Substance(s)...

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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zarathoustra
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Substance(s)...

Messagepar zarathoustra » 30 janv. 2004, 09:00

Admiratif, passionné, mais un peu béotien s'agissant de cette immense montagne qu'est "l'éthique", je lis les cours de Monsieur Dorion, téléchargeables sur le site, afin d'y voir plus clair. Remarquable guide, "j'achoppe" pour le moment sur un point: l'analyse qu'il fait de l'argumentation proposée par Spinoza contre les 2 substances de Descartes. Je ne parviens pas à en saisir le caractère "démonstratif", et j'en reste malheureusement à une "position de principe" où Spinoza m'agrée mieux que Descartes. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point précis? (Dommage que les lettres adressées à Oldenburg, fort intéressantes, renvoient sur ce point... à la lecture de l'éthique.)
Cordialement
Zarathoustra.

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Messagepar bardamu » 08 févr. 2004, 17:01

Salut,
j'essaierais de répondre ici sur ta question et celle de Succube qui s'en rapproche.

1/ Quelques définitions
Substance
- ce qui est en soi et est conçu par soi (E1D3)

Attributs
- ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence (E1D4)
- ce que l'entendement perçoit dans la substance comme constituant son essence (E1P10 démonstration)
- expressions de la réalité, de l'être de la substance (E1P10 scolie)
- tout être doit se concevoir sous un attribut déterminé (E1P10 scolie)

Modes
- les affections d'une substance (E1D5)
- les choses particulières (E1P25 Corollaire)

2/ Synthèse rapide
L'entendement, ce qui parle en ce moment, distingue la nature des choses par des attributs.
Une chose particulière est perçue-conçue-dite étendue ou pensée, à quoi correspond les attributs non-particuliers Etendue et Pensée.
Une substance est ce qui se-tient-sous l'attribut, le support de l'attribution. L'entendement commence par attribuer et cherche ensuite ce à quoi il a mis cet attribut.

Pour Descartes, aux attributs Pensée et Etendue correspondent deux Etres séparés, causes d'eux-mêmes, reliés parfois par Dieu (trinité corps-esprit-dieu ?).
Il y a des choses purement corporelles, des choses purement spirituelles et des choses qui ont des "organes" corporels et des "organes" spirituels. C'est un mécano des substances où aux distinctions opérées correspondent des essentialisations.

Pour Spinoza, aux attributs Pensée et Etendue ne correspond qu'un seul Etre qui s'exprime dans l'entendement, toujours en lui-même, sous deux formes. Toute chose peut être conçu par l'entendement en la déterminant soit comme corps soit comme idée mais sa nature, sa substance, est faite de toutes les natures concevables.
C'est une alchimie de la Substance où aux distinctions correspondent des filtres. La pensée ou l'étendue correspondent aux appareils d'analyse (tel ou tel mode d'existence) et non pas à l'analysé qui reste en lui-même, unique.

3/ Les raisonnements
Ce que fait Descartes :
Il distingue clairement 2 natures : idée et corps.
Il hypostasie ses distinctions en 2 Etres : Pensée et Etendue
Il fait de Dieu ce qui relie "magiquement" les 2 Etres.

Ce que fait Spinoza :
Il définit Dieu comme substance absolument infinie.
Il en déduit que cette substance est unique.
Il distingue clairement 2 natures : idée et corps.
Il conclut que les distinctions ne sont pas "substantielles" mais "formelles".

La "légèreté" de Descartes est de voir la perfection en Dieu et de ne pas partir de cette perfection mais de son propre cogito. Spinoza met la perfection en Dieu et part de là pour montrer que les limitations que voit l'homme ne sont que l'expression de ses propres limitations.
La limitation c'est ce "néant" dont parle Succube et qui est nécessaire pour découper le réel en plusieurs substances.
Que le néant, la fracture, la coupure, soit un concept humain qui puisse lui être utile, pourquoi pas, mais qu'il soit une réalité ontologique à poser avec Dieu est une hypostase de notre limitation inadéquate à ce qu'on définit comme le sans-limite.
C'est se contredire que de dire qu'il y a un néant et une infinité absolue.
C'est se contredire que de définir la substance comme ce qui est en soi et est conçu par soi, pour ensuite invoquer un Dieu créateur des substances.

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Messagepar succube » 09 févr. 2004, 22:54

Bardamu nous dit

"La limitation c'est ce "néant" dont parle Succube et qui est nécessaire pour découper le réel en plusieurs substances"


Je crois que vous répondez sur les modes ,c'est ce dont, à vrai dire je ne me suis pas préoccupé .Je soulignais simplement que le détour implicite par l'idée d'un Néant "UN" à l'image d'une Substance "Une" est à mon sens, un préalable nécessaire pour pouvoir justifier et conclure à l'unicité de cette substance , ou du moins que les deux notions même si elles ne sont pas pensées ensemble , forment un couple indissociable et qu'il y a donc, semble-t-il , pétition de principe .

Ainsi en suivant Deleuze (Spinoza et le problème ..p 25) deux substances de même attribut ne peuvent être distinctes que "in numéro" , or cette distinction ne peut provenir que d'une cause externe puisque elle ne peut être ni réelle ni substantielle . Mais faire appel à une causalité externe apparaît comme un contresens puisque la Substance reste la réalité ultime, et que du Néant ainsi conçu , comme "non être", "non substance" , rien ne peut être tiré , ni être dit positivement ou négativement .Une substance ne peut donc avoir de causalité externe à elle même , elle ne peut pas être produite ou limitée par aucune autre substance .La substance "Une" suppose donc le néant "Un" qui implique à son tour la Réalité Une de la substance CQFD .

Ce cercle peut être rompu et les spéculations sur l'unicité de la Réalité ultime ainsi que l'impossibilité d'une cause absolument extérieure perdre toute pertinence avec un Néant conçu, non comme une unité mais , ce que confirme notre expérience concrète, comme une pluralité d'absences de choses ayant été ou de choses encore à venir .Mais ceci n'est sûrement pas cartésien , c'est à mettre au crédit de la philosophie moderne de l'existence que Spinoza ne pouvait pas connaître.

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Messagepar bardamu » 10 févr. 2004, 21:19

succube a écrit : (...) les deux notions même si elles ne sont pas pensées ensemble , forment un couple indissociable et qu'il y a donc, semble-t-il , pétition de principe .
Ainsi en suivant Deleuze (Spinoza et le problème ..p 25) (...)

Euh... on est bien d'accord que ce n'est pas la substance qui suppose le néant mais que c'est la démonstration ?
Ce n'est qu'un artifice, comme tout raisonnement par l'absurde, qui n'implique pas de lien indissociable entre les deux notions, bien au contraire, non ?
Une fois la démonstration établie, le néant ne peut plus être une notion à l'égal de la substance, il "descend" au niveau des affections de la substance, au niveau des modes. Tu (on s'tutoie ?) dis que je parle des modes mais c'est parce que je ne vois pas d'autre place pour la notion de "néant" chez Spinoza. Il n'y a pas de néant "substantiel", pas de néant d'attribut, simplement des impuissances des modes qui accouchent de l'idée fausse de "néant".

Spinoza part de la position cartésienne ou scolastique de la pluralité des substances mais celle-ci n'a pas de place dans son système. Il démontre qu'il n'y a pas de néant dans la substance, et dire que les deux notions forment un couple indissociable c'est se remettre dans le système que justement il a quitté par sa démonstration.

Et j'ai pas le bouquin de Deleuze, tu pourrais citer le passage, s'il te plait ?
Je me dis que soit il explique une démonstration comme celle de E1P8 scolie II, soit je ne saisis pas très bien pourquoi il dit qu'on distingue 2 substances de même attribut alors que Spinoza dit :
Ethique 1 Prop 5 : Il ne peut y avoir dans la nature des choses deux ou plusieurs substances de même nature, ou, en d'autres termes, de même attribut.

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Messagepar succube » 12 févr. 2004, 16:33

a Bardamu

Lorsque je parle de couple indissociable , il est vrai que je parais élever la substance à un statut similaire à celui de l'Être, dans la tradition occidentale, et là où il y a de l'Être, il y a nécessairement dans notre esprit couplage au non-être . Je ne crois pas , sans doute , que Spinoza accepterait cette confusion lui qui trouvait trop équivoque une notion qui répond apparemment au même objet . Suffit-il d'exprimer une définition , ce qui est en soi et est conçu par soi , pour résoudre cette question ? Soit la substance n'est pas l'Être et alors elle n'en est qu'une modalité , peut être éminente, mais une modalité quand même , c'est la pensée classique , soit elle est tout l'Être et alors elle ne peut, me semble-t-il , éviter d'être confrontée en son "Tout" à ce qui n'est pas elle , le Néant , lui aussi exprimé dans un unique concept .Lorsque vous me dites que chez Spinoza il n'y a pas de néant substantiel, pas de néant d'attribut mais de simples impuissances de
modes , je vais vous étonner mais j'en suis d'accord et j'approuve cette position . Le néant n'est toujours que la contrepartie d'une chose déterminée ,mais c'est ce principe expérimental concret qui me paraît bien oublié si l'on prétend élever à la détermination absolue de " ce qui est en soi et conçu par soi" ce qui n'était qu'une notion ouverte indéterminée et équivoque , l'Être" . La substance unique infinie et indéfinie devient un "Tout" le tout du monde ou le tout de la nature et Dieu lui-même un Tout . Or Spinoza refuse l'idée de néant substantiel , il doit donc refuser le "Tout" qu'il ne peut approcher que verbalement, et faire face non à l'infinité numérique mais à l'indicible .

Ne vous inquiétez pas Deleuze pense comme vous , il ne dit pas que sont possibles deux substances de même attribut mais seulement une distinction numérique ,cad une distinction de choses . J'ai cru trouver ici une inconséquence mais je dois m'être trop avancé pour l'exploiter .

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Messagepar bardamu » 12 févr. 2004, 22:33

succube a écrit : Or Spinoza refuse l'idée de néant substantiel , il doit donc refuser le "Tout" qu'il ne peut approcher que verbalement, et faire face non à l'infinité numérique mais à l'indicible .

Il doit surtout refuser que Dieu soit entièrement, quantitativement, connaissable par ses modes, notamment les modes humains. Néanmoins, il est essentiellement, "intensivement", connu par eux même si cette connaissance n'est pas communicable, n'est pas imaginable.
E2P45 : Toute idée d'un corps ou d'une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu.

On ne connait pas tout mais chacun peut connaitre Dieu par et en tout, c'est une des conséquences de l'unité divine.

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Messagepar succube » 12 févr. 2004, 23:35

Il doit surtout refuser que Dieu soit entièrement, quantitativement, connaissable par ses modes, notamment les modes humains


L'idée de Dieu est certes une idée recherchée par Spinoza , mais elle n'est pas indispensable pour la cohérence du système , la preuve en est que certains philosophes matérialistes sont aussi spinozistes , la mère Nature suffit à leur bonheur .Cela ne résout en rien la question de l'englobant .
Compte tenu du fait qu'il n'y a qu'une substance infinie et indivisible , baptisée Dieu, , que par ailleurs les choses concrètes n'en sont que l'expression modale il est bien évident compte tenu des prémisses que tout singulier contient ou enveloppe l'essence (indivisible) et éternelle de ce soi-disant Dieu . La question n'est pas comment connaître Dieu mais ce que l'on pourrait connaître ainsi, même par connaissance adéquate, est-ce vraiment Dieu ou une simple figure construite sur la base d'une problématique traditionnelle inchangée et erronée . Spinoza ne démolit pas l'image classique de Dieu infinité , puissance, perfection etc .. il ne fait que la ramener sur terre telle que la tradition la lui livre . La vrai révolution ne consiste pas à ramener le Dieu de l'AT dans les limites de notre savoir mais de détruire de fond en comble cette figure tutélaire du Dieu créateur .

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Messagepar bardamu » 13 févr. 2004, 23:43

succube a écrit :(...) La vrai révolution ne consiste pas à ramener le Dieu de l'AT dans les limites de notre savoir mais de détruire de fond en comble cette figure tutélaire du Dieu créateur .

Meurtrier de Dieu ?
En quoi consisterait votre "vraie révolution" ?

Nietzsche a écrit :Dithyrambes de Dionysos (extrait)

Silence !
Devant les grandes choses - j'en vois ! -
on doit se taire
ou en parler grandement :
parle grandement ma sagesse ravie !

Je regarde en haut -
des flots de lumière roulent :
- ô nuit ! ô silence ! ô bruit de mort !...
Je vois un signe -,
des lointains les plus éloignés
descend vers moi, lentement, une constellation étincelante...

Suprême constellation de l'être !
Table des visions éternelles !
Est-ce toi qui viens à moi ? -
Ce que personne n'a vu,
ta muette beauté -
comment ne fuit-elle pas devant mes regards ?-

Emblème de la nécessité !
Table des visions éternelles !
- Mais tu le sais bien :
ce que tous haïssent,
ce que je suis le seul à aimer,
tu sais bien que tu es éternelle !
que tu es nécessaire !
Mon amour ne s'enflamme
éternellement qu'à la nécessité.
Emblème de la nécessité !
Constellation suprême de l'être !
- que nul voeu n'atteint,
que nulle négation ne souille,
éternelle affirmation de l'être,
éternellement, je suis ton affirmation :
car je t'aime, ô éternité !


Appelons donc cette constellation, Dieu ou la Nature.


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