Durtal a écrit :Quoi que soit « exister » cela consistera en quelque chose. Je veux dire par là : quelque chose qui existe diffère de quelque chose qui n’existe pas, l’existence est donc d’elle-même une certaine nature, texture, qualité. Cette nature ou qualification de l’exister n’est rien d’autre que la substance. Ce qui existe dans l’existence c’est la substance. Nous n’avons pas ici (pour le moment) besoin d’en savoir plus, ou de savoir en quoi par exemple consiste « exister » et la « nature » de l’existence reste pour nous à ce niveau tout a fait indéterminée. Tout ce qui nous importe est de comprendre (et c’est une remarque à prendre au sens d’une tautologie) que « l’exister » dont la substance est cause en existant elle-même est nécessairement qualifié.
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La distinction que vous faites entre l'exister et les qualités de l'exister me semble induire une conception qualitativiste des attributs.
Mais les attributs sont ils des qualités ? Rien n'est moins sûr.
Pour Aristote, c'est vrai, tous les attributs sont des modes de qualifications de la substance, des qualités, qu'ils soient accidentels ou essentiels, peu importe.
Mais en EthI,1 déjà, Spinoza sépare nettement les affections de la substance, et les affections enveloppe justement toutes les qualités, et même tous les prédicats, cad les attributs au sens d'ARistote et de Descartes. Pourquoi faire ? parce que Spinoza me semble t il ne veut pas que l'attribut soit une qualification d'un sujet sans quoi il serait impossible d'échapper à la conclusion aristotélico-cartésienne: la substance, comme telle, est transcendante à tout ce qui la qualifie (sa position de sujet lui vient justement de ce qu'elle creuse entre elle et les prédicats la distance par laquelle elle s'affirme justmeent comme Substance dominatrice de tous les accidents, dont certains seront, arbitrairement élus comme attributs essentiels).
Spinoza me semble t il anéantit à sa racine la doctrine de la substance-sujet et de l'attribut-prédicat. Tous les prédicats, essentiels ou non, ne sont plus que des affections, des modes de signification de ce qui est substantiel; et la substance n'est plus un sujet non plus.
Du coup, quant l'attribut fait son apparition ce n'est plus comme adjectif, mais comme substantif, constituant interne de la substance. Dans ces conditions, peut on encore dire que ces substantifs sont des qualités ?
Il me semble que non. Les qualités ce sont les essences: ce que dérive de l'attribut précisément et vient introduire une rupture dans le flux des variations continues. L'essence est d'ordre qualitatif; mais la qualité n'est jamais séparable de la quantité, absolument. Chacun ne prend conscience de son essence, comme dérivée des attributs (car l'essence est aussi bien du corps que de l'âme) que du fait que notre corps (et notre âme) est modifiée par d'autres (sous certains rapports de quantité). L'affection tient ensemble ces deux aspects: qualitatif (essence) et quantitatif (les rapports de composition-décomposition).
Si tel est le cas, il devient difficile de voir dans les attributs des qualités puisque cela reviendrait à en faire des affections, et à lier à la quantité, ce que Spinoza refuse, la substance étant indivisible.
Reste une solution: les attributs ne sont pas des qualités, ce sont des expressions, c'est tout à fait différent.
Pour reprendre votre formulation, on devrait alors dire: la substance est l'exister comme tel, et l'affirmation de cet exister est affirmation d'une essence de l'exister antérieure à toute qualification. C'est d'ailleurs pour cela que la substance peut être constituée d'une infinité d'attributs.
Supposons, en effet, que les attributs soient des qualités, qu'ils qualifient la substance (comme sujet), c'est alors et alors seulement que l'unicité de la substance devient inintelligible.
Ou bien les qualificatifs entrainent la substance dans la contradiction, ou bien il faut poser la substance comme sujet transcendante à ce qui la qualifie.
Mais si l'on dit que les attributs ne qualifient rien, que la substance n'est pas sujet, qu'elle n'est qu'une affirmation absolument infinie, et indéterminée, les "modalités" de son agir (exister) déploient toutes un unique exister ou agir.
Et c'est dans un deuxième temps que la qualité apparaît avec les essences, les modes, les affections. La qualité exprime la façon dont l'exister divin affecte ce qui n'est pas lui, le mode.
Le mode en effet n'est pas seulement relatif à d'autres modes, il est aussi dans un rapport interne à la substance: il est à la fois dans la substance et dérivé de la substance, et à titre d'effet, il est radicalement distinct d'elle.
Mais le mode n'est pas pour autant d'une existence séparée, car l'être du mode, c'est l'être de la substance: il n'y a qu'un Etre.
Seulement, la substance fait exister le mode sur le "mode" de son Autre. Et c'est en tant qu'Autre de la substance, que le mode peut être qualité, et aussi, d'ailleurs quantité, une grandeur, bref ce corps, cette âme.