Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
Règles du forum
Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 27 sept. 2008, 18:21

Sescho a écrit :les modes n'ont pas d'être propre


et pourtant, Spinoza dit bel et bien que l'être de la substance ne constitue PAS l'essence d'un mode, l'essence de l'homme par exemple (E2P10). Tandis que ce qui existe, ce ne sont pas seulement les attributs, ce sont les attributs ET leurs affections ou modes (E1P4 démo). Que les modes n'existent que DANS l'attribut qu'ils expriment, et partant qu'ils reçoivent leur existence d'autre chose que de leur propre essence, n'est pas la même chose que de dire que les modes n'auraient pas d'être propre. Au contraire, l'être d'un mode est d'un autre type d'être que l'être de l'attribut. Autrement dit, l'essence de l'homme n'est PAS l'essence de Dieu.

Enlever tout être propre aux modes à mon sens constitue donc un genre de retour à l'essence scolastique, où effectivement l'essence est ce sans quoi la chose ne peut être. Spinoza, en revanche, explique précisément dans l'E2P10 la raison pour laquelle il a décidé d'abandonner cette conception traditionnelle de l'essence, pour y ajouter une deuxième condition: l'essence d'une chose est non seulement ce sans quoi la chose ne peut être, mais aussi ce qui sans la chose ne peut être.

Si l'on laisse tomber la deuxième condition (c'est-à-dire l'ajout proprement spinoziste à toute philosophie d'essence), on obtient ce qui du point de vue de Spinoza est dit être absurde: si l'être de Dieu appartenait à l'essence d'une chose singulière, cette chose existerait nécessairement, tandis que justement, la DIFFERENCE entre l'être de Dieu et l'être propre à un mode, c'est que seul l'être de Dieu comporte l'existence nécessaire, et non pas l'être du mode.

Or c'est précisément de là que part toute l'"éthique" proprement spinoziste: c'est parce que l'être du mode est différent de l'être de la substance, qu'on peut désigner l'essence d'un mode par le terme conatus, qu'il faut dire que l'essence de l'homme, l'être de l'homme, c'est le désir. Pour l'homme, être c'est désirer. C'est désirer se préserver le plus longtemps possible dans l'existence, "jouir" le plus possible de l'existence, avoir le plus souvent possible accès à la "Joie Suprême" (summa Laetitia). Et plus on obtient réellement cette Joie, plus on la désire obtenir davantage (E5P26). Tout ceci, ce ne sont "que" des affaires proprement "humaines", proprement "modales". Elles ne caractérisent que l'être propre au mode, tandis que le type d'être propre à Dieu (= avoir une essence qui enveloppe nécessairement l'existence) fait que désirer persévérer dans l'être, désirer la Joie, s'activer pour ressentir maximalement la "plus haute Joie" (= la plus haute augmentation de puissance) etc. n'a strictement aucun sens (puisque Dieu, contrairement à tout mode, dispose déjà d'une puissance infinie).

Conclusion: la substance ne peut avoir un être caractérisé par le désir d'exister (elle a plutôt un être caractérisé par le FAIT d'exister nécessairement), ni un être caractérisé par le désir d'augmenter sa puissance (elle a plutôt un être caractérisé par le fait de la puissance infinie). C'est en cela que le mode nécessairement et par définition a un être propre, différent de l'être de la substance.

Enfin, si je suis tout à fait d'accord pour dire que l'éthique spinoziste vise notamment à "détruire" les passions, d'une part je ne dirais par que Spinoza donne une méthode pour détruire les "illusions" (puisque sa description de l'effet du soleil sur l'oeil humain montre bien que l'illusion optique demeure parfaitement intacte, même quand nous savons qu'il s'agit d'une illusion), d'autre part il me semble que jamais Spinoza ne dit que cette méthode consiste à essayer de détruire les passions chez les autres gens. Toute la méthode vise à nous donner un moyen pour "supprimer" nos PROPRES passions (E5P2).

Quant à notre rapport aux autres, ses conseils semblent être fort différents: il s'agit d'abord d'apprendre à "toujours prêter attention à ce qu'il y a de bon dans chaque chose (E2P10) (ce qui s'oppose à une manière de vivre où l'on cherche systématiquement les "défauts" ou "passions" chez les autres), puis non pas à "limiter" nos rapports à ceux que l'on peut avoir avec ces personnes avec qui on "convient" toujours déjà, mais plutôt à s'adresser à n'importe quel être humain par ce en quoi on convient toujours déjà (notamment le fait de disposer de la raison), pour essayer de construire activement une plus grande convenance. C'est cette construction active de toujours davantage de convenance entre les gens qui me semble être au coeur du projet "socio-politique" de Spinoza. Or si l'on sait que pour lui, l'homme est un "animal social", par là même ce projet ne peut pas être dissocié de sa "doctrine" éthique.

C'est d'ailleurs sa théorie des affects elle-même qui permet de comprendre en quoi baser ses rapports avec les autres sur une volonté de détruire les passions des autres (qu'on opère cette destruction avec colère ou tout à fait "calmement") ne peut que créer de la disconvenance au lieu de produire de la convenance: lorsqu'on veut détruire une passion chez quelqu'un d'autre, on essaie de détruire un affect dont l'idée enveloppe notamment la nature même de l'autre. Par là, on s'attaque à l'essence même de son interlocuteur, qui quant à lui est nécessairement déterminé à s'opposer à toute tentative de ce genre, et qui répondra nécessairement (sauf lorsqu'il s'agit d'un sage) par une contre-attaque (par de la "Haine", dans les termes de Spinoza). Dans ce cas, on n'a que deux situations possibles: guerre froide (on s'évite) ou guerre tout court.

Spinoza montre où se trouve l'erreur responsable de ce choix "restreint" à tantôt une impasse, tantôt une augmentation nette de la Tristesse "sociale": c'est qu'on a tendance à croire que la passion de l'autre, c'est ce qui caractérise "clairement et distinctement" la nature de l'autre, son essence à lui. C'est bien la raison pour laquelle on a tendance à combattre chez l'autre ce qu'on croit être ses passions (activité dont les "prêtres" que Spinoza dénonce ont fait leur métier). Tandis que justement, une passion se définit par le fait que celui qui la subit n'est PAS seul à agir, mais est déterminé par une deuxième nature hors de lui à agir ainsi.

C'est pourquoi détruire une passion consiste à séparer les deux natures, ce que probablement chacun ne peut bien faire que chez soi-même, et non pas chez l'autre. Ce qu'on peut faire par rapport à quelqu'un d'autre, c'est l'affecter de Joie afin d'augmenter sa puissance, augmentation qui est nécessaire pour qu'il acquière la force de séparer ce qui en lui est confus. Dans ce cas, au lieu d'attaquer l'autre dans sa nature à lui (ce qu'on fait nécessairement lorsqu'on essaie de détruire chez lui une passion), il faudrait donc réussir à renforcer sa puissance en s'adressant uniquement à sa nature à lui.

C'est pourquoi il ne faut prêter attention qu'à ce qui est "bon" dans toute chose: non pas par "sainteté", mais parce que c'est le seul mécanisme qui "marche", une fois qu'on accepte la théorie des passions proprement spinoziste. C'est la seule chose qui peut construire davantage de convenance entre soi-même et un autre homme. Et en dehors de cette construction, il n'y a que la guerre, dans toutes ses formes possibles.
L.

PS à Durtal: une réponse à ton message, aussi intéressant que long, arrive sous peu.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 27 sept. 2008, 20:23

Faun a écrit :Les choses n'ont pas besoin d'être en soi pour être, puisque les choses sont également même lorsqu'elles sont en autre chose (voir l'axiome 1 et la définition 5 de la partie 1). Tout ce qui est, tout ce qui est produit par Dieu et par ses lois éternelles, c'est à dire l'infinité des choses, vous les jetez dans l'illusion et le néant. …

Je ne me rappelle pas du tout avoir dit cela. Vous me semblez comme auparavant pratiquer de façon décalée une critique du Bouddhisme, dont en fait vous ne connaissez qu’à peine une vague écume (et moi-même, qui peut voir cela, j’estime n’en connaître que peu) et que vous rejetez violemment malgré cette ignorance, peut-être en vertu d’un anticléricalisme obtus, qui n’a rien à voir avec le Bouddhisme fondamental, dont le sujet est exactement le même que celui de Spinoza, encore plus athée dans le développement, et est traité selon une démarche rationnelle analogue dans le Mahayana. C’est je dois le dire assez consternant à mes yeux. A se demander comment A. Comte-Sponville peut concilier sans problème athéisme, Bouddhisme, Vedanta, … et évidemment Spinoza. Mais vous pensez peut-être pouvoir lui donner des leçons à lui-aussi ? En passant, exactement ce que le Bouddhisme appelle le « vide » (de forme), le Vedanta l’appelle le « plein » (de potentiel infini), et ce que le premier appelle le non-soi est exactement ce que le second appelle le Soi. Laissez tomber la critique sur ces sujets… vous êtes à 1000 lieues de les percevoir.

Et ceci nous ramène à la discussion : avant de pérorer il convient d’avoir des concepts clairs… (et d’ailleurs quand on a des concepts clairs, justement, on ne pérore pas…)

Je n’ai pas dit que c’était le néant ou que c’était irréel, mais que les modes finis évoluent dans un monde changeant (le Mouvement) en interdépendance (Spinoza le dit très clairement à de multiples reprises ; voir quelques références plus haut) et donc de façon impermanente (non absolument permanente ; je ne parle pas de l’essence de genre selon Spinoza.) Comment voulez-vous assigner une identité ferme à quelque chose qui ne se conçoit pas sans les autres choses et qui se transforme tout le temps ? Concevez-vous l’homme sans l’eau, sans l’oxygène, sans la chaleur, …, sans le changement, ... sans la Nature ?

Le phénomène est réel, je l’ai dit (encore faut-il me lire…) C’est la question de l’identité que je pose. L’erreur c’est de substantialiser le mode (je parle de ce que l’on fait, pas de ce que l’on dit.) Le mode ne dispose pas de l’être de la substance, qui comprend indissociablement l’existence, et l’immutabilité. Bref, il est un mode(-de-la-substance).

On ne doit pas, si l’on est conséquent, parler avec autorité de ce qu’on ne conçoit pas clairement. Or que peut-on concevoir clairement ? Seulement ce qui est éternel (c’est du Platon, mais c’est aussi du Spinoza) : les notions communes (vérités éternelles), Dieu – la Nature (c’est moins direct), des lois, … Et la notion de mode…

Si l’on ne donne pas une identité indue aux choses singulières, on peut alors en parler très librement. De leur puissance, de leur capacité à être affecté, etc. Toutes n’ont pas la même richesse, la même complexité. Bref, le sujet n’est pas du tout là…

Il n’y a aucun Moi chez Spinoza parce que l’entendement/volonté est un être de Raison, que les idées varient en permanence sans du tout constituer un tout, que les sensations sont une connaissance inadéquate en tout, que la mémoire et l’imagination sont la même chose en potentiellement pire, ... Autrement dit, il y a bien un « individu » (localisé et temporel pour le corps, dépendant et impermanent) mais il n’y a pas au sens strict d’identité clairement définie et compréhensible en soi. C’est ce que dit Spinoza au plus droit, quand on sait le lire.

Spinoza a écrit :PM1Ch3 : … non seulement l’existence des choses créées mais encore, ainsi que nous le démontrerons plus tard dans la deuxième partie avec la dernière évidence, leur essence et leur nature dépend du seul décret de Dieu. D’où il suit clairement que les choses créées n’ont d’elles-mêmes aucune nécessité : puisqu’elles n’ont d’elles-mêmes aucune essence et n’existent pas par elles-mêmes.

E2P10C : … ce qui constitue l’essence de l’homme, ce sont certaines modifications des attributs de Dieu. Car l’être de la substance (par la Propos. précéd.) n’appartient pas à l’essence de l’homme. L’essence de l’homme est donc (par la Propos. 15, partie 1) quelque chose qui est en Dieu et ne peut être sans Dieu, autrement dit (par le Corollaire de la Propos. 25, partie 1), une affection ou un mode qui exprime la nature de certaine façon déterminée.

Scholie : … des philosophes… n’ont pas gardé l’ordre philosophique des idées. La nature divine, qu’ils devaient avant tout contempler, parce qu’elle est la première, aussi bien dans l’ordre des connaissances que dans l’ordre des choses, ils l’ont mise la dernière ; et ces choses qu’on appelle objet des sens, ils les ont jugées antérieures à tout le reste. …
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 27 sept. 2008, 20:55

Sescho a écrit :Comment voulez-vous assigner une identité ferme à quelque chose qui ne se conçoit pas sans les autres choses et qui se transforme tout le temps ? Concevez-vous l’homme sans l’eau, sans l’oxygène, sans la chaleur, …, sans le changement, ... sans la Nature ?


attention de ne pas confondre deux termes forts différents dans le spinozisme: le changement et la transformation.

Un individu SE DEFINIT précisément par le fait qu'il peut subir beaucoup de changements, et qu'il a même besoin de certains changement (E2 Postulat IV), tout en ne se transformant jamais, c'est-à-dire tout en persévérant dans sa "forme", en conservant sa forme - jusqu'à ce qu'à un moment inévitable un changement si radical lui arrive que les corps qui effectuent son essence, son rapport de mouvement et de repos à lui, ne l'effectuent plus (à ce moment-là, la durée de son corps prend fin, mais, précise immédiatement l'E5P23, cela n'entrave en rien l'existence éternelle de l'essence de mon Esprit, en tant que celle-ci enveloppe l'essence du Corps; autrement dit, même ici il n'y a pas de "transformation" de mon essence).

Spinoza, E2 Lemme IV a écrit :Si d'un corps, autrement dit d'un Individu, composé de plusieurs corps, certains corps se séparent (sous forme de molécules d'eau, par exemple, louisa), et qu'en même temps d'autres corps de même nature et en nombre égal viennent prendre leur place (je bois un verre d'eau, louisa), l'Individu gardera sa nature d'avant, sans transformation (mutatio formae).


Autrement dit, le spinozisme est une philosophie où l'Individu se définit précisément par une certaine stabilité, par la conservation d'un seul et même rapport exprimé par l'"union" entre des corps qui constituent le Corps de l'Individu à tel ou tel moment de la durée, "union entre corps" qui "malgré un échange continu de corps, sera maintenue: donc l'Individu gardera, tant sous le rapport de la substance que sous celui de la manière, sa nature d'avant. CQFD" (même lemme).
L

Avatar du membre
Durtal
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 527
Enregistré le : 17 oct. 2006, 00:00

Messagepar Durtal » 28 sept. 2008, 00:10

Louisa a écrit :
Sescho a écrit :les modes n'ont pas d'être propre


et pourtant, Spinoza dit bel et bien que l'être de la substance ne constitue PAS l'essence d'un mode, l'essence de l'homme par exemple (E2P10).


De quoi il résulterait que l'essence de l'homme peut être et être conçue sans la substance. Ce qui serait tout de même un peu embêtant.

Ce n'est donc peut être pas pour rien que Spinoza n'écrit pas "l'être de la substance ne constitue pas l'essence de l'homme" mais exactement l'inverse" l'essence de l'homme ne constitue pas l'être de la substance", ou exprimé de façon un peu moins évasive, si tu veux bien: " à l'essence de l'homme n'appartient pas l'être de la substance" et non: "à l'être de la substance n'appartient pas l'essence de l'homme".

Partant, l'exploitation que tu fais de la définition du concept Spinoziste d'essence, est dans ce contexte tout à fait bizarre.

L'essence de l'homme appartient bien à l'essence de Dieu, sans elle en effet l'homme ne peut ni être ni se concevoir. Mais l'essence de Dieu n'appartient pas à l'essence de l'homme, car sans elle, la première peut être et peut se concevoir.
Et c'est tout ce que veut faire Spinoza en modifiant comme il le fait le concept d'essence: faire en sorte que ce soit l'essence de Dieu qui constitue l'essence de toute chose, sans pour autant que l'on en puisse en tirer la conséquence inverse: que les essences des choses constituent l'essence de Dieu. Et il n'entend certainement pas, par là, "autonomiser" l'essence des modes de celle de Dieu. Il veut dire que si Dieu n'appartient pas à l'essence des choses, c'est justement parce que l'essence des choses est entièrement et sans reste constituée par l'essence de Dieu, en d'autres termes parce que les choses n'ont pas "d'essence propre" en dehors de celle qui consiste à être des "actions" de Dieu. La véritable raison pour laquelle les choses finies ne constitue pas l'essence de Dieu, est qu'elles sont justement l'expression de cette essence, c'est à dire qu'elles en sont constituées. C'est parce qu'elles en sont constituées qu'elles ne le constituent pas. Et non parce qu'elle serait des choses "différentes" de Dieu, comme l'implique le modèle habituel (théologiquement parlant) du rapport du Créateur à ses créatures.

Pour exprimer la même chose de façon plus simple: étudier l'essence d'une chose finie, c'est simplement étudier l'essence infinie de Dieu sous un point de vue fini. Nulle pétition de principe ici: ce que je veux dire est que le "fini" n'est pas autre chose qu'un point de vu limité sur l'infini, en d'autre terme que le fini n'a d'existence réelle que pour le fini, c'est à dire tout simplement pas d'existence réelle, pas de "positivité".
Dieu est tous les point de vues, ce qui revient à dire qu'il n'en a aucun. La conséquence directe de ceci, est que Dieu ne peut pas concevoir de la finitude. La conception du fini ne peut être que le fait d'un esprit fini: un esprit infini ne conçoit que de l'infini. Par conséquent, plus votre esprit est parfait, et moins il perçoit la réalité sous son aspect "modal", c'est à dire plus il est apte à comprendre les chose hors des limites spatio-temporelles, qui sont les deux principaux paramètres modaux, à l'intérieur desquels vont venir s'inscrire tout le domaine du "fini". Mais Dieu ne conçoit les choses ni selon les lieux ni selon les temps.

Sescho ne fait que prendre au sérieux (et il a raison) l'énoncé selon lequel: "nulle chose ne peut ni être ni se concevoir sans Dieu". Ce qui implique si, encore une fois, on prend cette phrase au sérieux, et non (ce qui n'est pas vraiment le genre de la maison) comme une formule honorifique plus ou moins conventionnelle, que si l'on conçoit réellement (pas si nous "imaginons" hein) une chose quelconque, ce que nous concevons alors c'est Dieu et absolument rien d'autre.

Cela dit, peut être que je me sépare de lui (ou peut être pas: tout dépend de ce qu'il veut dire exactement) en ce que je pense, que les propriétés très particulières de ce que Spinoza appelle "l'activité" font en sorte que pour autant que nous agissons et comprenons la nature, nous sommes toujours plus et d'autant plus que nous faisons ces choses, des êtres singuliers, des êtres individuels et qui se distinguent des autres choses.

Toutes les objections qui t'ont été faites, Serge, tournent autour de l'idée qu'il est difficile d'admettre que nous n'avons pas d'essence distincte des autres choses. Autrement dit, la conscience intuitive de nos chers camarades proteste de toute ses forces contre la suggestion selon laquelle nous n'aurions pas plus de consistance que les "nuages" (je te hais au passage: si j'avais simplement pensé à l'exemple des nuages pour expliquer ce que je voulais dire à Louisa, j'aurais épargné à la fois mes propres forces, et à la fois la patience des lecteurs de ce forum)…. Or je pense que tu as parfaitement raison, MAIS pour autant que nous sommes soumis aux passions. Un homme qui vogue au grès de son imagination et de ses passions a le type d'identité (mutatis mutandis) qu'à un nuage, c'est à dire: pas d'identité . Mais ce que je trouve proprement génial dans le concept Spinoziste "d'activité" est qu'il va dans le sens, non pas d'un retrait ou d'une "autonomisation" vis à vis des causes extérieures (ce qui bien sur est totalement impossible) mais dans le sens inverse. C'est à dire: plus nous parvenons à nous unir "à l'extérieur", c'est à dire plus nous sortons de nous mêmes, et plus nous sommes individualisés (plus nous sommes réellement nous même), plus nôtre singularité tend à exprimer l'infini. J'espère, ces jours prochains, avoir le loisir d'étayer ce que je raconte sur des bases un peu plus "techniques", mais, même si je si je suis d'accord avec toi sur ce que tu racontes à propos de la "réalité" des modes, ( et je veux dire: vraiment pleinement d'accord), il faut affronter le paradoxe de la liberté de l'homme, qui suppose son individualité.

D.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 28 sept. 2008, 01:01

louisa:
et pourtant, Spinoza dit bel et bien que l'être de la substance ne constitue PAS l'essence d'un mode, l'essence de l'homme par exemple (E2P10).

Durtal:
De quoi il résulterait que l'essence de l'homme peut être et être conçue sans la substance. Ce qui serait tout de même un peu embêtant.


à mon avis, c'est précisément ce genre de conclusions qu'on tire d'habitude de la phrase que je viens de dire et que Spinoza veut dénoncer (voir scolie du corollaire E2P10). C'est pourtant assez logique, il me semble: si x ne constitue pas y, cela ne veut pas dire que x peut être et être conçu sans y. Y peut simplement être la cause de x, tout en ayant une autre essence que celle de x, tu vois?

Durtal a écrit :Ce n'est donc peut être pas pour rien que Spinoza n'écrit pas "l'être de la substance ne constitue pas l'essence de l'homme" mais exactement l'inverse" l'essence de l'homme ne constitue pas l'être de la substance",


je ne vois pas où Spinoza écrirait que "l'essence de l'homme ne constitue pas l'être de la substance". A mon sens il n'a pas besoin d'écrire cela puisque tout le monde est de toute façon d'accord là-dessus.

Par contre, il écrit bel et bien ceci, littéralement (E2P10 scolie): "c'est donc que, ce qui constitue la forme de l'homme, ce n'est pas l'être de la substance", ce qui est exactement ce que je viens d'écrire.

Dans le corollaire il s'explique davantage: si l'être de la substance ne constitue pas l'essence de l'homme, il faut bien que celle-ci soit constituée par autre chose. Par quoi? Par des "modifications précises des attributs de Dieu". En effet, ce qui constitue l'homme, c'est, dira-t-il plus tard, un corps et un esprit, soit, deux modes finis précis. Pas l'être même de la substance.

Durtal a écrit :ou exprimé de façon un peu moins évasive, si tu veux bien: " à l'essence de l'homme n'appartient pas l'être de la substance" et non: "à l'être de la substance n'appartient pas l'essence de l'homme".


encore une fois, Spinoza ne parle pas de la deuxième possibilité (qu'à l'être de la substance appartiendrait l'essence de l'homme), il ne la mentionne pas, il ne la réfute pas (sans doute parce que personne à l'époque ne soutenait une telle thèse). Je ne l'ai pas utilisé moi-même non plus.

Quant à la deuxième phrase, il la dit effectivement littéralement dans la démo du corollaire: "Car l'être de la substance n'appartient pas à l'essence de l'homme".

Or comme il le dit dans le scolie du corollaire, il a dû modifier la définition de l'essence (de l'homme ou de n'importe quelle chose "créée") précisément "parce que les choses singulières ne peuvent sans Dieu ni être ni se concevoir, ET POURTANT DIEU N'APPARTIENT PAS A LEUR ESSENCE". C'est ce "pourtant" qui est important ici. Il s'ensuit que c'était pour éviter qu'il n'y aurait aucune différence essentielle entre un attribut et l'un de ses modes que Spinoza a dû modifier la définition traditionnelle de l'essence, et que par conséquent un attribut et ses modes diffèrent bel et bien "selon l'être" (secundum essendi). C'est pourquoi un mode a bel et bien un être propre, différent de l'être de la substance.
A bientôt,
L.

Avatar du membre
Durtal
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 527
Enregistré le : 17 oct. 2006, 00:00

Messagepar Durtal » 28 sept. 2008, 01:37

Pfffffffffffff.....

Je ne sais plus quoi faire avec toi Louisa....

Oui je te répondrais, bien sûr, mais n'empêche.....

là je suis découragé.

D.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 28 sept. 2008, 01:49

:D

la tâche est peut-être moins difficile que tu ne le crains ... il ne faut pas forcément faire quelque chose avec moi, il suffit de donner l'un ou l'autre argument si tu crois déceler dans le message précédent quelque chose qui te semble être erronné ... :wink:
Pour citer notre cher Joseph: bon courage ..
L.

PS: à moins que tu voulais déjà retirer toi-même ton dernier message (voir cri adressé à Bardamu, dont je n'ai pas tout à fait compris le sens) et que tu étais dans l'idée que j'avais écrit le mien malgré cette rétractation, tandis que je l'avais posté plus ou moins au même temps... ??

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 28 sept. 2008, 03:08

Durtal a écrit :L'essence de l'homme appartient bien à l'essence de Dieu, sans elle en effet l'homme ne peut ni être ni se concevoir. Mais l'essence de Dieu n'appartient pas à l'essence de l'homme, car sans elle, la première peut être et peut se concevoir.


relisant ce que tu viens d'écrire afin de trouver ce qui a pu tellement te décourager dans ma réponse, je vois qu'effectivement, la façon dont tu interprètes notamment dans ce passage ci-dessus l'E2P10 fait qu'il va peut-être falloir reprendre les choses à un niveau plus profond que ce que je ne viens de dire. Or il me faut encore lire la deuxième partie de ton autre message, puis y répondre en détail ... donc il vaut peut-être mieux ne pas encore commencer à approfondir ce sujet-ci. Juste ceci donc.

Pour moi les deux phrases ci-dessus sont assez énigmatiques. Je les divise en 4 parties pour mieux pouvoir indiquer de quoi il s'agit. Tu dis:

"L'essence de l'homme appartient bien à l'essence de Dieu (A), sans elle en effet l'homme ne peut ni être ni se concevoir (B). Mais l'essence de Dieu n'appartient pas à l'essence de l'homme (C), car sans elle, la première peut être et peut se concevoir (D)."

1. AB
Tu dis "l'essence de l'homme appartient à l'essence de Dieu" (A). Sachant que ce qui appartient à une essence dans le spinozisme est ce sans quoi la chose ne peut être ET (ajout proprement spinoziste) ce qui sans la chose ne peut être, il faudrait en conclure que l'essence de Dieu ne pourrait être ni être conçu sans l'essence de tel ou tel mode (ce qui est absurde: l'essence de Dieu se conçoit "par soi", c'est-à-dire n'est constituée que par les attributs).

Or tu y ajoutes: CAR sans l'essence de Dieu "l'homme ne peut être ni se concevoir" (B). Ce qui n'est point ce qui fonde ta première phrase. Qu'un mode ne peut être ni se concevoir sans l'attribut donc sans Dieu est ce qui est déjà stipulé par la définition même d'un mode. Tandis que ta première phrase dit quelque chose de tout à fait différent, que jamais Spinoza ne dit ni ne prouve, et qu'il faudra donc argumenter avant de pouvoir en montrer l'éventuelle vérité (plus précisément, elle dit l'inverse: que Dieu ne peut se concevoir sans les modes).

2. CD
Tu dis:"l'essence de Dieu n'appartient pas à l'essence de l'homme" (C): là-dessus nous sommes d'accord. Or tenant compte de la définition de l'essence, cela signifie que ce qui constitue l'essence de l'homme ne peut être l'essence de Dieu (en effet, l'E2P10 dira que ce qui constitue les choses particulières, ce sont les modes), ce que dans ton dernier message tu contestes. Alors tu y ajoute: "sans l'essence de l'homme, l'essence de Dieu peut être et se concevoir" (D). Là-dessus, nous sommes également d'accord, mais ... D contredit littéralement ce qui suit de l'énoncé A, dès que l'on tient compte de la définition proprement spinoziste de l'essence. Et partant, je ne vois pas comment tu peux soutenir à la fois A et CD.
L.

Avatar du membre
Faun
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 421
Enregistré le : 25 oct. 2004, 00:00

Messagepar Faun » 28 sept. 2008, 11:32

Le concept d'impermanence ne peut pas s'appliquer à la philosophie de Spinoza, puisque ce qui caractérise les modes, et donc leur essence, ce qu'il sont, c'est précisément de durer indéfiniment :

"l'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'enveloppe pas un temps fini, mais indéfini."

"l'effort par lequel la chose existe n'enveloppe pas de temps défini ; mais au contraire, si aucune cause extérieure ne vient la détruire, par la même puissance qui fait que maintenant elle existe, elle continuera d'exister toujours, c'est donc que cet effort enveloppe un temps indéfini."

Proposition 8 partie 3 et sa démonstration.

Comment de cet effort continu et indéfini pour exister, qui est la définition même des modes (le conatus), pourrions nous tirer la propriété que les modes sont impermanents par nature ? Ils sont impermanents à cause d'autre chose, et si on met de coté ces choses, et que nous considérons un mode en soi, nous ne trouvons rien qui puisse le détruire, précisément parce que ce qui est cause de cette existence, c'est quelque chose qui existe nécessairement, autrement dit éternellement.

Donc dire que les modes ont comme propriété d'être impermanents, c'est absurde dans la philosophie de Spinoza.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 28 sept. 2008, 15:43

A Durtal
Nier en effet l'existence objective des couleurs ( ce que je fais) ce n'est pas nier celle des longueurs d'onde ( ce que je ne fais pas). Les couleurs sont des propriétés relationnelles, qui n'existent que dans les interactions entre une certaine longueur d'onde et un œil. Les ondes UV existent,


Ce n’est pas un argument qui s’intègre à l’ensemble de la problématique de l’individu ( développée dans votre long message )
Ce n’est donc pas un argument dans le corps de ce message ( et c’est pour ça que je l’ai relevé )
Je n’ai aucun autre commentaire à faire

hks


Retourner vers « L'ontologie spinoziste »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 65 invités