Réflexion sur l'argument ontologique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Faun
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Messagepar Faun » 05 juin 2008, 15:22

Merci Louisa, vous exprimez, avec beaucoup plus de diplomatie et de pédagogie que je n'en suis capable, exactement ce que je ressent face aux messages de Sescho.

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sescho
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Messagepar sescho » 05 juin 2008, 22:21

Louisa a écrit :... dans son sens ordinaire, la compassion a peu à voir avec la Générosité spinoziste, mais se rapproche fort de ce qu'il appelle la Pitié.

Le "sens ordinaire" ? Le mot "compassion" est assez peu usité, et il s'agissait explicitement du contexte bouddhique ; donc le sens à prendre en compte pour le mot "compassion" était le sens bouddhique. Si l'on ne connaît pas ce sens, et qu'on ne veut pas faire l'effort de le connaître au fond (ce qui peut se comprendre) alors sans doute que le mieux est de ne pas intervenir, tout simplement (je dis cela en général, pas pour toi spécifiquement.) Quant à la "pitié" spinozienne, si elle ne convient pas au sage (ce que j'approuve sans réserve compte tenu de la définition que Spinoza donne à ce mot ; il y en a d'autres, par exemple quand on dit "j'ai eu pitié d'eux : avec cette chaleur, j'ai réduit la course à 3 km" qui signifie alors quelque chose comme "clémence" chez Spinoza) elle est quand-même, les textes le montrent, comme une semi-qualité chez l'être à moitié sage (au contraire de l'orgueil, je le répète, qui est le "roi des passions" chez Spinoza.)

Louisa a écrit :Or pour moi, l'exercice proprement philosophique commence par l'EXPLICITATION active, détaillée et argumentée des raisons pour lesquelles tu crois pouvoir nous présenter une telle interprétation des deux auteurs (Spinoza, Bouddha), des raisons sur lesquelles tu fondes cette interprétation. Il ne suffit pas de juste les citer, ou de dire que nous n'avons pas le "niveau" pour "voir" que "au fond" ces deux disent la même chose.

Certes, certes. Mais j'ai déjà passé pas mal de temps à cela, et je n'en ai pas beaucoup. Expliquer le bouddhisme, une philosophie morale qui a derrière elle des millénaires de travail (elle est issue du Védisme), une paille... C'est pourquoi je dis : soit on travaille soi-même, soit on n'intervient pas. Pour le reste, indiquer des orientations pour un bon travail à d'autres est assez facile, mais le mieux c'est d'être (spontanément, pas à dessein) un exemple, ne serait-ce que modestement.

Louisa a écrit :... pour Spinoza une attitude religieuse est foncièrement différente d'une attitude philosophique

Ceci ce sont des généralités sur des mots. Ai-je dit que le bouddhisme était une religion ? Non, ce n'en est pas une. C'est avant tout une philosophie morale. Et si par certains côtés c'en est une, je ne prends pas. Prajnanpad, advaitiste et donc à ce titre hindouiste (mais pas loin du bouddhisme), n'était pas tendre, c'est le moins que l'on puisse dire, avec la superstition, qu'il voyait partout dans son propre pays. Le Bouddhisme Mahayana a une tradition fortement rationnelle (en particulier avec Nagarjuna et Chandrakirti.) Qui ne voit que Spinoza saisit le fond éternel dans le fondement des religions - en particulier le Christianisme ; mais si l'on veut remplacer ce terme par "le message profond de Jésus de Nazareth" j'approuve. Si l'on met des caricatures derrière les mots, c'est facile ensuite de faire ressortir des différences tranchées... Il y a juste un inconvénient : tout le sens profond a été perdu....

Louisa a écrit :Dès sa naissance, la philosophie s'est distinguée de la croyance en ne prétendant jamais posséder la sagesse, la "sophia". Elle ne fait que la désirer, elle ne fait qu'aimer la vérité, c'est tout. Et elle la recherche seulement en s'appuyant sur la "lumière naturelle", c'est-à-dire la raison. Si donc ici vérité il y a, il s'agit toujours de vérités qui, au nom de la vérité même, se laissent argumenter ET souvent aussi, tôt ou tard, réfuter.

La prétention est contraire à la sagesse - on y est ou pas -, et il n'y a aucune sagesse sans vérité. Si "vérité" a un sens, alors il n'y a pas de réfutation sensée à son endroit. Tout au plus ce qui se discute entre elles c'est la place de l'intellect. Mais aucune philosophie morale profonde - y compris "celle de Spinoza" - ne considère l'intellect comme un aboutissement, mais seulement comme un moyen. C'est pourquoi l'écueil principal de la Philosophie, c'est l'intellectualisme stérile. Plusieurs maîtres bouddhistes indiquent clairement cependant que l'usage de l'intellect est indispensable, ou presque. Par ailleurs, si l'on veut discuter du fond d'une philosophie précise, le Bouddhisme par exemple, il faut savoir de quoi l'on parle ; sinon on aborde un sujet ou un autre, mais on ne prétend pas juger le Bouddhisme.

Louisa a écrit :... répondre à un "objecteur" qu'il convient de lire, cela risque fort d'être ressenti comme une insulte, et à raison, car suggérer que l'autre n'a pas lu quand de toute évidence il a lu (sinon il ne pourrait pas proposer une interprétation divergente), cela revient à faire moins de cas de lui qu'il n'est juste, bref à mépriser (au sens spinoziste) l'interlocuteur. Or je suppose que ce que tu voulais lire par "il convient de lire", c'est que tu crois que quand on lis le texte attentivement, on ne peut qu'arriver à ton interprétation à toi. Ce qui signifie que tu donnes à celles-ci un statut absolu, non discutable. Or ce faisant tu quittes le domaine de la philosophie pour rejoindre celui de la religion.

Mouais. Je suis pour qu'on se mette d'accord sur un protocole et qu'on le respecte, mais il s'applique alors à tout le monde. Parce que sinon à professer à autrui des généralités sur les procédures sans passer à l'acte, on n'avance pas d'un iota. Je fais un effort : je ne me contente pas d'affirmer, ou plutôt de proposer, je mets en regard les textes d'auteurs réputés être compétents dans le domaine, et je considère qu'ils parlent d'eux-mêmes - et, c'est vrai je ne prends pas toute affirmation pour une lecture profonde, surtout quand elle contredit me semble-t-il clairement le texte originel que j'ai sous les yeux. Le contexte était déjà connu par les messages précédents (par exemple la proximité de la compassion bouddhiste et de la générosité spinozienne.) Si quelqu'un n'est pas d'accord, alors il ne procède pas par affirmation, par mise en cause ad hominem plus ou moins franche ou enrobée, ou par généralités sur les procédures : soit il fait l'exégèse précise du texte en question, soit il met en regard des textes d'auteurs de même niveau qui s'opposent. Et là le débat peut continuer sérieusement.

Louisa a écrit : ... j'aurais tendance à croire qu'il s'agit alors de quelque chose qui est assez éloigné du Bien spinoziste, puisque celui-ci se caractérise notamment par le fait qu'il se laisse communiquer, il se laisse même communiquer more geometrico.

Le more geometrico est un moyen, pas une fin, et il peut y avoir d'autres moyens. Mais le bouddhisme n'est pas le bon contre-exemple (Mahayana en tout cas), qui utilise fortement le raisonnement. Tu dis "j'aurais tendance à croire... d'assez éloigné ....". Après tant de préliminaires sur la bonne Philosophie, je te pose la question : tu sais de quoi tu parles ou non ? Sinon tes critères me semblent un tantinet légers. Je ne suis pas un spécialiste du Bouddhisme (rien que le terme "spécialiste" sent la contradiction d'ailleurs) et je prends tout ce qui me conduit à la vérité autant que mes forces me le permettent, mais cela fait 2 500 ans que Bouddhisme et Védanta vivent de la communication entre maître et disciple, et d'un travail de continuelle remise à jour.


Cordialement


Serge

P.S. Hitler, n'est-ce pas le critère ultime reconnu de la défaite (strictement personnelle) de l'intervenant ?
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Messagepar Faun » 05 juin 2008, 23:57

sescho a écrit :
P.S. Hitler, n'est-ce pas le critère ultime reconnu de la défaite (strictement personnelle) de l'intervenant ?


Non c'est seulement une vérité historique. Apparemment les liens entre le bouddhisme tibétain et le nazisme vous importent peu, cela n'a finalement rien d'étonnant. Mais d'autres sont moins aveugles que vous :

http://omegalpha.over-blog.com/article-18081584.html

http://opus-incertum.over-blog.net/arti ... 990-6.html

Ai-je dit que le bouddhisme était une religion ? Non, ce n'en est pas une. C'est avant tout une philosophie morale.


Vous ne reculez vraiment devant aucun mensonge, c'est impressionnant. Le clergé tibétain, digne de l'Eglise catholique, n'a évidemment aucune existence réelle, je suppose.

PS : vous ne comprenez rien à la philosophie de Spinoza, ni à la philosophie en général d'ailleurs. Vous vous contentez de répéter les dogmes de votre église sans même les comprendre. Vos réflexions sur la sagesse et l'orgueil ne sont que des masques, vous êtes un hypocrite, un tartuffe. Vous êtes même incapable de définir le concept de compassion. Allez faire votre propagande ailleurs.

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Messagepar Louisa » 06 juin 2008, 01:56

Sescho a écrit :(...) le sens à prendre en compte pour le mot "compassion" était le sens bouddhique. Si l'on ne connaît pas ce sens, et qu'on ne veut pas faire l'effort de le connaître au fond (ce qui peut se comprendre) alors sans doute que le mieux est de ne pas intervenir, tout simplement (je dis cela en général, pas pour toi spécifiquement.)


Bonjour Sescho,

et que penses-tu de l'idée d'intervenir dans un débat où l'une des thèses défendues est celle d'un rapprochement entre la compassion bouddhiste et la générosité, simplement pour demander en quoi pourrait consister ce rapprochement?

Ce que je voulais dire, c'est qu'à mon avis la seule façon "philosophique" d'aborder cette question, passe nécessairement par une "définition" de la compassion bouddhiste de la part de celui qui veut opérer un tel rapprochement (ce que dans ton avant-dernier message tu fais, bien sûr). On n'a pas besoin d'un interlocuteur bien renseigné sur le sujet pour pouvoir avoir avec lui un débat raisonné et enrichissant pour les deux participants, car un débat philosophique porte avant tout sur la clarification des idées. Avoir un "non-initié" comme interlocuteur a à mes yeux comme grand avantage de devoir expliciter un maximum de concepts introduits, explicitation qui très souvent s'avère être fort intéressante, avant tout pour le "sujet-supposé-savoir".

Sescho a écrit : Quant à la "pitié" spinozienne, si elle ne convient pas au sage (ce que j'approuve sans réserve compte tenu de la définition que Spinoza donne à ce mot ; il y en a d'autres, par exemple quand on dit "j'ai eu pitié d'eux : avec cette chaleur, j'ai réduit la course à 3 km" qui signifie alors quelque chose comme "clémence" chez Spinoza) elle est quand-même, les textes le montrent, comme une semi-qualité chez l'être à moitié sage (au contraire de l'orgueil, je le répète, qui est le "roi des passions" chez Spinoza.)


qu'est-ce qui te ferait dire que la pitié pourrait être une semi-qualité?

Il y a certes le scolie de l'E4PL, mais celui-ci ne dit pas qu'aussi longtemps qu'on est pas sage, mieux vaut avoir de la pitié. Il dit seulement que dans le cas où il faut porter secours à quelqu'un, on peut le faire mu par la raison (sans nécessairement être un sage), ou mu par la Pitié. Ne pas le faire, au contraire (donc ne pas porter secours quand il est nécessaire), ce serait être inhumain. Le seul avantage de la passion de la pitié, c'est donc que, dans l'absence d'un motif raisonnable, l'ignorant aura, en tant qu'homme, toujours tendance à aider celui qui se trouve en difficultés, et cela simplement parce qu'il est un homme, et que rien ne convient mieux à l'homme qu'un autre homme.

Sinon, y ajoute Spinoza, "celui qui touche aisément l'affect de Pitié, et qu'émeuvent le malheur ou les larmes d'autrui, souvent fait quelque chose dont ensuite il se répent (...)".

La Pitié reste donc à mon avis un affect-passion, même si parfois (plutôt rarement) l'effet de l'acte entrepris sur base d'une telle passion peut être mieux que rien.

Par conséquent, si l'on veut voir dans quelle mesure il y aurait un parallèle possible avec la compassion bouddhiste, il faudrait par exemple voir dans quelle mesure cette compassion est également fréquemment source d'actes que par après on regrette. Si tu as le temps et l'envie de nous en dire quelque chose: qu'en penses-tu?

Louisa a écrit:
Or pour moi, l'exercice proprement philosophique commence par l'EXPLICITATION active, détaillée et argumentée des raisons pour lesquelles tu crois pouvoir nous présenter une telle interprétation des deux auteurs (Spinoza, Bouddha), des raisons sur lesquelles tu fondes cette interprétation. Il ne suffit pas de juste les citer, ou de dire que nous n'avons pas le "niveau" pour "voir" que "au fond" ces deux disent la même chose.

Sescho:
Certes, certes. Mais j'ai déjà passé pas mal de temps à cela, et je n'en ai pas beaucoup.


ce qui est tout à fait compréhensible et acceptable, bien sûr. Je ne voulais pas du tout suggérer que je trouve qu'il faudrait t'impliquer plus - d'abord parce que je n'ai aucunement le droit de dire cela, puis parce qu'il est tout à fait évident que tu es déjà l'un des participants le plus actifs de ce forum.

Mon problème portait uniquement sur l'argument en tant que tel: tu semblais suggérer que juste citer Spinoza suffit pour donner un argument pro ta propre interprétation, ce qui met l'interlocuteur dans la situation embarrassante de devoir se considérer comme étant dépourvu de cette "lumière naturelle" qu'est la raison et qui permet de comprendre, quand de prime abord il n'est pas d'accord.

Sescho a écrit :Expliquer le bouddhisme, une philosophie morale qui a derrière elle des millénaires de travail (elle est issue du Védisme), une paille... C'est pourquoi je dis : soit on travaille soi-même, soit on n'intervient pas. Pour le reste, indiquer des orientations pour un bon travail à d'autres est assez facile, mais le mieux c'est d'être (spontanément, pas à dessein) un exemple, ne serait-ce que modestement.


du moment que l'on reconnaît qu'il s'agit d'une "indication pour un bon travail", on reconnaît que ce travail n'a pas encore été fait. De nouveau, c'était la seule chose qui m'importait. Alors il me semble qu'en philosophie, si l'on n'a pas encore fait ce travail (sans doute pour un tas de bonnes raisons, encore une fois, il s'agit nullement de "juger" qui que ce soit), on peut difficilement demander aux autres qu'ils acceptent déjà la vérité de l'hypothèse de travail sur base d'une simple citation.

Sescho a écrit :Louisa a écrit:
... pour Spinoza une attitude religieuse est foncièrement différente d'une attitude philosophique

Sescho:
Ceci ce sont des généralités sur des mots. Ai-je dit que le bouddhisme était une religion ? Non, ce n'en est pas une. C'est avant tout une philosophie morale. Et si par certains côtés c'en est une, je ne prends pas. Prajnanpad, advaitiste et donc à ce titre hindouiste (mais pas loin du bouddhisme), n'était pas tendre, c'est le moins que l'on puisse dire, avec la superstition, qu'il voyait partout dans son propre pays. Le Bouddhisme Mahayana a une tradition fortement rationnelle (en particulier avec Nagarjuna et Chandrakirti.)


quand je parlais d'une attitude religieuse, je ne parlais pas du bouddhisme, mais de ta façon d'argumenter.

Louisa a écrit:
Dès sa naissance, la philosophie s'est distinguée de la croyance en ne prétendant jamais posséder la sagesse, la "sophia". Elle ne fait que la désirer, elle ne fait qu'aimer la vérité, c'est tout. Et elle la recherche seulement en s'appuyant sur la "lumière naturelle", c'est-à-dire la raison. Si donc ici vérité il y a, il s'agit toujours de vérités qui, au nom de la vérité même, se laissent argumenter ET souvent aussi, tôt ou tard, réfuter.

Sescho:
La prétention est contraire à la sagesse - on y est ou pas -, et il n'y a aucune sagesse sans vérité.


et pourtant, la philosophie prétend que la sagesse absolue n'existe pas, n'est pas donnée à l'homme. On ne peut qu'évoluer vers la vérité. Ce cheminement est parsemé d'erreurs, ponctuelles ou fondamentales, et le travail du désir de la sagesse exige la capacité de remettre en question tout ce dont de prime abord on ne doute pas.

Sescho a écrit : Si "vérité" a un sens, alors il n'y a pas de réfutation sensée à son endroit.


historiquement parlant, cela n'est pas correct. Longtemps il était tout à fait vrai que le soleil tourne autour de la terre. Entre-temps on a découvert l'erreur, ou plutôt, on a compris quelles données et raisonnements rendaient cette idée plausible, tandis que quand on y ajoute d'autres données, on voit que l'inverse est vrai.

Bien sûr, on peut m'objecter que Spinoza dit tout de même qu'il est propre à la raison de considérer les choses d'un certain point de vue éternel, ce qui implique effectivement que les vérités qu'on acquiert ne changent pas. Il dit même quelque part qu'il est totalement inconcevable qu'une vérité se transforme en fausseté.

Mais je crois que là il parle d'autre chose que ce que je voulais dire. Ici, sur ce forum, nous cherchons tous l'interprétation vraie du spinozisme (ou disons que beaucoup d'entre nous la cherchent). Cela n'est pas une question de sagesse ou non, mais une question d'interprétation de texte, et donc d'argumentation sur base du texte. C'est là que la distinction proprement spinoziste entre certitude (qui caractérise la vérité) et absence de doute (qui peut se produire quand il y a néanmoins fausseté) a toute son importance. On peut lire Spinoza d'une façon x, et ne pas en douter. Cela ne garantit en rien qu'on est déjà dans le vrai.

L'utilité de ce forum consiste donc à mon sens notamment dans le fait qu'on peut y CONFRONTER nos différentes interprétations les unes aux autres (ce qui n'a rien à voir avec des victoires ou défaites personnelles; on est ici dans le débat des idées, et non pas dans la lutte (ou "match") entre personnes), pour tester la validité de nos interprétations, et pour découvrir de temps à autre que ce qu'on croyait être certitude est plutôt absence de doute, donc pas très justifié, une fois qu'on s'interroge (ou qu'on se laisse interroger) un peu sérieusement. Or il n'y a rien à faire, cette confrontation nécessite une explicitation, sinon c'est chacun sa vérité, ce qui me semble assez contraire à "l'esprit" spinoziste.

Sescho a écrit :Tout au plus ce qui se discute entre elles c'est la place de l'intellect. Mais aucune philosophie morale profonde - y compris "celle de Spinoza" - ne considère l'intellect comme un aboutissement, mais seulement comme un moyen.


ce que tu écris m'étonne. Le sage n'est-il pas celui qui est entièrement dans l'amour INTELLECTUEL de Dieu? Où l'intellect est-il dépassé pour toi, chez Spinoza? Et qu'est-ce qui le remplace?

Sinon rappelons qu'une autre grande tradition morale, fort différente de celle de Spinoza, la kantienne, parle bel et bien de RAISON pratique. Ici aussi, la morale est tout à fait ancrée dans l'intellect, il me semble. Chez Platon, le Bien morale nécessite le Vrai, que l'on atteint que ... par l'intellect. Bref, j'éprouve pas mal de difficultés à comprendre ce que tu dis ici.

Sescho a écrit :C'est pourquoi l'écueil principal de la Philosophie, c'est l'intellectualisme stérile.


comment retraduire cette notion de "intellectualisme stérile" dans le langage du spinozisme?

Sescho a écrit :Par ailleurs, si l'on veut discuter du fond d'une philosophie précise, le Bouddhisme par exemple, il faut savoir de quoi l'on parle ; sinon on aborde un sujet ou un autre, mais on ne prétend pas juger le Bouddhisme.


oui, tout à fait d'accord.

Louisa a écrit:
... répondre à un "objecteur" qu'il convient de lire, cela risque fort d'être ressenti comme une insulte, et à raison, car suggérer que l'autre n'a pas lu quand de toute évidence il a lu (sinon il ne pourrait pas proposer une interprétation divergente), cela revient à faire moins de cas de lui qu'il n'est juste, bref à mépriser (au sens spinoziste) l'interlocuteur. Or je suppose que ce que tu voulais lire par "il convient de lire", c'est que tu crois que quand on lis le texte attentivement, on ne peut qu'arriver à ton interprétation à toi. Ce qui signifie que tu donnes à celles-ci un statut absolu, non discutable. Or ce faisant tu quittes le domaine de la philosophie pour rejoindre celui de la religion.

Sescho:
Mouais. Je suis pour qu'on se mette d'accord sur un protocole et qu'on le respecte, mais il s'applique alors à tout le monde. Parce que sinon à professer à autrui des généralités sur les procédures sans passer à l'acte, on n'avance pas d'un iota. Je fais un effort : je ne me contente pas d'affirmer, ou plutôt de proposer, je mets en regard les textes d'auteurs réputés être compétents dans le domaine, et je considère qu'ils parlent d'eux-mêmes - et, c'est vrai je ne prends pas toute affirmation pour une lecture profonde, surtout quand elle contredit me semble-t-il clairement le texte originel que j'ai sous les yeux.


ok, mais là où cela devient intéressant, c'est quand tu essaies de nous expliquer par des arguments en quoi pour toi il s'agit d'une contradiction. Il est évident que citer de larges extraits demande un effort. C'est pourquoi (notamment) je ne voulais point "juger" l'effort que tu fais en discutant. Je voulais juste signaler que je comprends qu'un interlocuteur se sent méprisé (le mépris étant l'une des formes de l'orgueil, scolie E4PLVII) quand tu ne donnes que des citations, car alors l'essentiel pour pouvoir le convaincre de la vérité de ton interprétation manque.

Sescho a écrit :Le contexte était déjà connu par les messages précédents (par exemple la proximité de la compassion bouddhiste et de la générosité spinozienne.) Si quelqu'un n'est pas d'accord, alors il ne procède pas par affirmation, par mise en cause ad hominem plus ou moins franche ou enrobée


oui, tout à fait d'accord. Seulement, on peut peut-être constater qu'éviter rigoureusement l'ad hominem n'est pas toujours si facile que cela, que même ceux qui le veulent y succombent parfois? On pourrait peut-être penser au fait qu'on fait souvent de l'ad hominem quand on se SENT (c'est-à-dire s'imagine) attaqué, et que donc ce type d'arguments provient assez régulièrement d'une idée inadéquate, donc d'une situation où l'auteur n'est PAS responsable de ce qu'il écrit, puisqu'il est soumis aux affects-passions (il se sent blâmé) ?

Louisa a écrit:
... j'aurais tendance à croire qu'il s'agit alors de quelque chose qui est assez éloigné du Bien spinoziste, puisque celui-ci se caractérise notamment par le fait qu'il se laisse communiquer, il se laisse même communiquer more geometrico.

Sescho:
Le more geometrico est un moyen, pas une fin, et il peut y avoir d'autres moyens.


il peut certes y avoir d'autres moyens pour connaître. Dans le troisième genre de connaissance, par exemple, ce n'est pas le more geometrico qui est le moyen, mais l'intuition. Or ici, sur ce forum, nous sommes non pas dans la vision uno intuito de l'essence d'une chose, mais dans l'interprétation d'un texte, écrit en des mots c'est-à-dire des signes, qui à cause de leur ambiguités peuvent très facilement prêter à confusion. Je ne vois pas ce qui, dans une discussion philosophique, pourrait intervenir comme moyen sauf le more geometrico, c'est-à-dire les arguments raisonnés.

Sescho a écrit :Tu dis "j'aurais tendance à croire... d'assez éloigné ....". Après tant de préliminaires sur la bonne Philosophie, je te pose la question : tu sais de quoi tu parles ou non ?


pour pouvoir répondre à cette question, un peu étrange, il faudrait que tu explicites ce que tu entends par "savoir de quoi on parle".

En attendant: si tu me demandes si je sais de quoi je parle quand je parle de la philosophie, je ne peux que te répondre que oui, j'ai une certaine expérience de la philosophie, expérience que je juge suffisante pour pouvoir avoir une idée sur ce qu'elle est essentiellement. Qui plus est, je prétends que cette idée est vraie. Or comme il ne s'agit pas d'une vérité religieuse, je ne peux maintenir cette prétention que si je la soumets le plus souvent possible aux jugements critiques de n'importe qui qui prétend également savoir de quoi il parle quand il parle de philosophie (en ce qui me concerne, il suffit qu'il dit qu'il le sait, il n'est guère nécessaire qu'il montre d'abord patte blanche avant que je veuille prendre en considération ses arguments, sinon je risquerais de ne sélectionner que ceux avec qui au fond je suis déjà d'accord) et si je suis prête à l'abandonner immédiatement si quelqu'un, par des moyens rationnels, réussit à me montrer une erreur dans mon raisonnement. Au cas où cela arriverait, je ne le ressenterais AUCUNEMENT comme une "défaite personnelle", puisque ce dont il s'agit ici, ce n'est pas ma petite personne, mais rien moins que la vérité. Or il se fait que la plupart de nos vérités sont le fruit d'un travail collectif. Elles sont "im-personnelles". Réussir, dans une discussion, à découvrir une erreur dans un raisonnement, c'est TOUJOURS une victoire, et cela pour les DEUX intervenants, donc certainement aussi pour celui qui se voit obligé de revoir ses thèses. C'est à mon sens ce que dit déjà Spinoza: découvrir une vérité, c'est avoir une idée adéquate. On ne peut qu'être joyeux en l'ayant.

Bref, je ne dirais donc peut-être pas que je crois disposer de la "bonne" philosophie (est bon ce qui convient à tel ou tel être singulier), mais je crois effectivement avoir une idée de ce que c'est que la vraie philosophie. Mais pour cette raison même, je suis entièrement ouverte à(j'ai même besoin de) toute critique raisonnée par rapport à ce que j'en dis.

Sescho a écrit : Sinon tes critères me semblent un tantinet légers. Je ne suis pas un spécialiste du Bouddhisme (rien que le terme "spécialiste" sent la contradiction d'ailleurs) et je prends tout ce qui me conduit à la vérité autant que mes forces me le permettent, mais cela fait 2 500 ans que Bouddhisme et Védanta vivent de la communication entre maître et disciple, et d'un travail de continuelle remise à jour.


je n'ai pas compris ce que tu voulais dire par là. Pourrais-tu reformuler?
Merci déjà,
bonne nuit,
louisa

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Messagepar Louisa » 06 juin 2008, 17:38

PS: ayant posté mon dernier message avant d'avoir pu lire le dernier message de Faun, mon affirmation quant à une définition de la compassion bouddhiste n'était pas une réponse à Faun - réponse qui dans ce cas aurait été assez laconique, tandis que tenant compte de ce que vient d'écrire Faun, elle méritait évidemment d'être argumenté.

Voici donc où se trouvait à mon sens le passage que l'on peut considérer comme contenant une telle "définition":

Sescho a écrit :Ringou Tulkou Rimpoché a écrit:
L’amour et la compassion… L’amour… est l’aspiration, l’intention qui s’exprime par le souhait « Puissent tous les êtres jouir du bonheur »… Si nous souhaitons que tous les êtres soient libérés de la souffrance, on parle alors de compassion.


Ce n'est que la suite de la citation qui fait penser que celle-ci n'est pas tout à fait complète, puisqu'apparemment cette compassion constitue la nature même de Bouddha (et partant, sans commentaire sur celle-ci, on risque de se tromper quant à son sens réel):

Ringou Tulkou Rimpoché a écrit :Bien que ces deux notions soient très proches et de même nature, de légères nuances justifient la distinction… Non seulement l’amour et la compassion sont indispensables pour atteindre l’Eveil, mais ils font en outre partie intégrante de la nature de bouddha.

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Messagepar sescho » 06 juin 2008, 22:10

Louisa a écrit :qu'est-ce qui te ferait dire que la pitié pourrait être une semi-qualité?

Le texte même de Spinoza, que j'ai reproduit plus haut. La phrase :

"Il est expressément entendu que je parle ici de l’homme qui vit selon la raison. Car si un homme n’est jamais conduit, ni par la raison, ni par la pitié, à venir au secours d’autrui, il mérite assurément le nom d’inhumain, puisqu’il ne garde plus avec l’homme aucune ressemblance."

peut se traduire ainsi : si un homme vit selon la raison alors il n'exprime pas de pitié (mais de la générosité) - suivant la définition qu'en donne Spinoza - mais s'il n'exprime pas la raison et qu'en plus il n'exprime pas la pitié, alors il ne mérite même pas le nom d'humain. Il est évident, donc, par cette phrase, que la pitié est une qualité relative chez l'homme qui n'est pas conduit par la raison seule. En y réfléchissant un peu, c'est clair. L'orgueil n'a aucune propriété de cette sorte.

Louisa a écrit :Par conséquent, si l'on veut voir dans quelle mesure il y aurait un parallèle possible avec la compassion bouddhiste, il faudrait par exemple voir dans quelle mesure cette compassion est également fréquemment source d'actes que par après on regrette. Si tu as le temps et l'envie de nous en dire quelque chose: qu'en penses-tu?

Comme déjà dit, je n'ai pas le temps. Il est beaucoup plus ardu de faire les choses que de parler de les faire sans les faire. En outre, il y avait un contexte - fixé par Faun - qui ne relevait pas de cette pose. Je dis que la générosité spinozienne (et plus généralement l'Amour) est proche de la compassion bouddhiste. L'intérêt de ceci est de souligner la convergence de profonds mouvements spirituels, et donc peut-être de compléter l'un par l'autre, donnant plus de force à l'ensemble. Je m'efforce de ne pas faire dans l'intellectualisme stérile, mais au contraire dans l'efficacité. Maintenant, je ne peux pas faire l'effort de compréhension pour d'autres (il s'agit de notions profondes incompatibles avec la facilité d'un simple définition - encore une fois parler de la chose comme tu le fais et la chose même sont sans rapport.) Donc là, je le répète, de deux choses l'une : soit on n'a pas de connaissance sérieuse de la chose et on se tait, soit on bosse avant de parler, soit on a une connaissance de la chose et on argumente, avec des extraits d'auteurs confirmés, et tout le monde progresse. A part cela, je ne vois que de la vanité.

Louisa a écrit :Mon problème portait uniquement sur l'argument en tant que tel: tu semblais suggérer que juste citer Spinoza suffit pour donner un argument pro ta propre interprétation, ce qui met l'interlocuteur dans la situation embarrassante de devoir se considérer comme étant dépourvu de cette "lumière naturelle" qu'est la raison et qui permet de comprendre, quand de prime abord il n'est pas d'accord.

Quand on est dénué de vanité, on n'a pas de problème avec cela. Quand je considère qu'une phrase est parfaitement claire par elle-même, je ne m'amuse pas à la répéter en changeant chaque mot par un quasi-synonyme. Je mets les extraits en regard et entend prouver par là que la convergence que j'ai annoncée auparavant est réelle. Si quelqu'un n'est pas d'accord, il est bon pour moi qu'il l'exprime avec des arguments (comme par exemple d'autres extraits qui viennent corroborer ses dires) pour me montrer là où je me trompe. Des arguments et des extraits, pas des affirmations péremptoires ou des digressions sans fin. Sinon tout le monde est d'accord : ce qui est bien c'est quelque chose de vrai, d'argumenté, d'illustré par de nombreux exemples, de référencé, de didactique, avec thèse, antithèse, synthèse , etc. etc. Mais je le répète : cela ne coûte rien de le dire, il faut le faire...

Louisa a écrit :et pourtant, la philosophie prétend que la sagesse absolue n'existe pas...

LA Philosophie... Diable ! Mais effectivement la sagesse absolue n'existe pas dans les modes réels. Comme déjà dit, c'est asymptotiquement qu'on l'atteint (pas qu'on en parle : qu'on l'atteint, éventuellement.) En revanche il y a bien une seule loi naturelle de la sagesse et de la béatitude, et Spinoza ne fait que cela de la faire apparaître suivant le deuxième genre. C'est juste une facilité de langage pour être compris en gros que d'en parler comme d'une chose fixe. Tu sais, je peux prendre n'importe laquelle de tes phrases, et te demander à chaque mot : "ce que tu entends par-là", "en quoi c'est spinoziste", que "la Philosophie ce n'est peut-être pas cela", "si tu peux nous expliquer cela", "reformuler", "que Spinoza a dit que rien n'était bien ou mal", etc., etc. Je t'en sors des pages, des livres et des bibliothèques. Au bout ? Rien, désespérément rien...

Louisa a écrit :
Sescho a écrit :Tout au plus ce qui se discute entre elles c'est la place de l'intellect. Mais aucune philosophie morale profonde - y compris "celle de Spinoza" - ne considère l'intellect comme un aboutissement, mais seulement comme un moyen.


ce que tu écris m'étonne. Le sage n'est-il pas celui qui est entièrement dans l'amour INTELLECTUEL de Dieu? Où l'intellect est-il dépassé pour toi, chez Spinoza? Et qu'est-ce qui le remplace?

Spinoza n'utilise pas ici "intellectuel" réduit au sens strict d'"intellect" (raisonnement.) La connaissance du troisième genre n'est pas le raisonnement, qui est l'outil du deuxième. Tu sais, je peux me tromper dans l'interprétation de Spinoza, mais pas au point de me méprendre grossièrement sur un aspect élémentaire...

Louisa a écrit :Sinon rappelons qu'une autre grande tradition morale, fort différente de celle de Spinoza, la kantienne, parle bel et bien de RAISON pratique. Ici aussi, la morale est tout à fait ancrée dans l'intellect, il me semble. Chez Platon, le Bien morale nécessite le Vrai, que l'on atteint que ... par l'intellect. Bref, j'éprouve pas mal de difficultés à comprendre ce que tu dis ici.

Sans commentaire, encore :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E5P36S : ... combien la connaissance des choses particulières, que j’ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j’ai appelée du second genre ; car, bien que j’aie montré dans la première partie d’une manière générale que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, si solide et si parfaitement certaine qu’elle soit, frappe cependant notre âme beaucoup moins qu’une preuve tirée de l’essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion.


Louisa a écrit :...ce n'est pas le more geometrico qui est le moyen, mais l'intuition.

L'intuition - ou plutôt la science intuitive -, n'est pas un moyen : c'est un autre nom pour la même chose.

Bien, je vais arrêter là. Au sujet de la "pensée religieuse" qui n'est pas la "pensée philosophique" : il y a énormément de superstition dans le "religieux", mais dire que tout ce qu'il y a dans le "religieux" est superstition est une monstrueuse ânerie ; il y en a d'autres qui disent que la Philosophie ne peut rien en Spiritualité, ou que la Spiritualité n'est pas philosophique, ou que la Philosophie n'est pas la Psychologie (des profondeurs), et inversement, etc, etc. ; tout cela c'est de la sodomisation de drosophile, du bla-bla stérile, de l'ego qui cherche à se maintenir en illusion, et qui n'a rien dans la pogne. Il n'y a qu'une seule Philosophie Morale, et Spinoza en est, entre autres - rares - un Maître. Le reste est vanité...

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E5P41 (avant-dernière) : Alors même que nous ne saurions pas que notre âme est éternelle, nous ne cesserions pas de considérer comme les premiers objets de la vie humaine la piété, la religion, en un mot, tout ce qui se rapporte, ainsi qu’on l’a montré dans la quatrième partie, à l’intrépidité et à la générosité de l’âme.

Démonstration : Le premier et unique fondement de la vertu ou de la conduite légitime de la vie, c’est (par le Coroll. de la Propos. 22 et la Propos. 24, part. 4) la recherche de ce qui est utile. Or, pour déterminer ce que la raison déclare utile à l’homme, nous n’avons point tenu compte de l’éternité de l’âme, qui ne nous a été connue que dans cette cinquième partie. Ainsi donc, puisque alors même que nous ignorions que l’âme est éternelle, nous considérions comme les premiers objets de la vie les vertus qui se rapportent à l’intrépidité et à la générosité de l’âme, il s’ensuit que si nous l’ignorions encore en ce moment, nous ne cesserions pas de maintenir les mêmes prescriptions de la raison. C. Q. F. D.

Scholie : Nous nous écartons ici, à ce qu’il semble, de la croyance vulgaire. Car la plupart des hommes pensent qu’ils ne sont libres qu’autant qu’il leur est permis d’obéir à leurs passions, et qu’ils cèdent sur leur droit tout ce qu’ils accordent aux commandements de la loi divine. La piété, la religion et toutes les vertus qui se rapportent à la force d’âme sont donc à leurs yeux des fardeaux dont ils espèrent se débarrasser à la mort, en recevant le prix de leur esclavage, c’est-à-dire de leur soumission à la religion et à la piété. Et ce n’est pas cette seule espérance qui les conduit ; la crainte des terribles supplices dont ils sont menacés dans l’autre monde est encore un motif puissant qui les détermine à vivre, autant que leur faiblesse et leur âme impuissante le comportent, selon les commandements de la loi divine. Si l’on ôtait aux hommes cette espérance et cette crainte, s’ils se persuadaient que les âmes périssent avec le corps et qu’il n’y a pas une seconde vie pour les malheureux qui ont porté le poids accablant de la piété, il est certain qu’ils reviendraient à leur naturel primitif, réglant leur vie selon leurs passions et préférant obéir à la fortune qu’à eux-mêmes. Croyance absurde, à mon avis, autant que celle d’un homme qui s’emplirait le corps de poisons et d’aliments mortels, par cette belle raison qu’il n’espère pas jouir toute l’éternité d’une bonne nourriture, ou qui, voyant que l’âme n’est pas éternelle ou immortelle, renoncerait à la raison et désirerait devenir fou ; toutes choses tellement énormes qu’elles méritent à peine qu’on s’en occupe.

E4P37 : Le bien que désire pour lui-même tout homme qui pratique la vertu, il le désirera également pour les autres hommes, et avec d’autant plus de force qu’il aura une plus grande connaissance de Dieu.

Démonstration : Les hommes, en tant qu’ils vivent sous la conduite de la raison, sont très utiles l’un à l’autre (par le Coroll. 1 de la Propos. 35, part. 4), et conséquemment (par la Propos. 19, part. 4) la raison nous déterminera nécessairement à faire que les hommes vivent sous la conduite de la raison. Or le bien que désire pour lui-même celui qui vit suivant la raison, c’est-à-dire (par la Propos. 24, part. 4) celui qui pratique la vertu, c’est de comprendre (par la Propos. 26, part. 4). Donc ce même bien qu’il désire pour lui-même, il le désirera aussi pour les autres hommes. En outre, le désir, en tant qu’il se rapporte à l’âme, est l’essence même de l’âme (par la Déf. 1 des pass.) ; or, l’essence de l’âme consiste dans la connaissance (par la Propos. 11, part. 2), laquelle enveloppe la connaissance de Dieu (par la Propos. 47, part. 2), et ne peut, sans la connaissance de Dieu, ni exister, ni être conçue (par la Propos. 15, part. 1). Par conséquent, à mesure que l’essence de l’âme enveloppe une plus grande connaissance de Dieu, l’homme vertueux désire avec plus de force pour les autres le bien qu’il désire pour lui-même. C. Q. F. D.

Autre démonstration : Le bien que l’homme désire et aime pour lui, il l’aimera d’une façon plus ferme (par la Propos. 31, part. 3), s’il voit que les autres l’aiment aussi ; et conséquemment (par le Coroll. de cette même Propos.) il fera effort pour que les autres l’aiment aussi ; et comme ce bien est commun à tous (par la Propos. précéd.) et que tous en peuvent jouir, il s’ensuit qu’il fera effort (par la même raison) pour que tous en jouissent, et cela avec d’autant plus de force (par la Propos. 37, part. 3) que lui-même jouira davantage de ce bien.

Scholie I : Celui qui fait effort, uniquement par passion, pour que les autres aiment ce qu’il aime et pour qu’ils vivent à son gré, celui-là, n’agissant de la sorte que sous l’empire d’une aveugle impulsion, devient odieux à tout le monde, surtout à ceux qui ont d’autres goûts que les siens et s’efforcent en conséquence à leur tour de les faire partager aux autres. De plus, comme le bien suprême que la passion fait désirer aux hommes est souvent de nature à ne pouvoir être possédé que par un seul, il en résulte que les amants ne sont pas toujours d’accord avec eux-mêmes, et, tout en prenant plaisir à célébrer les louanges de l’objet aimés craignent de persuader ceux qui les écoutent. Au contraire, ceux qui s’efforcent de conduire les autres par la raison n’agissent point avec impétuosité, mais avec douceur et bienveillance, et ceux-là sont toujours d’accord avec eux-mêmes.
Tout désir, toute action dont nous sommes nous-mêmes la cause en tant que nous avons l’idée de Dieu, je les rapporte à la religion. J’appelle piété le désir de faire du bien dans une âme que la raison conduit. Le désir de s’unir aux autres par les liens de l’amitié, quand il possède une âme qui se gouverne par la raison, je le nomme honnêteté, et l’honnête est pour moi ce qui est l’objet des louanges des hommes que la raison gouverne, comme le déshonnête est ce qui est contraire à la formation de l’amitié.



Cordialement


Serge
Modifié en dernier par sescho le 06 juin 2008, 22:25, modifié 4 fois.
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Messagepar hokousai » 06 juin 2008, 22:11

Je ne comprends pas vraiment l'agressivité de Faun .

La société tibétaine d’avant l’invasion chinoise était théocratique ( tout le monde le sait )on ne peut pas dire que le pouvoir chinois soit lui démocratique ( à notre sens ). Le bouddhisme Zen a frayé et s’est soumis à la dictature nipponne (première partie de l'ère Shōwa (entre 1926 et 1945)
Cette sphère culturelle n’est pas démocratique et pas plus que l’ Eglise ( chrétienne ) ne l’était au moyen âge ( voire encore plus tard ) le bouddhisme ne fut démocratique dans sa sphère d’influence .
Ce qui signifie que le bouddhisme régional tient des traits culturels de la région .

A contrario vous voyez des moines birmans combattre une dictature militaire et une des plus féroces . Vous voyez le Dalai Lama tenir des propos politiques relativement progressistes (du point de vue occidental) .
La liaison religiosité - archaïsme politique est -elle fatale ? Je suis loin de le penser . Pour les religions monothéistes comme pour le bouddhisme ( je n’en dirai pas autant de l’ hindouisme )

Faun se dresse contre toute évocation de la religiosité et il se dresse avec véhémence . Tel que je lis la cinquième partie de l’Ethique elle m’apparaît comme fortement tenté de religiosité , ce qui devrait inciter Faun à un peu plus de prudence .

La compassion (que je rapproche de la miséricorde chez Spinoza) ce n’est pas la pitié. Je compatis et je le peux parce que je vis les mêmes affres, ou les mêmes joies d’ ailleurs, car compatir ce n’est pas nécessairement avoir de l’empathie pour le malheur, mais c’est avoir de l’empathie ( laquelle commence par de la sympathie )

Or » »"" les âmes ne se vainquent pas par les armes, mais par amour et générosité."" » ».

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Messagepar sescho » 07 juin 2008, 00:02

Quelques liens sur le rapport du Vedanta au Bouddhisme :

http://www.bouddhisme-france.org/voix_b ... 010902.htm

Extrait :

Voix bouddhistes - Vous avez mentionné la connection entre hindouisme et bouddhisme. En tant qu'indianiste, spécialiste non seulement du bouddhisme mais également de l'hindouisme, quels liens établissez-vous plus particulièrement entre le bouddhisme et l'advaïta vedanta ?

Vénérable Pasadika - Sur ce point, les gens ont parfois des idées bien étranges...

Pour les hindous, bouddhisme et advaïta vedanta sont identiques.

Maintenant si je réponds en tant que scientifique, dans le domaine de l'étude des religions comparées : sur la base de l'évidence des textes, l'advaïta vedanta est l'intégration par le brahmanisme d'apports bouddhistes.

A tel point que Shankara et son maître Gaudapada, par exemple, sont appelés "crypto-bouddhistes" par d'autres hindous et brahmanes. Cela montre qu'ils ont intégré beaucoup de choses du bouddhisme. Ils étaient fascinés par exemple par la dialectique bouddhiste. Ils ont simplement retenu le concept absolu du brahman et celui de l'atman, mais beaucoup de choses à part ça ont été adoptées du bouddhisme.

C'est la position des scientifiques, bien sùr les croyants auraient une position différente.

De Swami Vivekananda :

http://pages.intnet.mu/ramsurat/Vivekan ... danta.html

Catalogue : http://pages.intnet.mu/ramsurat/Vivekan ... amenu.html


Amicalement


Serge
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Messagepar Faun » 07 juin 2008, 00:52

hokousai a écrit :Je ne comprends pas vraiment l'agressivité de Faun .



C'est que j'en ai assez de lire ces prêches moralisateurs sur un forum consacré à Spinoza. Certains ici semble encore confondre éthique et morale, au point de comparer la philosophie de Spinoza au bouddhisme. Cela est le signe indiscutable de l'ignorance de la différence radicale entre la philosophie spinoziste et la morale religieuse.

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Messagepar Louisa » 07 juin 2008, 02:43

Louisa a écrit:
qu'est-ce qui te ferait dire que la pitié pourrait être une semi-qualité?

Sescho:
Le texte même de Spinoza, que j'ai reproduit plus haut.


Bonjour Sescho,

juste pour info: quand je te demande sur quoi tu te bases pour énoncer telle ou telle thèse sur la pensée de Spinoza, je présuppose toujours déjà que tu te bases sur le texte. Je ne vois pas sur quoi d'autre tu pourrais te baser.

Puis je ne crois pas qu'il s'agit de l'Orgueil quand je dis que moi aussi, le texte, je l'ai lu. C'est pourquoi j'insistais tellement, dans mes deux messages précédents, sur le fait d'avoir besoin de ton commentaire argumenté, dans les cas où nos interprétations divergent, avant de pouvoir voir comment tu arrives à ton interprétation.

Enfin, ceci juste au préalable, tu en fais ce que tu veux, bien sûr (pas d'ironie dans cette phrase).

Sescho a écrit :La phrase :

"Il est expressément entendu que je parle ici de l’homme qui vit selon la raison. Car si un homme n’est jamais conduit, ni par la raison, ni par la pitié, à venir au secours d’autrui, il mérite assurément le nom d’inhumain, puisqu’il ne garde plus avec l’homme aucune ressemblance."

peut se traduire ainsi : si un homme vit selon la raison alors il n'exprime pas de pitié (mais de la générosité) - suivant la définition qu'en donne Spinoza - mais s'il n'exprime pas la raison et qu'en plus il n'exprime pas la pitié, alors il ne mérite même pas le nom d'humain. Il est évident, donc, par cette phrase, que la pitié est une qualité relative chez l'homme qui n'est pas conduit par la raison seule. En y réfléchissant un peu, c'est clair. L'orgueil n'a aucune propriété de cette sorte.


oui si tu veux. C'est peut-être le mot "qualité" qui me dérange un peu, comme s'il s'agissait de quelque chose de positif. Un homme qui était incapable de sentir de l'Orgueil, serait-ce encore un homme? Les affects mauvais ne sont-ils pas tous "humains trop humains"? On pourrait alors dire que les caractéristiques de l'homme comportent notamment toutes les passions décrites dans les livres 3 et 4. En ce sens ce sont des qualités. Or je n'irais pas jusqu'à dire que par là même, il s'agit de quelque chose de bon. Mais si tu voulais utiliser ici "qualité" au sens neutre de "caractéristique": je crois qu'on est d'accord.

Sescho a écrit :Louisa a écrit:
Par conséquent, si l'on veut voir dans quelle mesure il y aurait un parallèle possible avec la compassion bouddhiste, il faudrait par exemple voir dans quelle mesure cette compassion est également fréquemment source d'actes que par après on regrette. Si tu as le temps et l'envie de nous en dire quelque chose: qu'en penses-tu?

Comme déjà dit, je n'ai pas le temps. Il est beaucoup plus ardu de faire les choses que de parler de les faire sans les faire.


oui, cela est évident, donc je ne vais bien sûr pas commencer à te demander de faire des choses que tu n'as pas le temps de faire. Il n'y a aucun problème à ce sujet en ce qui me concerne.

Sescho a écrit :En outre, il y avait un contexte - fixé par Faun - qui ne relevait pas de cette pose. Je dis que la générosité spinozienne (et plus généralement l'Amour) est proche de la compassion bouddhiste. L'intérêt de ceci est de souligner la convergence de profonds mouvements spirituels, et donc peut-être de compléter l'un par l'autre, donnant plus de force à l'ensemble.


ok, je crois que j'avais effectivement compris que tu y vois une convergence. Je ne sais rien du bouddhisme, donc je ne pourrai pas en juger.

Sescho a écrit : Je m'efforce de ne pas faire dans l'intellectualisme stérile, mais au contraire dans l'efficacité. Maintenant, je ne peux pas faire l'effort de compréhension pour d'autres (il s'agit de notions profondes incompatibles avec la facilité d'un simple définition - encore une fois parler de la chose comme tu le fais et la chose même sont sans rapport.) Donc là, je le répète, de deux choses l'une : soit on n'a pas de connaissance sérieuse de la chose et on se tait, soit on bosse avant de parler, soit on a une connaissance de la chose et on argumente, avec des extraits d'auteurs confirmés, et tout le monde progresse. A part cela, je ne vois que de la vanité.


j'aurais plutôt tendance à dire: à part cela il y a la philosophie.

En philosophie, l'attitude que tu proposes (et encore une fois, que je respecte) est inconcevable. Le savoir philosophique est un savoir qui permet de créer des situations de pensée où toute relation "maître-disciple" devient impertinente. Les deux peuvent ensemble travailler sur un seul et même texte, et par ce travail avancer chacun de son côté dans la compréhension. On ne peut jamais demander à quelqu'un d'avoir D'ABORD une "connaissance sérieuse" de Spinoza, par exemple, avant de l'autoriser à intervenir dans un débat à ce sujet. Le problème est non seulement qu'il n'y a jamais d'autorité "officielle" capable de sélectionner le sérieux du non sérieux, mais aussi que celui qui n'arrive pas à expliquer de manière assez simple (sans forcément être exhaustive) l'une ou l'autre notion, montre par là qu'il ne l'a pas encore entièrement compris lui-même. C'est exactement pareil en sciences. Einstein par exemple avait une connaissance extrêmement profonde de la physique, mais cela ne lui empêchait pas d'écrire des livres de vulgarisation tout à fait accessible au "non initié". Bien sûr, ce qu'il va dire là ne reprend pas toute la connaissance dans toutes ses nuances, mais des choses essentielles peuvent tout de même être communiquées. Il me semble qu'en philosophie et surtout chez Spinoza c'est également le cas: comme déjà rappelé, il cherchait réellement un Bien qui peut se communiquer (et était convaincu de l'avoir trouvé).

Autrement dit: la vanité que tu vois apparaître ne trouve son "lieu naturel", il me semble, que par rapport à une connaissance que j'ai appelé "religieuse", au sens où il faut bel et bien une "initiation" personnelle dans le mystère avant d'être autorisé à se prononcer, ou avant de pouvoir être un interlocuteur valable pour celui qui se juge déjà "initié".

Sescho a écrit :Louisa a écrit:
Mon problème portait uniquement sur l'argument en tant que tel: tu semblais suggérer que juste citer Spinoza suffit pour donner un argument pro ta propre interprétation, ce qui met l'interlocuteur dans la situation embarrassante de devoir se considérer comme étant dépourvu de cette "lumière naturelle" qu'est la raison et qui permet de comprendre, quand de prime abord il n'est pas d'accord.

Quand on est dénué de vanité, on n'a pas de problème avec cela.


je crois que je me suis mal exprimée. Je voulais dire que cela met l'interlocuteur dans la position de celui qui est censé être dépourvu de raison, sachant que la raison est lune des façons dont s'exprime l'essence humaine elle-même, chez Spinoza. C'est donc quelque part lui nier son humanité, ce qui est inévitablement faire de lui moins de cas qu'il n'est juste, donc le mépriser. Sachant que le Mépris est une forme d'Orgueil, je crains que ce soit plutôt celui qui traite l'interlocuteur comme étant dépourvu de raison (puisqu'il n'essaie même pas de donner les raisons qui lui font soutenir telle ou telle interprétation d'un texte) qui risque d'être vaniteux que l'interlocuteur en question (je parle bien en général ici; il s'agit du principe en tant que tel, après chacun fait et pense ce qu'il veut, bien sûr).

Sescho a écrit : Quand je considère qu'une phrase est parfaitement claire par elle-même, je ne m'amuse pas à la répéter en changeant chaque mot par un quasi-synonyme.


ok, mais comment faire pour distinguer l'absence de doute d'une clarté ou certitude?

Puis surtout: argumenter ne consiste pas dans l'idée de changer chaque mot par synonyme. Cela consiste à créer des liens déductifs entre la phrase citée et l'interprétation que tu en donnes, car seul ce genre de liens oblige le lecteur à arriver à la même conclusion que toi. Si tu ne fais pas ce travail, le lecteur peut seulement constater que toi, tu "crois" en ton interprétation, sans plus. Tandis que l'avantage d'une discussion philosophique réside dans le fait de pouvoir comprendre en quoi on se trompe précisément parce que l'autre donne des raisons/arguments dont la rationalité ne peut échapper à celui qui les a lus.

Enfin, le problème est aussi que sans pouvoir entendre les arguments de l'autre, sans pouvoir connaître les preuves de son interprétation, on est confronté à une interprétation pour laquelle il nous manque les éléments concluants. Rien, à partir de ce moment-là, invite le lecteur à aller chercher activement lui-même ces arguments, SAUF, éventuellement, l'autorité de celui qui refuse de les donner. Mais sur un simple forum de discussion, il est difficile d'acquérir un tel statut, il me semble. On va dès lors plutôt investir son temps dans la recherche d'arguments et de contre-arguments pour l'interprétation qu'on a soi-même. C'est la raison pour laquelle il m'arrive rarement (et sans vouloir provoquer en disant cela) de lire tes longues citations. Je connais ces textes, je les ai déjà lus, simplement en les relisant je ne vais pas y voir que ce que j'y voyais déjà, ou disons que la chance est petite que tout à coup je vais y voir ton intérprétation.

Sescho a écrit :Je mets les extraits en regard et entend prouver par là que la convergence que j'ai annoncée auparavant est réelle.


ok, mais comment peux-tu t'attendre à ce que quelqu'un d'autre que toi adopte TON regard, voie ce que toi tu y vois? Il faudrait avoir ton histoire personnelle pour y voir ce que toi tu vois. Or une histoire personnelle, cela ne se communique quasiment pas.

C'est comme si en science un physicien mettait une équation et un résultat d'expérience "en regard", sans donner les preuves mathématiques qui démontrent la vérité de l'équation et sans décrire en détail comment arriver à un tel résultat d'expérience de telle sorte que d'autres peuvent la refaire pas à pas dans leur propre laboratoire. Dans ce cas, les collègues se disent simplement que ce collègue a peut-être, qui sait, une excellente intuition quant à la solution de tel ou tel problème, mais qu'aussi longtemps qu'il ne sait pas la prouver, on ne peut pas la prendre au sérieux. Car chacun a ses propres intuitions (au sens ordinaire du terme, pas au sens spinoziste). Contrairement aux preuves scientifiques, celles-ci se caractérisent par le fait d'être non démontrable, c'est-à-dire de disposer d'une vérité non communicable. Ces vérités existent dans le domaine religieux, bien sûr. Mais justement, on passe à mon sens aux vérités religieuses, on quitte le domaine des vérités philosophiques ou scientifiques.

Sescho a écrit :Si quelqu'un n'est pas d'accord, il est bon pour moi qu'il l'exprime avec des arguments (comme par exemple d'autres extraits qui viennent corroborer ses dires) pour me montrer là où je me trompe. Des arguments et des extraits, pas des affirmations péremptoires ou des digressions sans fin. Sinon tout le monde est d'accord : ce qui est bien c'est quelque chose de vrai, d'argumenté, d'illustré par de nombreux exemples, de référencé, de didactique, avec thèse, antithèse, synthèse , etc. etc. Mais je le répète : cela ne coûte rien de le dire, il faut le faire...


oui, je crois que je suis plus ou moins d'accord avec ce que tu dis ici. Quant à une éventuelle convergence entre le spinozisme ou le bouddhisme: la seule chose que je peux faire, n'étant pas compétente en matière de bouddhisme (et lisant avec intérêt ce que vous écrivez à ce sujet), c'est de discuter de ton interprétation du spinozisme, dans ce que tu expliques comme étant un point de convergence. Mais je ne pourrai pas critiquer l'idée de cette convergence en tant que telle, bien sûr. C'est pourquoi ici je ne suis intervenue que par rapport à la possibilité de rapprocher la notion de compassion et celle de la Générosité spinoziste. Inversement, je ne peux qu'espérer que tu n'attends pas des "non initiés" de ce forum qu'ils acceptent déjà l'idée d'une convergence comme étant une vérité sur la base d'une simple mise l'un à côté de l'autre d'extraits de textes, aussi intéressante fût-elle.

Louisa a écrit:
et pourtant, la philosophie prétend que la sagesse absolue n'existe pas...

Sescho:
LA Philosophie... Diable ! Mais effectivement la sagesse absolue n'existe pas dans les modes réels. Comme déjà dit, c'est asymptotiquement qu'on l'atteint (pas qu'on en parle : qu'on l'atteint, éventuellement.) En revanche il y a bien une seule loi naturelle de la sagesse et de la béatitude, et Spinoza ne fait que cela de la faire apparaître suivant le deuxième genre. C'est juste une facilité de langage pour être compris en gros que d'en parler comme d'une chose fixe.


serais-tu d'accord pour dire qu'ici tu résumes bien ce qu'on pourrait appeler ta "profession de foi"? Ou trouves-tu plutôt que n'importe qui devrait accepter la "vérité" de cette hypothèse?

Sescho a écrit : Tu sais, je peux prendre n'importe laquelle de tes phrases, et te demander à chaque mot : "ce que tu entends par-là", "en quoi c'est spinoziste", que "la Philosophie ce n'est peut-être pas cela", "si tu peux nous expliquer cela", "reformuler", "que Spinoza a dit que rien n'était bien ou mal", etc., etc. Je t'en sors des pages, des livres et des bibliothèques. Au bout ? Rien, désespérément rien...


en effet, rien ne peut sortir d'une mise en question arbitraire de tout mot, mais cela me semble être tellement évident que je suppose que j'ai raté ce que tu veux dire par là ... ? Si tu voulais suggérer que c'est ce que je suis en train de faire, je ne peux que te répondre que tu te trompes. Ce que je fais c'est tout sauf une interrogation arbitraire. Je ne reprends que ce qui me semble être important, sur base de mon interprétation. Que cela a pour toi l'air d'être tout et n'importe quoi s'explique peut-être simplement sur base du fait que tu pars d'une autre interprétation, et donc n'a pas immédiatement accès aux raisons pour lesquelles je comprends bel et bien ceci mais non pas cela?

Sescho a écrit:

Tout au plus ce qui se discute entre elles c'est la place de l'intellect. Mais aucune philosophie morale profonde - y compris "celle de Spinoza" - ne considère l'intellect comme un aboutissement, mais seulement comme un moyen.

Louisa:
ce que tu écris m'étonne. Le sage n'est-il pas celui qui est entièrement dans l'amour INTELLECTUEL de Dieu? Où l'intellect est-il dépassé pour toi, chez Spinoza? Et qu'est-ce qui le remplace?

Sescho:
Spinoza n'utilise pas ici "intellectuel" réduit au sens strict d'"intellect" (raisonnement.)


je crois que quand Spinoza parle d'intellect, il parle de l'entendement, c'est-à-dire cette faculté de l'Esprit qui produit des idées adéquates, qu'elles fûssent du deuxième genre (et alors elle sont produite par le biais de la raison), ou du troisième genre (produite par le biais de l'intuition). Donc en effet, l'Amour intellectuel de Dieu (qui relève du troisième genre) n'est pas "raisonné". Or dans le spinozisme, c'est bel et bien la connaissance adéquate qui est le Bien suprême. On pourrait objecter que c'est avant tout la connaissance du troisième genre, donc pas n'importe quelle connaissance adéquate, et cela est vrai bien sûr. N'empêche qu'il aurait pu parler d'Amour "intuitif", par exemple, s'il voulait éviter une confusion avec tout ce qui relève de la raison. Tandis qu'on sait que pour Spinoza, comprendre par la raison, c'est déjà comprendre sous un certain aspect d'éternité.

Mais bon, il est vrai qu'on pourrait peut-être dire que in fine le Bien suprême spinoziste ne réside pas dans les raisonnements.

Sescho a écrit : La connaissance du troisième genre n'est pas le raisonnement, qui est l'outil du deuxième. Tu sais, je peux me tromper dans l'interprétation de Spinoza, mais pas au point de me méprendre grossièrement sur un aspect élémentaire...


disons que je pars plutôt de l'idée inverse: ce n'est pas parce que MOI je juge cet aspect élémentaire, que quelqu'un ne peut éventuellement avoir un bon argument pour me détromper. Puis de toute façon, le "principe de charité" propre à une "éthique de la discussion" impose déjà de ne pas prendre l'autre pour un con, pour quelqu'un qui serait incapable de voir les choses les plus évidentes. Cela implique que dès qu'il y a un désaccord, je dois accepter au moins la possibilité que je me trompe moi-même, et que c'est l'autre qui ait raison, et cela AUSSI pour des choses qui me semblent être évidentes ou élémentaires. Sans cela, aucun engagement sérieux dans une discussion 'raisonnée" n'est possible.

Louisa a écrit:
Sinon rappelons qu'une autre grande tradition morale, fort différente de celle de Spinoza, la kantienne, parle bel et bien de RAISON pratique. Ici aussi, la morale est tout à fait ancrée dans l'intellect, il me semble. Chez Platon, le Bien morale nécessite le Vrai, que l'on atteint que ... par l'intellect. Bref, j'éprouve pas mal de difficultés à comprendre ce que tu dis ici.

Sescho:
Sans commentaire, encore :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit:
E5P36S : ... combien la connaissance des choses particulières, que j’ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j’ai appelée du second genre ; car, bien que j’aie montré dans la première partie d’une manière générale que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, si solide et si parfaitement certaine qu’elle soit, frappe cependant notre âme beaucoup moins qu’une preuve tirée de l’essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion.


si ce que tu suggères par cette citation combinée avec ce que je viens d'écrire, c'est, je suppose, que la morale pratique spinoziste n'est pas essentiellement une affaire de raisonnement mais d'intuition?

Si c'est cela: ok, je suis d'accord. Mais cela n'enlève rien à la raison, je veux dire, cela ne permet pas de faire intervenir dans une discussion sur l'interpration d'un fragment de texte qu'on a en tant que lecteur soudainement eu une connaissance du troisième genre par rapport à ce texte, et donc qu'on a mieux compris que quiconque, sans pouvoir donner une démonstration rationnelle de la vérité de cette compréhension. A mon sens cela reviendrait à nier totalement le titre même de l'ouvrage, le more geometrico, qui contient la prétention de faire comprendre tout ce qu'il avait à dire uniquement par des raisonnements. Que ces raisonnements se basent parfois sur la contemplation de notre propre essence, comme dans le fragment que tu viens de citer, ne change rien à la portée proprement rationnelle de toute cette entreprise.

Louisa a écrit:
...ce n'est pas le more geometrico qui est le moyen, mais l'intuition.

Sescho:
L'intuition - ou plutôt la science intuitive -, n'est pas un moyen : c'est un autre nom pour la même chose.


l'intuition n'est pas un moyen au sens où il s'agit d'une connaissance non médiatisée. On n'a pas d'un côté le sujet connaissant, de l'autre l'objet connu, et en troisième lieu un pont entre les deux fait par le moyen de l'intuition, puisque dans ce cas-ci la perception est immédiate. Cela n'êmpêche que le "moyen" qui a produit l'idée adéquate en question est bien l'intuition et non pas la raison, non?

Sescho a écrit :Bien, je vais arrêter là. Au sujet de la "pensée religieuse" qui n'est pas la "pensée philosophique" : il y a énormément de superstition dans le "religieux", mais dire que tout ce qu'il y a dans le "religieux" est superstition est une monstrueuse ânerie


je n'ai pas du tout dit cela, j'ai plutôt souligné mon respect pour la religion. Il ne s'agit pas DU TOUT de dénigrer la religion, il s'agit simplement de les séparer, sachant que pour Spinoza le seul point de convergence entre les deux se trouve dans ces deux notions: justice et charité. Justice et charité constituent la "religion véritable" pour lui. Mais pour un véritable remède aux affects et pour une véritable connaissance de l'essence de Dieu, il faut s'orienter vers la philosophie.

Sescho a écrit :il y en a d'autres qui disent que la Philosophie ne peut rien en Spiritualité, ou que la Spiritualité n'est pas philosophique, ou que la Philosophie n'est pas la Psychologie (des profondeurs), et inversement, etc, etc. ; tout cela c'est de la sodomisation de drosophile, du bla-bla stérile, de l'ego qui cherche à se maintenir en illusion, et qui n'a rien dans la pogne. Il n'y a qu'une seule Philosophie Morale, et Spinoza en est, entre autres - rares - un Maître. Le reste est vanité...


c'est ton opinion. Je la respecte. Le jour où tu prends le temps de l'argumenter, j'y réfléchirai avec beaucoup d'intérêt et de plaisir.

En attendant, je crois qu'avant que la psychologie fût devenue une discipline à part entière, beaucoup de philosophies s'occupaient notamment de ce qui par après sera appelé psychologie. Tout comme il est clair que dès le début, la philosophie avait une visée thérapeutique, et non seulement réflexive ou cognitive (rappelons que pour Platon, fondateur de la philosophie, la recherche du Vrai n'avait qu'un seul but: atteindre le Bien). Mais de là à dire que tout ce que les philosophes et psychologues ont pu dire à ce sujet revient essentiellement au même ... d'une part cela demande une démonstration rigoureuse, d'autre part l'énoncé est tellement général qu'on conçoit difficilement comment une preuve un peu solide pourrait être possible. C'est pourquoi il me semble qu'il convient de parler d'une "opinion", c'est-à-dire une vérité qui n'a pas la capacité de convaincre d'autres que soi-même.

Sinon rappelons que Spinoza ne parle jamais d'une seule "philosophie morale". Il ne parle que d'une seule ... 'religion". Dès qu'il parle de sa propre philosophie, il souligne que ce n'est PAS la seule vraie philosophie. Je n'ai rien contre l'idée que quelqu'un croit que finalement, toutes les philosophes morales reviennent au même (chacun est tout à fait libre de croire ce qui lui convient/convainc). J'ai uniquement un problème avec la deuxième partie de ce que tu prétends: que ceux qui pensent autrement seraient par là même déjà dans la "vanité". Il me semble être plutôt assez vain d'espérer que tout le monde partage une opinion non prouvée, non?

Cordialement,
louisa


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