Réflexion sur l'argument ontologique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar bardamu » 10 juin 2008, 13:04

Faun a écrit :(...) la haine n'est pas nécessairement mauvaise, et n'est pas nécessairement une passion.(...)

Je crois que tu confonds la violence et la haine.
La haine est nécessairement mauvaise chez Spinoza par contre la violence, le combat, peuvent être bons, c'est-à-dire en accord avec les nécessités d'un être fini.
Tuer un agneau est bon pour le loup parce qu'il est loup, qu'il s'en nourrit. Il n'a pas besoin de haïr l'agneau pour cela.
C'est plus difficile pour les luttes de défense, que ce soit la justice dans la Cité, la guerre contre ces féroces soldats ou la crainte d'un prédateur, puisque l'agresseur a tendance à nous apparaître comme foncièrement mauvais mais on peut aussi se défendre sans haine.
Comme disait le grand penseur Maître Yoda : "Non pas plus fort. Mais plus facile, plus rapide, plus séduisant !" est le côté obscur.

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Messagepar Louisa » 10 juin 2008, 15:47

Bonjour Vieordinaire,

merci de tes commentaires!

Vieordinaire a écrit :Malheureusement Spinoza va rester a jamais un mystere pour vous si vous refusez de reconsiderer les regles de la logique traditionelle. La logique de Spinoza est celle de l'ambiguite. La logique de Spinoza (celle de l'ambiguite; relisez les demonstrations qui aboutissent a celle de l'"animi fluctuatio" (3p14-3p18) pour un exemple concret d'ambiguite) ne nie pas la logique traditionelle: cette derniere simplement devient un cas particulier de la premiere. J'appelle a la barre, votre honneur, la definition de Dieu et 'les attributs' comme premier temoins ...


pourrais-tu préciser en quoi selon toi ce que tu désignes ici par "ambiguité" s'opposerait aux règles de la logique traditionnelle?

Juste à titre d'exemple: qu'est-ce qui n'est pas compatible dans la logique traditionnelle? Des choses qui sont contradictoires (A et non A). Le principe de non-contradiction est au coeur de la logique. Quand une théorie ne le respecte pas, on dit qu'elle est "incohérente". Le spinozisme propose-t-il de "reconsidérer" ce principe, notamment dans sa théorie des attributs? Voyons.

Les attributs spinozistes sont-ils contradictoires les uns par rapport aux autres? L'attribut de la Pensée est-il le "contraire" de l'attribut de l'Etendue? Non. Il n'y a pas contrariété, il y a diversité.

Il y a une seule et même chose qui s'exprime de différentes façons (pour prendre un exemple concret: une femme peut être à la fois chef d'entreprise, mère de ses enfants, et épouse; dans les trois cas, elle exprime d'autres facettes d'elle-même, qui ne se contredisent nullement entre elles). Il n'y a ni contradiction entre les attributs les uns par rapport aux autres, ni contradiction dans l'idée qu'une seule et même chose peut s'exprimer de manières différentes.

Puis dans le spinozisme, pour qu'il y ait contrariété/contradiction/opposition entre deux entités, il faut que ces entités aient quelque chose en commun l'une avec l'autre (A n'est pas contraire à B, A est contraire à non A). Ce n'est pas le cas pour les attributs de Dieu (d'ailleurs, c'est aussi la raison pour laquelle on parle de "parallélisme": aucun attribut ne sait causer un effet dans l'autre (car pour ce faire il faut que cause et effet aient quelque chose en commun)). Cela confirme l'idée que les attributs ne peuvent se contredire.

Enfin deux contraires, dans le spinozisme, ne peuvent pas co-exister (E5 Ax.1), contrairement aux attributs, dont Faun a bien souligné la multiplicité infinie et actuelle. Encore une fois, on constate que Spinoza respecte le principe de non-contradiction: si les attributs étaient contraires, ils ne pourraient co-exister, or dans le spinozisme ils co-existent. La théorie de la multiplicité des attributs ne contient pas de contradiction interne (en tout cas pas de manière manifeste).

Bref, je ne vois pas comment on pourrait dire que dans la théorie spinoziste des attributs, il y aurait un remplacement de la logique traditionnelle par une logique de l'ambiguité, où l'incohérence serait revendiquée comme pouvant être autre chose que de la "confusion" ou de "l'obscurité". Pour pouvoir démontrer cette thèse, il faudrait montrer en quoi Spinoza lui-même s'oppose clairement aux règles de la logique traditionnelle (cela aurait été le cas, par exemple, quand il aurait prétendu que les attributs sont contraires les uns aux autres, ET néanmoins co-existent, tout en maintenant le premier axiome de l'E5)).

Enfin, en ce qui me concerne, rencontrer des commentateurs de Spinoza qui disent ne pas avoir tout compris de Spinoza (comme ceux que tu cites) est tout à fait autre chose que de rencontrer un commentateur qui réussit à démontrer que Spinoza a voulu/pu abandonner la logique traditionnelle.

En général, il me semble que les commentateurs (plutôt les commentateurs "continentaux", même si dire cela est nécessairement simplifier, bien sûr) ne font rien d'autre que ce qu'essaient dans leur domaine les scientifiques, y compris ceux qui travaillent en physique quantique: créer des théories maximalement cohérentes (donc sans contradictions internes). La physique quantique est si puissante, aujourd'hui, précisément (et notamment) parce que ses théories sont extrêmement cohérentes (le principe d'incertitude ne rend PAS la théorie physique moins cohérente!! Le double caractère onde-particule non plus).

Il en va de même pour la puissance d'interprétations proposées par des commentateurs de Spinoza: ce qu'a pu développer Martial Gueroult, par exemple, va tellement plus loin et est tellement plus consistant que le travail à ce sujet d'un De Dijn, que tu cites, que sa puissance explicative est également beaucoup plus grande (tu cites aussi Nadler, mais celui-ci dit explicitement qu'il "plead nolo contendere" par rapport aux autres commentateurs, c'est-à-dire par rapport à ce qu'il appelle "literature for specialists" - à moins que tu ne citais pas sa biographie de Spinoza?).

Cela ne signifie pas que Gueroult a inventé l'interprétation ultime. Cela signifie uniquement que l'on ne pourra pas ne pas tenir compte de lui quand on veut créer une interprétation alternative et aussi profonde.

Et c'est cela ce que j'ai voulu dire dans mon message que tu cites (et en général dans la discussion ici avec Hokousai et Sescho): le moyen le plus solide pour prétendre à la vérité d'une interprétation de Spinoza, c'est la "raison", car elle seule sait construire un commentaire profond ET communicable à tous. Au-delà, chacun peut avoir son interprétation subjective, qui ne vaut que pour soi-même et que par là même on ne peut imposer aux autres ni utiliser pour énoncer un quelconque jugement "moral" de celui qui propose une interprétation divergeante. Si l'on n'accepte pas la raison comme seul "juge" (donc la possibilité de donner des arguments rationnels et la volonté de s'abstenir de tout jugement aussi longtemps qu'on ne les donne pas), on fait l'inverse de ce que font même les physiciens quantiques aujourd'hui (et de ce que conseille Spinoza): on abandonne le projet d'une interprétation cohérente et rationnelle. On peut toujours "croire" en sa propre version, bien sûr, mais alors il s'agit bel et bien de croyance, donc de "religion".

Or comme le dit Spinoza: il n'a rien contre les sectes, il le trouve seulement abérrant que ceux-ci ne donnent pas la même "liberté" d'interprétation des textes aux autres qu'ils accordent à eux-mêmes. Pour Spinoza, une fois que nous sommes d'accord sur ce que la raison nous dicte (et que donc nous pouvons le prouver rationnellement), chacun peut sans aucun problème adapter les textes selon ce qu'exige sa propre imagination, afin que ceux-ci soient d'une utilité pratique dans sa vie quotidienne personnelle. Il suffit, dans ce cas, de reconnaître que nous sommes passé de la raison à l'imagination, et d'abandonner tout jugement d'autres interprétations. En physique, on parle alors de "postulats", et non plus de "vérités".

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Messagepar hokousai » 10 juin 2008, 21:31

à LOuisa


qu'est-ce qui reste encore de la rationalité si vous lui enlevez la logique et les mathématiques ... ?


Il reste presque tout car il n 'est pas nécessairement raisonnable d 'agir logiquement ( encore moins mathématiquement , ce que j exclus donc du débat )

Agir se fait dans l’incertitude ( et des causes qui nous font agir et des événements qui vont contrarier nos décisions )
Il y a une prise de risque à chaque fois . C’est à dire que la logique n’a prise que très partiellement .
Est -ce que logiquement je dois m’abstenir de fumer ou de boire ou de prendre le volant ? La logique travaille alors sur des présomptions .La supputation, l’intuition ,la crainte ou l’espoir l’ emportent souvent sur la logique( et c’est aussi souvent l’intuition qui a raison ).

Les gens très logiques agissent logiquement mais manquent aussi d’ adaptabilité .
Ainsi et pour cette raison ( donc raisonnablement ) il n’est pas raisonnable de toujours agir logiquement .

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Messagepar Louisa » 10 juin 2008, 21:55

Hokousai a écrit :Il reste presque tout car il n 'est pas nécessairement raisonnable d 'agir logiquement ( encore moins mathématiquement , ce que j exclus donc du débat )

Agir se fait dans l’incertitude ( et des causes qui nous font agir et des événements qui vont contrarier nos décisions )
Il y a une prise de risque à chaque fois . C’est à dire que la logique n’a prise que très partiellement .
Est -ce que logiquement je dois m’abstenir de fumer ou de boire ou de prendre le volant ? La logique travaille alors sur des présomptions .La supputation, l’intuition ,la crainte ou l’espoir l’ emportent souvent sur la logique( et c’est aussi souvent l’intuition qui a raison ).

Les gens très logiques agissent logiquement mais manquent aussi d’ adaptabilité .
Ainsi et pour cette raison ( donc raisonnablement ) il n’est pas raisonnable de toujours agir logiquement .


Cher Hokousai,

oui, tout à fait d'accord avec vous. C'est bien la raison pour laquelle dès le début j'ai souligné que la raison n'arrive guère à résoudre tout problème (loin s'en faut).

Seulement, à mon sens il s'agissait dans notre discussion d'un domaine très précis: celui du commentaire d'un texte philosophique. Pour découvrir la vérité à ce sujet, c'est-à-dire pour en construire une interprétation vraie, l'argumentation rationnelle, qui tient compte des règles de la logique, est incontournable.

Cela ne signifie nullement que les interprétations qui ne réuississent pas à se fonder sur de tels arguments ne valent rien. Cela signifie juste que sans ces arguments, ou bien l'interlocuteur était spontanément déjà d'accord, ou bien l'interlocuteur ne sait quasiment rien faire avec une telle interprétation (autrement dit: dans ce cas on ne dispose d'aucun moyen pour la justifier ou imposer). Dès qu'il s'agit de réellement communiquer une telle vérité (toujours dans ce domaine précis qu'est l'interprétation d'un texte philosophique), respecter les règles de la logique est nécessaire, tandis que dans l'absence d'arguments, on ne peut pas attendre d'autres qu'ils adoptent déjà cette thèse comme s'il s'agissait d'une vérité (ou supposer que tôt ou tard ils le feront, quand ils y auront réfléchi "suffisamment" longtemps/profondément).

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Messagepar hokousai » 10 juin 2008, 23:29

chère Louisa

Seulement, à mon sens il s'agissait dans notre discussion d'un domaine très précis: celui du commentaire d'un texte philosophique. Pour découvrir la vérité à ce sujet, c'est-à-dire pour en construire une interprétation vraie, l'argumentation rationnelle, qui tient compte des règles de la logique, est incontournable.



Ce que je remarque est qu’avec le même soucis de logique on en arrive à des interprétations divergentes .
Est-ce une fatalité ou bien est -ce que la logique ne suffit pas à assurer une certitude universelle ?
Le texte de Spinoza qui se présente comme très logique n’emporte pas l’ adhésion universelle .

Dire que sa logique relève de l’ ambigüité (cf vie ordinaire ) ne me parait pas du tout convaincant, j’estime qu’il cherchait à être des plus clairs et distincts, s’il y a ambigüité c’est qu’il n’y est pas parvenu .

C’ est bien beau d’accuser l’ignorance . Tous les philosophes imputent l’ignorance à leurs adversaires .

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Messagepar Louisa » 11 juin 2008, 00:45

Hokousai a écrit :Ce que je remarque est qu’avec le même soucis de logique on en arrive à des interprétations divergentes .
Est-ce une fatalité ou bien est -ce que la logique ne suffit pas à assurer une certitude universelle ?


je crois qu'en philosophie on ne peut toujours avoir que des certitudes "locales", c'est-à-dire liées à des questions précises. Le Dieu spinoziste est-il anthropomorphe ou non? On pourra rassembler les énoncés de Spinoza à ce sujet, et en conclure par le biais d'arguments rationnels que non, il n'est pas anthropomorphe. Là-dessus, une certitude interprétative est tout à fait possible (et existe, d'ailleurs, parmi les commentateurs).

Or certaines idées de Spinoza se basent davantage sur ses définitions et axiomes, qui utilisent inévitablement le vocabulaire philosophique de l'époque, que nous ne connaissons pas exactement. A ce sujet, de différentes interprétations, rationellement argumentées, sont donc possibles (et co-existent).

Seulement, cela ne signifie pas que désormais l'on peut carrément laisser tomber l'argumentation rationnelle et se contenter de résumer les conclusions de son interprétation (tout en répétant événtuellement quelques passages de texte), pour ensuite s'attendre à ce que tous la considèrent comme étant certaine, ou pour déclarer qu'adopter une interprétation divergeante revient à faire preuve de "vanité".

Hokousai a écrit :Le texte de Spinoza qui se présente comme très logique n’emporte pas l’ adhésion universelle .

Dire que sa logique relève de l’ ambigüité (cf vie ordinaire ) ne me parait pas du tout convaincant, j’estime qu’il cherchait à être des plus clairs et distincts, s’il y a ambigüité c’est qu’il n’y est pas parvenu .

C’ est bien beau d’accuser l’ignorance . Tous les philosophes imputent l’ignorance à leurs adversaires .


si chaque philosophe invente un nouveau problème conceptuel, et formule une solution adéquate à ce problème, il peut effectivement dire que les autres philosophes étaient ignorants. Seulement, il s'agit de nouveau d'une ignorance "locale": ils n'étaient qu'ignorants à CE sujet, c'est-à-dire ils n'avaient pas formulé le problème que lui-même il a inventé. Dès lors, il est logique qu'ils étaient également ignorants de sa solution. Cela ne fait pas encore de tous ces philosophes des ignorants au sens absolu du terme.

Il en va de même pour "l'adhésion" à telle ou telle philosophie, je crois: on a tendance à approfondir (et - pour ceux qui ont un Esprit tenté par la religion - à croire) plutôt telle philosophie qu'une autre parce que le problème inventé par cette philosophie se rapproche des problèmes existentiels que chacun rencontre dans sa propre vie. Une philosophie ne donne pas de miroir d'une réalité pré-existante, elle donne de la matière à PENSER cette réalité, et à la penser d'une telle façon qu'un autre mode d'agir devient concevable. Et alors, en fonction de la situation dans laquelle on vit, on peut avoir besoin de telle ou telle conception ou pensée. Teilhard de Chardin, Spinoza et Kant ont inventés des pensées et des problèmes très différents les uns des autres. A mon sens on peut avoir besoin davantage de l'un que de l'autre, en fonction du contexte dans lequel sa vie personnelle se déroule.

Mais tout cela a finalement peu à voir, je crois, avec la question de départ, question concernant ce que devrait être une bonne méthode d'interprétation ou de débat d'un texte philosophique. Là il s'agit, à mon sens, d'apprendre à ne plus asséner ses propres vérités comme des certitudes universelles, mais de simplement comprendre CE QUE propose à penser tel ou tel philosophe. On ne doit pas du tout être kantien pour comprendre le kantisme, ou pour être ému par les expériences de pensée que Kant nous propose. On a juste besoin d'une grande curiosité et d'une croyance en la possibilité d'une interprétation vraie (tout en étant prêt à remettre en question tout ce en quoi on croit spontanément). C'est pourquoi Deleuze, anti-kantien notoire, a pu écrire un commentaire de Kant qui est tout à fait respecté par les kantiens. Il s'agit d'abord et avant tout de COMPRENDRE ce qu'un philosophe propose, comme pensée et problème conceptuel. Et là, l'argumentation rationnelle est indispensable. Après, chacun "croit" en ce qui lui convient.

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Messagepar vieordinaire » 11 juin 2008, 01:21

Chere Louisa:

Je croyais avoir ete clair. Adopter une logique de l'ambiguite ne signifie l'abandon necessaire de la logique traditionelle. Je vais essayer de faire une esquisse (trop breve, confuse et incomplete) de certains elements d'une logique de l'ambiguite. Il me faudrait malheureusement plusieurs pages, plus d’intelligence ou de talent, et de temps ... De plus, le francais n'est plus ma langue d'usage--mon francais est donc tres tres tres rouille; je dois puisser avec effort du fond des abimes de ma memoire chacun des mots et chacune des tournures de ce post.

Je ne crois pas que ton exemple d'une femme soit adequate. Dieu, ou (sive) Nature. La Nature est (sinon il y aurait une separation en Dieu) et n'est pas (Naturata n'est pas Nuturans) Dieu. La Nature ne peut etre Dieu de la facon dont la femme est 'mère de ses enfants'. Il y a une dynamique avec l'expression 'ou' (sive) que ton cas ignore.

Les attributs ne sont pas des aspects partiels et particuliers de Dieu qua substance. La relation entre sujet/predicat, ou tout autre distinction du meme genre, ne s'applique pas a celle de substance/attribut. Il ne peut y avoir aucune realite partielle de la part des attributs--et ici est l'ambiguite fondamentale. Chaque attribut constitue ou exprime (l') essence de substance dans son entierete (as a whole); point final. Un attribut ne donne pas a l'intellect la 'moitie', ou une partie, de Dieu. Chaque attribut est substance.
Aussi, l'essence, l'existence et la puissance de Dieu ne sont pas des aspects de Dieu. Essence=Existence=Puissance; Elles sont 'la meme chose' ou realite; et cependant il faut faire une distinction entre les trois ... A est a la fois A et non-A d'une certaine facon. Je comprends fort bien que tu ne puisses pas etre d'accord avec ces affirmations/interpretations.

Un autre exemple. En tant qu'etre particulier, je ne suis pas un corps et un esprit; je suis un corps ou (sive) un esprit. Tu ne peux pas ajouter le corps a l'esprit (et vice-versa) afin de former de facon complete l'etre en question--en ce sens il y a ambiguite. Mon corps n'est pas la 'moitie' de mon etre: il est ce que je suis (sous l’attribut de l’etendue)!
"Là. en effet. nous avons montré que l'idée du corps et le corps lui-même c'est-à-dire (par la Propos. 13, partie 2) l'âme et le corps, ne font qu'un seul et même individu conçu tantôt sous l'attribut de la pensée, tantôt sous celui de l'étendue" (2p21)
La presence de 'tantot' (iam) n'est pas anodin. Il souligne une dynamique qui est fundamentale a la logique de l'ambiguite.

Idealement, nous ne pouvons pas non plus ajouter les attributs les uns aux autres pour former Dieu[footnote1] etant donne qu'il n'ont rien en commun qui puisse etre percu--et donc ajoute--par l'intellect infini. L'actualisation, ou l'expression, d'un attribut 'exclut' celle de tout autre attribut. Une analogie est celle de la figure vieille dame/jeune fille.
http://www.funfou.com/illusionsfr/jeunevieille.phtml
ou
http://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_02 ... p_vis.html
Tu ne peux pas concevoir ensemble et d'un seul coup la vieille femme et la jeune fille. Une doit exclure l'autre; chacune est concue 'a travers elle-meme', "c'est-à-dire l'un sans le secours de l'autre" (1p10). Il y a une exigence, ou necessite, d'unite qui n'est pas simplement le fait que chacune est l'expression du meme dessin (noir et blanc), ou substance. Une unite qui se rapporte a directement a l'existence de Dieu et non pas a son essence (bien que son essence et existence soit 'la meme chose'; deux unites qui sont simplement une). L'analogie est bien souvent la facon la plus simple d'approcher et de comprendre/imaginer (quoique toujours imparfaitement) les ambiguites des attributs.

"In this connection, Thomas C. Mark talks about a sort of ontological synonymy between attributes. To elucidate the relation of expression of the same substance in different attributes, he uses the analogy of the same musical composition transposed into different keys. "It is meaningless to ask whether the transpositions do or do not 'correspond to' the music. A transposition does not represent the music to us, it just gives us the music." (De Dijn, p.201)

Tu as ecrit: "Il n'y a pas contrariété, il y a diversité." Mais qu'est-ce que cela veut vraiment dire? Diversite exprime une certaine difference. Diversite: "caractère de ce qui est divers, de ce qui est varié"--> variés : "divers, différents les uns des autres"
L'idee d'une certain forme d'exclusion entre attributs ne peut etre ignoree. Et en ce sens nous pouvons dire qu'ils sont 'contraires'. Les attributs ne sont pas des ‘machins’ en paralleles ou complementaires--entendre par la qu'ils co-existent separement. Peut-il vraiment avoir deux expressions entieres et concommitanttes d'une essence unique? Est-ce que cela n'equivaut pas a se resoudre a une certain forme de multiplicite? Il y a besoin ou exigence d'unite qui doit s'affirmer de facon absolue--5a1 est simplement un cas particuliar de cette exigence, ou plus precisement necesssite, d'unite dans l’ordre modal pour le cas d’un etre particulier. Imaginer la verite de 2p7 sous la representation d’un certain parallelisme est l'une des plus importantes et repandues parmi les incomprehensions des idees de Spinoza faites par ses commentateurs ; bien que cette erreur soit toute a fait naturelle lorsque nous considerons la nature, ou les necessites, de l'imagination. Les idees de complements et de parallélisme sont simplement des 'etres de raison' que nous formont afin de 'resoudre' l'impossibilite--du point de vue de la logique traditionelle--des attributes. Je comprend fort bien que tu puisse etre en desacord avec ces commentaires. Et fort probablement j’en suis responsable car ils sont simplement tres confus! Je ne crois pas que la premiere partie de l'Ethique soit assez claire et transparente pour permettre a quiconque de demontrer, en dehors de tout doute, la validite de ses interpretations. Mais cela a bien peu d'importance car ce qui compte vraiment c'est le travail affectif que la connaissance du deuxieme (et eventuellement troisieme) genre nous demande--et que bien peu de gens se resoudent a entreprendre ...

L'idee d'un nombre infini d'attributs fut probablement une solution adoptee par Spinoza afin de resoudre l'ambiguite de Dieu car apres tout Dieu a deux visages: un qui dit qu'il n'y a pas d'ambiguite (substance, Natura naturans) et un autre qui est celui des ambiguites (ou modes; Natura naturata). Spinoza n’a peut etre jamais ete vraiment confortable avec cette idee. Peut-etre que Spinoza n'a jamais pu se resoudre a l'idee que le visage de Dieu qui affirme qu'il n'y a pas ambiguite (substance; Natura naturans), en raison de la presence du visage ambigu (naturata), n'est pas lui-meme sans ambiguite meme si cela ne menace en aucune facon son unite ou simplicite! (Ne me demande d'expliquer ce dernier commentaire, l'imagination ne peut que si casser la gueule. Il existe a koan connu a ce sujet, sur ce point en particulier: "si toutes les choses retourne ver l'Un; vers quoi l'Un se tourne-t-il?") Et ici je veux pas critiquer Spinoza; pour moi, la presentation, l'articulation et les inferences qu'il a pu faire de ses ‘experiences’, ou connaissances, du troisieme genre surpassent toutes celles j’ai pu lire ou entendre.
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Louisa a écrit :Enfin, en ce qui me concerne, rencontrer des commentateurs de Spinoza qui disent ne pas avoir tout compris de Spinoza (comme ceux que tu cites) est tout à fait autre chose que de rencontrer un commentateur qui réussit à démontrer que Spinoza a voulu/pu abandonner la logique traditionnelle.

Je suis d'accord. Mais cela ne veux pas dire n'ont plus qu'il n'a pas su depasser la logique traditionelle: etudie attentivement son usage de l’expression ‘quatenus’, la facon don’t cette expression lui permet precisement de contourner les difficultes associees avec le principle de non-contradiction. Et alors tu pourras apprecier la facon dont Spinoza a reussi entre la redaction du court traite et celle de l’Ethique, a resoudre plusieurs problemes qui sont present et evident dans le premier.

Je crois aussi que ce que ton commentaire neglige et ignore est le fait ces 'commentateurs' critiquent Spinoza sur le compte que ses idees ne semblent pas etre consistentes avec lois et conventions de la logique traditionelles--telles que la plupart de nous les comprennent. Ces commentateurs ne veulent pas le comprendre, ou ne l'ont pas compris, precisement parce qu'il fait, selon eux, faux bond aux principes de la logique traditionelle. Si tu refuses leurs positions, cela souleve une probleme interessant (bien qu'il puisse etre deconcertant de ton point de vue): la logique traditionelle semblent etre le sujet d'interpretrations variees and diverses. Nos convictions ne sont pas seulement, et tres tres rarement comme Hokousai l'a souligne, le resultat d'efforts rationels et conscient, selon des principles logiques, apres tout.

Louisa a écrit :La physique quantique est si puissante, aujourd'hui, précisément (et notamment) parce que ses théories sont extrêmement cohérentes (le principe d'incertitude ne rend PAS la théorie physique moins cohérente!! Le double caractère onde-particule non plus).

Il y a neanmoins une absence d'unite que beaucoup aimeraient bien voir disparaitre. Coherence? Coherence en relation avec quoi? Une logique de l'ambiguite est necessairement coherente. Coherence est simplement une des nombreuses facons qu’a l’unite de Dieu de se manifester. Une parmi tant d’autres.

Louisa a écrit :Cela ne signifie pas que Gueroult a inventé l'interprétation ultime. Cela signifie uniquement que l'on ne pourra pas ne pas tenir compte de lui quand on veut créer une interprétation alternative et aussi profonde.

Je crois que la plupart des commentateurs connaissent, apprecient et ont considere le travail de Gueroult--en particulier sa refutation de l'approche 'subjective' des attributs. Ils ne sont tout simplement pas tous convaincus par certaines de ses analyses. Je ne connais que ses commentaires/bouquins sur les deux premieres parties de l'Ethique. Et malgre l'etendue et la profoundeur de certaines de ses analyses (et je lui suis tres reconnaissant pour ses efforts, ses analyses detaillees et son travail), il s'est parfois fourvoyer royalement. C'est comme creuser un trou la ou il n'y a aucun tresor; tu peux pelleter aussi profond que tu veux, tu ne vas jamais rien y trouver.

Louisa a écrit :Et c'est cela ce que j'ai voulu dire dans mon message que tu cites (et en général dans la discussion ici avec Hokousai et Sescho): le moyen le plus solide pour prétendre à la vérité d'une interprétation de Spinoza, c'est la "raison", car elle seule sait construire un commentaire profond ET communicable à tous. [\quote]


Est-ce que par 'raison' tu entends la connaissance du deuxieme genre ou la pensee symbolique et reflexive (prise dans un sens tres large)? Il ne faudrait pas confondre les deux. Il est vrai que Spinoza a associe certaines pretentions avec la connaissance du deuxieme genre (voir par exemple les distinctions qu'il etablit quant entre la foi/theologie et la ratio/philosophie dans le TTP) mais je crois, comme l'histoire nous le prouve, que Spinoza n'a pas eu tout a fait raison sur ce point particulier (il faudrait que je m'explique plus clairement sur ce sujet mais je n'ai pas le temps). Spinoza etait un homme apres tout, et un homme qui, comme nous tous, n'a jamais tout a fait transcende son epoque. De plus, je suis toujours a la recherche (parmi les commentaires existants) d'une interpretation valide, coherente et consistente avec le reste de l'Ethique de la connaissance du deuxieme genre ... D'un autre cote, nous pouvons nous entendre que, sans aucune doute, la verite se trouve dans la connaissance du troisieme genre--laquelle est intime et pas necessairement communicable a tous ... Spinoza a dit trouver la 'vraie' philosophie et non pas le meilleur systeme philosophique. De la meme facon, la 'vraie' interpretation devra se confondre avec la 'vraie' philosophie de Spinoza et n'ont pas devenir simplement la meilleure, ou bien ultime, interpretation. Mais comme Spinoza, qui fut incapable de communiquer a tous sa 'vraie' philosophie (l'histoire et sa propre correspondance sont assez clair au sujet de cet echec) il est fort possible que celui qui a realise la 'vraie' interpretation ne pourra faire beaucoup mieux.

Et maintenant que j'y pense, je crois qu'il y a plusiers dimensions de la philosphie de Spinoza--celles qui sont essentiellment pratiques et peut etre les plus importants--qui sont simplement au dela de toutes explications et communications REFLEXIVES. Par exemple, lorsqu'une persone finalement confronte les AMBIGUITES, les exces, et contradictions de sa vie (interieure), je pense pas que quiconque puisse communiquer adequatement les conflicts et experiences qui en decoulent, se dechainent ou simplement deviennent un peu plus evidents (les ambiguities qui constituent notre experience ont leur propre 'conatus' apres tout!)

"Je crois avoir expliqué par ce qui précède pourquoi les hommes sont plus touchés par l'opinion que par la raison, pourquoi la connaissance vraie du bien et du mal ébranle notre âme, et pourquoi enfin elle cède souvent à toute espèce de passion mauvaise. C'est ce qui fait dire au poète : Je vois le meilleur, je l'approuve, et je fais le pire. Et la même pensée semble animer l'Ecclésiaste, quand il dit : Qui augmente sa science augmente ses douleurs. " 4p17

Ceci est une realite du deuxieme genre de connaissance qu'il est tres difficile d'expliquer ou d'evoquer, ou de simplement partager sachant que l'autre partie ne peut le comprendre sans l'avoir vecu.


[footnote1] Bien que Spinoza ecrit 'Dieu ..., ou (sive) tous les attributs' il faut etre tres prudent avant de conclure quoique ce soit quant a ce que Spinoza a vraiment voulu dire par cette equivalence.
"De plus, que faut-il entendre par les attributs de Dieu ? ce qui exprime l'essence de la substance divine en d'autres termes (par la Déf. 4), ce qui appartient à la substance. C'est là, dis-je, ce qui doit être enveloppé dans les attributs. Or, l'éternité appartient à la nature de la substance (comme je viens de le prouver en m'appuyant sur la Propos. 7) Donc, chacun des attributs de la substance doit envelopper l'éternité, et tous par conséquent sont éternels. C. Q. F. D."

Hokousai a écrit :Dire que sa logique relève de l’ ambigüité (cf vie ordinaire ) ne me parait pas du tout convaincant, j’estime qu’il cherchait à être des plus clairs et distincts, s’il y a ambigüité c’est qu’il n’y est pas parvenu .


Hokousai, si la vie et l’existence expriment a la fois et d’une certaine facon une profonde unite (Dieu) et ambiguite (voir 1a1) alors presenter une logique de l’ambiguite c’est precisement ‘etre clair et distinct’ a ce sujet. Il ne faut pas confondre naivete avec simplicite. Si Spinoza avait recherche simplement la clarite intellectuelle pour tous, et bien alors l’Ethique est un echec retentissant! La necessite de l’Ethique est d’un tout autre ordre.
Modifié en dernier par vieordinaire le 11 juin 2008, 03:19, modifié 1 fois.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 11 juin 2008, 02:45

Vieordinaire a écrit :
Je croyais avoir ete clair. Adopter une logique de l'ambiguite ne signifie l'abandon necessaire de la logique traditionelle. Je vais essayer de faire une esquisse (trop breve, confuse et incomplete) de certains elements d'une logique de l'ambiguite. Il me faudrait malheureusement plusieurs pages, plus d’intelligence ou de talent, et de temps ... De plus, le francais n'est plus ma langue d'usage--mon francais est donc tres tres tres rouille; je dois puisser avec effort du fond des abimes de ma memoire chacun des mots et chacune des tournures de ce post.


étant encore en train d'apprendre le français moi-même, ce ne sera pas moi qui pourrai le dire quand tu fais des fautes ... so join the club! :D Anyway, don't hesitate to switch to English if you don't find the word you're looking for.

Vieordinaire a écrit :Je ne crois pas que ton exemple d'une femme soit adequate. Dieu, ou (sive) Nature. La Nature est (sinon il y aurait une separation en Dieu) et n'est pas (Naturata n'est pas Nuturans) Dieu. La Nature ne peut etre Dieu de la facon dont la femme est 'mère de ses enfants'. Il y a une dynamique avec l'expression 'ou' (sive) que ton cas ignore.


si si, la Nature est ET est Dieu! La Nature est aussi bien Natura Naturans que Natura Naturata. Les deux (naturans et naturata) ne sont que deux façons de concevoir Dieu ou la nature. C'est cela, le sens du quatenus. Je ne vois pas en quoi cela nous obligerait de quitter la logique traditionnelle.

Vieordinaire a écrit :Les attributs ne sont pas des aspects partiels et particuliers de Dieu qua substance. La relation entre sujet/predicat, ou tout autre distinction du meme genre, ne s'applique pas a celle de substance/attribut. Il ne peut y avoir aucune realite partielle de la part des attributs--et ici est l'ambiguite fondamentale. Chaque attribut constitue ou exprime (l') essence de substance dans son entierete (as a whole); point final. Un attribut ne donne pas a l'intellect la 'moitie', ou une partie, de Dieu. Chaque attribut est substance.


en effet, les attributs ne sont pas des "parties" de Dieu, sinon Dieu serait divisible, ce qu'il n'est pas. Les attributs ne sont pas des prédicats accidentels non plus, mais je ne vois pas ce qui empêche de les considérer comme prédicats essentiels.

Que chaque attribut exprime l'essence de la Substance dans son entièreté n'est à mon sens aucunement ambigu. Il faut, justement, ne PAS penser cela en termes de parties pour que l'ambiguité (je parlerais plutôt d'une contradiction, d'ailleurs) disparaisse.

Vieordinaire a écrit :Aussi, l'essence, l'existence et la puissance de Dieu ne sont pas des aspects de Dieu. Essence=Existence=Puissance; Elles sont 'la meme chose' ou realite; et cependant il faut faire une distinction entre les trois ... A est a la fois A et non-A d'une certaine facon. Je comprends fort bien que tu ne puisses pas etre d'accord avec ces affirmations/interpretations.


ni l'essence ni l'existence ni la puissance de Dieu expriment ou constituent Dieu. Nous sommes ici à un tout autre niveau de la substance que quand nous parlons d'attributs. Je n'ai donc aucun problème à admettre que l'essence de Dieu et son existence sont la même chose, ou que sa puissance et son essence sont la même chose. Dès qu'on définit la substance comme ce qui est causa sui, son existence doit effectivement suivre de son essence. Et dès que l'on définit une essence par le fait de produire des effets, d'agir, on peut aussi dire de la substance qu'elle est essentiellement puissance. Donc bon, je ne vois pas très bien où se trouverait ici un problème ou une ambiguité. Je ne vois pas comment tu peux parler ici d'un "A" qui est "à la fois A et non A". L'essence n'est pas du tout le contraire de l'existence ... . Idem en ce qui concerne la puissance. Essence, existence et puissance ne s'excluent pas mutuellement, elles ne sont pas du tout contradictoire. Qu'une chose existe, a une essence, et une puissance .. comment cela pourrait-il être contradictoire? Pourrais-tu expliquer davantage ton point de vue?

Vieordinaire a écrit :Un autre exemple. En tant qu'etre particulier, je ne suis pas un corps et un esprit; je suis un corps ou (sive) un esprit.


je ne crois pas que ceci soit très spinoziste. Jamais Spinoza ne parle d'un Corpus sivi Spiritus. Si la Nature est elle-même Dieu, le corps n'est jamais lui-même un esprit, chez Spinoza. Tout comme l'attribut de la Pensée n'est pas du tout lui-même l'attribut de l'Etendue, d'ailleurs. Ou pour le dire en tes termes: la "logique" du sive est différente de celle du quatenus.

Le rapport exprimé par le terme sive est un rapport symétrique: Dieu ou la Nature, cela signifie que Dieu est entièrement Nature, la Nature est entièrement Dieu.

Le rapport exprimé par le terme quatenus, en revanche, est asymétrique: on peut considérer Dieu "en tant qu"il s'exprime dans un attribut ou un mode, mais on ne peut pas considérer un mode "en tant qu"il s'exprime en Dieu ... . Un mode exprime Dieu (= AUTRE CHOSE que le mode), mais Dieu S'exprime LUI-MEME dans un mode. Le rapport n'est plus symétrique ici. Considérer A en tant que B n'implique pas que l'on peut considérer B en tant que A.

Vieordinaire a écrit : Tu ne peux pas ajouter le corps a l'esprit (et vice-versa) afin de former de facon complete l'etre en question--en ce sens il y a ambiguite. Mon corps n'est pas la 'moitie' de mon etre: il est ce que je suis (sous l’attribut de l’etendue)!


ce que tu constates à mon sens correctement, c'est qu'effectivement, les deux modes qui constituent une chose, ou les attributs qui constituent Dieu, ne sont pas des "parties" de ce qu'ils constituent (sinon le constitué serait divisible). Mais cela ne veut pas encore dire qu'il y aurait "ambiguité"!! Cela signfie simplement qu'il faut penser ce genre de relations de ce qui constitue à ce qui est constitué autrement que par le rapport partie-tout. Mais ce n'est pas parce qu'on parle d'un autre type de relation qu'on aurait déjà nécessairement une ambiguité.

Vieordinaire a écrit :"Là. en effet. nous avons montré que l'idée du corps et le corps lui-même c'est-à-dire (par la Propos. 13, partie 2) l'âme et le corps, ne font qu'un seul et même individu conçu tantôt sous l'attribut de la pensée, tantôt sous celui de l'étendue" (2p21)
La presence de 'tantot' (iam) n'est pas anodin. Il souligne une dynamique qui est fundamentale a la logique de l'ambiguite.


j'avoue que je ne te suis pas. Pour moi il n'est en tout cas pas très bizarre de considérer une chose tantôt d'une façon, tantôt d'une autre. Pensons aux taches de Rorschach: l'une d'entre elle est aussi bien lapin que cygne (canard? je ne sais plus très bien). Il suffit de la concevoir tantôt d'une façon, tantôt d'une autre pour voir comment une seule et même chose peut exprimer deux choses.
Mais cela ne veut pas dire que le dessin est ambigu. L'ambiguité comporte nécessairement une connotation d'incertitude, une zone d'ombre, d'indécision, d'équivoque. Or rien n'est obscure dans cette tache. Il se fait qu'elle puisse seulement exprimer deux choses différentes, tout en restant la même. Si tu veux, on pourrait parler d'une logique de l'expression (voir Deleuze). Cela me semble en tout cas mieux convenir que "ambiguité".

Vieordinaire a écrit :L'actualisation, ou l'expression, d'un attribut 'exclut' celle de tout autre attribut. Une analogie est celle de la figure vieille dame/jeune fille.


non, pas vraiment. On peut concevoir un attribut par soi et en soi, c'est-à-dire sans penser nécessairement à d'autres attributs. Mais Dieu est l'ensemble des attributs, donc aucun attribut n'exclut la possibilité ou l'essence ou l'actualité (plutôt qu'actualisation, puisque tout est toujours déjà actualisé, chez Spinoza) d'un autre.

Vieordinaire a écrit :Tu ne peux pas concevoir ensemble et d'un seul coup la vieille femme et la jeune fille. Une doit exclure l'autre; chacune est concue 'a travers elle-meme', "c'est-à-dire l'un sans le secours de l'autre" (1p10).


notre attention humaine effectivement ne peut se fixer que sur une chose à la fois. Mais cela ne veut pas dire que la réalité que l'on conçoit tantôt sous un tantôt sous un autre aspect, contient des aspects qui s'excluent ... .

Vieordinaire a écrit :"In this connection, Thomas C. Mark talks about a sort of ontological synonymy between attributes.


la synonymie, relation symétrique, concerne le sive, non pas le quatenus, qui a trait aux attributs.

Vieordinaire a écrit :To elucidate the relation of expression of the same substance in different attributes, he uses the analogy of the same musical composition transposed into different keys. "It is meaningless to ask whether the transpositions do or do not 'correspond to' the music. A transposition does not represent the music to us, it just gives us the music." (De Dijn, p.201)


une expression n'est effectivement pas une représentation. L'exemple d'une transposition musicale n'est peut-être pas inintéressant. Il a l'avantage de faire comprendre qu'effectivement, quand quelque chose change dans une partition, selon le même rapport quelque chose doit changer dans toutes les autres, qui contiennent les transpositions. Nous avons donc une référence au fait qu'il n'y a qu'un seul ordre de causes et effets dans tous les attributs.

Mais justement: est-ce que tu dirais qu'une transposition "exclut" l'autre ... ? Si oui: pourquoi?

Et est-ce que tu dirais qu'une transposition est "contraire" à l'autre?

Enfin, je ne vois pas non plus en quoi on pourrait dire qu'il y aurait une "ambiguité" entre les différentes transpositions. A mon sens il n'y en a aucune. Chaque transposition exprime tout à fait clairement le même rapport entre les notes, sans aucune zone d'ombre ou équivoque.

Vieordinaire a écrit :Tu as ecrit: "Il n'y a pas contrariété, il y a diversité." Mais qu'est-ce que cela veut vraiment dire? Diversite exprime une certaine difference. Diversite: "caractère de ce qui est divers, de ce qui est varié"- variés : "divers, différents les uns des autres"


cela veut dire que les diverses transpositions ne se contredisent pas, elles sont simplement de différentes expressions d'une seule et même chose.

Vieordinaire a écrit :L'idee d'une certain forme d'exclusion entre attributs ne peut etre ignoree.


je dirais plutôt l'inverse: il est impossible d'injecter dans le spinozisme une idée d'une quelconque "exclusion" entre les attributs.

Vieordinaire a écrit :Et en ce sens nous pouvons dire qu'ils sont 'contraires'. Les attributs ne sont pas des ‘machins’ en paralleles ou complementaires--entendre par la qu'ils co-existent separement.


si, ils sont paralléles. Mais non, ils n'existent pas "séparément" (cela diviserait la substance), ils existent d'une façon "réellement distincte". Il faut donc approfondir le concept d'être "réellement distinct" pour mieux comprendre, en tout clarté et sans qu'aucune contradiction ou ambiguité ou quoi que ce soit soit nécessaire, la théorie des attributs chez Spinoza.

Vieordinaire a écrit : Peut-il vraiment avoir deux expressions entieres et concommitanttes d'une essence unique? Est-ce que cela n'equivaut pas a se resoudre a une certain forme de multiplicite?


oui, mais il s'agit d'une multiplicité qualitative, et non pas numérique.

Vieordinaire a écrit : Il y a besoin ou exigence d'unite qui doit s'affirmer de facon absolue--5a1 est simplement un cas particuliar de cette exigence, ou plus precisement necesssite, d'unite dans l’ordre modal pour le cas d’un etre particulier.


non, en 5a1 il s'agit de choses qui tirent l'esprit dans des directions différentes. Dans la substance, les attributs ne sont pas du tout des choses qui la tirent dans des sens différents. La contrariété n'existe QUE au niveau modal (ce qui est contraire à la nature d'une chose particulière est ce qui est mauvais pour elle), pas du tout au niveau de la substance (qui ne connaît ni bon ni mauvais).

Vieordinaire a écrit : Imaginer la verite de 2p7 sous la representation d’un certain parallelisme est l'une des plus importantes et repandues parmi les incomprehensions des idees de Spinoza faites par ses commentateurs ; bien que cette erreur soit toute a fait naturelle lorsque nous considerons la nature, ou les necessites, de l'imagination. Les idees de complements et de parallélisme sont simplement des 'etres de raison' que nous formont afin de 'resoudre' l'impossibilite--du point de vue de la logique traditionelle--des attributes.


tu sais, ce que tu appelles "logique traditionnelle" me semble plutôt consister dans le fait que tu as des difficultés de concevoir d'autres types de relations que celle du partie-tout. Or déjà Aristote en mentionnait un tas d'autres, et l'histoire de la philosophie n'a cessé de les multiplier. Le problème est CONCEPTUEL, et non pas LOQIQUE.

D'ailleurs, je crains que cette confusion existe très souvent parmi les commentateurs de tradition analytique et/ou anglo-américaine: on aborde un concept en pensant à un AUTRE concept, et alors certaines choses deviennent obscures. On n'attribue pas cette obscurité à la confusion des concepts qu'on est inconsciemment en train d'opérer, mais on l'attribue à l'auteur même, et on l'appelle "contradiction" (ou, si on veut être un peu plus clément par rapport à l'auteur, "ambiguité"). Pour moi il s'agit simplement d'un manque de rigueur proprement philosophique, rigueur qui exige que l'on apprenne à suspendre ses propres concepts (et donc d'abord de s'en rendre compte), ce qui n'est pas facile du tout, et que l'on ne fait pas sans formation appropriée.

Vieordinaire a écrit : d’une certaine maniere, toute idée est a la fois adequate and inadequate (A et non-A).


pourrais-tu préciser de quelle manière?

En attendant ton explication: à mon sens il s'agit d'une erreur.

Vieordinaire a écrit :Je crois aussi que ce que ton commentaire neglige et ignore est le fait ces 'commentateurs' critiquent Spinoza sur le compte que ses idees ne semblent pas etre consistentes avec lois et conventions de la logique traditionelles--telles que la plupart de nous les comprennent. Ces commentateurs ne veulent pas le comprendre, ou ne l'ont pas compris, precisement parce qu'il fait, selon eux, faux bond aux principes de la logique traditionelle. Si tu refuses leurs positions, cela souleve une probleme interessant (bien qu'il puisse etre deconcertant de ton point de vue): la logique traditionelle semblent etre le sujet d'interpretrations variees and diverses. Nos convictions ne sont pas seulement, et tres tres rarement comme Hokousai l'a souligne, le resultat d'efforts rationels et conscient, selon des principles logiques, apres tout.


fort bien, mais je vois beaucoup trop le procédé d'interprétation non philosophique à l'oeuvre, chez ce genre de commentateurs, pour pouvoir leur donner cet avantage du doute. Voir ce que je viens de dire ci-dessus à ce sujet. Il s'agit à mon sens simplement d'erreur METHODOLOGIQUE. On oublie qu'en philosophie, les mots n'ont pas un sens univoque, et que les présuppositions des philosophes étudiés sont rarement les mêmes que celles du lecteurs. E-NOR-ME-MENT de ces soi-disant "inconsistances", "ambiguités", "contradictions" etc se dissipement immédiatement dès qu'on est prêt à accepter qu'il existe davantage de concepts que ceux qu'on connaît déjà ou que l'on utilise couramment, dès qu'on est prêt à reconstruire activement de nouveaux concepts. Ce n'est pas une question de logique, mais de travail conceptuel. C'est très différent.

Louisa a écrit:

Et c'est cela ce que j'ai voulu dire dans mon message que tu cites (et en général dans la discussion ici avec Hokousai et Sescho): le moyen le plus solide pour prétendre à la vérité d'une interprétation de Spinoza, c'est la "raison", car elle seule sait construire un commentaire profond ET communicable à tous. [\quote]

Vieordinaire:

Est-ce que par 'raison' tu entends la connaissance du deuxieme genre ou la pensee symbolique et reflexive (prise dans un sens tres large)? Il ne faudrait pas confondre les deux.


euh ... il faudrait peut-être définir explicitement ce que tu veux dire par "pensée symbolique et réflexive prise dans un sens très large" avant que je sache ce qui à tes yeux il ne faut pas confondre ... ?

Sinon oui, j'entends par la connaissance rationnelle la connaissance du deuxième genre.

Vieordinaire a écrit : Il est vrai que Spinoza a associe certaines pretentions avec la connaissance du deuxieme genre (voir par exemple les distinctions qu'il etablit quant entre la foi/theologie et la ratio/philosophie dans le TTP) mais je crois, comme l'histoire nous le prouve, que Spinoza n'a pas eu tout a fait raison sur ce point particulier (il faudrait que je m'explique plus clairement sur ce sujet mais je n'ai pas le temps).


ok, j'attends ton explication.

Vieordinaire a écrit :Spinoza etait un homme apres tout, et un homme qui, comme nous tous, n'a jamais tout a fait transcende son epoque.


Spinoza était en effet un homme de son temps. Rembrandt aussi. Mais leurs OEUVRES transcendent bel et bien leur époque. Elles ont donc une consistance propre, qui dès lors n'a plus rien de "personnelle" (ni de purement matérielle). En quoi consiste-t-elle? A mes yeux c'est à ceux qui les étudient de la mettre en évidence, de la reconstruire maximalement. Tâche qu'abandonnent trop rapidement ces commentateurs qui ne se consacrent pas au travail "lent et patient" des concepts, pour passer rapidement à ce qui ne colle pas avec leurs propres préjugés, et alors arrêter le travail là en se disant que, "après tout", ces philosophes étaient des hommes, donc devraient bien se contredire ici et là de temps en temps.

Cordialement,
L.

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Messagepar vieordinaire » 11 juin 2008, 03:34

Louisa a écrit :“Je ne vois pas comment tu peux parler ici d'un "A" qui est "à la fois A et non A". L'essence n'est pas du tout le contraire de l'existence ... . Idem en ce qui concerne la puissance. Essence, existence et puissance ne s'excluent pas mutuellement, elles ne sont pas du tout contradictoire. Qu'une chose existe, a une essence, et une puissance .. comment cela pourrait-il être contradictoire? Pourrais-tu expliquer davantage ton point de vue?”


Tu as parfaitement raison. La notion de A et non-A n’a rien avoir avec ce que je voulais dire. Ce qui cause probleme pour certain neanmoins c’est l’idee simultanee d’une identite et d’une distinction.

Louisa a écrit :“L'ambiguité comporte nécessairement une connotation d'incertitude, une zone d'ombre, d'indécision, d'équivoque. Or rien n'est obscure dans cette tache.”


Je suis d’accord. Malheureusement, je n’ai jamais precise ce que j’entends par ‘ambiguite’. Et ta definition, qui est la definition la plus commune et acceptee, n’est pas exactement ce que j’entends par ambiguite. Je suis desole de ce probleme. Il est difficile de definir ce que j’entends par ambiguite.
Ici est un live qui fait ce travail:
http://www.amazon.com/How-Mathematician ... 085&sr=8-1

L'auteur le fait en plusieurs pages. Malheureusement, je ne crois pas que nous puissions continuer notre discussion tant que je n’ai fourni un idée claire et precise de ce que j’entends par d’ambiguite.

Louisa a écrit :“Mais justement: est-ce que tu dirais qu'une transposition "exclut" l'autre ... ? Si oui: pourquoi?”


Peux-tu jouer deux transpositions ‘en meme temps’? Je blague—a moitie; il y a une distinction entre transpositions mais aussi une unite/identite. Pour certain ceci est assez pour etre considere comme une ambiguite—mais pas pour toi! Tant mieux!

Louisa a écrit :Mais non, ils n'existent pas "séparément" (cela diviserait la substance), ils existent d'une façon "réellement distincte". Il faut donc approfondir le concept d'être "réellement distinct" pour mieux comprendre, en tout clarté et sans qu'aucune contradiction ou ambiguité ou quoi que ce soit soit nécessaire, la théorie des attributs chez Spinoza.

Je suis tout a fait d’accord.

Louisa a écrit :Vieordinaire a écrit:
d’une certaine maniere, toute idée est a la fois adequate and inadequate (A et non-A).
pourrais-tu préciser de quelle manière?
En attendant ton explication: à mon sens il s'agit d'une erreur.


Oui et non! Mais plus oui que non dans ce cas … (C’est pourquoi en autre j’ai edite mon post precedent; en fait, j’etais de retour a mon ordinateur afin d’editer mon post (eliminer le passage car j’ai realise certains problemes avec cette affirmation) lorsque j’ai vu que tu avais deja repondu.


Louisa a écrit :On oublie qu'en philosophie, les mots n'ont pas un sens univoque, et que les présuppositions des philosophes étudiés sont rarement les mêmes que celles du lecteurs. E-NOR-ME-MENT de ces soi-disant "inconsistances", "ambiguités", "contradictions" etc se dissipement immédiatement dès qu'on est prêt à accepter qu'il existe davantage de concepts que ceux qu'on connaît déjà ou que l'on utilise couramment, dès qu'on est prêt à reconstruire activement de nouveaux concepts. Ce n'est pas une question de logique, mais de travail conceptuel. C'est très différent.

Oui. Lorsque je dis une logique de l’ambiguite je dis LOGIQUE de … Une logique de l’ambiguite n’est pas une absence de logique.

Cordialement,


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LaPhilosophieAuMarteau
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Messagepar LaPhilosophieAuMarteau » 11 juin 2008, 03:40

Dear Louisa and Vieordinaire,

You're the first non French native language person I read who have deepened so much in French language.

It's amazing. I thought you were French. You master such concepts in French. Incredible.

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