Réflexion sur l'argument ontologique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 02 juin 2008, 21:43

Alexandre VI a écrit :Je n'ai pas dit que je n'acceptais pas le procédé que tu décris (au sens où je ne reconnaîtrais pas son existence effective). Je dis seulement que je le déplore. Il rend la tâche plus difficile aux historiens.


Bonjour Alexandre,

peut-être que les philosophes ne s'adressent pas avant tout aux historiens de la philosophie, mais aux philosophes tout court? Si oui, et si philosopher est, comme le définissait Platon, mettre sa pensée en mouvement (et non pas développer les certitudes qu'on croit toujours déjà posséder), alors j'avoue ne pas vraiment voir où se trouve le problème.

Alexandre VI a écrit :Au moins le philosophe doit se faire un devoir de définir ses termes chaque voit qu'il veut en étendre le sens.


c'est à mon sens ce que souvent ils font (c'est notamment ce que fait Spinoza pour le concept qui nous concernait, celui de Dieu; dix propositions plus loin on a également une énumération demontrata more geometrico de ses propriétés; enfin un cinquième de l'Ethique est consacré à l'explicitation de ce que Spinoza signifie par le concept de "Dieu").

On pourrait se dire qu'ils devraient tout le même le faire un peu plus encore. Mais cela aurait-il vraiment été possible? Ou certains concepts ont-ils plutôt comme caractéristique essentielle d'être constitués par des composantes qui appartiennent à de différentes "zones conceptuelles" et qui par conséquent ne se laissent pas vraiment définir? Si oui, c'est au lecteur-philosophe (et pourquoi pas, à l'historien de la philosophie) de reconstituer ces différentes composantes, plutôt que de tenter "faire le tour" du concept en le définissant.

Alexandre VI a écrit :
Dire que l'infini est égal à une partie de lui-même, c'est un paradoxe de ce genre qui me fait rejeter la possibilité d'un infini quantitatif.


En quoi serait-ce un paradoxe?

Alexandre VI a écrit :Ainsi que l'impossibilité pour un infini quantitatif d'être individualisé, ce qui suppose d'être quelque chose de dé-fini.


pourtant l'infini quantitatif est parfaitement individualisé. Il est tout sauf indéfini. La durée de ma vie, au contraire, est finie, mais en même temps indéfinie (d'un point de vue spinoziste, bien sûr).

Alexandre VI a écrit :Les séries de nombres que l'on dit infinies, telles que l'ensemble des nombres naturels, pour moi cela reste une abstraction mathématique, qui ne peut être transposée telle quelle dans le monde réel.


en disant cela tu demandes aux ensembles infinis d'être autre chose encore que ce qu'ils sont, de référer à autre chose encore. Dans le spinozisme cela n'est pas le cas. L'attribut de la Pensée, par exemple, est infini, mais ne réfère à rien. Il est réel en tant que tel, en lui-même. Il possède même une réalité infini (infini en son genre, bien entendu). Idem en ce qui concerne les autres attributs.

Alexandre VI a écrit :Je ne sais pas ce que cela signifie concrètement de n'être pas borné, quand on parle d'un être.


dans le spinozisme cela signifie: ne pas être "limité" par autre chose en son genre. Ou, si tu veux, être le seul dans son genre. C'est pourquoi il peut y exister des "modes infinis": l'entendement de Dieu, par exemple, qui est à la fois une idée (= mode, produit par l'attribut de la Pensée) et infini puisqu'il n'y a pas un autre entendement qui le délimite, qui en désigne les bornes (là où mon corps par exemple est "délimité" ou borné par d'autres corps). L'attribut de l'Etendue n'est pas borné, au sens où si nous prenons l'ensemble de tout ce qui est étendu, nous ne pouvons pas par la suite découvrir autre chose qui est de l'ordre de l'étendu et qui ferait que cet attribut n'est pas en lui seul toute l'étendue.

On pourrait penser à la fameuse question des "frontières" de l'univers: l'univers est-il fini ou borné? Si quelque chose le délimité, c'est qu'il y a autre chose encore, au-delà des frontières de l'univers. Or par "univers", justement, nous désignons tout ce qui existe. Ainsi faut-il supposer nécessairement que l'univers n'est pas borné par autre chose, mais est tout ce qui est.

Alexandre VI a écrit : Bien sûr le fini ne peut comprendre l'infini


d'un point de vue spinoziste si. Il n'y a rien de difficile à s'imaginer quelque chose de non borné en son genre. D'ailleurs, nous avons tous une idée adéquate de l'essence de Dieu, qui comporte l'infinité. Une fois que l'on fonctionne avec un Dieu immanent, les modes ou choses singulières ont en eux-mêmes de l'infini, de l'éternel.

Alexandre VI a écrit :mais il me semble en plus que l'infini n'est rien s'il ne peut être individualisé.


le spinozisme partage, pour autant que je sache, cette idée.

Alexandre VI a écrit : Plutôt que de parler d'infini quand je parle de Dieu, je parle de «parfait», qui pour moi signifie que Dieu réalise certaines qualités à leur maximum, tandis que chez les êtres matériels, elles sont toujours imparfaitement réalisées.


et pourquoi la matière ne serait-elle pas, elle aussi, parfaite?

Alexandre VI a écrit :Un être peut exister, en théorie, sans produire d'effet. On appelle ça un épiphénomène. L'esprit est un épiphénomène pour certains philosophes.


en effet. Il n'y a pas d'épiphénomènes chez Spinoza. L'esprit est à 100% réel, et produit sans cesse des effets (effets "spirituels", bien sûr).

Alexandre VI a écrit :La conception spinoziste de la res singularis me rappelle un peu les tourbillons de Descartes.


en quel sens?

Alexandre VI a écrit :Il me semble plus fécond de décrire l'individu en distinguant substance et mode (accident) plutôt que comme un rapport constant, à moins que ce rapport soit pour toi précisément l'équivalent de la substance.


je ne suis pas tout à fait certaine de te comprendre. Comment décrirais-tu l'individu en distinguant substance et mode? Et en vue de quelle fin cette distinction serait-elle féconde?

Pour Spinoza, chaque corps composé est un Individu. Cela signifie qu'il se caractérise par un rapport de mouvement et de repos précis. Les entités qui le composent (étant à leur tour elles-mêmes des Individus) "expriment" ce rapport pendant un certain temps. Puis ces Individus/corps peuvent quitter le Corps de l'Individu; aussi longtemps qu'ils sont remplacés par d'autres corps qui effectuent ou expriment entre eux le même rapport, ils expriment le même Individu.

Alexandre VI a écrit :Quand je disais «fonctionnellement équivalent», je voulais dire «équivalent dans la pratique». Notre vie dépend grandement de la réponse que l'on donne à la question «Dieu existe-t-il? (au sens commun du mot)» et à la question «Qu'arrive-t-il après la mort»? Sur ces points, Spinoza est d'accord avec les matérialistes.


pour les matérialistes, la vie de l'homme se termine quand le Corps meurt, pour Spinoza non, puisque toute essence est éternelle. Quelque chose de l'Esprit (sa partie éternelle) subsiste après la mort.

Cela est crucial, car c'est ce qui permet à l'homme de considérer les choses sub specie aeternitatis, du point de vue de l'éternel, et sans ce point de vue, aucun Salut ni Béatitude n'est possible.

Alexandre VI a écrit :Oh et j'ajouterais la question «suis-je libre?». Encore là, Spinoza est d'accord avec de nombreux matérialistes, qui conçoivent l'homme comme un système matériel entièrement soumis à des lois ou au hasard, mais pas à une volonté transcendante.


on peut être matérialiste ou idéaliste, dès que l'on est déterministe, on est obligé de définir la liberté autrement que par l'indétermination. Mais pas tous les idéalistes (et pas non plus tous les matérialistes) ont postulé un déterminisme. On peut également être idéaliste et postuler le libre arbitre. Par conséquent, je ne vois pas très bien en quoi le fait d'être déterministe impliquerait déjà un matérialisme. En tout cas, dès que l'on admet un autre ordre de causalité parallèle à celui de la matière ou plus précisément, dans le cas du spinozisme, de l'Etendue, et qu'on admet la réalité de l'Esprit, la voie est ouverte à un changement du réel par le biais de l'Esprit en tant qu'il n'a rien de matériel. Il me semble que dans la pratique cela implique tout autre chose qu'un matérialisme. Si dans un matérialisme l'Esprit peut-être considéré comme un éphiphénomène, par exemple, dans le spinozisme cela est absurde.

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Messagepar sescho » 03 juin 2008, 21:23

hokousai a écrit :... le bouddhisme n’est pas l’ hindouisme , il en diffère profondément.

Je crois qu'Hindouisme est un terme générique qui recouvre des fonds bien différents ; une sorte de conglomérat... D'un point de vue philosophique - et compte tenu de mes connaissances limitées dans le domaine - je m'en tiens personnellement au Védanta (Upanishads, Bagahavad Gitâ, ...). Et là je crois que les choses se discutent de ce point de vue. Certes, si l'on oppose "il y a Brahman et Atman résidant en Brahman" du Védanta (ce qui correspond bien à Spinoza) et le "il n'y a aucune entité permanente" du Bouddhisme Mahayana on peut voir une opposition radicale. Je pense qu'en réalité c'est beaucoup plus subtil... au point qu'à la fin des débats il ne reste pas entre eux l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette (censuré !) Encore une fois, le grand Maître Prajnanpad affirme, sauf mauvaise mémoire de ma part, que Bouddhisme et Védanta disent la même chose (en passant il y a une préface intéressante de Comte-Sponville du livre de correspondance II Les yeux ouverts. Mais je n'approuve pas sa réserve sur Desjardins. Diel et Tolle comme Spinoza aussi font référence au Christianisme, et à mon sens pour de très profondes raisons. Le plus cocasse est qu'il a lui-même été qualifié d'"athée chrétien.") Je le redis : le non-né bouddhiste est permanent, et la conscience du non-né en relève. Cela se voit bien d'ailleurs aux discussions byzantines qui émaillent les descriptions des derniers aboutissements : il y a quelques contradictions dans les mots (assez impuissants, il faut bien le dire) qui font "ramollir" les assertions radicales initiales.

D'ailleurs, si Shankara (Advaïta Vedanta) au VIIIè siècle a "fait disparaître" le Bouddhisme de son berceau indien en peu de temps alors qu'il était nettement dominant, c'est pour une seule raison principale : il en était très proche... Et d'autres écoles l'ont d'ailleurs traité de "crypto-bouddhisme" (il tend franchement aussi à nier la réalité des "entités phénoménales.") Mais il reste bien des "êtres" envers qui la compassion s'exerce...

Amicalement

Serge
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Messagepar Faun » 03 juin 2008, 21:42

Même le concept de compassion est en totale contradiction avec Spinoza. Car la compassion n'est rien d'autre que la pitié, et la pitié pour Spinoza est un affect mauvais. Tout ces syncrétismes tuent la réflexion, comme dit Etiemble, et n'y a rien de commun entre le bouddhisme et la philosophie de Spinoza.

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Messagepar sescho » 03 juin 2008, 22:52

Faun a écrit :Même le concept de compassion est en totale contradiction avec Spinoza. Car la compassion n'est rien d'autre que la pitié, et la pitié pour Spinoza est un affect mauvais.

Pas autant, loin s'en faut, que l'orgueil, quoiqu'il soit une joie, et parce qu'il est une joie. Mais le parallèle avec la compassion (dont le sens n'est pas inscrit dans le mot lui-même) est faux. Le sujet a déjà été abordé ici

(En passant un autre fil sur le Védanta.)

Spinoza appelle "pitié" une tristesse qui vient de ce qu'on assimile la souffrance de quelqu'un à la sienne propre. C'est alors en quelque chose une forme de sentimentalisme. Mais il reconnaît dans les affects actifs la Générosité. Les passions / actions sont largement détaillées par Spinoza. Il convient de tout lire...

Un médecin, outre pour son portefeuille, peut très bien être très heureux de contribuer au bien-être des gens sans pour autant se fondre un tant soit peu dans leur souffrance. Il en va des âmes comme des corps...

La compassion est "envers tous les êtres", et donc ne s'établit pas en premier lieu sur un être particulier : c'est un fonds pas une circonstance (qui se retourne facilement : face à l'absence de reconnaissance par exemple.)

Faun a écrit :Tout ces syncrétismes tuent la réflexion, comme dit Etiemble, et n'y a rien de commun entre le bouddhisme et la philosophie de Spinoza.

Vous appelez "syncrétisme" ce que j'appelle "convergence." Match nul. Maintenant l'important c'est le fond ; pas moyen d'y échapper ; pas de salut à consolider une cathédrale en carton-pâte, ou de la peindre en rouge criard pour pouvoir affirmer qu'elle n'a rien à voir avec le vert.

"Rien de commun", cela a le mérite d'être tranché... Mais c'est aussi faux que tranché. Mais finalement je veux nous mettre d'accord : nous n'avons pas le niveau requis pour en juger, tout simplement...


Cordialement


Serge
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Messagepar hokousai » 03 juin 2008, 23:01

à Faun
Vous êtes excessif (ou Etiemble était excessif ). Il y a pas rien de commun , il y a un peu de commun .

Largement autant un peu qu 'entre le christianisme et le spinozisme .Mais toutes ces considérations n'ont rien de la science exacte .

On est quand même parti bien loin d'un petit pas grand chose que je disais à Alexandre /Yves

"""Je pense qu’ on peut parler d'une spiritualité spinoziste peut être plus proche des orientales que des occidentales (voir les messages de Serge ). """

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Messagepar Faun » 03 juin 2008, 23:54

sescho a écrit :Pas autant, loin s'en faut, que l'orgueil, quoiqu'il soit une joie, et parce qu'il est une joie. Mais le parallèle avec la compassion (dont le sens n'est pas inscrit dans le mot lui-même) est faux.

Spinoza appelle "pitié" une tristesse qui vient de ce qu'on assimile la souffrance de quelqu'un à la sienne propre. C'est alors en quelque chose une forme de sentimentalisme. Mais il reconnaît dans les affects actifs la Générosité. Les passions / actions sont largement détaillées par Spinoza.


Non c'est la simple imitation des affects qui fait que l'on est triste à cause de la tristesse des autres, relisez la définition.
Pour ce qui est du bouddhisme, et de la pitié bouddhiste, elle vient de ce que le monde tout entier pour eux est tristesse, souffrance, douleur. Tous les hommes sont souffrants, et donc pour ne pas les avoir en haine, le Bouddha conseille la pitié, ou compassion, comme un moindre mal. C'est déjà considérer les autres comme semblables à soi, comme la définition de la pitié chez Spinoza l'indique. Mais la théorie selon lequel la vie serait synonyme de tristesse, de douleur et de souffrance est totalement en contradiction avec la philosophie de Spinoza, pour qui la vie est joie pure et infinie. Si on ajoute que pour les bouddhistes les êtres sont des fantômes, des illusions, des fantasmes de l'imagination dus à l'égo, on est encore une fois en totale contradiction avec Spinoza, pour qui les êtres sont des puissances, des parties de la puissance infinie, des choses réelles dans tous les attributs. Bref je ne vois vraiment pas par quel coté on pourrait rapprocher ces deux philosophies.

Il convient de tout lire...


Vous avez semble t il encore pas mal d'efforts à faire pour vaincre votre orgueil.

Et dire comme vous le faites ci dessus que l'orgueil est mauvais parce qu'il est une joie, c'est une absurdité au regard de la doctrine de Spinoza. Toute joie est bonne pour lui, l'orgueil est donc bon par soi. Le seul problème est que c'est une joie imaginaire, qui naît de la comparaison entre soi et les autres, et que cette joie peut être contrariée par l'envie (s'attrister du bonheur des autres), qui elle est mauvaise.

Donc vous ne vous en sortirez pas en prétendant que la compassion bouddhiste est équivalente à la générosité Spinoziste, à moins de tordre le sens des mots pour leur faire dire ce que vous voulez, selon une pratique que Spinoza dénonce lui-même avec la plus intense vigueur dans le traité théologico politique.

La compassion est la pitié, qui est une tristesse, mais la générosité est l'amour, qui est une joie.

Hokousai a écrit :Largement autant un peu qu 'entre le christianisme et le spinozisme .Mais toutes ces considérations n'ont rien de la science exacte .


Il n'y a non plus rien de commun entre le christianisme et le spinozisme. Il y a en revanche beaucoup en commun entre Jésus et Spinoza. Si le christianisme s'était inspiré seulement de Jésus et aucunement de Saint Paul, alors la philosophie de Spinoza aurait été en totale harmonie avec cette religion. Or ce n'est pas du tout le cas, évidemment.

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Messagepar Louisa » 04 juin 2008, 01:35

Bonjour Sescho,

juste une petite question: à mon sens Faun a raison quand il souligne la difficulté de faire entrer une notion comme la compassion dans les affects positifs, chez Spinoza.

En tout cas, on est d'accord pour dire qu'il vaut mieux éviter la pitié, donc je suppose que tu veux distinguer pitié et compassion.

Si tu souhaites ajouter à la liste des affects spinozistes quelque chose comme la "compassion", je veux bien (après tout il dit lui-même que la liste n'est pas exhaustive, et qu'il s'est limité aux affects fondamentaux), mais en son sens littéral, je vois mal comment faire quelque chose de positif ou d'actif (au sens spinoziste) d'un com-PÂTIR (qui ne signifie rien d'autre que de pâtir à deux, ce qui rend la situation pire encore que lorsque seulement une personne pâtit .. ).

Il faudrait donc que tu réinventes l'un ou l'autre sens métaphorique afin de pouvoir perdre la connotation d'une passivité. Or dire que c'est la même chose que la Générosité est un peu étrange, car si Spinoza l'appelle Générosité, pourquoi y ajouter un autre nom (ayant de toute façon le désavantage que son sens ordinaire est très proche de la pitié)? Bref, comment (re)définirais-tu la compassion pour la faire entrer dans le spinozisme?

PS: quant à ta définition de la pitié, je crois que Spinoza le conçoit un peu différemment. Tel que tu le formules, on dirait que j'ai D'ABORD moi-même une souffrance x, puis je constate chez quelqu'un une souffrance x', qu'alors j'assimile à la mienne, puisqu'elle y ressemble (je viens de perdre un être cher, je rencontre quelqu'un à qui vient d'arriver la même chose, une "sympathie" se crée).

Tel que Spinoza le définit, en revanche, on est tout à fait dans l'imagination, et effectivement, comme Faun le dit, dans l'imitation des affects. Cela signifie que c'est d'abord l'AUTRE qui ressent une Tristesse, et qu'ensuite cette idée me rend à mon tour Triste, parce que je m'imagine cette autre chose comme étant semblable à moi (l'autre vient de perdre un être cher, mais je ne dois pas du tout avoir vécu la même chose pour avoir pitié de lui, il suffit que dans mon imagination je m'identifie à lui, en tant que chose singulière).

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Messagepar sescho » 05 juin 2008, 00:35

Je pense que pour faire de la Philosophie, il faut avoir quelque détachement vis-à-vis des mots, ou plutôt vis-à-vis du sens que l’on a associé aux mots par son histoire personnelle. L’important n’est pas le mot (sans sens propre, donc) mais ce qu’il y a derrière. Les auteurs ne donnent pas tout-à-fait le même sens aux mots, ce qui est éventuellement aggravé par la traduction, en l’occurrence du Sanscrit, du Pâli ou du Tibétain… Alors dire dans ce cadre « la compassion c’est la pitié pas la générosité », dans l’ignorance du fond …

Sur l’orgueil :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P26 : … l’orgueil, sorte de délire où l’homme, rêvant les yeux ouverts, se croit capable de toutes les perfections que son imagination lui peut représenter, et les aperçoit dès lors comme des choses réelles, et s’exalte à les contempler, tant qu’il est incapable de se représenter ce qui en exclut l’existence et détermine en certaines limites sa puissance d’agir.

E3P30 … chacun s’efforce d’imaginer de soi-même tout ce qu’il représente comme une cause de joie, il peut arriver aisément qu’un vaniteux soit orgueilleux et s’imagine qu’il est agréable à tous, tandis qu’il leur est insupportable.

E3AppD29 : … Nous appelons orgueilleux, en effet, celui qui se glorifie à l’excès (voir le Schol. de la Propos. 30, part. 3), qui ne parle de soi que pour exalter sa vertu et des autres que pour dire leurs vices, qui veut être mis au-dessus de tous, enfin qui prend la démarche et étale la magnificence des personnes placées fort au dessus de lui.

E4P54 : … si les hommes dont l’âme est impuissante venaient tous à s’exalter également et par l’orgueil, ils ne seraient plus réprimés par aucune honte, par aucune crainte, et on n’aurait aucun moyen de les tenir en bride et de les enchaîner. Le vulgaire devient terrible dès qu’il ne craint plus.

E4P55 : Le plus haut degré de l’orgueil ou du mépris de soi est le plus haut degré de l’ignorance de soi.

Démonstration : Cela résulte évidemment des Définitions 28 et 29 des affections.

E4P56 : Le plus haut degré de l’orgueil comme de l’abjection marque le plus haut degré d’impuissance de l’âme.

Corollaire : Il suit très clairement de cette proposition que les hommes orgueilleux et abjects sont entre les hommes les plus sujets aux passions.

Scholie : Toutefois l’abjection peut se corriger plus aisément que l’orgueil, parce qu’elle est un sentiment de tristesse ; tandis que l’orgueil est un sentiment de joie, et conséquemment cette passion est plus forte que l’autre (par la Propos. 18, part. 4).

E4P57 : L’orgueilleux aime la présence des parasites, des flatteurs, et il déteste celle des gens de coeur.

Scholie : Il serait trop long d’énumérer ici tous les maux qu’entraîne l’orgueil, puisque les orgueilleux sont sujets à toutes les passions, mais à aucune moins qu’à l’amour et à la pitié. Je dois faire remarquer du moins que celui-là aussi est appelé orgueilleux qui pense des autres moins de bien qu’il ne faut ; et dans ce sens l’orgueil peut être défini : un sentiment de joie né d’une fausse opinion qui fait qu’un homme se croit au-dessus de ses semblables. L’abjection, qui est la passion opposée, se définira alors : un sentiment de tristesse né d’une fausse opinion qui fait qu’un homme se croit au-dessous de ses semblables. Cela posé, on conçoit aisément que l’orgueilleux soit nécessairement envieux (voyez le Schol. de la Propos. 55, part. 3) et haïsse surtout ceux qui sont loués pour leurs grandes vertus ; et on comprend aussi que cette haine ne soit pas aisément étouffée par l’amour et par les bienfaits (voyez le Schol. de la Propos. 41, part. 3), et que les hommes de cette espèce ne se plaisent que dans le commerce de ceux qui flattent l’impuissance de leur âme, et d’un sot font bientôt un insensé.

E4AppCh21 : … personne ne se laisse-t-il prendre à l’adulation que les orgueilleux, qui veulent être au premier rang et n’y atteignent pas.

E4AppCh22 : L’abjection a un faux air de piété et de religion. Mais tout opposée qu’elle soit à l’orgueil, rien est plus près d’un orgueilleux qu’un homme abject (voyez le Schol. de la Propos. 57, part. 4).

Sans commentaire… « Gens de cœur » ? L’amour ? De la vilaine pitié aussi ?

Sur la pitié :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P27 : Par cela seul que nous nous représentons un objet qui nous est semblable comme affecté d’une certaine passion, bien que cet objet ne nous en ait jamais fait éprouver aucune autre, nous ressentons une passion semblable a la sienne.

Scholie : Cette communication d’affection, relativement à la tristesse, se nomme commisération [Pautrat : Pitié] (voyez ci-dessus le Schol. de la Propos. 22, partie 3) ; mais relativement au désir, c’est l’émulation, laquelle n’est donc que le désir d’une chose produit en nous, parce que nous nous représentons nos semblables animés du même désir.

Corollaire II : Nous ne pouvons haïr un objet qui nous inspire de la commisération, par cela seul que le spectacle de sa misère nous met dans la tristesse.

Corollaire III : Chaque fois qu’un objet nous inspire de la commisération, nous nous efforçons, autant qu’il est en nous, de le délivrer de sa misère.

Scholie : Cette volonté, ou cet appétit de faire le bien, qui naît de la commisération que nous ressentons pour l’objet à qui nous voulons faire du bien, s’appelle bienveillance, laquelle n’est donc que le désir né de la commisération. Du reste, pour ce qui est de l’amour ou de la haine que nous ressentons pour celui qui fait du bien ou du mal à nos semblables, voyez le Schol. de la Propos. 22, partie 3.

E4P50 : La pitié est, de soi, mauvaise et inutile dans une âme qui vit selon la raison.

Scholie : Celui qui a bien compris que toutes choses résultent de la nécessité de la nature divine, et se font suivant les lois et les règles éternelles de la nature, ne rencontrera jamais rien qui soit digne de haine, de moquerie ou de mépris, et personne ne lui inspirera jamais de pitié ; il s’efforcera toujours au contraire, autant que le comporte l’humaine vertu, de bien agir et, comme on dit, de se tenir en joie. J’ajoute que l’homme qui est aisément touché de pitié et remué par la misère ou les larmes d’autrui agit souvent de telle sorte qu’il en éprouve ensuite du regret ; ce qui s’explique, soit parce que nous ne faisons jamais le bien avec certitude quand c’est la passion qui nous conduit, soit encore parce que nous sommes aisément trompés par de fausses larmes. Il est expressément entendu que je parle ici de l’homme qui vit selon la raison. Car si un homme n’est jamais conduit, ni par la raison, ni par la pitié, à venir au secours d’autrui, il mérite assurément le nom d’inhumain, puisqu’il ne garde plus avec l’homme aucune ressemblance (par la Propos. 27, part. 3).

Note 1 : je ne disais pas autre chose (mimétisme), mais la formulation prêtait à confusion. Le terme "sentimentalisme" qui suivait permettait néanmoins de comprendre. Note 2 : La Raison implique la Générosité.

Sur la compassion / Générosité :

Encore une fois, un médecin peut vouloir sincèrement la bonne santé de tous ses patients, sans pour autant se morfondre en aucune façon de leurs maux. Il en va, je le répète, de l’âme comme du corps.

Ringou Tulkou Rimpoché a écrit :L’amour et la compassion… L’amour… est l’aspiration, l’intention qui s’exprime par le souhait « Puissent tous les êtres jouir du bonheur »… Si nous souhaitons que tous les êtres soient libérés de la souffrance, on parle alors de compassion. Bien que ces deux notions soient très proches et de même nature, de légères nuances justifient la distinction… Non seulement l’amour et la compassion sont indispensables pour atteindre l’Eveil, mais ils font en outre partie intégrante de la nature de bouddha.


Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E3P59 : … Il y a deux espèces de force d’âme, savoir : l’intrépidité et la générosité. J’entends par intrépidité, ce désir qui porte chacun de nous à faire effort pour conserver son être en vertu des seuls commandements de la raison. J’entends par générosité, ce désir qui porte chacun de nous, en vertu des seuls commandements de la raison, à faire effort pour aider les autres hommes et se les attacher par les liens de l’amitié. Ainsi donc, ces actions qui ne tendent qu’à l’intérêt particulier de l’agent, je les rapporte à l’intrépidité, et à la générosité celles qui tendent en outre à l’intérêt d’autrui. De cette façon, la tempérance, la sobriété, la présence d’esprit dans le danger, etc., sont des espèces particulières d’intrépidité ; la modestie, la clémence, etc., sont des espèces de générosité.

Nul besoin de commentaire là encore (je précise que j’ai au bas mot une vingtaine d’ouvrages traitant de la compassion telle qu’entendue dans le Bouddhisme – entre autres… Mais bon, il ne faut pas pousser ; j’attendrai les contradictions consolidées par des textes…) On ne ressent pas de pitié pour "tous les êtres" comme je l'ai déjà dit ; de l'amour et de la compassion universels, oui.

Sur l’interdépendance / l’impermanence :

Ringou Tulkou Rimpoché a écrit :Tous les phénomènes, nous y compris, sont interdépendants. Ils apparaissent comme par magie, par miracle ou comme dans un rêve… C’est la nature des choses : elles apparaissent clairement sans pour autant avoir d’existence réelle. Il ne s’agit pas d’une théorie que le bouddhisme aurait inventée, d’un dogme qu’il essaierait d’imposer, mais du mode d’existence réel des phénomènes. …

La sagesse supramondaine suprême, troisième aspect de la sagesse, est la parfaite réalisation, la compréhension éveillée de la nature « non née » des phénomènes. …

Lorsqu’on dit que le « moi » n’existe pas, cela ne signifie pas qu’il n’existe rien du tout, mais qu’il n’existe pas de la manière dont on le perçoit. Comprendre que ce que nous considérons comme le moi n’est pas une entité permanente, mais un ensemble composé en perpétuel changement, nous rendra moins égocentriques, moins égoïstes et donc de plus en plus détendus. …

Les notions mêmes de réel et d’irréel sont toujours des concepts. En fait, que voulez-vous vraiment dire par « réel » ou « irréel » ? Ce n’est qu’une façon de décrire les choses. En définitive, que nous options pour la réalité ou l’irréalité des choses revient au même : « l’autorité », celui qui décide, reste notre esprit. Ce n’est que lorsque nous connaîtrons la vraie nature de notre esprit que nous verrons la vraie nature de toutes choses. On peut donc commencer – ou terminer – en appréhendant la vraie nature de notre esprit. …

Selon Milarepa : Quand on parle de « jnâna », il s’agit d’une conscience sans contrainte, sans artifices, au-delà des termes « c’est » ou « ce n’est pas », « éternel » ou « rien », au-delà du domaine de l’intellect. Aussi, quels que soient les termes utilisés pour l’exprimer, il n’y a rien à réfuter. Tout est tel quel. Certains intellectuels demandèrent un jour au Bouddha son opinion à ce sujet. Sa réponse fut la suivante : « Ne pensez pas qu’il y ait une réponse univoque à ce sujet. Le dharmakâya [bouddhéité ; élimination de toutes les erreurs, de tout ce qui est illusoire] est au-delà de la saisie de l’intellect, sans naissance et libre des complications conceptuelles. Plutôt que de me poser la question, regardez l’esprit. C’est ainsi. »

On définit le dharmakâya comme permanent pour faire comprendre qu’il n’est ni impermanent ni composé, qu’il n’a ni début ni fin. … mais dans ce contexte, « permanent » ne renvoie pas à une entité « solide » et existant en soi, il indique seulement que la nature « non née » n’est pas composée.

Notons qu’il ne s’agit pas de théorie. Exemple universel : le fleuve (la flamme de bougie est de même nature.) Il nous semble évident qu’il est réel, identifiable, le même de jour en jour. Et pourtant en y regardant bien, c’est de l’eau qui ruisselle et coule en masse - là plus qu’ailleurs, mais là comme ailleurs - et jamais la même. Le fleuve ne peut être non plus distingué de l’eau, du sol, de la pluie ou de la neige qui tombe en amont, etc., etc. Il y a bien « quelque chose et non pas rien » mais, en pensant profondément à cela, le fleuve existe-t-il réellement ou non ? (le terme le plus important n’est pas « existe » mais « le » à mon sens.) N’est-ce pas un flux qui donne l’impression de permanence (relative) ?

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2D7 : … si plusieurs individus concourent à une certaine action de telle façon qu’ils soient tous ensemble la cause d’un même effet, je les considère, sous ce point de vue, comme une seule chose singulière.

E2L7S après E2P13 : Nous voyons par ce qui précède comment un individu composé peut être affecté d’une foule de manières, en conservant toujours sa nature. .... Enfin, si nous poursuivons de la sorte à l’infini nous concevrons facilement que toute la nature est un seul individu dont les parties c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de façons, sans que l’individu lui-même, dans sa totalité reçoive aucun changement.

E2P10 : L’être de la substance n’appartient pas à l’essence de l’homme ; en d’autres termes, ce n’est pas la substance qui constitue la forme ou l’essence de l’homme.

Corollaire : Il suit de là que ce qui constitue l’essence de l’homme, ce sont certaines modifications des attributs de Dieu. Car l’être de la substance (par la Propos. précéd.) n’appartient pas à l’essence de l’homme. L’essence de l’homme est donc (par la Propos. 15, partie 1) quelque chose qui est en Dieu et ne peut être sans Dieu, autrement dit (par le Corollaire de la Propos. 25, partie 1), une affection ou un mode qui exprime la nature de certaine façon déterminée.

E4P4 : Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la nature, et qu’il ne puisse souffrir d’autres changements que ceux qui se peuvent concevoir par sa seule nature et dont il est la cause adéquate.

Corollaire : Il suit de là que l’homme est nécessairement toujours soumis aux passions, qu’il suit l’ordre commun de la nature et y obéit et s’y accommode, autant que la nature des choses l’exige.

Comme je l’ai dit, le bouddhisme « relève avant tout d’Héraclite » et « laisse Parménide » à d’autres. Ce qui s’oppose, dans la démarche, à Spinoza. Comme déjà dit encore « Substance » « essence éternelle » (qui va avec) et assurément « individu qui conserve sa nature » ne sont pas des concepts bouddhistes, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais in fine, ce “non-né” (éternel), et ce dharmakâya « non né » aussi, n’est-ce pas, au-delà des oppositions grossières à cent lieues des enjeux réels, la Nature naturante et l’entendement humain partie de l’entendement divin ?

Mais bon, ce n’était pas une boutade : la bonne réponse c’est que nous n’avons pas le niveau requis pour juger…

Rappelons aussi qu’il s‘agit du Mahayana / Vajrayana, qui est un développement du bouddhisme originel, considéré comme représenté par le Théravada (ou hinayana), moins connu mais beaucoup plus répandu, et nettement plus centré sur l’amendement personnel, avec nettement moins de théorie (le Mayahana fait une grande part au raisonnement, au travers de nombreuses écoles – celui-ci n’y étant cependant en aucune façon un aboutissement.) Siddharta Gautama ne répondait d’ailleurs pas aux questions métaphysiques.

Le bouddhisme montre aussi un chemin bien concret d’amendement de l’esprit, comme Spinoza suivant la démarche rationnelle. Cela est à notre niveau, et ne cause pas d’oppositions radicales comme de prétendre manier ce qui nous échappe pour l’essentiel.

Quant à l’interprétation juste de Spinoza, je pense que la modestie servira la vérité : moins de « leçons » et plus de rigueur, moins d’affirmations et plus de démonstrations par des extraits des textes originaux suffisamment complets, comme il a déjà été dit plusieurs fois. Car pour l’instant il y a pas mal de crevasses non comblées, malgré les efforts, sous la moquette…


Cordialement


Serge
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Faun
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Messagepar Faun » 05 juin 2008, 02:52

Je ne comprend pas ce que vient faire cette propagande bouddhiste, donc religieuse, sur un forum de philosophie consacré à Spinoza. Spinoza n'est-il pas connu pour combattre toutes les religions comme des instruments de domination et de servitude, ce qu'est le bouddhisme assurément ?

"Culte de la mort" dit Georges Orwell dans 1984, lui qui avait compris la véritable nature du bouddhisme. D'ailleurs ce n'est pas un hasard si Hitler s'intéressait tellement au bouddhisme tibétain, jusqu'à aller y chercher sa croix gammée.

« la domination qu'exercent les moines du Tibet est absolue. C'est l'exemple type de la dictature cléricale » écrivit Heinrich Harrer, l'envoyé de Hitler au Tibet, avec admiration.«Heinrich Harrer se révéla un être délicieux (…) à la fois sympathique et passionnant», écrivit en retour l'actuel Dalaï-Lama dans son autobiographie.

http://www.newsoftomorrow.org/forum/vie ... hp?p=11192

http://librepenseefrance.ouvaton.org/me ... 9_2006.htm

Et un article de Libé sur le même sujet :

http://www.liberation.fr/rebonds/323085.FR.php

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Louisa
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Messagepar Louisa » 05 juin 2008, 13:14

Bonjour Sescho,

merci de ta réponse. Quelques commentaires.

Sescho a écrit :Je pense que pour faire de la Philosophie, il faut avoir quelque détachement vis-à-vis des mots, ou plutôt vis-à-vis du sens que l’on a associé aux mots par son histoire personnelle.


oui, tout à fait d'accord.

Sescho a écrit :L’important n’est pas le mot (sans sens propre, donc) mais ce qu’il y a derrière. Les auteurs ne donnent pas tout-à-fait le même sens aux mots, ce qui est éventuellement aggravé par la traduction, en l’occurrence du Sanscrit, du Pâli ou du Tibétain… Alors dire dans ce cadre « la compassion c’est la pitié pas la générosité », dans l’ignorance du fond …


Ce n'était pas vraiment ce que j'ai dit. J'ai simplement rappelé que dans son sens ordinaire, la compassion a peu à voir avec la Générosité spinoziste, mais se rapproche fort de ce qu'il appelle la Pitié.

Tu peux bien sûr décider de donner un autre sens au mot "compassion", ou avoir découvert une manière de penser qui donne à ce mot un sens qui se rapproche davantage de la Générosité spinoziste que de la Pitié spinoziste.

Or pour moi, l'exercice proprement philosophique commence par l'EXPLICITATION active, détaillée et argumentée des raisons pour lesquelles tu crois pouvoir nous présenter une telle interprétation des deux auteurs (Spinoza, Bouddha), des raisons sur lesquelles tu fondes cette interprétation. Il ne suffit pas de juste les citer, ou de dire que nous n'avons pas le "niveau" pour "voir" que "au fond" ces deux disent la même chose.

On peut bien sûr être convaincu de cela, mais cette conviction relève de la croyance personnelle. Contrairement à Faun, je ne crois pas du tout que Spinoza ait voulu combattre toutes les religions. N'empêche que pour Spinoza une attitude religieuse est foncièrement différente d'une attitude philosophique (il a défendu une séparation entre philosophie et religion, non pas une éradication de la religion). Là où la religion demande l'obéissance, la reconnaissance inconditionnelle de l'autorité (d'une loi, d'un fondateur de telle ou telle religion, d'un texte ...), et a besoin d'une conversion du croyant (garantissant le salut SANS le concours de la raison), la philosophie demande (et propose) toute autre chose.

Dès sa naissance, la philosophie s'est distinguée de la croyance en ne prétendant jamais posséder la sagesse, la "sophia". Elle ne fait que la désirer, elle ne fait qu'aimer la vérité, c'est tout. Et elle la recherche seulement en s'appuyant sur la "lumière naturelle", c'est-à-dire la raison. Si donc ici vérité il y a, il s'agit toujours de vérités qui, au nom de la vérité même, se laissent argumenter ET souvent aussi, tôt ou tard, réfuter.

A partir de ce moment-là, ce n'est JAMAIS le "niveau" de ton interlocuteur qui peut avoir une quelconque importance, ou un quelconque "poids" argumentatif dans la discussion, dans la recherche de la vérité. C'est pourquoi des réflexions et des questions de "débutants" en philosophie sont toujours d'excellentes occasions, pour ceux qui y ont déjà fait un petit bout de chemin, pour interroger ses propres certitudes (ou plutôt absences de doute), pour expliciter les arguments qui seuls peuvent rendre compte de leur vérité, etc.

C'est pour la même raison aussi qu'en philosophie, on ne peut pas juste "lire" un texte pour déjà arriver à une interprétation vraie, ou juste demander à un interlocuteur qui a une interprétation divergeante de "lire". Une fois que le cadre de la discussion est défini, et que celle-ci est censée se dérouler sur le terrain de la philosophie, simplement répondre à un "objecteur" qu'il convient de lire, cela risque fort d'être ressenti comme une insulte, et à raison, car suggérer que l'autre n'a pas lu quand de toute évidence il a lu (sinon il ne pourrait pas proposer une interprétation divergeante), cela revient à faire moins de cas de lui qu'il n'est juste, bref à mépriser (au sens spinoziste) l'interlocuteur. Or je suppose que ce que tu voulais lire par "il convient de lire", c'est que tu crois que quand on lis le texte attentivement, on ne peut qu'arriver à ton interprétation à toi. Ce qui signifie que tu donnes à celles-ci un statut absolu, non discutable. Or ce faisant tu quittes le domaine de la philosophie pour rejoindre celui de la religion.

C'est pourquoi cela ne suffit pas non plus de juste citer. La philosophie commence APRES la citation, dans le commentaire, dans le lien que tu vas activement et à l'aide de la seule raison construire entre ton interprétation de la citation et le texte. S'émerveiller devant un texte est bien sûr tout à fait respectable (et il n'y a AUCUNE ironie dans cette phrase), mais cela relève de l'attitude religieuse. La philosophie ne commence qu'à partir de la mise en question, l'interrogation, et cela avant tout de sa propre interprétation ou "vision" du texte.

Sescho a écrit :Encore une fois, un médecin peut vouloir sincèrement la bonne santé de tous ses patients, sans pour autant se morfondre en aucune façon de leurs maux. Il en va, je le répète, de l’âme comme du corps.

Ringou Tulkou Rimpoché a écrit:
L’amour et la compassion… L’amour… est l’aspiration, l’intention qui s’exprime par le souhait « Puissent tous les êtres jouir du bonheur »… Si nous souhaitons que tous les êtres soient libérés de la souffrance, on parle alors de compassion. Bien que ces deux notions soient très proches et de même nature, de légères nuances justifient la distinction… Non seulement l’amour et la compassion sont indispensables pour atteindre l’Eveil, mais ils font en outre partie intégrante de la nature de bouddha.

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit:
E3P59 : … J’entends par générosité, ce désir qui porte chacun de nous, en vertu des seuls commandements de la raison, à faire effort pour aider les autres hommes et se les attacher par les liens de l’amitié.

Sescho:
Nul besoin de commentaire là encore (je précise que j’ai au bas mot une vingtaine d’ouvrages traitant de la compassion telle qu’entendue dans le Bouddhisme – entre autres… Mais bon, il ne faut pas pousser ; j’attendrai les contradictions consolidées par des textes…) On ne ressent pas de pitié pour "tous les êtres" comme je l'ai déjà dit ; de l'amour et de la compassion universels, oui.


que constate-t-on quand on met l'un à côté de l'autre ces deux textes? Que ce que le Bouddhisme donne comme sens au mot "compassion", tel que cela se laisse déduire de la phrase citée, se rapproche effectivement de ce que Spinoza appelle la Générosité.

S'agit-il d'un rapprochement ou d'une identité? Impossible de savoir sur base de la citation d'une seule phrase. Pour pouvoir y répondre, il faudrait connaître le statut de ces deux affects dans les deux manières de penser. C'est pourquoi c'est dommage que tu dis qu'il n'est pas nécessaire de commenter. Surtout quand tu dis que la compassion bouddhiste est une notion centrale dans le bouddhisme, on peut supposer qu'elle est liée à la façon de penser propre à ce courant. Cela implique que le véritable sens de ce mot, dans le bouddhisme, ne se laisse saisir que si l'on tient compte d'autres notions clefs. Idem en ce qui concerne la Générosité spinoziste. Le sens de ces concepts ne peut être reconstruit qu'en tenant compte non seulement de la phrase dans laquelle ils se trouvent, mais surtout aussi en tenant compte du contexte, de ce qui enrichit leur sens précis dans telle ou telle pensée.

Bien sûr, encore une fois, quand on opte pour une attitude religieuse par rapport au texte, expliciter ces liens peut ne pas être nécessaire, et ce choix est entièrement respectable. Mais quand il s'agt d'une approche philosophique, avant que ce type de liens soit explicité et rationnellement argumenté, il est impossible de déjà concevoir une quelconque "vérité" à ce sujet.

Car que dit la phrase que tu cites? Elle dit que la compassion consiste en le désir de libérer les gens de leur souffrance. Mais COMMENT le bouddhisme propose-t-il de libérér les gens? Si la méthode conseillée n'a que très peu à voir avec une méthode rationnelle spinoziste, alors malgré la similitude entre les deux phrases (compassion bouddhiste, Générosité spinoziste), il est fort probablement qu'au fond, ces deux concepts désignent néanmoins des choses très différentes. Et comme tu t'y connais en bouddhisme, ce n'est QUE toi qui vas pouvoir expliciter et construire ce lien, via un commentaire des extraits choisis. Sans que ce travail soit fait, nous ne pouvons que nous dire qu'apparemment tu vois un lien profond, sans plus. Pour cette raison même, j'aurais tendance à croire qu'il s'agit alors de quelque chose qui est assez éloigné du Bien spinoziste, puisque celui-ci se caractérise notamment par le fait qu'il se laisse communiquer, il se laisse même communiquer more geometrico.

Cordialement,
louisa


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