Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar hokousai » 09 oct. 2008, 16:45

comment obtenir un monothéisme si ce qui cause n'est pas ce qui constitue?


Dans le monothéisme Dieu est la cause de ce qui est constitué et qui est la création .Dieu est distingué de sa création .
Dans le spinozisme , non .
Dieu n'y est pas distinguable de sa création .

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Durtal
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Messagepar Durtal » 09 oct. 2008, 16:51

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Tu crois que "infini" ça veut dire "général" et à la limite que Dieu est une abstraction et non un être absolument singulier (c'est à dire: unique).


non, ce n'est pas ce que je crois. Si tu penses que cela se déduit néanmoins de ce que je viens d'écrire, pourrais-tu montrer comment, afin qu'on puisse comprendre où éventuellement je me trompe?
Merci,
L.



Sinon tu ne penserais pas que la résorption du fini dans l'infini efface la singularité d'une essence. Au contraire: plus mon essence exprime l'infini et plus elle est singulière et distincte des autres, plus elle est au sens où Dieu est, c'est à dire plus elle est singulière.


PS: Encore une fois d'accord avec Hokusai (Dingue pas vrai?). Et c'est pourquoi j'ai failli m'étrangler d'indignation lorsque, dans un message, précédent, tu prétendais que la thèse que je soutiens (et qui n'est d'ailleurs pas, à la différence de celle sur les "individus", la MIENNE mais celle de Spinoza) faisait intervenir le concept de "créature" et de l'être par analogie. C'est vraiment le monde à l'envers!!!! C'est toi qui défends, et sans avoir aucune conscience de ce que tu fais, un modèle création- créature, avec ton idée des choses finies ontologiquement distinctes de leur cause infinie, et la théorie de l'analogie avec l'idée que les choses ont un autre "être" que l'"être" de Dieu. Très évocateur du modèle que tu as en tête fut ton exemple "de toi cause des messages que tu écris", alors qu'un des plus gros efforts de Spinoza a été de construire le concept d'un Dieu qui ne produit pas, ainsi que Louisa, son message, les choses en dehors de lui même. Parce que ça c'est la doctrine standard de la création.
Modifié en dernier par Durtal le 09 oct. 2008, 17:08, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 09 oct. 2008, 17:03

Chère Louisa

Vous me demandez une preuve que les modes finis (par définition) sont infinis ( par intuition d’ hokousai )

Dans la lettre 12 à Louis Meyer / 20 avril 1663
Spinoza écrit ( après le dessin géométrique des cercles )

( je résume )
On voit clairement
1)Que certaines chose sont infinies par leur nature

2)Que certaines le sont par la vertu de la cause ( Que toutefois quand on les conçoit abstraitement elles peuvent être divisées en parties et être regardée comme finies )

3)Que certaines autres enfin peuvent être dites infinies ( ou indéfinies )
.

Où sont passés les modes finis ? Je vous le demande .

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Messagepar Enegoid » 09 oct. 2008, 20:09

1 Le visage et sa couleur (Durtal) : on voit bien que le visage est plus "important" que la couleur

2 L'eau et la houle (Seischo) : il y a l'eau et puis une houle un peu "évanescente"

Je propose la pâte à modeler (intelligente) qui se transforme elle-même en statue. Renversement : on voit la statue et la pâte à modeler-substance passe en arrière plan.

Appréhensions différentes de a vision spinozienne du monde, me semble-t-il. N'êtes vous pas d'accord (sur le fait qu'il s'agit d'appréhensions différentes )?

Et est-ce que c'est la question de savoir si il y a un seul ou une infinité d'êtres (chez Spi) qui doit permettre de trancher de l'adéquation de ces appréhensions ?

Il y a l'être de l'eau-substance et l'être de l'onde, l'être du visage-substance et l'être de la rougeur : deux êtres.


A Faun : Dieu sous forme de Faun est sur le point d'être mangé par Dieu sous forme de pensée bouddhiste. J'en suis sincèrement attristé : j'aimais bien vos interventions. Mais peut-être un surcroit de puissance ou de persévérance dans l'être...

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Messagepar sescho » 09 oct. 2008, 23:04

hokousai a écrit :Il me semble pourtant que la nature naturée si elle ne se déduit pas de la naturante , c’est que la déduction est inutile .

Une substance est antérieure à ses affections , certes , mais si de l’attribut il n’y a pas déduction (chez Spinoza ) c’est que les substances ,leurs attributs et leurs affections c’est la même chose ( prop 4 /1)

Je suis à la fois d'accord et pas d'accord, je m'explique :

D'abord Spinoza a une démarche rationnelle pour le moins forte, et ce sujet n'est pour le moins pas de ceux qui sont triviaux. Pour Spinoza l'ordre de l'entendement et l'ordre de la Nature sont les mêmes ; mais l'entendement de l'homme n'est pas celui de Dieu, et a même peu à voir avec. Dans ces conditions, il y a quelques carences : tout ne se déduit pas par simple conséquence, et certains "sauts analogiques" sont nécessaires.

Deuxièmement, et corrélativement, il fait bien lui-même la distinction, à de très nombreux endroits et ajoute de nombreux commentaires sur le sujet.

Troisièmement, il y a bien un problème de cohérence en premier examen : comment l'infini peut-il englober le fini - et par exemple comment l'étendue peut-elle être dite non composée de parties quand on ne voit que des corps ? Comment ce qui est passager peut-il être éternel - et par exemple comment la "face de l'univers" peut-elle être toujours la même tout en changeant d'une infinité de façons ? Etc. Il reste quand-même, comme vous l'avez fait remarquer vous-même, que nous avons une perception intuitive, immédiate, de la durée (du mouvement, et donc d'un avant et d'un après) ; or que la Nature n'est pas soumise à la durée, laquelle n'a trait qu'à l'existence des modes, mais que malgré cela ces modes appartiennent à cette même Nature, ce n'est pas facile à avaler... si l'on veut ne pas se bercer de rêves et donc garder un esprit ferme.

Ces contradictions premières sont certes dépassables, mais au prix d'un travail ardu, et qui suppose l'abandon de conséquences qui appartiennent pourtant au sens commun (par exemple, si je dis : "ce qui est temporaire n'est pas éternel.")

En suivant Spinoza nous devons dépasser cela, mais uniquement suivant l'ordre de l'entendement sain.

Certes les modes font partie de Dieu, mais pas de façon déductive, car ce n'est pas que la démonstration est inutile, c'est qu'il n'y en a pas :

Spinoza a écrit :Lettre 83 à Tschirnhaus (Juillet 1676) : Vous me demandez si du seul concept de l’étendue la variété des choses se peut déduire a priori. Non, certes, et je crois avoir déjà prouvé clairement que cela est impossible. C’est même pour cette raison que j’ai reproché à Descartes d’avoir défini la matière par l’étendue. Selon moi, il la faut expliquer par un attribut qui exprime une essence éternelle et infinie. Au surplus, j’espère avoir quelque jour l’occasion, si Dieu me prête vie, de traiter à fond avec vous cette matière, sur laquelle je n’ai pu rien mettre en ordre jusqu’à ce moment. ...

Si l'on doit bien comprendre ce passage au premier degré, il apparaît que les choses n'étaient même pas achevées pour Spinoza...

Mais laissons cela : il n'y a aucun lien logique. Le Mouvement ne se comprend que dans l'Etendue (c'est-à-dire : ne peut se comprendre sans l'Etendue, et ne peut non plus se comprendre en dehors de l'Etendue, par quelque part que ce soit.) L'Etendue sans forme est la seule chose qui se comprenne par soi ; se comprenant par soi, elle existe par soi et donc existe nécessairement, éternellement et de façon immuable. Le Mouvement n'est pas conçu par soi, mais il est éternel dans l'Etendue. Au Dieu substance s'adjoint ce qui n'est pas une substance mais ne peut être conçu en dehors de la première, et qui doit donc être vu comme un mode de "manifestation" de celle-ci (autrement dit : en aucun cas en dehors de cette substance ; c'est la causalité immanente.) Voilà que l'esprit a trouvé la voie claire, tout en abandonnant le sens commun : il n'y a pas de déduction immédiate, de conséquence directe, mais au final ce qui ne se conçoit pas par soi ne peut être conçu que dans ce qui se conçoit par soi, comme le concept de Dieu impose une conception par soi, lui qui n'est soumis à rien.

Spinoza, entre bien d'autres passages, a écrit :PM1Ch3 : La nécessité mise dans les choses créées est relative ou à leur essence ou à leur existence, mais en Dieu les deux choses ne se distinguent pas. – 3° Il faut noter enfin que cette sorte de nécessité qui est dans les choses créées par la force de leur cause peut être relative ou à leur essence ou à leur existence ; car, dans les choses créées, elles se distinguent l’une de l’autre. L’essence dépend des seules lois éternelles de la Nature, l’existence de la succession et de l’ordre des causes. Mais en Dieu de qui l’essence ne se distingue pas de l’existence, la nécessité de l’essence ne se distingue pas non plus de la nécessité de l’existence...

CTApp1 (sur la substance) : IVDm : La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle.

E1P8S2 : ... Si les hommes étaient attentifs à la nature de la substance, ils ne douteraient en aucune façon de la vérité de la Propos. 7 ; bien plus, elle serait pour tous un axiome, et on la compterait parmi les notions communes de la raison. Par substance, en effet, on entendrait ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont l’idée n’a besoin de l’idée d’aucune autre chose ; par modification, au contraire, ce qui est dans une autre chose, et dont le concept se forme par le concept de cette chose. Et de là vient que nous pouvons nous former des idées vraies de certaines modifications qui n’existent pas ; car, bien qu’elles n’aient pas d’existence actuelle hors de l’entendement, leur essence est contenue dans une autre nature de telle façon qu’on les peut concevoir par elle. Au lieu que la substance, étant conçue par soi, n’a, hors de l’entendement, de vérité qu’en soi. ...

Les modes finis (les corps en tout cas) se comprennent beaucoup plus directement intuitivement ensuite à partir du Mouvement : ils sont un jeu de lois du Mouvement dans les attributs (l'Etendue en tout cas.)

Les essences des modes sont éternelles en tant que contenues dans l'Entendement infini par lequel Dieu se connait lui-même ainsi que ses affections. L'être en puissance et néanmoins réel dans l'Etendue - en tant qu'étendue, donc - est vraiment inacceptable à l'entendement, mais que le mouvement porte en lui-même, lui qui est éternel, tous les modes qui en découlent sans fin, voilà qui est néanmoins parfaitement acceptable selon moi.

En fait, vers où qu'on se tourne on trouve de l'éternel, alors même que les modes finis passent, sans pour autant que nous puissions ignorer qu'ils passent : les deux plans sont toujours présents. Mais la sagesse voit surtout le plan de l'éternel, plus que le plan commun ; c'est cela la lumière de l'entendement.

Donc tout est bien en Dieu et à ce titre relève de l'éternel. Mais tout ne se conclut pas là : c'est dans l'Entendement divin que les essences sont éternelles, pas en tant qu'essences actualisées dans le monde physique. Du saut quantique de la substance vers ses manifestations, est perdue l'existence contenue dans l'essence de la première (pour le Mouvement c'est assez secondaire) : pour les modes finis, l'essence est une chose et l'existence une autre, quoique toutes deux soient de Dieu ; c'est pourquoi plusieurs individus ayant la même essence, ou peu s'en faut, peuvent coexister en nombre divers... L'éternité, ce sont les essences d'une part et l'existence en général d'autre part, pas l'actualisation de l'essence dans l'actualité, sauf en Dieu, et en Dieu seul. L'ordre modal existant comprend l'impermanence et l'interdépendance, et les modes n'existent pas par eux-mêmes mais par autre chose ; ils ne peuvent pas être conçus par eux-mêmes. Il n'y a pas de formes substantielles.

Spinoza a écrit :Lettre 12 à Meyer : ... nous concevons l’existence de la substance comme entièrement différente de celle des modes. Et de là vient la distinction de l’éternité et de la durée ; car il n’y a que l’existence des modes qui tombe dans la durée ; celle de la substance est dans l’éternité, je veux dire qu’elle consiste dans une possession infinie de l’être (essendi). ...


Serge

P.S. Comme je l'ai déjà dit, il ne s'agit pas pour moi de discuter d'un Moi vu confusément, mais d'un Moi ferme, celui qui appartient au sage spinozien ; celui, donc, qui est conçu clairement et distinctement. Sinon on peut très bien parler d'un Moi en tant qu'imaginant, et par là nécessairement confus et imaginaire - autrement dit de la conception de l'immense majorité de l'humanité, mais ce n'est pas mon sujet ici.

P.S.2 : quoique je ne me prenne pas pour un sage spinozien, je conçois assez clairement la connaissance du troisième genre pour en parler : voir une chose, antérieurement déduite (éventuellement), par perception directe, non verbalisée, dans le monde physique, c'est quelque chose que je vis régulièrement (même à défaut d'être parfaitement juste, cela en indique au moins le mécanisme.)
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Messagepar bardamu » 09 oct. 2008, 23:26

sescho a écrit :(...) L'éternité, ce sont les essences d'une part et l'existence en général d'autre part, pas l'actualisation de l'essence dans l'actualité, sauf en Dieu, et en Dieu seul. (...)

Salut,
il y a des trucs qui me gênent dans ce que tu dis. J'espère pouvoir y revenir demain. Ca tournera autour de ceci :

E4 déf.8 : Vertu et puissance, à mes yeux, c'est tout un ; en d'autres termes (par la Propos. 7, part. 3), la vertu, c'est l'essence même ou la nature de l'homme, en tant qu'il a la puissance de faire certaines choses qui se peuvent concevoir par les seules lois de sa nature elle-même

E5p23 scolie : Cette idée qui exprime l'essence du corps sous le caractère de l'éternité est, comme nous l'avons dit, un mode déterminé de la pensée qui se rapporte à l'essence de l'âme et qui est nécessairement éternel.

Traité Politique, chap. 2 : chaque être a naturellement autant de droit qu’il a de puissance pour exister et pour agir. En effet, cette puissance n’est autre que la puissance même de Dieu, laquelle est absolument libre.

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Messagepar hokousai » 09 oct. 2008, 23:49

cher Serge


Vous dites maintenant
Certes les modes font partie de Dieu, mais pas de façon déductive, car ce n'est pas que la démonstration est inutile, c'est qu'il n'y en a pas


On est d’accord
………………………………………………………………………………

Je reprends ce que vous disiez le 08/10/2008 22:36
Il n’y a pas de lien logique entre la Nature naturante et la Nature naturée ; la seconde ne se déduit pas de la première ; en revanche, elle est impensable sans la première, qui, elle, est pensable en soi. C’est par une causalité non logique que le Mouvement, par exemple, est un effet de l’Etendue, mais « de toute éternité. »


Spinoza dit c’est la même chose .

Mais j’estime que la maturée est pensable sans la naturante et dans ce cas on est d’ abord pas Spinoziste ensuite on est athée .Athée au sens où n’ existe que la nature naturée (on est naturaliste si vous voulez )

Spinoza place la substance comme antérieure à ses affections parce qu’il pose la substance comme conceptualisable sans aucun secours , ce qui est originé dans la définition 3 définition non pas d’une rationalité forte mais dune abstraction forte .
D' une abstraction si forte qu’ on a là dès le début un problème crucial : le concept qui n’a pas besoin du concept d’autre chose pour être formé réclame dès la définition suivante celui d’ attribut quand ce n’est pas celui d’essence .

Alors au final (puisque vous dites au final , alors que je dirais dès le début) c’est l’inverse de ce que vous écrivez
« au début ce qui se conçoit par soi ne peut être conçu que dans et par ce qui ne se conçoit par soi » .
Qu’en pensez vous ?
…………………………………………………………

PS ce n’est pas la question du fil je sais , mais je ne peux que rarement me plier au sujet des fils , je ne vais pas non plus en ouvrir un à chaque fois qu’une propositions m’interpelle.

hokousai

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Messagepar Louisa » 10 oct. 2008, 02:42

Durtal a écrit :1) de ce que le terme de "moi" ne se trouve pas dans le corpus de l'éthique, ne s'en suit pas que la chose n'y soit pas.


tout à fait d'accord. Mais alors il faut commencer à définir "la chose". Or il n'y a pas de définition du "moi" sur lequel aujourd'hui tout le monde est d'accord. On peut donc tout aussi bien dire que le moi, c'est l'ensemble des désirs inconscients, réfoulés car trop "inadéquates", que que le moi, c'est l'ensemble de tout ce qui est éternel en nous, donc surtout pas toutes nos idées inadéquates. Il me semble que vous préférez d'abord cette deuxième hypothèse, et l'injectez ensuite chez Spinoza. Mais je ne vois pas ce qui justifie le choix pour cette hypothèse en tant que telle, puis je ne vois pas très bien non plus sur quels passages de Spinoza se baser pour lui faire dire cela.

Certes, on pourrait rappeler que Spinoza dit tout de même que "nous" ne sommes que causes partielles de nos idées inadéquates. Est-ce de là que vous déduisez que dès lors mes idées inadéquates, cela ne peut pas être "moi" ... ? Si oui, je l'ai pensé assez longtemps moi-même aussi (on pourra donc sans doute trouver des messages à moi sur ce forum où je dis "oui mais les Passions, ce n'est pas ce qui me caractérise moi, je ne me définis que par mes Actions"). Mais aujourd'hui j'en suis moins convaincue. Je crois qu'il s'agit de nouveau d'une confusion de cause et effet. En effet, nous ne sommes que causes partielles de nos idées inadéquates. Mais ces idées n'en constituent pas moins notre esprit à nous (effet), et même l'ESSENCE de notre Esprit. Et partant, je commence à penser qu'il faudra néanmoins inclure les idées inadéquates dans notre essence. Si alors on essaie d'identifier le "moi" à l'un de ses caractéristiques que l'on retrouve dans le spinozisme, la singularité, le "moi" serait l'essence singulière d'une chose. Et aussi longtemps que la chose existe dans la durée, cette essence contient aussi bien des idées adéquates qu'inadéquates. Je ne suis qu'à moitié "responsable" de mes idées inadéquates (vu que je n'en suis la cause que partiellement), mais je ne suis pas moins mes idées inadéquates que mes idées adéquates.

a) Spinoza a la particularité d'introduire très souvent ses définitions par "J'entends"= "Moi" Baruch de Spinoza j'appelle ceci: cela. Et il n'y a rien de fortuit là dedans seul celui qui est libre sait ce qu'il dit quand il dit "moi":


s'il voulait vraiment parler de lui-même en tant que "moi", il aurait dû écrire ego entendo. Il ne l'a pas fait. Sachant que le latin laisse le choix entre activement insérer la référence au sujet, et juste utiliser le verbe (la personne s'indique tout aussi bien par la forme du verbe seul), le fait qu'il n'ajoute pas de ego aux formules (d'ailleurs rares; il écrit plus en 1e personne plurielle, et de nouveau sans ajouter un nos) ferait à mon sens plutôt pencher pour l'idée qu'il n'y aucune référence à un "moi" précis. Ce n'est pas l'ego de Spinoza qui est important dans ces définitions, c'est plutôt le fait que le lecteur doit tenir compte du sens des mots tels qu'ils sont définis dans ce livre-ci, s'il veut comprendre de quoi ce livre parle. Idem en ce qui concerne d'autres livres écrits more geometrico, comme Les éléments d'Euclide: les définitions ne suggèrent pas qu'il y aurait un "moi", un "sujet" etc. qui aurait "librement" choisi de définir ceci ainsi etc. Les définitions sont purement pragmatiques, nécessaires pour savoir de quoi on parle quand on rencontre tel ou tel mot, sans plus.

Bref, dire qu'il y a une philosophie du moi dans le spinozisme parce qu'il écrit les verbes par lesquels il commence les définitions en première personne singulier me semble plutôt relever d'une décision de la part du commentateur que de se baser déjà dans le texte même.

Durtal a écrit :
2) Et ce que tu racontes dans le passage ci dessous reproduit est pendable

"et que lorsqu'il parle de l'essence même de notre Esprit, il ne le trouve pas du tout problématique d'y inclure nos imaginations, exactement au même titre que nos idées adéquates".

Pourquoi? Il suffit de RELIRE le corollaire de E2p11 ou Spinoza explique dans quelles conditions l'esprit humain est dit avoir des idées inadéquates ou confuses:

Spinoza a écrit:
"(...)et quand nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non seulement en tant qu'il constitue la Nature de l'esprit humain, mais en tant qu'il a en même temps l'Esprit Humain également l'idée d'une autre chose , alors nous disons que l'Esprit humain perçoit une chose en partie, autrement dit de manière inadéquate".


Par où il appert que par définition les idées inadéquates impliquent un confusion de notre esprit avec un autre, autrement dit un état du monde mental tel qu'une seule nature (la mienne par exemple) n'est pas en jeu, mais plusieurs qui sont partiellement confondues entre elles .


rappelons qu'on n'était pas du tout d'accord quant à la compréhension de ce corollaire, et que pour l'instant ni toi, ni moi n'avons trouvé les arguments convaincants permettant de trancher.

Par exemple, lorsque nous avons une idée inadéquate, l'idée enveloppe la nature du corps extérieur. Mais cette idée, elle n'est nulle part ailleurs que dans MON Esprit à moi! Puis si on suit ton raisonnement, il suffirait d'avoir des idées inadéquates pour "s'unir" à la nature entière (puisqu'elles effacerait toute frontière entre mon Esprit et l'esprit des corps extérieur), là où Spinoza dit très clairement que la seule façon de nous unir mentalement à la nature, c'est par les idées adéquates. Les idées inadéquates en revanche nous "éloignent" du monde qui nous entoure, puisqu'elles indiquent avant tout l'état de notre corps à nous, et non pas la nature du corps extérieur. Etre conscient des choses, cela n'est possible qu'en ayant une idée adéquate. L'idée inadéquate au contraire ne nous unit quasiment pas au monde, puisqu'elle dit avant tout quelque chose de notre corps à nous. (Si de nouveau tu trouves tout ce que j'écris ici révoltant, il suffit de le dire, et j'y ajoute les références exactes - car je ne fais quasiment rien d'autre ici que citer littéralement Spinoza).

Durtal a écrit :2) Et ce que tu racontes dans le passage ci dessous reproduit est pendable

"et que lorsqu'il parle de l'essence même de notre Esprit, il ne le trouve pas du tout problématique d'y inclure nos imaginations, exactement au même titre que nos idées adéquates".

Pourquoi?


E3P7:

"L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates (...)".

C'est aussi une des raisons pour lesquelles cela ne peut PAS être l'essence de Dieu qui constitue l'essence de notre Esprit, puisque Dieu n'a pas d'idées inadéquates .. .

Durtal a écrit :Il suit de cela que bien que dans l'esprit humain il y ait des idées inadéquates, ce qui caractérisera la nature de cet esprit, c'est à dire ce qu'il est lui et ce qu'il peut lui ce seront les idées adéquates seules, et certainement pas les idées inadéquates. Puisque les idées inadéquates impliquent toujours la caractérisation d'un autre esprit que lui en même temps que lui et donc ne posent pas ce qui dérive de sa puissance seule, et par conséquent on ne pourra non plus définir sa nature par elles.


le rapport entre les termes "nature" et "essence" est fort compliqué chez Spinoza. C'est pourquoi je n'ai parler que d'essence. Il ne dit rien, pour autant que je sache, quant à la relation nature humaine - idées inadéquates. Par contre, il DEMONTRE l'idée que les idées inadéquates CONSTITUENT l'essence même de mon Esprit ... .

louisa:
Spinoza a écrit:
L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates, et par suite, tant en tant qu'il a les unes qu'en tant qu'il a les autres, il s'efforce de persévérer dans son être (...) .

Durtal:
Très belle citation, mais les idées inadéquates sont des passions de l'esprit et les idées adéquates des actions de l'esprit. Or ce qui définit la nature ou l'essence d'une chose est ce par quoi elle agit (l'essence pose ce que peut la chose et non ce qu'elle ne peut pas). Par conséquent il ne faut pas comprendre cette formule comme si il y avait une chose, l'esprit comme un "cadre" neutre et vide qui contiendrait la juxtaposition de deux items: les idées adéquates et les idées inadéquates. Mais comme quelque chose qui décrit une dynamique, un procès: la tendance à l'individuation et à l'affirmation de soi (idées inadéquates) en permanence contrarié par une tendance inverse à la désindividualisation, la perte de soi dans les autres choses (idées inadéquates).


ok, mais tout ce raisonnement est basé sur ce que tu viens de dire ci-dessus, c'est-à-dire sur ta façon d'interpréter l'E2P11 cor.: il dépend entièrement de l'idée que notre esprit peut "se confondre" avec les autres esprits, et que ce genre d'union avec la Nature ne se fait que dans le cas des idées inadéquates. Or je ne vois pas comment fonder cela dans les textes. Pour Spinoza on ne peut se lier à ce qui est extérieur à nous que par le biais d'idées adéquates. Prenons par exemple l'E4 ch.XII: "Il est avant tout utile aux hommes de nouer des relations, et de s'enchaîner de ces liens par lesquels ils fassent d'eux tous un seul, plus apte, et, absolument parlant, de faire ce qui contribue affermir les amitiés". Or ce qui contribue à l'amitié, cela naît des idées adéquates, et surtout pas des idées inadéquates.

Durtal a écrit : L'essence de l'esprit humain est non pas un complexe figé et défini d'idées inadéquates et inadéquates, mais un optimum ou un équilibre (une loi de variation) entre adéquation et inadéquation.


une définition doit nous dire ce qu'est l'essence d'une chose. Or Spinoza dit que l'essence de l'Esprit est constituée d'idées inadéquates et adéquates. Dès lors, comment NE PAS définir l'essence de l'Esprit par les deux ... ?
Bien sûr, aussi longtemps que cette essence existe dans le temps, elle varie, ce qui ne signifie rien d'autre que le fait qu'elle acquièrt des idées adéquates et inadéquates.
Si en revanche tu pars de l'idée d'un "optimum" entre les deux pour définir l'essence de tel ou tel homme (ainsi que le font pas mal de commentateurs), on tombe immédiatement, me semble-t-il, dans l'idée d'une essence "virtuelle" qui peut être plus ou moins actualisée. Or Spinoza dit très vite qu'il n'y a aucune virtualité chez lui, tout est actuel. C'est pourquoi il n'y a pas de "norme", de "moi" qui cherche à se réaliser, il y a à chaque moment une essence ayant tel ou tel degré de puissance, et c'est tout.

Durtal a écrit : Il est en perpétuelle redéfinition de lui même parce que le mode de la pensée qui constitue l'esprit humain est en permanence affecté par d'autres modes de la pensée, tout comme le mode qui constitue le corps humain est en permanence affecté par d'autres modes de l'étendu.


en effet, tout à fait d'accord.

Durtal a écrit :Tu penses l'esprit comme un univers clos sur lui même, et "dans lequel" il y a des trucs: voilà on compte ce qu'il y a dedans et c'est ça "l'essence de l'esprit". Mais ça ne fonctionne pas comme ça, l'esprit est un rapport d'idée adéquates et d'idées inadéquates, qui toutes in fine expriment évidemment et uniquement l'activité pensante de DIEU.


je ne vois pas pourquoi tu m'attribues une telle idée. Rappelons que c'est moi qui ai repris la citation de Spinoza où il dit que l'essence de l'Esprit se constitue aussi bien des idées inadéquates que des idées adéquates. Pour pouvoir penser cette fluctuation dans le temps, il FAUT ne pas définir le "moi" par les idées adéquates seules, comme vous le faites, car celles-ci sont éternelles, donc ne changent pas.
Autrement dit: comme j'ai mentionné déjà ci-dessus, c'est PARCE QUE l'Esprit est un rapport, une proportion entre idées adéquates et inadéquates, que la sagesse se définit par une majorité relative d'idées adéquates, et non pas par l'érudition, par exemple.

Durtal a écrit :Et plus les conditions dans lesquelles la pensée humaine se forme sont proches des conditions dans lesquelles Dieu forme les idées de toutes les choses et plus l'esprit humain est conscient de soi, de Dieu et des autres choses. Plus il agit conduit par une "libre nécessité" qui n'est autre que la façon dont Dieu se pense lui même.


je dirais: lui-même en tant qu'il s'explique par tel ou tel mode, et non pas lui-même en tant qu'essence divine?
L.

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Messagepar Louisa » 10 oct. 2008, 03:00

Sescho a écrit :L'ordre modal existant comprend l'impermanence et l'interdépendance, et les modes n'existent pas par eux-mêmes mais par autre chose ; ils ne peuvent pas être conçus par eux-mêmes. Il n'y a pas de formes substantielles.


n'oublions pas l'E2P8: "Les idées des choses singulières, autrement dit des manières/modes, qui n'existent pas, doivent être incluses dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières/modes, sont contenues dans les attributs de Dieu."

L'impermanence ne se produit que du point de vue du temps, et SEULEMENT ce point de vue (= point de vue de l'imagination ... !!) permet de considérer les choses comment existant ou non dans un temps et un lieu précis. D'un autre point de vue, celui de l'existence nécessaire ou éternité, chaque mode, et donc aussi notre Esprit, est éternel, existe éternellement en Dieu, et en Dieu il n'y a PAS d'impermanence. L'impermanence est une "illusion" propre au point de vue modal. Elle disparaît dès que nous considérons les choses sub specie aeternitatis, c'est-à-dire comme existant en Dieu.

Pour moi c'est cela toute l'originalité du spinozisme: ce qui n'existe pas par lui-même mais que par quelque chose d'autre, existe tout aussi nécessairement que ce qui existe par lui-même. C'est pourquoi les idées adéquates sont des modes finis mais éternels. C'est pourquoi aussi Hegel était déjà en train de lire Hegel quand il dit que chez Spinoza, le monde disparaît, il n'y a plus de mode fini, il n'y a que l'infini ... .
L.
Modifié en dernier par Louisa le 10 oct. 2008, 03:28, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 10 oct. 2008, 03:12

Durtal a écrit :
Vieordinaire a écrit :

Louisa a écrit :Durtal a écrit:

Spinoza n'a jamais dit que tous les hommes avaient la même aptitude à se servir de leur raison et qu'ils étaient tous également capable de comprendre correctement les mêmes choses.

louisa:
pour autant que je sache, il dit même l'inverse: la puissance de penser définit l'essence même d'une chose singulière, et par conséquent est toujorurs différente de celles des autres.


Je dois dire ici que le point de Durtal est assez clair et je n'ai aucune idee de la pertinence ou rapport de la reponse de Louisa ??? Je me demande si parfois elle ne lit nos posts pas un peu trop vite ...


C'est juste un non sequitur: tout le monde n'a pas la même puissance de penser voilà tout. Donc en effet cet argument n'en est pas un.


mais non, ce n'était pas un argument du tout ... .

Je reprends. Tu dis que chez Spinoza les hommes ne sont pas tous capables de comprendre correctement les mêmes choses, que certains se servent plus de leur raison que d'autres. Cela implique nécessairement que la puissance de penser de l'un est plus ou moins grande que celle de l'autre.

Autrement dit, je n'ai rien fait d'autre que reformuler ce que tu viens de dire. J'ai dit 1) que je suis d'accord avec ce que tu dis, et 2) que tu aurais pu déduire cela toi-même de ce que j'ai déjà écrit, puisque si l'on dit que la puissance de penser toujours est une question de degré, a fortiori il faut dire que tel homme comprend par définition mieux que tel autre. Il est évident que cela ne se DEDUIT pas de ton énoncé. J'ai juste dit que ce que j'ai déjà écrit moi-même va plus loin que ce que tu viens de dire, et donc bien sûr part déjà de la même idée. C'était donc juste une façon de dire que nous sommes bel et bien d'accord sur ce que tu dis ... .

Ou plus formellement:
- tu dis que jamais Spinoza ne dit x
- je réponds qu'il dit même l'inverse, c'est-à-dire non x. Ce qui implique que je suis d'accord avec toi (en effet, Spinoza ne défend pas l'idée x), mais ce qui implique aussi que la thèse que je défends est plus "exigeante" que la tienne, puisque je soutiens qu'il prétend l'inverse (que Spinoza défend la vérité de non x). Et cela, je ne l'ai PAS argumenté ici, je l'ai fait avant, dans d'autres messages, que je ne voulais pas reprendre aussi longtemps que quelqu'un ne me le demande pas.
L.

PS à Hokousai et Vieordinaire: je réponds à vos derniers messages sous peu (mon problème de PC est enfin résolu, mais je suis encore occupée à rattraper le retard ...).


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