Contre le panthéisme

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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YvesMichaud
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Contre le panthéisme

Messagepar YvesMichaud » 30 déc. 2003, 20:39

Chers amis,
Après les très longues discussions sur l'existence de Dieu, voilà une discussion sur la nature de Dieu: il s'agit du sujet tant attendu sur la critique du panthéisme (je n'ai pas l'audace de dire «réfutation»).

Henrique me disait que la «démonstration» du panthéisme se trouve dans la proposition 16 de l'Éthique:

Spinoza a écrit : PROPOSITION XVI

De la nécessité de la nature divine doivent découler une infinité de choses infiniment modifiées, c'est-à-dire tout ce qui peut tomber sous une intelligence infinie.*

Démonstration : Cette proposition doit être évidente pour quiconque voudra seulement remarquer que de la définition d'une chose quelconque, l'entendement conclut un certain nombre de propriétés qui en découlent nécessairement, c'est-à-dire qui résultent de l'essence même de la chose ; et ces propriétés sont d'autant plus nombreuses qu'une réalité plus grande est exprimée par la définition, ou, ce qui revient au même, est contenue dans l'essence de la chose définie. Or, comme la nature divine (par la Déf. 6) comprend une infinité absolue d'attributs, dont chacun exprime en son genre une essence infinie, il faut bien que de la nécessité de cette nature il découle une infinité de choses infiniment modifiées, c'est-à-dire tout ce qui peut tomber sous une intelligence infinie. C. Q. F. D.


Bien, comme j'ai déjà dit, je suis un amateur de logique formelle, et je crois que ce sera utile ici: d'une manière générale, je reproche à cette «démonstration» de mélanger l'ordre logique et l'ordre réel. La logique sert à interpréter le réel et doit lui être subordonné, mais dans cette «démonstration», on dirait que c'est le réel qui est subordonné à la logique.

1. D'abord, je ne me sens pas obligé d'accepter la définition de Dieu que donne Spinoza et qui est invoquée dans la démonstration. De toute façon, avec S. Thomas, je pense que Dieu est impossible à définir. On peut malgré tout en dire quelque chose en sachant les rapports que le cosmos soutient avec lui. Mais autant que je sache, la théologie traditionnelle, qui a priori n'est pas moins valable que celle de Spinoza, n'a jamais dit de Dieu qu'il était «une substance consistant en une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie».

2. Bien sûr, une manière facile de réfuter le panthéisme, ce serait, comme le fait Sacha, de refuser les essences, mais je ne m'engagerai pas dans cette voie. Le problème de la démonstration, c'est que Spinoza chosifie les propriétés qui sont déduites de la définition d'une chose (car si j'ai bien compris, je suis une propriété de Dieu, ainsi que toutes les choses qui m'entourent).

Il est vrai que, certains concepts étant dits de Dieu, on peut en déduire d'autres et étendre notre connaissance de Dieu, mais ce n'est pas parce qu'on déduit des concepts qu'on en fait des «modes» qui sont en réalité des «choses».

Je sais que Dieu n'est pas composé d'acte et de puissance: de là je déduis qu'il ne peut pas subir de transformations, et alors? Cette propriété de Dieu, l'immutabilité, est loin d'être une «chose», comme le sont les modes chez Spinoza. Le rapport d'une substance à ses modes est sur un autre plan que le rapport d'une définition à ses propriétés.

Je dis d'ailleurs «définition» plutôt que «essence», car ce n'est qu'en logique formelle, dans la théorie des prédicables, qu'on identifie la définition et l'essence. Dans la réalité, on peut penser que l'essence déborde la définition.

Spinoza a l'air de croire qu'il y a une définition «en soi» de Dieu, qui est malheureusement trop sublime pour nous, d'où on puisse tout déduire ce qui arrive dans le cosmos. Allons donc! La définition est seulement quelque chose d'humain, un procédé bien à nous pour appréhender le réel. Un autre entendement n'aurait pas besoin de définition pour connaître les choses, et la démonstration de Spinoza lui paraîtrait nulle.

3. Dieu n'est pas une définition abstraite, et les choses ne sont pas des propriétés abstraites. Les définitions sont des procédés pour interpréter la réalité: la réalité n'est pas une définition d'où découlent éternellement des tas de propriétés. Ne mêlons pas ce qui est concret et ce qui est abstrait.

4. L'infini: je n'aime guère ce concept, qui me semble d'un usage difficile. Je préfère le laisser aux maths. Je dirai seulement que l'argument suivant lequel il ne peut rien avoir d'autre que l'infini, sans quoi l'infini serait limité par cette autre chose et ne serait plus infini, cet argument se base sur une conception spatiale de l'infini, une conception de l'imagination, qui me semble inacceptable. Je soutiens même qu'il est absurde de spatialiser l'infini.
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Messagepar hokousai » 01 janv. 2004, 12:06

cher Yves .
""""""Allons donc! La définition est seulement quelque chose d'humain, un procédé bien à nous pour appréhender le réel. Un autre entendement n'aurait pas besoin de définition pour connaître les choses, et la démonstration de Spinoza lui paraîtrait nulle. """""""""""

la définition n'est rien sans l idée et l'idée dont il sagit n'est pas dans un autre entendement . Cas d' école inutile . Elle est dans l'entendement de qui s'en préoccuppe .
Supposer d'autres entendements ne vous avance à rien c'est du votre dont il s'agit .

l'idée de Dieu ne peut donc pas tomber sous le coup de cette relativisation .A qui l ' a ,elle suffit .D 'où la force de l'argument ontologique .Lequel est inexpugnable par la logique en ce qu'il est constutif de la logique . L' existence de Dieu est comparable au principe de non -contradiction ,c'est une certitude logique pour qui en a la certitude .
la démonstration(s'il en est ) n'est qu'en aval de laceritude .. d'où l'antérioriré des axiomes .

Lesquels ne sont bien évidemment pas arbitrairee mais fondés dans l 'idée .dans l évidence de l'idée . De l'idée "pantéiste" si vous voulez .

Cette vue du monde ou cette perspective sur le monde est antérieure à la démonstration .Elle est au fondement de la pensée .Elle ne se déduit pas de lempiricité .. tout comme la croyance en l'existence de l égo (comme soi même ) ne se déduit pas , tout comme la foi dans l' existence du monde ne se déduit pas .
ce qu'il fautdrait démontrer c'est l'inexistence de Dieu à ceux qui en admettent l'existence .

hokousai

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Henrique
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Messagepar Henrique » 06 janv. 2004, 00:38

Je pense être proche de la façon de penser d'Hokousai sur le passage auquel il répondait.
Mais je reprend l'ensemble du message d'origine :
D'abord le "panthéisme" de Spinoza se démontre surtout à partir d'E1P15 :
Spinoza a écrit :Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu.
Démonstration : Hors de Dieu (par la Propos. 14), il n'existe et on ne peut concevoir aucune substance, c'est-à-dire (par la Déf. 3) aucune chose qui existe en soi et se conçoive par soi. Or les modes (par la Déf. 5) ne peuvent être, ni être conçus sans la substance, et par conséquent ils ne peuvent être, ni être conçus que dans la seule nature divine. Mais si vous ôtez les substances et les modes, il n'y a plus rien (par l'Axiome 1). Donc rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu. C. Q. F. D.


Il faut d'abord noter que le terme de panthéisme ne se trouve nulle part chez Spinoza. Les deux "natures" substantielle ou modale - naturante ou naturée - sont la même chose considérée soit comme ce qui affirme, la nature naturante, soit comme ce qui est affirmé, la nature naturée mais la même chose parce que ce qui est affirmé est précisément cela même qui affirme parce qu'étant absolument infini, Dieu est à la fois ce qui affirme de lui une infinité de choses et par conséquent immédiatement cette infinité de choses affirmées. Mais si par panthéisme, on entend que Dieu est tout de la même façon, on n'est plus chez Spinoza : cela c'est plutôt l'animisme ou le panthéisme de certaines religions orientales. Dieu chez Spinoza est tout d'une infinité de façons singulières.

Ensuite, dans notre discussion sur le chat, tu m'avais demandé comment les êtres finis pouvaient se concevoir à partir d'un être absolument infini et c'est là que je t'avais parlé d'E1P16. Voyons cependant ce que tu dis de la démonstration de cette proposition :
d'une manière générale, je reproche à cette «démonstration» de mélanger l'ordre logique et l'ordre réel. La logique sert à interpréter le réel et doit lui être subordonné, mais dans cette «démonstration», on dirait que c'est le réel qui est subordonné à la logique.


Je ne suis pas sûr que tu aies bien tenu compte de la note explicative que je donne de cette proposition ICI. Tu décrètes que la logique doit être subordonnée au réel, tu en fais donc un mode a posteriori de la pensée, ce qui est pour le moins arbitraire quand on connait les difficultés d'un Hume à rendre compte de "l'harmonie de la nature" et des catégories logiques. Le réel est logique et la logique est réelle et non "le réel est subordonné à la logique". Et cela pour une raison très simple que Spinoza démontre sans faire référence à l'idée d'un Dieu qui enveloppe toute réalité : "L'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des choses." (E2P7) En effet, "la connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause et l'enveloppe". Si j'ai l'idée qu'un objet a été peint en vert, je ne peux comprendre vraiment cette idée que si j'ai l'idée de ce qui a réellement produit cette peinture : je ne sors pas de la logique interne des idées pour comprendre pleinement le réel par ses causes.

1.
D'abord, je ne me sens pas obligé d'accepter la définition de Dieu que donne Spinoza et qui est invoquée dans la démonstration. De toute façon, avec S. Thomas, je pense que Dieu est impossible à définir.


Si Dieu était absolument indéfinissable, il ne serait rien et de rien, il n'y a effectivement rien à dire. On peut cependant dire qu'il est indéfinissable relativement au sens où la définition semble en général délimiter un être alors que l'idée que nous avons de Dieu est précisément celle d'un être illimité. Mais c'est alors précisément au nom d'une idée que l'on peut qualifier de définie qu'on croit pouvoir le dire indéfinissable. Et on peut la qualifier de définie au sens où on opposera l'idée claire et distincte de Dieu comme être absolument infini à tout ce qui peut comporter quelque finitude ou négation. Définir Dieu comme absolument infini, c'est dire qu'il ne peut se réduire à quoique ce soit de fini : il n'est pas ce qui comporte une négation réelle.

A cet égard, Spinoza n'innove pas tellement. Il ne fait que dire dans le langage classique, issu de la révolution galiléenne, l'idée déjà ancienne d'être réalissime, ens realissimum, celui qui contient le maximum de réalité, la perfection absolue, ce à quoi il ne manque rien. Cette idée n'est pas tellement différente que celle qu'on trouve déjà dans la Bible, le terme "El" pour désigner Dieu signifiant la puissance, mais la puissance en un sens absolu, la puissance qu'aucune autre puissance ne peut surpasser. Quand Moïse demande au dieu du buisson ardent quel est son nom, celui-ci répond "je suis ce que je suis" par opposition à toute chose limitée, qui n'est jamais totalement et définitivement ce qu'elle est : affirmation pure contre affirmation partielle. Seulement Spinoza "purifie" cette idée de sa gangue imaginaire et en tire toutes les conséquences logiques.

Alors certes, tu as le droit de nier les définitions que tu veux, de même que tu peux toujours nier qu'une sphère soit un demi-cercle en rotation sur son axe, mais l'idée n'en est pas moins claire et distincte. Si tu dis que Dieu est un grand X mystérieux, c'est encore une définition mais je prétends qu'un tel dieu serait nécessairement inférieur à un être absolument infini car ce qui est indéterminé (même par soi-même) a bien moins de réalité et de nécessité que ce qui l'est en raison de sa négativité même. Or la négation est impuissance tandis que seule l'affirmation pure de soi, l'être absolument infini, est puissance par excellence.

Quant à la suite de la définition "une substance consistant en une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie", ce n'est qu'une rigoureuse explicitation de l'idée d'être absolument infini, elle-même explicitation de l'idée d'être tout-puissant. En effet, un être absolument infini ne saurait être déterminé par rien d'autre que soi, d'où son caractère substantiel (et il faut pour comprendre cela consentir à laisser au vestiaire au moins une fois les autres définitions possibles de ce mot, l'essentiel étant ici non les mots mais les idées) et ce que l'entendement peut percevoir de l'essence de cette substance doit donc être conforme à cette infinité : il doit y avoir une infinité de façons de comprendre cette essence, autrement dit d'attributs, eux-mêmes infinis.


2.
Le problème de la démonstration, c'est que Spinoza chosifie les propriétés qui sont déduites de la définition d'une chose (car si j'ai bien compris, je suis une propriété de Dieu, ainsi que toutes les choses qui m'entourent).

Si par chose, tu entends comme Descartes une réalité substantielle, il est évident qu'il n'y a nulle chosification dans cette proposition 16 qui n'affirme qu'une infinité de modes comme affections de la substance. D'autre part, il y a effectivement une réalité pouvant se déduire d'une définition : quand nous disons que la somme des angles d'un triangle est de 180°, nous parlons pas de quelque chose de purement logique, cette propriété est concrètement présente, observable et mesurable dans chaque triangle. Par ailleurs, si on dit d'un corps qu'il a comme propriété de se dilater sous l'effet de la chaleur, cette propriété n'est pas une vue de l'esprit, elle existe concrètement dans ce corps. Ainsi, une propriété qui se déduit adéquatement d'une essence, parce que cette essence suffit à comprendre pourquoi il en est nécessairement ainsi et pas autrement, est en même temps une réalité. Mais pas une réalité substantielle, cela va sans dire, une réalité modale : un mode d'une substance ou un mode de mode.

Il est vrai que, certains concepts étant dits de Dieu, on peut en déduire d'autres et étendre notre connaissance de Dieu, mais ce n'est pas parce qu'on déduit des concepts qu'on en fait des «modes» qui sont en réalité des «choses».

Tu fais allusion à ce qu'on peut appeler chez Spinoza des "modalités" de la substance, comme l'éternité, la liberté etc. qui ne sont effectivement pas des réalités en soi ou en autre chose mais des façons de comprendre la substance, de l'éclaircir, comme on dégrossit un outil avec d'autres outils de même facture pour obtenir un outil (ici conceptuel) de plus en plus solide et efficace. Mais cela n'enlève rien à ce que j'ai dit précédemment à savoir qu'une raison bien comprise implique des conséquences nécessaires qui sont en même temps des réalités effectives : causa sive ratio.

Spinoza a l'air de croire qu'il y a une définition «en soi» de Dieu, qui est malheureusement trop sublime pour nous, d'où on puisse tout déduire ce qui arrive dans le cosmos. Allons donc! La définition est seulement quelque chose d'humain, un procédé bien à nous pour appréhender le réel. Un autre entendement n'aurait pas besoin de définition pour connaître les choses, et la démonstration de Spinoza lui paraîtrait nulle.

Rejoignant Hokousai sur cette remarque, je n'ajouterai en plus de ce qui précède que les remarques suivantes :
a/ Ce qui est absolument infini doit justement être en soi sans quoi on ne fait que penser quelque chose qui serait en autre chose (voir la citation que j'avais faite de St Anselme pour éclaircir cela).
b/ Spinoza n'a pas la prétention de tout déduire précisément à partir de la définition de la substance, il ne fait que dire qu'une infinité de choses doivent suivre de celle-ci à titre de façons d'être. L'existence des choses singulières se comprenant à partir de l'existence d'autres choses singulières (E1P28), il faudrait un entendement infini pour comprendre comment chaque chose dérive exactement d'une autre, puisqu'il doit y en avoir une infinité (E1P16).

3.
Dieu n'est pas une définition abstraite, et les choses ne sont pas des propriétés abstraites. Les définitions sont des procédés pour interpréter la réalité : la réalité n'est pas une définition d'où découlent éternellement des tas de propriétés. Ne mêlons pas ce qui est concret et ce qui est abstrait.

Est abstrait ce qui est retiré d'un tout donné parce que l'on a été plus particulièrement marqué par un caractère donné. Ainsi pour certains, la définition de l'homme est "bipède sans plume" ou pour d'autres "animal raisonnable". Ce sont des définitions abstraites au sens où l'homme en général comme "bipède sans plume" aussi bien que comme "animal raisonnable" n'existe nulle part car d'un côté, on peut concevoir un être humain qui serait affublé de plumes et on peut concevoir un humain qui pourtant ne raisonne jamais (on en fait d'ailleurs souvent l'expérience) : ces définitions retirent uniquement tel ou tel caractère sans que l'on comprenne la relation avec ce qui caractérise par ailleurs l'humain (la possibilité de rester humain malgré des changements physiques importants, le fait d'avoir une vie affective). En revanche, énoncer l'essence de chaque homme comme effort conscient de persévérer dans son être, c'est énoncer une essence tout ce qu'il y a de plus concret. En effet, sans cet effort, aucun être ne continue d'exister et la conscience de cet effort est concrètement vécue par chacun à tout moment de sa vie. Les possibilités que l'on peut rencontrer en chaque homme peuvent se comprendre à partir de cette essence première.
En ce qui concerne Dieu comme être absolument infini, on ne peut faire moins abstrait ou plus concret comme définition dans la mesure où on ne retire absolument rien à son contenu. Il faut lire attentivement la définition : caute.

4.
L'infini: je n'aime guère ce concept, qui me semble d'un usage difficile. Je préfère le laisser aux maths. Je dirai seulement que l'argument suivant lequel il ne peut rien avoir d'autre que l'infini, sans quoi l'infini serait limité par cette autre chose et ne serait plus infini, cet argument se base sur une conception spatiale de l'infini, une conception de l'imagination, qui me semble inacceptable. Je soutiens même qu'il est absurde de spatialiser l'infini.

Il faudrait expliquer davantage cela. Comment un être absolument infini pourrait-il ne pas contenir non seulement tout ce qui est pensable mais également tout ce qui peut être étendu, en un mot tout ce qui peut être ? Quant à l'espace, c'est une notion abstraite, ce serait une étendue vide de tout corps, ce qui ne correspond à aucune intuition sensible ou intellectuelle. Il n'y a pas d'espace chez Spinoza.
Mais le concept spinozien de l'infini est tout ce qu'il y a de plus simple. C'est ce qui s'affirme absolument, ce qui ne contient aucune négation (E1P8S1) (voir aussi ma réponse à Koba). A vrai dire, c'est la finitude qui introduit une complexité en introduisant un mélange d'affirmation et de négation.
Pas besoin par ailleurs de spatialiser l'infini pour comprendre que Dieu serait limité par le monde s'il n'était pas celui-ci : l'infini étant affirmation pure, Dieu perdrait ipso facto son infinité s'il n'était pas quoique ce soit de positif - à titre de substance ou de mode.
En conclusion, il me semble que tu louvoies avec l'argument "panthéiste", tu ne le prends pas de front. Tu dis d'un côté que tu peux si tu veux ignorer le concept d'affirmation pure, ce qui reviendrait à ne comprendre aucune affirmation particulière (ne serait-ce que celle selon laquelle Dieu ne peut être limité ou "défini" en ce sens limitatif) ; tu dis d'un autre côté qu'il ne faut pas spatialiser l'infini juste après avoir avoué que tu ne comprenais pas bien ce concept, sans montrer en quoi Spinoza spatialiserait l'infini. Pour contester plus sérieusement l'argument panthéiste ou encore "panenthéiste" selon Guéroult, il faudrait montrer en quoi Dieu ou l'ens realissimum n'est peut-être pas absolument infini, ce que tu ne fais pas, et/ou il faudrait montrer comment un être absolument infini peut ne pas être [autrement dit être radicalement séparé (et non pas seulement distinct) d'une façon ou d'une autre de] quelqu'être que ce soit sans être limité par cet être qu'il ne serait pas (E1D2) et tout en restant absolument infini. Je te souhaite bien du courage ;-)

Amicalement,
Henrique

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Messagepar YvesMichaud » 06 janv. 2004, 03:29

Cher Henrique,

Un constat cependant: S. Thomas d'Aquin a élaboré son ontologie et sa théologie à partir des données empiriques, or, cette théologie ne tombe nulle part en danger de panthéisme. Autant que je sache, S. Thomas n'a jamais «prévu» ce problème, sans doute parce qu'il n'avait aucune raison d'être dans son système. L'Acte pur ne laisse pas d'être distinct des êtres sensibles, composés d'acte et de puissance, et on ne voit aucun problème à la coexistence d'un Acte pur et d'êtres composés d'acte et de puissance. Pas plus de problème à faire coexister des êtres contingents (d'où nous partons) et un Être nécessaire (où nous aboutissons dans nos raisonnements). On a évité de parler d'Ens realissimum (expression étrangère au thomisme; je me demande d'ailleurs si elle est utilisable par lui) et d'affirmation pure.

C'est ainsi qu'il est aisé de réfuter le panthéisme *en général* en restant dans la perspective thomiste. C'est autre chose de réfuter le panthéisme *en particulier*, car il faut entrer dans le jeu de leurs auteurs. C'est ce que j'ai essayé de faire ici.

Fini / infini: j'y ai pensé et je dis maintenant ceci: dans le thomisme, on sait que les êtres sont finis de ce qu'ils sont composés d'acte et de puissance. Avant, je croyais qu'on savait que les êtres sensibles étaient finis par une sorte d'évidence (un corps n'est pas ce qu'on conçoit de plus parfait), et c'est, il me semble, ce qui s'impose dans le cartésianisme, mais à présent, je vois qu'on déduit la finitude d'un être de sa composition d'acte et de puissance, plus précisément, de sa potentialité à un certain égard. Un être infini est un être seulement en acte.

Si on prétend qu'une chose est finie parce qu'elle n'est pas tout, c'est-à-dire qu'elle coexiste avec d'autres choses dont elle est distincte, il faudra dire que même Dieu est fini. Ce qui est infini, c'est la Réalité en général, c'est-à-dire la collection de tous les êtres. Mais ce n'est pas un problème, car Dieu ne perd rien ainsi (dans notre perspective), et ce n'est pas en ce sens que Dieu est dit infini (au sens où il n'est pas en puissance). On peut alors dire qu'il y a deux infinis: l'infini de totalité, qui ne convient qu'à la collection de tous les êtres, et l'infini d'actualité, qui convient à Dieu.

L'acte et la puissance, l'axiome fondamental du thomisme. Si bien que je pense qu'il n'est pas très heureux qu'une philosophie, comme celle de Descartes ou de Spinoza, garde quelques résidus du thomisme, mais rejette l'acte et la puissance.
« Dieu, modifié en Allemands, a tué Dieu, modifié en dix mille Turcs. »

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Messagepar YvesMichaud » 08 janv. 2004, 07:21

J'aimerais à présent commenter la réponse de Henrique. Mon entendement est borné, alors il se peut faire que j'aie mal compris certains passages.

Henrique a écrit :Je pense être proche de la façon de penser d'Hokousai sur le passage auquel il répondait.
Mais je reprend l'ensemble du message d'origine :
D'abord le "panthéisme" de Spinoza se démontre surtout à partir d'E1P15 :
Spinoza a écrit :Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu.
Démonstration : Hors de Dieu (par la Propos. 14), il n'existe et on ne peut concevoir aucune substance, c'est-à-dire (par la Déf. 3) aucune chose qui existe en soi et se conçoive par soi. Or les modes (par la Déf. 5) ne peuvent être, ni être conçus sans la substance, et par conséquent ils ne peuvent être, ni être conçus que dans la seule nature divine. Mais si vous ôtez les substances et les modes, il n'y a plus rien (par l'Axiome 1). Donc rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu. C. Q. F. D.


Les choses ne sont pas simples. Je vois que les propositions de l'Éthique sont si solidaires que critiquer le panthéisme exige de critiquer toute l'ontologie spinoziste.

Je dirai seulement que cette démonstration renvoie en définitive à la démonstration qu'il n'y a qu'une substance. Or, je ne suis pas convaincu qu'il n'y ait qu'une substance. Même sans critiquer la définition spinoziste de la substance, il me semble que, quand Spinoza prétend que rien n'existe hors de la substance et des modes, il convient d'ajouter que la substance est elle-même constituée de deux principes, la matière et la forme et que ce sont justement par ces principes que les substances peuvent être multipliées, soit numériquement, soit spécifiquement. Et comment savons-nous que les substances sont constituées de principes? Par l'expérience! L'expérience qui est si négligée dans les démonstrations spinozistes.

J'ajoute que je ne conçois pas quel rapport peut avoir le mode à la substance qu'il modifie, sinon le rapport d'un acte qui détermine un être en puissance. Mais comme il n'y a pas d'acte et de puissance chez Spinoza...

Si Dieu était absolument indéfinissable, il ne serait rien


Mais quel est cet étrange postulat rationaliste? Une chose indéfinissable, ce serait seulement une chose que les humains sont incapables de comprendre, mais voyons: il peut bien y avoir des choses qui existent et qui nous passent. « Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être » dit Pascal.

A cet égard, Spinoza n'innove pas tellement. Il ne fait que dire dans le langage classique, issu de la révolution galiléenne, l'idée déjà ancienne d'être réalissime, ens realissimum, celui qui contient le maximum de réalité, la perfection absolue, ce à quoi il ne manque rien.


Oui mais cette perfection, je ne la vois que comme une pure actualité.

Quand Moïse demande au dieu du buisson ardent quel est son nom, celui-ci répond "je suis ce que je suis" par opposition à toute chose limitée, qui n'est jamais totalement et définitivement ce qu'elle est : affirmation pure contre affirmation partielle.


Acte pur contre acte limité par la puissance.

Si tu dis que Dieu est un grand X mystérieux, c'est encore une définition mais je prétends qu'un tel dieu serait nécessairement inférieur à un être absolument infini car ce qui est indéterminé (même par soi-même) a bien moins de réalité et de nécessité que ce qui l'est en raison de sa négativité même.


Pas de problème du côté de Dieu à dire qu'il est indéfinissable. Le problème sera du côté de notre entendement. Dieu est suprêmement intelligible, mais son intelligibilité pourrait bien n'être épuisée que par son intelligence suprême.


2.
Si par chose, tu entends comme Descartes une réalité substantielle, il est évident qu'il n'y a nulle chosification dans cette proposition 16 qui n'affirme qu'une infinité de modes comme affections de la substance. D'autre part, il y a effectivement une réalité pouvant se déduire d'une définition : quand nous disons que la somme des angles d'un triangle est de 180°, nous parlons pas de quelque chose de purement logique, cette propriété est concrètement présente, observable et mesurable dans chaque triangle. Par ailleurs, si on dit d'un corps qu'il a comme propriété de se dilater sous l'effet de la chaleur, cette propriété n'est pas une vue de l'esprit, elle existe concrètement dans ce corps. Ainsi, une propriété qui se déduit adéquatement d'une essence, parce que cette essence suffit à comprendre pourquoi il en est nécessairement ainsi et pas autrement, est en même temps une réalité. Mais pas une réalité substantielle, cela va sans dire, une réalité modale : un mode d'une substance ou un mode de mode.


Oui, bien dit. Il y a aussi des attributs très réels de Dieu qui sont déduits d'autres attributs plus fondamentaux (Dieu existe nécessairement, DONC il est éternel). Mais qu'importe: ces propriétés restent en Dieu, et on ne va s'y identifier que si le panthéisme est supposé.



L'existence des choses singulières se comprenant à partir de l'existence d'autres choses singulières (E1P28), il faudrait un entendement infini pour comprendre comment chaque chose dérive exactement d'une autre, puisqu'il doit y en avoir une infinité (E1P16).


Oui mais cette suite nécessaire n'est-elle que postulée? On peut bien dire: «un entendement infini comprendrait...», mais est-il impossible de dire l'opposé?

Il faudrait expliquer davantage cela. Comment un être absolument infini pourrait-il ne pas contenir non seulement tout ce qui est pensable mais également tout ce qui peut être étendu, en un mot tout ce qui peut être ?


J'ai donné quelques réponses dans mon message précédent. Dans une perspective thomiste, la coexistence du fini et de l'infini est donnée de fait: pas besoin donc de se demander si elle est possible («ab esse ad posse valet consequentia» dit l'adage)

En conclusion, il me semble que tu louvoies avec l'argument "panthéiste",


Je sais que ma critique n'était pas suffisante, j'espère avoir fait mieux cette fois. Moi je conclus en disant que nous vivons dans deux univers assez différents et que, peut-être qu'une fois qu'on est entré dans ton univers, on n'échappe pas au panthéisme, mais dans le mien, on peut très bien s'en passer. Ainsi, peut-être bien que la seule façon de critiquer le panthéisme spinoziste est de revenir aux fondements de son ontologie pour les critiquer, ainsi que ses preuves de Dieu.
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Messagepar succube » 08 janv. 2004, 23:38

Je ne sais pas si le thomisme est le mieux placé pour réfuter le panthéisme . Refaire de Dieu contre la tradition aristotélicienne une cause motrice et une cause efficiente n'est-ce pas en préparer les bases ? L'idée de création que cette réintroduction des cause extrinsèques réclamait , surtout lorsqu'elle celle-ci prend la forme d'une création continuée , valable en tous lieux et en tout temps , comble le gouffre qu'Aristote avait su paradoxalement conserver entre Dieu et le monde , simple moteur par attraction, baptisé cause finale caractérisé par un Dieu impassible attirant du fait de sa seule présence toutes les choses à lui .

En outre l'idée d'acte pur est un concept résultant d'une extension hasardeuse de la définition du couple acte/puissance appliqué à l'être et non à la substance telle qu'on la trouve chez les péripatéticiens .Il n'y a pas d'acte sans puissance ni de puissance sans acte même à la limite . C'est le couple forme/matière et non la puissance/acte que l'on peut rapprocher du couple substance /mode de type spinoziste .
La transcendance divine si on la conçoit comme une coupure absolue entre le monde et le divin doit découler de la nécessité du système poussé à ses limites et faire appel à des concepts tout à fait étrangers entre eux . Il ne doit pas être question d'Être ou de substance en ce qui concerne le divin , ni en soi ni de manière éminente ou analogique . L'infinité, trop souvent invoquée, appliquée à Dieu est une qualité au même titre que la puissance ou la bonté , elle n'en est pas un attribut , on n'a rien dit sur Dieu en parlant de son infinité .

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Messagepar YvesMichaud » 09 janv. 2004, 01:54

succube a écrit :Je ne sais pas si le thomisme est le mieux placé pour réfuter le panthéisme . Refaire de Dieu contre la tradition aristotélicienne une cause motrice et une cause efficiente n'est-ce pas en préparer les bases ? L'idée de création que cette réintroduction des cause extrinsèques réclamait , surtout lorsqu'elle celle-ci prend la forme d'une création continuée , valable en tous lieux et en tout temps , comble le gouffre qu'Aristote avait su paradoxalement conserver entre Dieu et le monde , simple moteur par attraction, baptisé cause finale caractérisé par un Dieu impassible attirant du fait de sa seule présence toutes les choses à lui .

En outre l'idée d'acte pur est un concept résultant d'une extension hasardeuse de la définition du couple acte/puissance appliqué à l'être et non à la substance telle qu'on la trouve chez les péripatéticiens .Il n'y a pas d'acte sans puissance ni de puissance sans acte même à la limite . C'est le couple forme/matière et non la puissance/acte que l'on peut rapprocher du couple substance /mode de type spinoziste .
La transcendance divine si on la conçoit comme une coupure absolue entre le monde et le divin doit découler de la nécessité du système poussé à ses limites et faire appel à des concepts tout à fait étrangers entre eux . Il ne doit pas être question d'Être ou de substance en ce qui concerne le divin , ni en soi ni de manière éminente ou analogique . L'infinité, trop souvent invoquée, appliquée à Dieu est une qualité au même titre que la puissance ou la bonté , elle n'en est pas un attribut , on n'a rien dit sur Dieu en parlant de son infinité .


Pardon, mais où as-tu appris que «il n'y a pas d'acte sans puissance»? Aristote le dit-il dans sa métaphysique? Peut-on même le déduire de ce qu'il dit? La puissance est rapportée à l'acte, mais l'acte n'est pas rapporté à la puissance. Le couple forme/matière n'est qu'une application au monde des corps du couple acte/puissance. La forme est un acte, et la matière est la puissance.

Acte pur, extension hasardeuse? Pourquoi? C'est une conséquence logique d'un axiome (l'être en mouvement est composé d'acte et de puissance). Autre conséquence: l'idée d'une puissance pure, qui se nomme matière première.

Qu'est-ce qui te permet de prétendre que «il ne doit pas être question d'Être et de substance en ce qui concerne le divin, ni en soi ni de manière éminente ou analogique»? Peut-être crois-tu que l'idée de Dieu est trop sublime pour être atteinte par nos pauvres notions, que l'Être est équivoque. Je préfère ne pas conduire ma métaphysique avec un tel préjugé.

L'infini veut dire quelque chose pour le thomisme (acte pur) et autre chose pour le spinozisme (affirmation pure). Le terme infini devient presque équivoque.

Ah oui, et nous ne disons pas que Dieu n'est pas immanent au cosmos. Il est présent partout. Mais il ne se confond pas avec le cosmos. Dieu peut être à la fois immanent et transcendant.
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Messagepar infernus » 09 janv. 2004, 16:10

Salutations,
Yves, il me semble que « succube » ( pseudo attrayant, n’est-il pas ?) , lorsqu’elle dit qu’il n’y a pas d’acte sans puissance, se place à l’intérieur d’un système de type spinoziste, panthéiste.
C’est ainsi que Giordano Bruno, spinoziste avant l’heure, pense une matière infinie pour en finir avec les formes substantielles. La matière n’existe que par la forme, et celle-ci par l’autre. Pas de matière première en somme qui désirerait la forme pour s’actualiser, mais une matière qu’en tant qu’elle mise en forme. La vrai divinité est la matière. « L’univers a un principe premier qui se conçoit lui même et non plus dédoublé en un principe matériel et un principe formel ». Si pour Aristote la matière désire la forme comme le laid désire le beau comme la femme désire l’homme (hum), pour Bruno c’est la matière qui conserve la forme, c’est à la forme de désirer la matière afin de perpétuer. Si la matière est substance alors la forme en est un accident, mode, une affection passagère et variable.

Penser des formes substantielles, et leur accorder la primauté, à mes yeux, revient à chercher pleins de petits dieux, eux même reflets d’un créateur absolu. Il m’apparaît clairement que si l’on veut faire dans la forme substantielle, il coûte plus à l’esprit de se borner à St Thomas que de penser la monadologie leibnizienne. Leibniz associant force à la forme, la matière est animée par une infinité d’âmes qui l’unifient dans un corps, elle est force, ainsi retombe-t-on sur ses pattes quand il s’agit de confronter sa métaphysique à la physique moderne.

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Messagepar YvesMichaud » 09 janv. 2004, 19:25

Salut Infernus,

infernus a écrit : Yves, il me semble que « succube » ( pseudo attrayant, n’est-il pas ?) , lorsqu’elle dit qu’il n’y a pas d’acte sans puissance, se place à l’intérieur d’un système de type spinoziste, panthéiste.


Oui, mais deux choses, à supposer que tu dises vrai:
- Il suppose ce qui est en question (la discussion porte sur le panthéisme).
- Il dénature les notions d'acte et de puissance.

C’est ainsi que Giordano Bruno, spinoziste avant l’heure, pense une matière infinie pour en finir avec les formes substantielles.


Dans ce cas, on peut dire que la «matière» de Bruno est devenue autre chose que la matière des aristotéliciens.

La matière n’existe que par la forme, et celle-ci par l’autre.


Oui, la matière sans forme est inconcevable: une puissance nue n'existe pas, mais seulement une puissance mêlée à un acte. Par contre, il ne semble pas que toute forme doive exister en informant une matière: S. Thomas soutient que les anges sont des «formes pures».


Penser des formes substantielles, et leur accorder la primauté, à mes yeux, revient à chercher pleins de petits dieux, eux même reflets d’un créateur absolu. Il m’apparaît clairement que si l’on veut faire dans la forme substantielle, il coûte plus à l’esprit de se borner à St Thomas que de penser la monadologie leibnizienne. Leibniz associant force à la forme, la matière est animée par une infinité d’âmes qui l’unifient dans un corps, elle est force, ainsi retombe-t-on sur ses pattes quand il s’agit de confronter sa métaphysique à la physique moderne.


Mais pour nous aussi, la forme est principe d'activité.
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Messagepar infernus » 09 janv. 2004, 22:14

Oui, mais deux choses, à supposer que tu dises vrai:
- Il suppose ce qui est en question (la discussion porte sur le panthéisme).

Ce n'est pas par humilité ou encore par ignorance, mais je décide de ne pas rentrer dans le fond de ce débat. J'ai suivi très attentivement le forum ces derniers temps, et dois avouer que ce fut très enrichissant, un certain zerioug, entre autres, m'ayant donné matière à penser. Etant depuis longtemps attiré par Spinoza, il m'est toujours excitant de le voir "réfuté", ainsi que ces 'réfutateurs' s'enliser. Mais je suis arrivé à une conclusion: je ne me suis jamais posé la question de savoir, depuis que je suis en age de penser, si tout l'édifice constituant ma pensée reposait sur des axiomes éternels, nécessaires et logiquement valides. Cette question ne m'a jamais interpellé. Je ne vois pas pourquoi j'embêterais Sipnoza avec.(paradoxal, me direz-vous, pour quelqu'un qui aime à se laisser pénétrer par l'"éthique géométrique"...)

- Il dénature les notions d'acte et de puissance.

Oui, relativement au thomisme. Sinon je dirais qu'il ne pense tout simplement plus ce couple conceptuel.

Oui, la matière sans forme est inconcevable: une puissance nue n'existe pas, mais seulement une puissance mêlée à un acte

Il est vrai que selon St-Thomas, exister, c'est être en acte, or l'actualisation du sujet (objet) est causée par la forme. Mais ne parle-t-il pas de "matière première"? Que signifie vraiment l'adjectif 'premier'? La forme n'est-elle pas seconde dans le processus d'ontologisation des choses, du moins par la pensée?

S. Thomas soutient que les anges sont des «formes pures»

Là non plus je ne m'étendrai pas...

Mais pour nous aussi, la forme est principe d'activité

Oui, en tant que l'âme de l'homme, principe d'intégrité, d'unification de son corps, commande sa matière par sa toute puissance, la fait se mouvoir.
Il me semble que pour Leibniz les choses sont autres. Il pense deux étages, l'âme rationnelle, d'un degré supérieur et le corps, divisible en une infinités de parties infiniment petite, toutes animées par une âme, un esprit; quelque chose qui s'apparenterait à un panpsychisme. L'union des deux étages, et donc la conciliation de la liberté de l'âme rationnelle avec le mécanicisme physique, se ferait par la théorie de l'harmonie préétablie. J'emploie le conditionnel car je ne suis pas spécialiste de cet auteur.
La matière aurait donc sa propre force.

Cordialement,
Julien.


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