de la notion de causalité n’est pas moins efficace lorsque nous restons au sein d’un même attribut. L’indivisibilité réelle du mouvement continu que Bergson appelle à penser est bien celle des mouvements de la matière comme ceux de l’esprit. Les sciences dites dures se trouvent devant le même embarras lorsqu’il s’agit de décrire précisément et conceptuellement ce en quoi consiste réellement la causalité efficiente au sein de la matière. Elles expliqueront ainsi un phénomène en faisant intervenir des correspondances entre conditionnant et conditionné, expliquant et expliqué. Nous pouvons avoir affaire à une explication compositionnelle ou analytique, où l’expliqué est contemporain des éléments qui l’expliquent. La loi de Boyle-Mariotte par exemple permet d’expliquer (approximativement) la température d’un échantillon de gaz à un instant t donné en faisant appel à sa pression (étant donné le volume occupé) au même instant t, mais également d’expliquer sa pression à partir de sa température. L’explication ici ne vise pas à mettre à jour le lien de causalité transitif dans le temps entre deux états de choses, mais plutôt à mettre à jour des rapports simultanés, contemporains entre deux états de choses. Tel état sera défini, expliqué par les rapports qu’il entretient avec tel état de choses extérieur que l’on constate au même moment. En mathématique et en logique, on peut expliquer un fait portant sur un objet abstrait en faisant appel à des axiomes et théorèmes qui valent dans le domaine de l’objet en question. De telles explications se situent sur un terrain complètement étranger à la causalité. On ne fait qu’exposer des liens entre différents états de choses en affirmant la nécessité de ces liens. Elles n’expliquent pas en quoi consiste le lien, le passage entre ces états des choses. Dans les mathématiques nous ne sommes pas dans le temps, il n’y a pour ainsi dire aucun passage. Dans le cas du gaz, on affirme la nécessaire correspondance d’un état de pression d’un gaz avec sa température. La pression et la température sont celles d’une chose à un instant donné. L’on affirme que les propriétés d’un objet donné varient ensemble à chaque instant, selon telles variations extérieures incidentes. On montre qu’un objet ou système possède la propriété p en vertu du fait qu’il est constitué des composantes C1,C2…Cn (à leur tour caractérisée par la possession de certaines propriétés) qui sont organisées d’une certaine façon.

Considérons ce que nous dit Malebranche dans le XVième éclaircissement de la Recherche de la vérité: je sais, par sentiment intérieur, i.e. modification de l’âme, par conscience: _que j’ai la volonté de remuer le bras; _ que j’ai le sentiment de faire un effort pour lever le bras ; _ et que j’ai le sentiment d’un mouvement du bras dans le moment de cet effort même. Tout cela pourrait être donné sans que mon bras se soit levé le moins du monde. Tout cela ne suffit donc pas à établir que je sois réellement cause efficiente des mouvements de mon corps, des réalités correspondantes à ces vécus mentaux. Je peux imaginer un Dieu tout puissant capable de mettre en moi de tels vécus mentaux. Ainsi que l’hallucination peut le rendre manifeste, nous sommes dans une pensée qui désolidarise complètement la sphère de l’esprit de celle du corps : que je sois actuellement en possession mentale d’un vécu de conscience, représentation ou sentiment ne peut pas permettre de déduire avec certitude que cela est la trace d’une réalité objective réellement existante : cela est possible mais non nécessaire, car je peux fabuler, créer de toute pièce de tels vécus de conscience. Il n’y a donc plus de contact entre l’esprit et les choses.

Mais plus généralement, c’est la possibilité de penser la réalité de tout type de causalité, même la causalité efficiente des mouvements mécaniques de la matière, qui pose problème. Nous n’avons jamais accès au passage. Nous ne constatons, à chaque instant, présentement, que des états de choses figés. La volonté même, qui est un mouvement mental, ne peut être donnée à voir à l’esprit chaque fois que comme comportement déterminé ; rien ne dit que c’est moi qui fait que ma volonté se porte à lever le bras quand elle croit le vouloir. Nous n’avons accès qu’à des données immédiates de notre conscience qui sont toujours des états de choses renvoyant à des états de choses correspondants. Les liens de cause à effet, censés représenter le mouvement réel dans le temps, ne peuvent être perçus en eux même. Nous ne pensons qu’à travers des représentations figées d’états de choses figés dont nous essayons arbitrairement de retracer dans une certaine continuité la série des états. Nous n’avons pas de vue claire du passage, pas d’acte de remplissement mental par un objet, dirait Husserl, lorsque nous voulons penser la causalité. Celle-ci est donc toujours (re)construite et ainsi potentiellement fausse. Nous ne nous représentons ainsi pas mieux la causalité purement mécanique des parties de l’étendue entre elles que celle de l’esprit sur le corps, ou des idées entre elles. La première pétition de principe, disons plutôt reconstruction artificielle de la réalité, semble ainsi bien être celle par laquelle nous posons la causalité.

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Messagepar hokousai » 31 août 2007, 01:16

Cher Infernus


Nous n’avons en tout cas pas une vision plus claire et distincte de ce en quoi consiste réellement une causalité intra-attribut, c’est-à-dire que le passage entre ce qui cause et ce qui est causé ne nous est jamais donné à voir clairement et distinctement en lui-même, mais bien plutôt reconstruisons nous artificiellement quelque succession d’états au moyen de divers procédés.


Nous avons une idée claire de la succession de nos idées et puisque nous ne somme pas des idéalistes absolus admettons que nous ayons une idée claire de la succession des événements des corps hors de nous .
Du passage ( supposée ) des mouvements des corps dans celui des idées nous n’en avons pas une idée claire , cf les débats récurrents sur le dualisme corps/ esprit , lesquels sont soi dans l‘impasse soit mènent à des réductivismes ( physicaliste versus spiritualiste )
Hume ne contredit pas Spinoza quand celui-ci dit que l’idée du causé quel qu’il soit dépend de la connaissance de la cause dont il est l’effet .

(pour Spinoza)La cause efficience des idées c’est Dieu. Ce ne sont pas les choses singulières perçues .La cause des idées ce n’est pas ce dont elles sont l’idée mais Dieu lui même en tant que chose pensante ..

. Spinoza pense, les corps étendus ne pensent pas ,or Spinoza comme tout homme à une certitude dans la pensée. La relation entre les idées (dans la pensée) est la seule intuitionnée .
L’attribut étendue est pensé , toutes les chose ne peuvent y être pensées que dans l’ordre où elles sont pensée .Je ne peux penser l’existence de tel événement des corps (pas le penser comme existant) avant qu’il n’apparaisse ;
Dieu ne pense pas antérieurement les choses mais ne peut penser dans un autre ordre que dans l’ordre nécessaire. (Pour tout dire il ne sache pas dans la nature des événements di des corps qui échapperait à la pensée de Dieu (à Dieu pensant plus exactement )

(Spinoza dit ) Tout cela suit objectivement en Dieu de l’idée de Dieu dans le même ordre et le même enchaînement.
En Dieu !! Mais pas subjectivement en l’esprit humain, esprit pour lequel il y a des idées qui n’existent pas aussi longtemps que les choses singulières n’existent pas .

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Tout a une âme...

Messagepar Vagabond » 02 sept. 2007, 08:02

Que signifie la proposition:

Ce qui précède fait comprendre, non seulement que l'âme humaine est unie au corps, mais aussi en quoi consiste cette union. Toutefois, on ne s'en formera une idée adéquate et distincte qu'à condition de connaître premièrement la nature de notre corps, ce qui a été exposé jusqu'à ce moment étant d'une application générale et ne se rapportant pas plus à l'homme qu'aux autres individus de la nature ; car tous à des degrés divers sont animés.

Ethique, Partie 2, Proposition 13, Scolie


Gilles Deleuze (1981):

Toutes les particules, si infimes qu’elles soient, ont un certain pouvoir que j’appelle, c’est commode, un pouvoir de perception. Lorsque deux rapports se composent, il faut bien que les particules qui effectuent ce rapport aient, sous ce rapport, le pouvoir de discerner les autres particules de l’autre rapport avec lequel le premier rapport se compose. Ce discernement fait que les particules de lymphe et les particules de chyle iront à la rencontre l’une de l’autre, si rien ne les empêche... pour s’unir et composer le rapport du sang.

- En d’autres termes, aux particules dans l’étendue répond un discernement dans la pensée. Les particules si humbles qu’elles soient, particules d’oxygène, d’hydrogène, et cætera... -c’est une pensée chimique très prodigieuse qu’il élabore, Spinoza... les particules, c’est des modes du corps, c’est des modes de l’étendue, d’accord... Les modes de la pensée, c’est des perceptions. Toute particule est animée ; toute particule a une âme, qu’est-ce que c’est que l’âme d’une particule ? Est-ce que Spinoza, là, va déconner, délirer sur : "tout a une âme..." ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? Il veut dire une chose extrêmement rigoureuse, très très positiviste, je ne sais pas si c’est vrai, on va voir tout à l’heure, on va essayer de trouver... Mais en tout cas, il veut dire une chose très rigoureuse quand il dit que tout a une âme. Ça veut dire, tout corps, si simple qu’il soit, même la particule la plus élémentaire, vous ne pouvez pas la séparer d’un pouvoir de discernement qui constitue son âme. Par exemple, une particule d’hydrogène se combine avec une particule d’oxygène, ou bien deux particules d’hydrogène se combinent avec une particule d’oxygène. Les affinités chimiques sont sans doute le cas le plus simple du discernement moléculaire. Il y a un discernement moléculaire. Et bien le discernement moléculaire, c’est ça que vous appellerez une perception, tout comme vous appelez "mode de l’étendue", le mouvement et le repos moléculaire. Le mouvement et le repos moléculaire ne sont possibles dans l’étendue que dans la mesure où en même temps s’exerce un discernement dans la pensée. Tout est animé, toute particule a une âme, c’est-à-dire toute particule discerne. Une particule d’hydrogène ne confond pas, à la lettre, ne confond pas une particule d’oxygène avec une particule de carbone. C’est la base de la chimie.


a suivre...

http://www.univ-paris8.fr/deleuze/artic ... _article=9


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