Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 25 sept. 2008, 18:19

Bonjour,
Avant que de revenir plus tard, après avoir travaillé le sujet, sur le problème du "saut technologique" (car je suis loin d'avoir une lecture "animiste" de Spinoza), je fais retour au sujet d'origine de la présente suite.
[quote=nepart a écrit :]Moi qui espérais avoir une réponse à mon interrogation en voyant tout ces nouveau messages [/quote]
Reprenant le I de E3 "Définition des affects", aux termes duquel : "le Désir est l'essence même de l'homme, en tant qu'on la conçoit comme déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose", je poursuis dans l'explication et lis :"....mais de cette définition (par la Proposition 23 partie 2) il ne suivrait pas que l'Esprit puisse être conscient de son Désir ou Appétit. Donc, pour envelopper la cause de cette conscience, il a fallu (par la même Proposition) ajouter, en tant qu'on la conçoit comme déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle même, etc."
Aux termes de E2-XXIII, l'Esprit ne se connaît pas lui-même, si ce n'est en tant qu'il perçoit les idées des affections des corps.
De la lecture combinée de ces deux ensembles (allégés de leurs détails explicatifs internes), je tire la conclusion que pour Spinoza, le MOI (en tant que j'ai conscience de MOI) est, au même titre que la volonté et l'entendement (voir le scolie important de E2-XLIX) un "étant universel", à savoir l'idée par laquelle nous expliquons tous les actes de conscience singuliers de l'individu que nous sommes (qu'il s'agisse d'actes de conscience relevant de l'Etendue - Aïe ça brûle - que de ceux relevant de la Pensée - 2+2 = 4).
D'une certaine manière, pour ne pas dire d'une manière certaine, et sans faire référence au développement neuropsychique du nourrisson qui témoigne néanmoins d'un processus apparenté, notre expérience personnelle réelle n'est-elle pas celle-là ? Par exemple, pour qui comme moi fait de la course à pied de longue distance depuis longtemps, il est évident que mon sentiment du moi coureur est une "reconstruction" tout à fait consciente des capacités totalement différentes mises en oeuvre au fil des ans, et par conséquent de mes actes de conscience de coureur comparatifs cumulées. N'en est-il pas de même de tout le reste ?
Spinoza ayant lui-même fort justement assuré, au travers par exemple des lemmes IV, V et VI, la permanence de l'intégrité d'un individu dans le temps (dans la mesure où, par construction, les événements auxquels se réfèrent ces lemmes s'inscrivent obligatoirement dans la durée), je ne vois pas qu'il y ait matière à trouver discordance, sauf peut-être à expliquer (ce que je n'ai pas trouvé) la continuité de rattachement temporel au même "étant universel" qu'est mon MOI, l'association d'idées évoquée par le rapprochement combiné de E2XVIII et E3XIV ne parlant que de l'affection simultanée par deux corps à la fois (alors qu'il s'agit ici du rattachement au même Corps que je suis de deux actes de conscience distincts).
Dans ce contexte de lecture, enfin, je reste interrogatif sur la phrase suivante de l'explication du I de E3 "Définition des affects", que je ne comprends pas du tout, à savoir : "Car par affection de l'essence humaine nous entendons n'importe quel état de cette essence, qu'il soit inné, qu'il se conçoive par le seul attribut de la Pensée, ou par le seul attribut de l'Etendue, ou enfin qu'il se rapporte en même temps à l'un et à l'autre de ces attributs."
Que peut contenir et à quoi peut mener cette notion d'affection = état inné. Est-ce à dire, par exemple, que contrairement à ce qui ressort de mon analyse ci-dessus, il serait possible d'envisager une affection (correspondant à un état inné donc permanent chez l'individu concerné) dont l'idée dans l'Esprit, donc la conscience, perpétuelle, correspondrait à celle du MOI. Avec toutes les conséquences qu'enfourcherait Descartes pour son plus vif plaisir.
Amicalement

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Louisa
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Messagepar Louisa » 25 sept. 2008, 18:50

Sinusix a écrit :Avant que de revenir plus tard, après avoir travaillé le sujet, sur le problème du "saut technologique" (car je suis loin d'avoir une lecture "animiste" de Spinoza), je fais retour au sujet d'origine de la présente suite.
[quote=nepart a écrit :]Moi qui espérais avoir une réponse à mon interrogation en voyant tout ces nouveau messages


Bonjour Sinusix,
juste pour info: pour qu'apparaisse le texte "Nepart a écrit" dans le corps du message (et sans qu'on voie les codes), il ne faut PAS écrire soi-même ce texte, mais remplacer [quote=nepart a écrit:] par ceci (en omettant les espaces):

[ q u o t e = " n e p a r t " ]

Si tu écris ceci SANS les espaces, le texte "Nepart a écrit" ensemble avec le cadre du passage cité apparaîtra, et les codes disparaîtront, mais cela seulement une fois que tu as envoyé ton message (et également lors de la prévisualisation), et non pas au moment de l'écriture même.

Sinusix a écrit :Reprenant le I de E3 "Définition des affects", aux termes duquel : "le Désir est l'essence même de l'homme, en tant qu'on la conçoit comme déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose", je poursuis dans l'explication et lis :"....mais de cette définition (par la Proposition 23 partie 2) il ne suivrait pas que l'Esprit puisse être conscient de son Désir ou Appétit. Donc, pour envelopper la cause de cette conscience, il a fallu (par la même Proposition) ajouter, en tant qu'on la conçoit comme déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle même, etc."
Aux termes de E2-XXIII, l'Esprit ne se connaît pas lui-même, si ce n'est en tant qu'il perçoit les idées des affections des corps.
De la lecture combinée de ces deux ensembles (allégés de leurs détails explicatifs internes), je tire la conclusion que pour Spinoza, le MOI (en tant que j'ai conscience de MOI) est, au même titre que la volonté et l'entendement (voir le scolie important de E2-XLIX) un "étant universel", à savoir l'idée par laquelle nous expliquons tous les actes de conscience singuliers de l'individu que nous sommes (qu'il s'agisse d'actes de conscience relevant de l'Etendue - Aïe ça brûle - que de ceux relevant de la Pensée - 2+2 = 4).


pourrais-tu expliquer davantage sur quoi tu te bases pour tirer cette conclusion?

C'est que pour l'instant, j'aurais tendance à penser qu'elle est erronée. Certes, Spinoza ne parle jamais d'un "moi". Mais cela ne fait pas encore de mon Esprit une "abstraction", comme l'est tout étant universel. Mon Esprit est une idée, et donc un mode singulier de l'attribut de la Pensée. Il se fait que cette idée est non pas simple, mais composée d'un très grand nombre d'autres idées. Ces idées "constituent" l'idée qu'est mon Esprit. Mais pour cette raison même, mon Esprit existe réellement, dans sa singularité à lui, au lieu de n'être qu'un être de raison ou une abstraction qui n'existe pas réellement. Autrement dit: mon Esprit est singulier, et non pas universel.

Sinusix a écrit :D'une certaine manière, pour ne pas dire d'une manière certaine, et sans faire référence au développement neuropsychique du nourrisson qui témoigne néanmoins d'un processus apparenté, notre expérience personnelle réelle n'est-elle pas celle-là ? Par exemple, pour qui comme moi fait de la course à pied de longue distance depuis longtemps, il est évident que mon sentiment du moi coureur est une "reconstruction" tout à fait consciente des capacités totalement différentes mises en oeuvre au fil des ans, et par conséquent de mes actes de conscience de coureur comparatifs cumulées. N'en est-il pas de même de tout le reste ?


on pourrait effectivement essayer de penser les choses ainsi, mais je crois que chez Spinoza il s'agit davantage d'une "composition" que d'une "reconstruction". Mon Esprit est composée des différentes idées des affections qu'il a et qu'il a eu dans le passé. Dès qu'il y a une affection du Corps qui ne me détruit pas (moi = la chose singulière que je suis), cette affection laisse une "trace" dans mon Corps, dont mon Esprit forme une idée. Cette idée constitue l'idée composée qu'est mon Esprit, au même titre que les idées qu'il a eu auparavant. Je ne vois pas très bien en quoi il devrait y avoir une quelconque "reconstruction" à ce niveau-là?
Amicalement,
L.

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Durtal
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Messagepar Durtal » 26 sept. 2008, 15:17

Louisa, voici ma réponse. C'est horriblement long, et je m'en excuse. Mais à vaste question, vaste réponse…

Louisa a écrit :N'empêche que l'affection qu'elle subit est bel et bien SON affection à elle, et l'idée de cette affection (idée confuse) n'existe que dans son esprit à elle. Que cette idée enveloppe la nature des deux causes (la nature de la chose affectée et la nature du corps extérieur qui l'affecte) n'efface pas la différence entre les deux natures, qui restent chacune tout aussi individualisée qu'avant. Ce n'est que dans l'idée confuse que l'esprit de la chose affectée a de son affection que les frontières entre les deux natures sont brouillées, mais non pas en réalité.


Je ne suis pas d'accord avec ceci pour commencer. Si un corps en affecte un autre, d'une affection qui est une passion, le corps affecté perd de son individualité à mesure et pour autant qu'il est affecté. Pourquoi? Parce que le corps affectant, à l'égard du corps affecté tend à faire changer la nature du corps affecté pour l'adapter à la sienne, pour autant qu'il et dans la mesure où, il l'affecte. L'affection forme un nouveau mode. C'est du moins ce qu'implique le cas limite selon lequel si l'affection surpasse la puissance du corps affecté, celui ci s'en trouvera détruit, c'est à dire que sa nature sera entièrement changée pour une autre. Et c'est précisément parce que la nature de l'individu est modifiée par une nature étrangère à la sienne qu'il a des idées confuses et qu'il ne se conçoit pas lui même ni l'autre chose distinctement. De sorte que je ne vois pas du tout de signification à ce que tu écris quant à la différence entre "idée confuse" et "frontière" au niveau des corps. L'idée confuse traduisant précisément (au niveau de l'esprit) une "confusion corporelle des frontières" entre les corps affectant et affectés.
C'est très différent bien sur quand l'affection enveloppe une action de la chose affectée: dans ce cas, pas de perte de l'individualité, mais au contraire plus forte tendance à l'individuation, et naturellement idées claires et distinctes .

Louisa a écrit :Autrement dit: qu'est-ce qui te fait penser que toute cause partielle perdrait son individualité quand elle produit son effet?


Louisa, cela suit simplement de la définition de ce qu'est une cause partielle: elle n'agit pas d'elle-même, ou elle ne produit pas ces effets par elle même, et donc elle n'exprime pas son individualité (ou sa puissance). Si je te force à te planter un couteau dans le cœur, ce n'est pas par ta propre puissance que tu le feras –d'après Spinoza c'est même là quelque chose qui est impossible-mais ce sera par la mienne. Le bras qui agira sera en quelque sorte plus le mien que le tien) Elle peut sous d'autres rapports que celui qu'on considère par hypothèse agir comme individu, et se distinguer par là des actions des autres choses mais non sous celui là. Ensuite SI il y a des choses qui ne peuvent être "que" causes partielles des effets qu'elles produisent, autrement dit qui sont causes partielles de leurs effets sous TOUS rapports, elles n'existeront, c'est à dire n'agirons jamais non plus comme "individu".

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Quels sont les effets qui résultent de la nature seule d'un couteau de cuisine? A peu près aucun je pense, tous les effets qu'un tel objet est susceptible de produire sont du même ordre: il intervient en tant que cause partielle et il est de la nature même d'un instrument d'être une cause partielle. Je reviendrai plus bas là dessus mais je pense en effet que Spinoza ne tient pour chose véritable que les individus.

Louisa a écrit :en tout cas, il est intéressant d'essayer d'expliciter davantage en quoi pourrait constituer la différence entre un individu et une chose singulière, si différence il y a.


Mais tu ne réponds pas à la question que je pose: quels sont les effets qui résultent de la nature seule d'un couteau de cuisine? ou d'une pierre? ou d'un sac poubelle? Peut on en donner des exemples? En fait y a t il un sens à essayer de répondre à ces questions?

Louisa a écrit :Si l'on ne se base que sur les définitions (définition figurant parmi les lemmes de l'E2 pour l'individu, définition 7 de l'E2 pour la chose singulière). Ce qu'on peut conclure de la déf.7, c'est que plusieurs Individus peuvent composer une seule chose singulière. Mais la même définition remplace déjà le mot Individua par Singularia. C'est ce qui me fait penser (à vérifier) que tout ce qui n'est pas composé est toujours une chose singulière (est toujours un mode ou une affection d'un attribut, possédant par là même une essence singulière) mais non pas un Individu, tandis que tout ce qui est composé d'une telle façon que les composants expriment un seul et même rapport, est non seulement une chose singulière (capable de produire des effets) mais également un Individu.


Je suis pas certain de comprendre ton problème ici. Mais je crois qu'il produit cette définition pour que l'on évite de penser de façon exclusive à des choses comme la figure des corps, et plus généralement aux critères qui proviennent des sens. Il entend élargir la notion de "chose singulière" par exemple par l'application de critères causaux. Et je pense en effet que le terme de "chose singulière" est plus large que celui d'Individu. C'est sans doute équivalent: "à tout ce que l'on peut distinguer d'autre chose par un moyen ou par un autre". Quoiqu'il en soit je prendrais cette distinction ainsi dans le cours de cette discussion.

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Qu'en est-il alors de ces choses qui n'ont pas les caractéristiques des individus (pierre, sac poubelle…) pour ce qu'elle paraissent entièrement passives, inertes et dépourvues d'activité propre? Et bien, elles ne sont pas d'authentiques choses. Qu'en est-il des cas où des choses qui ont les caractéristiques des individus pâtissent? Et bien elles acquièrent à leur tour ce statut de pseudo chose, dans l'exacte mesure et à proportion des effets qu'elles produisent tandis qu'elles subissent.

Louisa a écrit : justement, tout ce qui produit un effet doit avoir un degré de puissance propre, et donc une essence singulière, non? Car même un effet produit sous l'influence d'une affection subie a besoin d'un "support", d'un "substrat" à partir duquel l'effet peut être produit, tandis que l'affection elle-même, la passion, a besoin de quelque chose qui est "à affecter", sinon il n'y aurait même pas d'affection. .
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Tout ce qui produit un effet oui, encore faut-il justement que cela le produise, autrement dit que cela soit cause de cet effet. Dans le cas de la passivité, la chose produit bien un effet mais n'en est pas la cause. Et il est absurde stricto sensu, c'est à dire contradictoire, de déclarer que le fait de subir un effet met en jeu la puissance de ce qui subit cet effet: car dans la mesure où une chose délivre un effet dont elle n'est pas la cause, c'est son impuissance qui est exprimée et non sa puissance (c'est l'essence d'autre chose qu'elle, et non son essence à elle). Je crois que ce que tu as en tête est quelque chose comme "les causes sont mi parties", un peu comme si une des choses dans le rapport joignait un bout de sa puissance à la puissance de l'autre. Mais cela n'est valable que dans le cas de figure de l'action. Car dans ce cas, l'effet total exprime bien la puissance des deux choses qui agissent en commun. Mais dans le cas de la passion, celui que nous considérons par hypothèse, cela ne fonctionne plus, puisque si la chose produisant un effet, quand elle est dite "subir" exprimait sa puissance, alors elle serait active, ce qui est contre l'hypothèse. Ce qui est vrai en revanche est que ce qui subit peut dans une moindre mesure agir à son tour sur la cause qui agit sur lui. C'est ce qu'on appelle une réaction, ou une action en retour. Mais dans ce cas nous considérons la chose sous le rapport où elle agit et non sous le rapport où elle subit. Et si la chose agit en retour alors cela signifie qu'elle est active. Donc la puissance d'une chose doit toujours être rapportée à son activité.
C'est pourquoi tu ne peux pas dire que la passion met en jeu la puissance de la chose qui pâtit, à moins d'employer le terme de "puissance" en un sens si vague qu'il en devient inutilisable.

Tu me parles ensuite de la nécessité d'un "support" et bien sûr je suis d'accord avec l'idée qu'il est nécessaire pour penser une relation d'action et de passion de se donner un "support". Seulement j'ai peur que l'emploi de ce terme de "support" ne nous aide pas beaucoup ici, la question étant de savoir si la nature de ce "support" est toujours et obligatoirement celle d'un individu ou s'il ne peut pas être aussi simplement un "amas" matériel, ou une simple conjonction d'entités matérielles, sans définition ou unité réelle.

Prenons le cas des corps dits simples: ils s'entre affectent, c'est à dire se communique du mouvement et du repos, et pourtant (par définition) ils ne sont pas des individus. Qu'ils "s'affectent" ne suppose donc pas qu'ils aient des natures individuelles. Je peux très bien affecter une chose qui est un amas matériel, et même cette chose en retour m'affecter, sans pour autant qu'elle constitue ce que Spinoza appelle un individu: si justement par exemple cet amas est ce que Spinoza appelle un "corps simple". J'ajoute histoire de lever une possible équivoque : "corps simple" ne peut pas vouloir dire chez Spinoza "corps sans parties" ou corps "non composé". Il nie en effet l'existence du vide, donc des atomes, donc qu'il y ait des corps sans parties ou non composés. La distinction corps simples/ corps composés, ne peut signifier qu'une chose: la distinction entre ces corps qui ne sont pas des individus et ceux qui le sont. Or je pense que les affections d'une pierre (couteau, sac plastique) grosso modo, consiste à mouvoir et à être mu et c'est tout. C'est un corps "simple" un peu au sens de "ce qui se fait de plus simple et de plus élémentaire dans le genre "mode de l'étendue"" (et non au sens de ce qui n'a pas de parties). C'est en quelque sorte l'"entrée de gamme" A coté il y a d'autres modes plus complexes, plus sophistiqués et aussi plus intéressants éthiquement parlant: les individus.

A supposer maintenant que ce je viens de tenter d'expliquer corresponde grosso modo à ce que tu voulais exprimer, je vais essayer de te répondre sur la question concernant les objets tels que couteau, pierre, sac plastique etc. C'est un problème que nous allons avoir tout le long de ma réponse alors je l'expose le plus clairement possible: Si les choses dont nous parlons (c'est à dire celles que j'ai mentionné) sont des individus, alors ce qui vient d'être dit s'y applique aussi et dans ce cas tu auras raison. Je veux dire, le fait qu'elles subissent l'action d'autre chose ne serait pas un argument contre l'idée qu'elles sont des essences singulières.
Or pour ce qui me concerne, c'est mettre la charrue avant les bœufs. Je ne nie pas que tout cela soit exact, relativement aux rapports entre individus, mais n'allons pas trop vite. Toute ma question est justement de savoir SI ces exemples d'objets sont des exemples pertinents "d'individus". Autrement dit, je veux savoir d'abord si et en quel sens on peut dire d'un sac poubelle qu'il a un Corps . J'entends bien qu'un sac poubelle, est "quelque chose", et si tu veux "une chose singulière" que c'est une portion de matière, et que lorsqu'on le manipule nous ne manipulons pas des sense-datum. Mais est-ce pour autant une chose qui a un Corps .? (car si il a un Esprit il faut déjà qu'il ait un Corps). Autrement dit: Est-ce qu'il suffit pour faire un corps de délimiter une portion de matière? Ou si cela ne suffit pas qu'est ce qui fait qu'un sac plastique est autre chose qu'une simple portion de matière?

Voilà mes questions. Or la plupart de tes objections reposent toujours sur le fait que tu tiens pour acquis ce que j'essaye d'interroger . Je vais y répondre mais j'essayerais en même temps d'expliquer pourquoi je pense qu'il y a une alternative possible.

Louisa a écrit :Prenons une pierre. A l'intérieur d'elle-même, les molécules sont sans cesse en mouvement, mais le rapport qu'ils expriment reste le même: celui qui caractérise telle ou telle pierre. Si la pierre subit l'affection "pluie", au début les corps qui la composent n'effectueront pas un autre rapport. Si le contact avec l'eau est en revanche plus durable (disons quelques siècles), alors à partir d'un certain moment, la pierre aura perdu tellement de corps sans que ceux-ci soient remplacés par d'autres qui effectuent le même rapport, qu'il ne s'agira plus de la même pierre, que la pierre aura change de "forme" (au sens spinoziste du terme, donc non pas la figure mais l'union qui caractérise un individu). .


Voilà le cas typique de ce dont je parlais. Si les pierres sont des exemples pertinents d'individus, alors ce que tu en dis est recevable. Mais dans le cas contraire bien sur que non.

Tu précises que tu parles de la forme et non de la figure. Mais est-ce bien certain? Qu'est ce qui te permet de le dire exactement? Qu'est ce qui te permet de dire par exemple qu'il s'agit bien d'une pierre et non de la réunion de 100000 pierres plus petites? La cohésion des parties ? Le fait qu'il y a une différence entre cette pierre et un tas de sable de masse équivalente? Mais cette cohésion elle même est un critère relatif: on peut briser cette pierre en 100000 morceaux ou au contraire il peut nous être impossible de la briser ne serait-ce qu'en deux morceau. Tout dépend du degré de pression que nous appliquons sur elle. Et si ce qu'on appelle la cohésion est relative ( à quelque chose comme la pression exercée sur l'objet), avons nous une idée précise du degré de cohésion à partir duquel nous pouvons parler d'un objet individuel et en deçà duquel ce n'est plus possible? Et si nous n'avons pas d'idée précise là dessus (et nous n'en avons pas) pourquoi, ne pas dire d'un certain tas de sable qu'il est un objet unique? Ou mieux pourquoi ne pas compter les molécules d'air s'agitant autour de la pierre comme en faisant partie ? Parce qu'on arrête la pierre à son enveloppe? Mais les enveloppes respectives des 100000 petits morceaux (ou des structures cristallines) dont on l'a composée ne nous ont pas empêché d'en faire une seule pierre. Donc pourquoi ne pas fixer de façon aussi arbitraire la limite de l'objet à 3cm autour pour y inclure les molécules d'air, et étendre ainsi ce que nous appelons son "enveloppe" ? Cela nous ferait un objet composé de quartz et de molécules d'air? Oui et alors? Pourquoi ensuite attendre plusieurs siècles pour dire que la pierre est "détruite" ou a perdu sa forme, si l'action cumulée des gouttes d'eau au long cours ont bien eu l'effet que tu dis, ce fut aussi nécessairement le cas de la première qui frappa sa surface. Et entre la phase ou cette pierre s'est formée, où le dernier petit grain s'est amalgamé aux autres et la phase où elle a commencée de se déformer, où le premier petit grain à commencé à se séparer des autres, combien de temps est-elle restée véritablement "la même", a-t-elle seulement jamais été "la même"? Et au bout du compte qu'est ce que nous voulons exactement dire par c'est "la même pierre" et "ce n'est plus la même pierre" ?

A vrai dire je ne pose pas cette série de question pour que tu y répondes, ni parce que je voudrais montrer que tu as tort de t'exprimer comme tu le fais. Ne t'inquiètes pas, moi aussi j'ai tendance à traiter les pierres comme des objets individuels. Ce que je veux simplement manifester est qu'il n'est pas évident que les critères phénoménologiques implicites par lesquels tu veux montrer qu'une pierre est un individu suffisent en l'occurrence. A contrario si la pierre était bien un individu, les changements du type de ceux que tu indiques pourraient très bien ne pas être . nécessairement . les indices d'un changement de forme ou d'individualité. Pense par exemple au développement d'un être humain, dont le corps au sens phénoménologique du terme se modifie considérablement au cours du temps sans pour autant qu'il perde l'essence singulière qui le caractérise et le distingue des autres bref sans qu'il perde son individualité (au sens de la conservation des rapports, dans le cas où ces rapports se conservent) . Et je ne parle même pas, pour me situer dans un autre registre d'un Etat ou de la "figure" d'une équipe de football .

La difficulté est donc que dans ton exemple tu postules plus que tu ne le montres que la pierre est un individu, ou si tu veux que tu parles de la forme plutôt que de la figure. Après quoi il est aisé de dire que les parties de la pierre ont entre elles "un certain rapport qui définit l'essence singulière de cette pierre". Mais cette aisance à un coût: elle sent la construction ad hoc. J'ai beau chercher, il me manque toujours ce petit élément de "feed-back" qui me semble constitutif de l'individualité ou de ce que Spinoza appelle une "union" de corps. Qu'est ce que je veux dire par là? Il est bien beau de dire que plusieurs corps acquièrent les uns vis à vis des autres certains rapports de mouvements et de repos, encore faut-il qu'ils puissent les conserver. Or que faut-il pour que ce rapport soit conservé? Et bien il faut que ce rapport se conserve (je veux dire se conserve "lui même"). Pourquoi? C'est un simple point de logique: Un individu se caractérise par une union de corps . distincte. des autres, donc si ce sont d'autres corps que ceux qui forment cette union, qui la maintienne, nous avons une deuxième union dont la première n'est plus distincte, contrairement à l'hypothèse. A l'opposé pour qu'une union de corps se conserve il faut que l'union comme telle régule le comportement de ses propres parties composantes, ou retro-agisse sur ses propres éléments. En effet aucun des corps composant l'individu ne peut déterminer le comportement de tous les autres à persévérer dans leur union (chacun des corps tend à rester dans l'état de repos ou de mouvement dans lequel il se trouve. Donc il n'y aucune raison pour qu'il "s'occupe" des autres), c'est donc l'union elle même qui "pèse" sur les corps composant, ou qui tend à faire qu'ils conservent les rapports de mouvement et de repos qu'ils ont entre eux. Le modèle qui est derrière le concept d'individu est donc celui d'un automate , d'une machine qui régule son propre fonctionnement (c'est pourquoi je parlais de "feed-back", ou de rétroaction). Or je ne sais pas dans quelle mesure on peut dire que la persévérance dans l'être d'une pierre ou d'un sac plastique est concevable de cette façon là. La différence entre les deux est celle qu'on peut faire entre un principe interne de persévérance (et qui suppose l'action) et le simple jeu de forces de cohésions externes, qui forment un être en quelque sorte par accident (ce qui veut dire: simplement pour notre imagination/perception) et qui est uniquement "passif". Un pur "résultat", ou un pur "effet". Pour une chose singulière qui n'est pas un individu, les limites ou la délimitation ont un sens tout relatif, et cela parce que les corps peuvent être décomposés indéfiniment et de multiples façon. Mais l'individualité précisément parce qu'elle est en quelque sorte "transversale" ou "sécante" aux compositions de corps , offre le caractère d'une unité non décomposable, donc d'une unité non relative. (Individu=Indivis)

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Exemples : Différence d'un Etat en situation de paix civile et en situation de guerre civile. Même ensemble d'individu (humain en l'occurrence) dans les deux cas mais unité caractéristique (fonctionnelle) de l'individu dans le premier cas, et agrégat sans unité dans le second.
Différence pour un même homme donné agissant soit sous la conduite de la raison soit sous la conduite des passions, qui dans un cas maintient et renforce sa caractéristique individuelle et dans l'autre la voit se défaire au profit de l'action des causes extérieures. Dans les deux cas on peut continuer à décrire le même sous ensemble (existant et produisant des effets), alors que le degré d'unité de l'ensemble, en revanche, n'est pas le même.

Durtal a écrit :est-ce que tu n'es pas en train de confondre affection et passion? L'individu n'est caractérisé que par le fait de communiquer l'effet d'une affection au reste du corps d'une telle façon que ce corps continue à effectuer le rapport caractéristique d'une essence singulière. Ne faut-il pas dire que ceci se fait indépendamment de la CAUSE de l'affection (l'homme lui-même seul, ou l'homme lui-même seulement partiellement)? Si quelqu'un m'affecte de Joie, est-ce que mon individualité se défait, ou est-ce que ma puissance singulière augmente encore? Bref, il me semble qu'il nous faudrait essayer de clarifier davantage les concepts d'individualité et de singularité. .


L'individu est caractérisé par une certaine union de corps. C'est à la fois plus fidèle à ce qu'écrit Spinoza (je ne me mouille guère: je recopie) et à la fois plus clair que ce que tu en dis (sauf ton respect). Union= principe d'unité. Ensuite une passion est un certain type d'affection et une action est un autre type d'affection. Les passions tendent à défaire l'individu, les actions à le faire ou à le refaire. C'est à dire pour le même ensemble de corps donné à affaiblir le rapport de mouvement et de repos qui est dit constituer leur union ou au contraire à le maintenir ou à le renforcer. Et je ne comprends pas ta difficulté ici.

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Quoiqu'il en soit, ton critère selon lequel il suffit à une chose de produire des effets pour être dite "un individu" laisse donc entièrement de coté la question de savoir si ces effets résultent de la nature de la chose ou non.

Louisa a écrit : en effet. Au sens où de toute façon, tout effet résulte AUSSI de la nature de la chose. Sans cette nature, l'effet en question n'aurait jamais eu lieu. Il faut donc qu'une puissance propre à elle entre en jeu, et qui dit puissance propre dit essence singulière.
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Non cela n'est vrai que si la chose est capable d'action, autrement elle n'est pas la cause de l'effet qu'elle produit. Et être l'effet de la cause que l'on produit, c'est être cause adéquate, et être cause adéquate c'est produire des effets qui résultent de sa seule nature. Toi tu veux dire que la chose reçoit la cause pour produire à son tour un certain effet, mais ce n'est pas cela "agir" ou avoir une puissance propre. Les effets que je produis parce que quelque chose d'autre agit sur moi qui m'influence, caractérise mon impuissance et non ma puissance, donc elle ne caractérise pas mon essence mais celle d'une autre chose en tant qu'elle agit sur moi. Pour autant que je pâtis, je fais partie de la chose dont je pâtis, je ne suis plus "moi même" c'est pour ça que les passions sont "aliénantes" (elles rendent "autre"). L'ivrogne donne son corps à l'alcool, ce n'est plus le sien sous le rapport précis où il est ivre, c'est une affection composée de son cerveau et des molécules d'alcool, affection qui n'est du même coup ni l'un ni l'autre. Vois plus haut: si en revanche j'agis en retour sur la cause qui agit sur moi, alors celle ci subit un effet en retour, et cette cause est elle même modifiée à proportion de l'effet que je lui fais subir. Ensuite si je joins ma puissance à une autre, ma puissance, et mon individualité, sont augmentées de la valeur de cette autre et j'agis. Je ne suis pas en désaccord avec cela et je comprends ce que tu veux dire, mais souviens toi qu'il s'agit d'une discussion sur des cas d'espèce: c'est à dire d'une discussion qui concerne une certaine classe d'objet.

Reprenons l'exemple du couteau: Lorsque je me sers d'un couteau pour trancher quelque chose, ce serait une distorsion linguistique stupide que de dire que c'est le couteau qui agit, en même temps que moi, parce que sans lui je n'aurais pas pu faire ce que je fais (même si cela est vrai: je veux dire même s'il est vrai que je ne pourrais pas faire ce que je fais sans cela). De même ce n'est pas "ma main" toute seule (comme la main de la Famille Adams) qui tape sur ce clavier, même s'il est vrai que j'aurais beaucoup plus de difficulté à le faire si on me l'avait tranchée. De même l'agent de cet acte de couper quelque chose avec le couteau, c'est moi "au travers" du couteau, le couteau est comme "annexé" à mon corps, je le force littéralement à entrer dans mes propres rapports avec les autres choses. Et je ne vois pas ici sérieusement comment parler d'une union de puissance ou d'une "collaboration" entre moi et le couteau: un couteau "n'agit" que par moi. Et il est tout entier fabriqué pour cela.

Maintenant le couteau, disons la figure particulière de cet objet, soumet en un certain sens mon action sur lui à certaines contraintes. D'accord, mais c'est ce que je tenterais de clarifier plus bas: je ne suis pas certain que l'on puisse pour autant dire que ce genre de choses, ces contraintes si tu veux, constituent des manifestations d'une "puissance d'agir" du couteau. Ce sont les degrés de mouvements et de repos sous jacent au couteau avec lesquels je dois composer, mais non nécessairement le couteau "lui même", c'est à dire une "union" de corps caractéristique d'une individualité. Toute ma question revient en effet à demander: qu'est ce que nous entendons par "ce couteau lui même"? Un amas ou un individu?. En bref, je suis d'accord avec toi pour dire qu'une "chose" si l'on entend par chose une "individualité" doit pouvoir disposer d'un minimum de puissance d'agir, et ainsi aucune "chose" ne peut être dite purement passive. Mais ce que je soutiens revient à dire qu'un couteau peut n'être une chose individuelle qu'en apparence, et ainsi être "purement passive". Evidemment ce qui est embêtant et paradoxal c'est que nous parlons de "chose" là où je dis qu'il n'est pas certain qu'il s'agisse bien d'une individualité réelle. Je reviendrais là dessus.


Louisa a écrit :
Durtal a écrit : Et tu vois bien que les deux questions sont étroitement connectées , puisqu'un acte qui n'est causé que partiellement par une chose, suppose par définition le caractère "non individuel" de l'acte en question (elle suppose qu'une deuxième chose interfère et constitue partiellement la nature de la cause) ce qui veut dire inversement que la causation adéquate sera le propre de ce qui agit individuellement, de ce qui est donc un individu.

Louisa a écrit : de nouveau, je crois qu'il nous faudrait peut-être essayé de préciser les notions d'individuel et de singulier. Un acte est-il un Individu au sens spinoziste du terme? Peut-il être dit individuel ou non individuel, et si oui, qu'est-ce que cela pourrait vouloir dire?


Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire ici. Ce qui individualise oui ce sont les actions, quand j'agis je "rassemble" en quelque sorte mes parties, de sorte qu'elles se coordonnent pour produire un effet qui suit de ma seule nature. Inversement les passions me "tiraillent" en direction des causes extérieures (en direction de ce qui n'est pas moi) et ne me permettent plus d'effectuer les actes qui suivent de ma nature considérée seule. Donc si c'est le sens de ta question: l'individu est toujours à comprendre comme "acte individuation". Ce n'est jamais une donnée, c'est toujours quelque chose qui est "à faire", qui est toujours en voie de se défaire et qui tend toujours à se refaire. Parce que si je cesse d'effectuer mes rapports, je meurs, et c'est aussi simple que cela.

Louisa a écrit :
Louisa a écrit :Louisa a écrit:
ce n'est pas ainsi que Spinoza définit l'individu (voir sa défintion dans les lemmes E2). Il ne faut pas être cause adéquate des effets produits pour être un individu, il faut simplement conserver le rapport caractéristique quand on est affecté, et c'est tout.

Durtal a écrit :Bravo….mais pour conserver ce rapport il faut certes être cause adéquate des actions qui le maintiennent.

Louisa a écrit :je ne sais pas ... pour conserver ce rapport il faut deux choses:
1) avoir un conatus, ou une essence (qui tend spontanément à persévérer dans son être)
2) ne pas rencontrer dans la nature une chose plus puissante capable de défaire l'union des corps qui effectue ce rapport.


Et bien n'est ce pas là ce que je dis? Pour ton point 1: le conatus exprime ma puissance d'agir et non mon impuissance (l'essence d'une chose pose ce que peut la chose et non pas ce qu'elle ne peut pas). Or la puissance d'agir, se réalise dans les actions (par la même raison). Et les actions naissent lorsque nous sommes causes adéquates de ce que nous faisons (par définition du terme "d'action"). Quant au point 2, "ne pas rencontrer" n'est pas un acte résultant d'un effort pour nous conserver. C'est un peu comme si tu disais: pour préparer un gâteau il faut des œufs et de la farine et aussi…que le système solaire ne s'effondre pas sur lui même. C'est vrai mais cela ne fait pas partie de la recette du gâteau.

Louisa a écrit : Une Action, au sens spinoziste du terme, est une Joie active, c'est-à-dire une augmentation de la puissance causée par la puissance ou le conatus qui était déjà là avant de produire l'Action.


Une action "au sens Spinoziste" ( si l'on veut parler un peu précisément, Louisa) consiste à être cause adéquate des effets que la chose qui est dite agir produit. Je suis désolé je répète beaucoup cela mais je n'y peux rien: c'est cela la définition de l'action. Définir ou caractériser comme tu le fais "l'action" comme une "joie active", c'est comme dire: "le cercle est une figure en forme de cercle" ce qui n'avance guère celui qui ne sait pas ce qu'est un cercle. Le conatus, ou désir, ou puissance d'agir, est le principe même de toute nos actions. Je ne comprends pas ce que tu racontes avec cette idée d'un conatus qui est "déjà là" avant nos actions. Si ce conatus est aidé ou secondé, nous sommes dit agir, si il est contrarié ou réduit par d'autre chose nous sommes dit pâtir.

Louisa a écrit : Pour conserver son être, je ne crois pas qu'il faut des Actions, il suffit d'avoir un conatus et de ne pas rencontrer d'obstacle. Or ce conatus n'est pas causé par la chose singulière elle-même, elle le reçoit d'une autre chose. On n'est donc jamais "responsable" pour son propre conatus. On n'est "responsable" que de ce qui fait activement augmenter notre puissance. Autrement dit: on n'est PAS la cause adéquate de son propre conatus (= de ce qui définit la singularité et individualité?), on n'est la cause adéquate que de ce qui fait augmenter activement sa propre puissance. .


Nous ne sommes pas "responsables" de notre conatus, parce que nous SOMMES des "conatis". Et donc conserver son être (c'est à dire persévérer), est à la limite, la seule chose qui soit imputable à notre Action, et aussi ce que toutes visent à faire. Et ce que tu dis sur le fait que "nous ne sommes pas causes adéquates de notre conatus" est littéralement insensé. (ce n'est pas que c'est faux, c'est que ça n'a aucun sens) Car plus nous sommes les causes adéquates de nos effets et plus nous exprimons notre essence et notre conatus, et moins nous sommes causes adéquates de nos effets, moins nous exprimons notre essence et notre conatus (il faut comprendre ici, plus nous exprimons en même temps que le nôtre d'autres conatis que le nôtre). Il faudrait peut être que tu te penches à nouveau sur la définition de la Vertu. Mais toi tu t'exprimes comme si il y avait a) notre puissance d'agir b) une autre puissance d'agir qui agit ou n'agit pas sur la première puissance d'agir. Mais c'est absurde car notre essence ne se précède pas elle même. "Avoir un certain conatus" ce n'est pas comme avoir une voiture, que nous pouvons ou non laisser au garage, on pourrait dire: nous le "sommes" c'est précisément pourquoi nous ne l'"avons" pas.


Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Car justement, cela ne se fait pas tout seul. Puisqu'à l'inverse la passion ou l'état de passivité exprime l'activité d'autres choses qui tendent à défaire ce même rapport, c'est à dire qui tendent à intégrer les parties de la chose qui subit à leurs propres rapports.

Louisa a écrit : c'est oublier que les effets des corps extérieurs sur nous peuvent être tout à fait positifs, non? Un tas de choses extérieures nous affectent de Joie (ou sont tout simplement nécessaires pour nous maintenir en vie, comme le rappelle Spinoza). Tu dirais au contraire que toutes les Joies passives tendent non pas à augmenter notre degré singulier de puissance, mais à le défaire .. ? Si oui, pour quelle raison?


Le caractère "positif" ou "négatif" des affections est une caractérisation beaucoup trop floue pour servir à quoi que ce soit ici. Les affects sont bon ou mauvais, utile ou nuisible. A partir du moment où il y a le mot "passif" dans l'expression "joie passive", ces joies expriment notre impuissance plutôt que notre puissance, et ces joies sont mauvaises dans la mesure où elles traduisent notre impuissance (elles ont égard à certaines parties du corps et non au tout). Je suis désolé mais c'est un peu le b-a-ba de la théorie des affects. Un ivrogne tire beaucoup de joie de l'alcool. A son point de vue du moins, l'alcool a des effets très "positifs" et tout son corps en réclame autant qu'il peut. Mais je pense qu'il n'est pas besoin de te rappeler si Spinoza tient l'ivrogne, même très joyeux, pour un homme très puissant… Tous les affects de Joie ne sont pas bons de même que tous les affects de tristesses ne sont pas mauvais (c'est à cette tâche de discrimination et d'évaluation qu'est consacré le livre 4). Si ce que tu veux dire est que les causes extérieures nous maintiennent en activité sans que nous ayons besoin d'agir nous mêmes: alors c'est absurde. Nous serions dans ce cas entièrement passifs, c'est dire: nous ne serions pas des individus. De plus il est impossible que l'homme ne soit pas soumis aux affects (E4). Enfin quant aux choses qui nous maintiennent en vie, elles participent bien entendu de notre activité, et non de notre passivité , elles aident notre puissance d'agir (empêche toi de manger quelques jours et tu verras si la faim ne provoque pas chez toi des passions très violentes) donc tu mélanges tout à fait plusieurs cas de figure qui ne doivent pas l'être si on veut espérer y comprendre quelque chose.

Tu as l'air de croire que les fonctions d'assimilation et de métabolisation (respirer, manger…) sont des exemples de passivité. Mais toi qui est si friande de l'expression, ce ne sont pas du tout des affects "passifs" "au sens Spinoziste". Car assimiler et métaboliser sont des expressions de la puissance d'agir du corps humain. Et d'une certaine façon, au delà de ces seules fonctions de "maintenance" du corps humain on pourrait dire que tout ce que Spinoza appelle "action" consiste en une sorte de "métabolisation" (transformation du "non-soi" en "soi") et "d'assimilation" des choses extérieures. ( Thème de l'"union mentale" avec la nature)

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :De manière plus générale on ne peut pas se contenter de chercher des solutions seulement en terme de définition, il y a un moment où il faut essayer de faire fonctionner le système, puisqu'il est là pour ça.

Louisa a écrit : bien sûr, tout à fait d'accord.

Durtal a écrit :Au moment où Spinoza donne la définition de la forme d'un corps, il n'a pas encore traité des affects, mais il est facile de voir le rapport rétrospectivement entre ces deux choses. (Par exemple E4 prop 38 et 39. E4 en général d'ailleurs)

Louisa a écrit : en effet, lors de la définition de la forme d'un Individu (ou d'un corps composé), il n'y a pas encore question d'affects. Or les affects ne sont que des cas particuliers d'affections. La définition d'un Individu est donc plus "large" qu'une définition d'une union de corps qui ne se baserait que sur des affects. Un tas d'affections d'un Individu ne changent pas sa puissance, et donc ne sont pas des affects (ni des Passions, ni des Actions). Aussi longtemps que les corps qui composent l'Individu continuent à communiquer entre eux les mouvements induits par l'affection d'une partie d'entre eux, l'Individu maintient sa forme. Autrement dit: que Spinoza définit l'Individu par la notion d'affection et non pas par celle, plus restreinte, d'affect, à mon sens n'est donc pas innocent.



Sacrée Louisa! Tu me dis que tu es "tout à fait d'accord" avec ma remarque mais cela ne fait rien: tu n'en tiens pas plus compte pour autant! Il s'agirait ici de décoller un instant de la définition de l'individu pour aller regarder celle des affects. Or qu'est ce qu'on y constate? Que ce que Spinoza appelle un affect n'est autre chose que la traduction.

a) de notre puissance d'exister et d'agir (le désir)
b) de ce qui résulte d'une entrave à cette puissance d'exister et d'agir ou de sa réduction ( la tristesse)
c) de ce qui résulte de ce que cette puissance d'exister et d'agir est aidée ou augmentée (la joie).

Mais qu'est ce qui définit notre "puissance d'agir et d'exister" à ton avis? Ne serait-ce pas cette certaine "union de corps qui nous distingue de tous les autres" par le plus grand des hasards? En d'autres termes, si la définition des affects n'intervient pas dans la constitution de l'individu, c'est parce que Spinoza a besoin de se donner le concept d'individu pour construire et expliquer ce que c'est qu'un affect. Et j'ai vraiment du mal à me figurer quelle image bizarre tu te fais de tout ceci, à la fois de la théorie des affects et à la fois de la théorie de la constitution de l'individu. Par exemple qu'il y ait des affections "indifférentes" à la nature de l'individu, ne veut pas dire que les affections de corps qui nous constituent nous sont "indifférentes"! Les affections de corps qui nous font être ce que nous sommes à plus forte raison nous "aide" à être ce que nous sommes!!! Et c'est précisément celles là que l'individu tend à maintenir , elles sont donc rien moins "qu'indifférentes" (encore une fois, si tu en doutes, prive toi de nourriture ou d'air pendant quelque temps). Et si l'individu tend à maintenir certaines affections, alors du même coup il tend à écarter le plus possible ce qui empêche le maintien de ces affections. Donc dès qu'un individu est constitué, il a immédiatement un rapport au monde discriminé par les affects (il y a certaines choses/états qu'il cherche et il y a certaines choses/états qu'il fuit).

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Je reviens sur le statut ontologique des pseudos-choses (pierre, couteau de cuisine, sac poubelle). Tous les états qu'adoptent ces choses expriment l'activité d'autres choses sur elles et elle n'ont aucune unité fonctionnelle ou interne.

Louisa a écrit : si c'était le cas, le couteau de cuisine devrait se désintégrer dès qu'il n'est pas utilisé, non?


Mais non… Précisément parce que d'autre choses les font être et agir. Cela dit je veux développer ce point car c'est en effet une difficulté de ma position. Tout d'abord oui Louisa, je crois bien que le "l'aptitude à trancher" ou ces effets particuliers d'un couteau se "désintègrent", lorsque l'on ne s'en sert pas. Si l'on voulait définir donc un couteau comme "objet tranchant", cette propriété ne serait pas une propriété "objective" de cet chose mais une dénomination extrinsèque: un couteau n'est "objet tranchant" que lorsqu'il sert à cela. Si le couteau ne disparaît pas quand nous ne l'utilisons pas c'est qu'il existe sous d'autres rapports que celui là. Ensuite cette conséquence ne résulte que de ce que tu penses que nier l'individualité , c'est nier l'existence et je comprends que je te donnes en effet cette impression puisque tu ne veux pas séparer les deux choses. Mais quand je refuse l'individualité au couteau, je nie que le couteau persévère dans l'être du fait de sa propre activité, cela n'exclut nullement ( et même cela implique) qu'il persévère dans l'être à cause de l'activité d'autres choses que lui, choses que nous n'identifions pas phénoménologiquement comme étant "en lui" ou comme "étant lui" (si tu veux le couteau est un "corps" mais non un "Corps"). En d'autre termes je ne nie pas que cela corresponde à "un quelque chose" d'existant, ce que je nie est que cette existence soi la sienne ou pour m'exprimer mieux: soit celle que nous croyons spontanément qu'elle est. Et cela paraît paradoxal, parce que nous parlons "d'une" chose, quand nous parlons par exemple, d'un couteau (et nous sommes enclin à dire: forcément il existe de son existence). Mais si au sens empirique et phénoménologique du terme c'en est bien une (de chose), au sens ontologique c'est beaucoup moins certain: les degrés de mouvement et de repos qui constituent actuellement ce que nous appelons "ce couteau", sont-ils "en eux-mêmes", coordonnés pour faire ce que nous appelons "ce couteau"? Ou bien n'est ce pas à nos catégories pratiques et phénoménologiques de classement des "degrés de mouvement et de repos" que ce réfère ce terme particulier de " couteau" ? Nous reconnaissons tel complexe de matière comme étant une instance de " couteau". S'en suit-il pour autant qu'un couteau est un élément qui exprime une loi éternelle de l'être?

Après tout quand on fait de la physique, il n'est jamais question de "couteaux", de "cailloux", de "sacs en plastique". Ces choses ne sont pas des "objets physiques", ou les objets dont traitent les théories physiques. Dans le monde d'un physicien –ex professo- ces "réalités" n'en sont pas, elles sont prises en charge par des réalités plus élémentaires et plus homogènes. Et pourtant si notre physique est vraie elle s'applique aussi à ce que nous appelons des cailloux, des sacs plastiques et des couteaux bien qu'en un certain sens elle concerne tout autre chose.
Pense par exemple à différents types de caractérisations que l'on peut faire du même couteau particulier:

1) C'est le couteau que m'a offert ma tante Léonie.
2) C'est l'assemblage d'un manche et d'une lame.
3) C'est un morceau de bois joint à un morceau d'acier.
4) C'est une certaine quantité de carbone mêlée à du fer à laquelle s'ajoute une certaine quantité de cellulose ainsi qu'une très faible quantité d'eau.
5) C'est une portion de matière en mouvement et en repos.

Toutes ces caractérisations sont correctes à leur niveau propre. Et pourtant elle ne se recouvrent pas les unes les autres. Principalement les critères d'identités des "choses" ainsi définies, seront très variables (compare 1 et 5). De 1 à 5 il y a une perte croissante d'individualité, de degré de distinction d'avec les autres choses, alors que pourtant toutes ces descriptions sont valides à propos du même objet. Par opposition à cela, je pense que ce qui caractérise un individu est qu'il constitue une chose indépendamment de nos catégories phénoménologiques de classement et du caractère relativement arbitraire qui affecte celles-ci. Et ceci pour la raison qu'un individu est une chose qui tend à se faire elle-même chose , qui a en elle son propre principe d'unité. Un individu est donc une chose singulière à la fois au sens phénoménologique du terme (et encore c'est même pas sûr) et à la fois au sens métaphysique ou ontologique du terme (ça par contre c'est sûr).

Je veux maintenant mieux illustrer cette thèse en référence à l'exemple d'un individu authentique : un être humain, qui passe à une perfection moindre alors qu'il subit des passions. Mon idée est que plus un être humain subit d'affections qui sont des passions, plus il tend à devenir une "chose" semblable à ces "choses" que sont les pierres, les couteaux ou les sacs plastiques, c'est à dire des ombres de choses. Et j'entends précisément par là une chose qui n'existe pas du fait de sa propre puissance d'exister, ou qui tend à être entièrement "prise en charge" par d'autres puissance d'exister qui ne sont pas les siennes. En ce sens lorsqu'un homme meurt, c'est à dire lorsque certaines affections des causes extérieures ont défait le rapport de mouvement et de repos des différents corps qui le constituait comme individu, cet ensemble de corps atteint un degré d'individualité à peu près du niveau de celui qu'ont les pierres les couteaux et les sacs poubelles. (Au passage: cet homme bien sûr n'a plus l'idée de lui même) Et je dis qu'il est alors "entièrement passif". Remarque bien que cela n'implique pas que ce corps se "désintègre" sur le champ. Les parties, dans les minutes qui suivent la mort de cet homme, si tu veux, ces parties dis-je continuent chacune d'exister pour elles mêmes mais elles ne forment plus ensemble ce "concert" ou cette union caractéristique qui maintenaient l'automate "en marche". Bien que ce corps ait grosso modo la même figure, je dis pourtant qu'il n'est plus un individu, il continue comme "corps" a effectuer les lois générales du mouvement et du repos, mais il ne les effectue plus comme "Corps" de telle sorte qu'il produise des effets qui sont les siens , de telle sorte, pour ainsi dire, que son Corps soit le lieu de rassemblement d'autres corps qui convergent en une action. Si maintenant on peut concevoir qu'un corps humain passe de ce statut d'individu à celui d'un amas corporel dépourvu d'union ou d'unité, sans que pour autant les constituant de cet amas se volatilisent, pourquoi ne concevrait-on pas un couteau, un sac ou une pierre selon un modèle analogue?

Louisa a écrit :
Durtal a écrit : Si donc on restreint le terme extrêmement vague de "chose" a ce qui est proprement une chose savoir un individu, ces "choses" n'en sont pas.

Louisa a écrit : ok, mais la définition spinoziste d'une chose singulière dit bel et bien qu'être cause partielle d'un effet est tout à fait compatible avec le fait d'être un Individu (E2 Déf.7). Sa définition d'une chose singulière n'est donc pas si vague que cela, il me semble. .


La définition en question, j'en ai peur, ne dit rien de tel. Elle dit que si plusieurs individus agissent en commun ("concourent à une même action" dans la trad. Pautrat) pour produire un même effet, alors ces individus comptent comme une seule et même chose singulière. C'est à dire une seule et même cause d'un seul et même effet. Or la définition d'une cause partielle implique que ce qui est dit être une "cause partielle" subisse l'action d'une cause différente d'elle, ce qui est impossible ici, puisque justement la situation décrite aboutit à ce que les causes considérées n'en fassent plus qu'une seule. Et là encore, pour toi "cause partielle" signifie "cause mi-partie", mais cette représentation n'est à la rigueur opératoire que dans le cas d'une action. Or par "cause partielle" il est nécessairement question de passion.

Ensuite par le caractère "vague" du terme de "chose" j'entendais ce que j'ai essayé d'expliquer plus haut: que ce que nous appelons (phénoménologiquement) une chose, dépend pour beaucoup du niveau de description que nous adoptons et des critères plus ou moins arbitraires que nous sélectionnons. Or je pense justement que le concept d'"individu" soustrait le terme à cette relativité et à cet arbitraire.

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Durtal a écrit :Si par exemple je décide de considérer les efforts convergents de deux hommes qui n'interagissent pas et vivent sur des continents différents, il ne serait pas correct de dire que je ne pense rien, (je considère réellement ces deux hommes et leurs actions convergentes) mais je ne conçois pourtant pas cette unité individuelle deux fois plus puissante qui résulterait de la réunion réelle des efforts. Une pierre ou un sac poubelle expriment de cette façon les puissances d'un grand nombre de choses dont la simple conjonction les ont causés à exister comme ils existent. Mais comme dans le cas de nos deux hommes séparés par un continent, ces causes n'ont pas concouru ensemble pour donner lieu à une individualité, ou à un "foyer" unique d'activité.

Louisa a écrit :je ne sais pas ... je n'arrive pas à saisir l'essentiel de ton raisonnement/argument.


C'est toujours le même thème. Il vise à montrer que l'on peut très bien fabriquer "des choses", des "unités" de façon parfaitement artificielle et arbitraire qui ne sont pas pour autant des "individus". Si d'aventure un sac poubelle n'était pas plus un individu, que ma réunion des actions convergentes de deux hommes mais qui ne communiquent pas, alors on pourrait commencer à entrevoir pourquoi et en quel sens elle n'a pas d'Esprit (et non plus de Corps). Tu ne serais pas prêtes, je pense, à dire que l'unité que je décris dans cet exemple est l'unité d'un individu. Tu es en revanche prête sans problème à le dire pour un sac plastique ou couteau. Mais ce ne peut aussi bien n' être ici qu'une différence de degré dans l'arbitraire. Nos habitudes mentales ne constituant pas des justifications.

Louisa a écrit :TOUT individu, tout conatus, est l'effet d'au moins une mais souvent d'un concours de causes tout à fait externes à cet individus (tu es toi-même l'effet du concours de tes parents, par exemple). Cela ne vaut pas seulement pour la pierre, cela vaut pour toute chose existant dans la durée. Et cela n'empêche nullement la pierre de conserver son être singulier, et cela même pendant beaucoup plus de temps que sait le faire un être humain."


Ce n'est pas mes parents qui me permettent actuellement de me conserver, mais les forces propres de mon corps, qui "phagocytent" les causes extérieures c'est à dire les font servir à ma propre conservation. Pour la pierre: tu te donnes toujours ce qui est en question (du moins pour moi): est-t-elle précisément un être singulier, une forme, un Corps? Un corps est-il simplement une certaine parcelle de matière délimitée par une figure? La constance dans le temps n'a rien à voir avec la question: l'essence d'une chose n'impliquant aucune notion de sa durée. De plus: le corps d'un homme mort dure encore un certain temps, alors pourtant que son rapport de mouvement et de repos est détruit.

Louisa a écrit :
Durtal a écrit : Cela ne veut pas dire que notre pierre est "une apparence" ou qu'elle "se volatilise" dans le néant, cela veut dire que si nous en faisons une analyse conceptuelle suffisante, notre perspective sur son "unité" se modifiera. Pour ce qui est donc de son "esprit", certes il y a en Dieu une idée de cette pierre, mais en même temps qu'il constitue les idées d'un grand nombre de choses différentes en même temps qu'elle, ce qui revient à dire qu'il n'a probablement pas d'idée distinguée et singulière d'une pierre en tant que telle…

Louisa a écrit :cela me semble être peu probable. Le jour où notre pierre se casse en dix morceaux (par exemple parce qu'un rocher tombe dessus), plus aucun ensemble de corps n'effectuera son rapport singulier à lui, et de cet événement, Dieu a forcément une idée. Or comment Dieu pourrait-il savoir que cette pierre, qui peut-être existait déjà depuis 2000 ans, maintenant vient de se désintégrer, s'il n'avait pas avant eu l'idée ou l'essence objective de l'essence formelle qu'est cette pierre ... ?


Même problème. Si la pierre n'est un individu que pour toi (je veux dire pour nous autres hommes), sans l'être pour Dieu, alors il n'en aurait pas "forcément l'idée". Je te rappelle que chez Spinoza l'univers de l'imagination humaine est une sorte de théâtre hallucinatoire, rien ne garantit donc que nos critères empiriques de reconnaissance des "choses" sélectionnent les "choses" dont Dieu forme les idées. De manière générale je prends très au sérieux la thèse de Spinoza concernant le caractère inadéquat de l'imagination ( et des perceptions sensorielles) : il se pourrait qu'il y ait en effet des différences très considérables entre notre "ontologie" spontanée, intuitive, structurée par les lois de l'imagination,(celles qui pourraient faire par exemple que tu m'expliques qu'une pierre "préserve son propre rapport de mouvement et de repos") et le "monde réel". Rien ne garantit que notre ontologie spontanée corresponde à l'ontologie de Dieu (façon de parler: car "l'ontologie" de Dieu c'est l'ontologie tout court). La Raison consiste à passer par des LOIS ( donc exit la considération de telle ou telle pierre) et quant aux troisième genre de connaissance il suppose, pour savoir si nous pouvons avoir l'intuition de l'essence singulière d'une pierre, que soit résolue notre question: à savoir qu'une pierre ait bien une essence singulière.

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Et cela d'autant plus qu'un grand nombre (mais pas toutes) des déterminations contenues dans l'objet que nous appelons une "pierre" ou un "sac poubelle"se composent en réalité d'affections de notre imagination. Ne pensons par exemple qu'à la couleur

Louisa a écrit :La couleur d'une chose ne correspond-elle pas à une longueur d'onde tout à fait précise ... ? Et cette longueur d'onde n'est-elle pas une propriété physique d'un ensemble singulier de matériaux? Certes, il faut une certaine "puissance" précise pour pouvoir "percevoir" (en tant que chose extérieure à la chose colorée) cette longueur d'onde, puissance dont pas toutes les choses singulières ne disposent ... mais de là à dire que la couleur n'exprime pas une unité réelle ... je ne vois pas comment y parvenir. L'oeil humain ne sait pas percevoir les ondes UV, par exemple, ce qui ne les empêche pas d'exister et d'avoir des propriétés tout à fait singulières.


Apparemment, tes connaissances en matière d'optique datent de trois siècle Louisa, il serait peut être temps de les mettre à jour. Je te donne une piste: les longueurs d'ondes ne sont pas des objets colorés. Blague à part: ton objection repose sur ce que tu t'emmêles les pinceaux entre les longueurs d'onde et les couleurs (dans la dernière phrase). Nier en effet l'existence objective des couleurs ( ce que je fais) ce n'est pas nier celle des longueurs d'onde ( ce que je ne fais pas). Les couleurs sont des propriétés relationnelles, qui n'existent que dans les interactions entre une certaine longueur d'onde et un œil. Les ondes UV existent, l'œil humain n'est pas affecté par elles = aucune couleur n'y est donc associée pour un œil humain. La couleur est un exemple typique (et classique: c'est même un lieu commun philosophique du temps de Spinoza), de propriété que nous classons intuitivement dans la classe des "choses" mais, qui, physiquement parlant, n'en sont pas. C'est précisément pourquoi je le donnais ici.

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Enfin et surtout, déclarer qu'un sac poubelle a un esprit, ou une âme cela ne veut ne rien dire. J'ai beau chercher, je ne vois pas.

Louisa a écrit :il faut peut-être qu'on cherche un peu plus longtemps ... ? :D .


Et bien je t'en prie. Comment réponds tu à une question du genre: que pense un sac poubelle? Quel genre de pensée peut avoir un sac poubelle? Si tu as des idées sur la question n'hésite pas à m'en faire part…

Louisa a écrit :
Durtal a écrit :Je rappelle d'ailleurs, à toutes fins utiles, qu'il ressort de la lettre à Tirchnauss

Louisa a écrit :dans l'espoir que tu veuilles bien donner la référence exacte …


Désolé: Il s'agissait en réalité de la lettre à Schuller sur la liberté (qui répond indirectement à des questions/objections de Tschirnhaus, d'où l'ambiguïté). Lettre archi connue du reste, et à laquelle je fais référence parce que ce que Spinoza y fait (une expérience de pensée) montre aussi bien que s'il le disait qu'il n'est pas près à admettre qu'une pierre pense.


Louisa a écrit : Il s'agit plutôt, à mon sens, de constater que les pensées qui fonctionnent avec un animisme universel (Spinoza, Leibniz, certaines pensées africaines, ...) sont différentes des pensées avec lesquelles on a plutôt l'habitude de fonctionner en Occident pour l'instant.


Je pense qu'après tout ceci, il n'est pas nécessaire de m'attarder spécialement sur ce que je pense du rapprochement entre les cultes animistes et la philosophie de Spinoza. Tu auras compris en effet que d'après moi ce rapprochement ne vaut pas grand chose ( Moi-même je n'y connais rien. Mais est-il bien certain que même pour l'animisme un "sac poubelle" a une âme? Est ce que l'animisme concerne absolument n'importe quel type d'objet, n'y a t-il pas des différences par exemple entre objets "à pouvoir" et objets "sans pouvoir" etc.. Encore une fois je n'en sais rien, mais il faudrait déjà avoir une idée sur ces questions). Quant à Leibniz, il est en revanche, tout à fait clair chez lui que les sacs poubelles, les pierres et les couteaux de cuisines ne pensent pas et n'ont pas d'esprit. Qu'il y ait chez Leibniz de la vie (et de la perception) dans la moindre parcelle de matière, ne l'empêche nullement de disposer d'une distinction conceptuelle bien nette entre les êtres "brutes", "inanimés" et les êtres animés et organisés. Je pense qu'il en va de même chez Spinoza mais il est vrai qu'il a le désavantage sur Leibniz d'être beaucoup plus elliptique sur le sujet ou en tout cas de ne pas aborder directement la question. Je crois que cela ne l'intéressait pas beaucoup, en tant que problème purement spéculatif et il a peut être aussi pu croire que c'était une idée tellement absurde qu'elle ne viendrait même pas à l'esprit de son lecteur!!!! (je blague)

Louisa a écrit : Aussi longtemps qu'on utilise l'une façon de penser en tant qu'"étalon" pour essayer de comprendre l'autre, je ne crois pas qu'on peut aboutir à quelque chose de censé


Mouais…bof, bof. Après tout tu proposes bien un étalon toi même avec l'animisme africain, et ainsi tu ne fais que changer un étalon pour un autre, et qui plus est selon moi, un mauvais étalon. Il n'empêche: cela constitue à mes yeux un progrès notable puisque tu sembles ainsi remuer la véritable "camisole méthodologique" dans laquelle tu veux absolument t'enfermer: Spinoza comme seul étalon possible de lui même.

D.

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Messagepar sescho » 26 sept. 2008, 22:38

Notre cher Durtal exprimant fort bien la vigueur de son esprit, le voudrais revenir en parallèle sur l’interrogation originelle de nepart :

- La sélection naturelle est un être de raison et à ce titre n’est cause de rien. En outre la Nature ne fait rien en vue d’une fin. Pour le reste, c’est une lapalissade de dire que quelque chose qui existe depuis plusieurs générations doit avoir une certaine solidité dans la compétition. Mais ceci n’est vrai que dans un contexte donné ; ainsi un homme dans un monde densément peuplé de tyrannosaures et autres vélociraptors… Ce qui reste c’est la compétition, et la symbiose (avec la faune intestinale par exemple, le système digestif étant selon moi de « l’extérieur intériorisé » – avec des membranes d’échange à l’interface avec le corps proprement dit.)

- La mémoire est-elle un avantage compétitif ? Cela me semble évident. Et même la pensée (animale) en pratique me semble inconcevable sans la mémoire. Ce serait certes un problème si j’avais déjà oublié le mot qui précède, ou le début de celui-c… ou son sens…

- La mémoire prise en elle-même implique-t-elle la perception d’un Moi permanent ? Nullement, selon moi. C’est une élaboration erronée supplémentaire qui le constitue. A la base, la mémoire mémorise et restitue et n’attribue rien au réel par elle-même.

- La conception d’un Moi permanent est-elle fondée ? Non plus. Il n’y a rien d’absolument permanent dans les modes (impermanence) et il n’y a rien d’absolument indépendant non plus (interdépendance : l’homme a besoin d’autres corps pour être comme régénéré, il ne peut se concevoir sans les autres parties de la nature, il ne peut être absolument épargné par l’action des choses extérieures, en général il ne peut se concevoir comme agissant en vertu de son essence propre ; E1P28, E4P2, E4P4, E4AppCh1, 6, 7, 32 par exemple.) En fait, les deux vont de pair dans le mouvement permanent qui habite la Nature (qui existe à la fois selon Parménide et selon Héraclite.)

- L’homme n’étant qu’un mode et ne disposant donc pas de l’être de la substance qui se comprend par soi, est un jeu de lois qui s’expriment dans les attributs. Où un Moi permanent se trouverait-il ?

- Lorsque Spinoza dit que quelque chose conserve sa nature, il le dit en général, par référence à une « essence de genre » (ce qui caractérise tous les êtres humains par exemple – et donc chacun d’eux en particulier pour la part la plus grande – l’entendement humain n’ayant que fort peu à voir avec celui de Dieu et ne pouvant comprendre que ce qui ressort de sa puissance limitée, mais néanmoins réelle.)

- L’homme n’ayant une connaissance du corps que dans les sensations, et celles-ci étant, outre toujours variables en fonction des interactions du moment, inadéquates prises en elles-mêmes, comment l’idée du corps pourrait-elle constituer un Moi cohérent ?

- Spinoza dit en revanche que l’homme agit au sens fort, c’est à dire par sa seule nature lorsqu’il comprend les choses clairement et distinctement (et tout particulièrement voit toute chose comme causée par Dieu, immuable et parfait : la Nature Naturante, ce qui est au sens fort la Religion, la Piété.) Dans ce cas, il est une partie auto-cohérente, entière, de l’entendement divin, et voit alors les choses sous la forme de l’éternité. Spinoza le dit le plus explicitement du monde : la loi du bien, autrement dit la vertu, autrement dit la puissance pour soi (intrépidité) et pour les autres (générosité), se déduit de la nature humaine prise dans toute sa généralité, et est (donc) commune à tous les hommes. Il n’y a alors on ne peut plus manifestement rien de personnel là-dedans… Même vu dans une interaction singulière réelle d’un homme précis avec une chose particulière précise ceci reste valable, puisque réellement général (et portant non sur la chose singulière "en elle-même", mais sur ce qui est éternel en rapport avec la chose singulière, au premier rang Dieu.)

Je reprends mon exemple favori : lorsque j’exprime avec joie la Logique dans mon esprit, j’exprime quelque chose qui n’a rien de personnel, mais au contraire d’on ne peut plus universel parmi les hommes (un minimum sensés.) Où est le Moi là-dedans… sinon dans des tentations egotiques et rétrogrades, précisément, d’attribuer petitement à « ma personne » ce qui est universel et donc, comme tout mais ici manifestement, fondé dans la Nature ? (Ceci n’ayant rien à voir avec la joie ressentie dans l’exercice, qui l’est individuellement, mais pas à proprement parler « personnellement » ; notons que cet ego est en lui-même une défaillance de l’entendement, la tristesse n’étant pas loin, puisqu’il nie la Nature universelle en soi.)

- La conscience est « consciente d’elle-même. » Mais c’est toujours le cas chez les êtres conscients, et est encore universel (c’est le propre de la conscience en général) et ne constitue donc nullement un « Moi. »

- Reste la conscience du point de vue particulier (le Mental est lié à un CERTAIN corps.) La conscience d’être un mode dans le monde apparent (car ce ne peut être le cas dans l’action, qui est perception de l’universel.) Cela reste sans doute sur un certain plan, dit « commun », comme une sorte de rêve à côté des certitudes universelles de l’entendement. Mais cela a ce me semble peu à voir avec le Moi egotique qui infeste l’humanité (selon les lois imprescriptibles et parfaites de la Nature, comme le reste, cela dit...) Chez Spinoza, il y a un « je » mais pas de « Moi. »

En conclusion je dirais : le « Moi », au sens habituel, n’est pas un avantage compétitif mais le contraire. Il est le fruit de l’imagination. La mémoire en général, en revanche - quoique Spinoza la bouscule un peu du fait qu’elle fait prendre des vessies pour des lanternes quand l’imagination en naît -, est indissociable de la pensée (même si l’aboutissement du troisième genre de connaissance pourrait peut-être en être exempt) et est donc un avantage compétitif (jusqu’à un certain point, pour la même raison : tant que la mémoire n’est pas substituée, par un dysfonctionnement du Mental, à la perception directe de ce qui est.)


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Messagepar hokousai » 27 sept. 2008, 00:14

A Durtal

Nier en effet l'existence objective des couleurs ( ce que je fais) ce n'est pas nier celle des longueurs d'onde ( ce que je ne fais pas). Les couleurs sont des propriétés relationnelles, qui n'existent que dans les interactions entre une certaine longueur d'onde et un œil. Les ondes UV existent, l'œil humain n'est pas affecté par elles = aucune couleur n'y est donc associée pour un œil humain
.

Je ne vois pas bien les critères qui vous font nier dans un cas ne pas nier dans un autre cas . Que les couleurs soient des propriétés relationnelles est une assertion toute aussi théorique que » Les ondes UV existent, »
On est dans les deux cas dans l’ intellections subjectives ,à priori subjective sauf à démontrer selon certains critères qu’elles ne le sont pas .
Je dis à priori subjective car en première instance émanant d’ un sujet/singulier( vous même par exemple et en l’occurrence )

Vos assertions se présentent certes sous couvert d’un certain degré d’universalité lequel à mon avis relève plus du consensus que de l’objectivité .
Il y à là me semble t –il un hiatus sophistique à lier le consensuel et l’objectivité .


hks

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Messagepar Durtal » 27 sept. 2008, 01:18

Ahhhhhhh, Hokusai....

Bonnes vacances? :D


Durtal a écrit :Les ondes UV existent, l'œil humain n'est pas affecté par elles = aucune couleur n'y est donc associée pour un œil humain
.

C'est un sophisme cela? C'est pas très gentil...

Sophisme ou pas de toute façon vous vous méprenez sur le sens de mon argument. Vous pouvez niez l'objectivité des longueurs d'ondes autant qu'il vous plaira cela ne changera rien à mon affaire. Mon but était simplement d'illustrer une idée. Celle selon laquelle une chose peut paraître une, qui à l'analyse se révèle néanmoins être un complexe de plusieurs autres choses (et non "une" chose). Et rien n'interdit a priori que l'on puisse faire subir un traitement analogue aux "longueurs d'ondes" à leur tour: cela ne me dérange pas puisque c'est exactement ce que je veux dire: la limite exacte de ce que nous appelons "un objet" au sens "d'une unité" est très floue et très relative. (très "théorique" si vous y tenez).

D.

Pour Secho, je prends cette histoire de "vigueur d'esprit" comme un compliment non tout à fait dépourvu de malignité :D. En réalité j'ai en ligne de mire le problème initial, mais il fallait d'abord à mon point de vue poser quelques préliminaires... Si l'économie mondiale me le permet, et si Hokusai ne m'embête pas trop, j'ai encore, j'en ai peur, quelques idées délirantes à vous infliger sur la question... :D

D.

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Messagepar 8 » 27 sept. 2008, 06:24

Cher Hokoussai,
Dans la problématique des couleurs il y a trois termes.
L'objet, la lumière, et le regard.
L'objet et la lumière sont des termes objectifs. Ce n'est pas par ce que nous ne percevons pas les ondes UV qu'elles n'existent pas réellement.
En revanche, même si nous avons tous la capacité de percevoir, ce qui est objectif, nous ne pourrons jamais en affirmer la réalité.
C'est peut être pour cette raison qu'il n'y a pas d'esthétique formelle possible. Comme le dit Durtal la limite exacte de ce que nous appelons "un objet" au sens "d'une unité" est très floue et très relative et non pas théorique ceci évidemment du point de vue de la perception et non pas du point de vue de l'objet considéré en lui même.

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Messagepar Faun » 27 sept. 2008, 10:56

Pour Sescho :

Votre argumentation cherche à détruire, avec plus de passion que de sérénité semble-t-il, ce qui est quelque chose comme le "moi psychologique" qui est formé, en effet, d'imaginations et de souvenirs, c'est à dire d'idées inadéquates. De là à dire que c'est quelque chose d'infect, c'est un étrange jugement moral.
Mais si votre propos est de vous servir de l'illusion que constitue, et sur ce point nous sommes d'accord, ce "moi psychologique" ou "moi imaginaire", composé d'images de corps, afin de nier l'existence réelle des êtres qui sont dans la Nature, comme vous semblez le faire, alors c'est aller trop loin par rapport à la pensée de Spinoza (qui est la philosophie que nous examinons ici). Car dire comme vous le faites : "Il n’y a rien d’absolument permanent dans les modes (impermanence)" est strictement faux, puisqu'il existe des modes infinis et éternel (par exemple l'intellect de Dieu), et même des modes finis et éternels (par exemple nos intellects). Du reste, comme Pierre François Moreau le remarque à juste titre, l'Ethique commence par affirmer que toutes les choses (réelles, physiques) sont des effets de la puissance divine, qui en est la cause, mais finit par affirmer (prop. 36 partie 1) que toutes les choses sont des causes : "rien n'existe, sans que de sa nature ne s'ensuive quelque effet."

Donc d'accord pour remarquer avec vous l'aspect illusoire et temporaire de l'imagination et de la mémoire, qui ensemble produisent l'idée confuse d'un "moi", mais hors de question d'affirmer que les êtres qui sont dans la Nature ne sont pas réels, puisqu'ils sont causes adéquates d'effets, et que leur force interne (conatus) est la source de leur action sur le monde. Spinoza n'eut jamais le désir d'enlever la puissance des modes pour la rendre à la seule substance, il me semble que sa philosophie cherche à faire exactement le contraire : rendre aux hommes la puissance de Dieu.


Cela implique aussi de dépouiller Dieu de ce "moi" que nous projetons habituellement sur cet être, mais, que les humains forment une idée d'eux-même, c'est inévitable, puisque ce qu'ils sont, corps et esprit, existe réellement, et que cette existence réelle des choses produit des effets que les sens et l'intellect perçoivent. Mais Dieu évidemment ne forme pas une telle idée de lui, puisque former l'idée d'un moi, c'est poser une limite entre soi et le reste de la nature, ce que Dieu ne peut évidemment pas faire, puisqu'il est absolument infini, et que rien n'existe en dehors de lui.

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Messagepar sescho » 27 sept. 2008, 13:27

Faun a écrit :Pour Sescho :

Votre argumentation cherche à détruire, avec plus de passion que de sérénité semble-t-il, ce qui est quelque chose comme le "moi psychologique" qui est formé, en effet, d'imaginations et de souvenirs, c'est à dire d'idées inadéquates. De là à dire que c'est quelque chose d'infect, c'est un étrange jugement moral.

Veuillez s'il vous plait, mon cher Faun, vu le peu de convergence qu'il y a entre nous, et selon moi entre vous et Spinoza, éviter d'extrapoler - a fortiori de distordre purement négativement avec des généralités vides d'argument - ce que je dis ; sinon il vaut mieux pour moi ignorer purement et simplement vos écrits...

Je ne cherche à détruire que les illusions, sans passion négative ce me semble, et ceci en premier lieu pour comprendre ce qui est réellement, au plus profond. Il n'y a rien d'infect en soi ; je me réfère à cette grave maladie endémique de l'ego du point de vue de l'éthique humaine (qui est, comme son titre l'indique, l'objet de l'Ethique.) Je parle d'abord de l'ego prétentieux, si fréquent, travaillé par l'orgueil - la pire passion de l'âme - et la vanité, mais aussi ici plus avant de toute notion de permanence dans les modes finis, spécialement l'homme et son "identité" (ce qui rejoint ce que développe Durtal.)

Faun a écrit :Mais si votre propos est de vous servir de l'illusion que constitue, et sur ce point nous sommes d'accord, ce "moi psychologique" ou "moi imaginaire", composé d'images de corps, afin de nier l'existence réelle des êtres qui sont dans la Nature, comme vous semblez le faire, alors c'est aller trop loin par rapport à la pensée de Spinoza (qui est la philosophie que nous examinons ici).

Merci de l'information. N'oubliez pas d'en faire usage vous-même. Un problème c'est que tout cela se situe à un niveau assez subtil. Philosopher comme Spinoza c'est d'abord considérer toute chose comme étant en Dieu - ou causée, en quelque part que ce soit, par Dieu, si Dieu ne désigne que la Nature naturante, ce qui me semble correspondre à la façon de présenter les choses de Spinoza en première instance.

Pas de l'affirmer avec pompe pour dire implicitement le contraire trois phrases plus bas, et a fortiori avoir un comportement qui le dément de façon patente dans son ensemble. Par exemple, tout reproche, toute attaque d'origine passionnelle est un démenti pur de la réalité de cette perception. Tout se produit selon les lois de la nature ; le libre-arbitre n'existe pas, les modes ne sont pas en eux-mêmes mais en autre chose, les modes n'ont pas d'être propre.

Dans ces conditions parler de réalité des êtres commence mal. "Etants" est mieux, "modes" ou "manières" beaucoup mieux (si l'on comprend bien ce que l'on dit ainsi.) Un mirage (réflexion de la lumière dû à un gradient de densité de l'air) est-ce un être ou non ? Un nuage qui se déforme, se sépare, ou s'assemble avec d'autres, est-ce un être ou non ? Est-ce distinct de l'eau, du soleil, du vent ? La vérité est que tout cela se fait dans l'impermanence et l'interdépendance (ce que Spinoza dit on ne peut plus clairement, l'interdépendance impliquant l'impermanence, les deux par le Mouvement.) La question est : qu'est-ce qui est réellement ? Comme je l'ai déjà dit, le mot qui pose le plus de problème dans "cet objet-là est réellement" ce n'est pas tant "réellement" que "objet." Ce qui se comprend comme "entité" réelle c'est ce qui est en soi, et peut ainsi se comprendre par lui-même : Dieu. Dieu et ses attributs, les lois de sa nature et les modes infinis et éternels suffisent à englober tout le possible du point de vue des modes finis. Les modes finis vont selon Héraclite et sont en Dieu qui va selon Parménide, et Spinoza en toute conséquence concilie les deux.

Faun a écrit :Car dire comme vous le faites : "Il n’y a rien d’absolument permanent dans les modes (impermanence)" est strictement faux, puisqu'il existe des modes infinis et éternel (par exemple l'intellect de Dieu)

Oui, je n'ai pas précisé "finis", mais le contexte l'indiquait. Prendre un détail pour le monter en mayonnaise et le généraliser à des fins négatives - ce que vous n'êtes pas le seul à faire - mérite selon moi une citation à l'ordre de Schopenhauer...

Faun a écrit : ... , et même des modes finis et éternels (par exemple nos intellects).

A proprement parler, non. D'abord "entendement" (ou "intellect") s'agissant de l'homme est une notion générale chez Spinoza (comme la volonté à laquelle il l'identifie) qui n'a donc aucun être en soi mais indique ce que toutes les idées (ou seulement les adéquates suivant l'acception) ont en commun. Mais ce qu'il me semble important de considérer c'est qu'à partir du moment - et seulement dans ce cas - où nous avons des idées adéquates, ce sont aussi des idées divines "pures." Si l'on pense bien la chose, cela veut dire que ce ne sont pas NOS idées (celles-là ce sont plutôt celles qui sont tronquées et périssent avec le corps) mais les idées de Dieu qui se manifestent en nous ; c'est seulement dans ce cas qu'elles sont éternelles : ce sont des idées individuellement actualisées dans le monde phénoménal mais aucunement des idées "personnelles." L'autre preuve est que tous les hommes peuvent être convaincues des mêmes, la Logique en étant un exemple.

J'ajoute qu'avant de parler d'une chose avec pertinence, il faut qu'elle soit d'abord vue clairement et distinctement (critère très net quand on le reconnaît), sinon on ne sait tout simplement pas de quoi on parle... C'est précisément le sujet ici : savoir de quoi on parle.

Faun a écrit :Du reste, comme Pierre François Moreau le remarque à juste titre, l'Ethique commence par affirmer que toutes les choses (réelles, physiques) sont des effets de la puissance divine, qui en est la cause, mais finit par affirmer (prop. 36 partie 1) que toutes les choses sont des causes : "rien n'existe, sans que de sa nature ne s'ensuive quelque effet."

Je ne vois pas ce que c'est sensé prouver. Toute chose existante produit nécessairement des effets, puisqu'en particulier le monde modal fini est global et interdépendant, mais le tout se situe dans la puissance même de Dieu.

En passant, Spinoza me semble avoir une vision assez souple (et juste) de la "chose singulière" : il entend par-là un sous-ensemble modal fini, qu'il soit "macroscopique" ou "microscopique", qui fait sens pour l'homme, c'est-à-dire dont on peut tirer des propriétés. E2D7 est très claire à ce titre. C'est me semble-t-il la racine des propositions assez difficiles qui traitent des idées singulières dans un monde interdépendant (E2P9 et suivantes), ce qui ne se conçoit donc purement que comme global, et ce à la fois dans l'espace et dans le temps ; autrement dit : seul est absolument cohérent l'entendement infini de Dieu, ou idée de Dieu (à mon avis c'est la racine de l'assez mystérieux E5P40S.) Sauf qu'il y a possibilité pour l'homme d'avoir des idées adéquates, qui ne sont, en particulier parce qu'éternelles dans un mode fini - il ne s'agit pas de Dieu ici -, jamais des idées de choses singulières en tant que singulières, lesquelles sont changeantes et dont la perception en tant que telle est indissociablement liée à la sensation, par nature inadéquate.

Faun a écrit :... Spinoza n'eut jamais le désir d'enlever la puissance des modes pour la rendre à la seule substance, il me semble que sa philosophie cherche à faire exactement le contraire : rendre aux hommes la puissance de Dieu.

Je pressens que la difficulté vient d'une mauvaise assimilation de ce que dit Spinoza, due à un attachement tenace à l'existence en soi des choses singulières et en particulier de soi-même (autrement dit : on veut prouver ce qui se trouve déjà dans le préjugé qu'on prend comme prémisse.) Il n'y a pas Moi ET Dieu, il y a "Moi" (?) EN Dieu. Ce que "je" fais c'est Dieu qui le fait, sans séparation. L'enjeu éthique c'est de vivre selon ce qui est clair à la connaissance, et donc est à la fois entier en moi et en Dieu, ou pour le dire nettement plus proprement, qui est actualisé entier en moi en tant que cela existe éternellement en Dieu.

Faun a écrit :... que les humains forment une idée d'eux-même, c'est inévitable, puisque ce qu'ils sont, corps et esprit, existe réellement, et que cette existence réelle des choses produit des effets que les sens et l'intellect perçoivent.

Le problème c'est "eux-mêmes". Il est parfaitement possible d'avoir conscience des choses - la pure perception - et conscience de cette conscience (c'est compris dans le prix) sans avoir d'image globale de soi et encore moins d'image de soi comme permanent ou existant en soi. Encore une fois : voir effectivement et non seulement verbalement un mode comme mode (ce que fait Spinoza) c'est complètement différent de voir une chose singulière comme étant en soi (cela c'est l'imagination et le premier genre de connaissance chez "l'homme charnel" selon le mot de Spinoza.)

Serge
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Messagepar Faun » 27 sept. 2008, 18:04

Les choses n'ont pas besoin d'être en soi pour être, puisque les choses sont également même lorsqu'elles sont en autre chose (voir l'axiome 1 et la définition 5 de la partie 1). Tout ce qui est, tout ce qui est produit par Dieu et par ses lois éternelles, c'est à dire l'infinité des choses, vous les jetez dans l'illusion et le néant. Quelle est donc cette puissance divine si puissante qu'elle est incapable de rien créer de réel (voir proposition 34 partie 1)? Quelle peut être cette production infinie qui ne produit rien (voir proposition 16 partie 1)? Votre Dieu fonctionne à vide, vide rempli de lois qui ne s'appliquent à rien de réel, lois qui ne servent donc à rien. Quelle est cet être qui ne mérite même pas le nom d'être, car il est incapable de produire des effets réels, et que vous croyez être Dieu ?

Exister, penser, agir, conserver son être, persévérer dans son être, tout ce que font les modes, c'est donc une simple illusion selon vous, puisque les vivants, les hommes, selon votre théorie que vous prétendez être de Spinoza, ne sont rien de réel, la réalité appartenant à la seule substance et à ses attributs, et à leurs lois éternelles et infinies. Vous prétendez que cela est la pensée de Spinoza avec une belle arrogance, bien que tout prouve dans ses écrits qu'il pensait précisément l'inverse.

Croyez vous que vous puissiez tordre et interpréter à l'envers la pensée de Spinoza, le réduire à une sorte de nihilisme ?

"le droit dont jouit, selon la nature, toute réalité naturelle est mesuré par le degré de sa puissance, tant d'exister que d'exercer une action"

Dit-il dans le traité politique, chapitre 2 § 3, croyez vous qu'il faille en conclure que les choses de la nature, les corps et les esprits donc, ces "réalités naturelles" (sur lesquelles Spinoza fonde à la fois l'éthique et la politique, et toute sa théorie des passions qui ne se fonde que sur le conatus singulier de chaque être humain) sont à considérer comme des illusions et des fantômes ?
Quelle est donc cette puissance des réalités naturelles, qui les fait exister et agir ? Un rêve, une illusion, un fantasme ? C'est bien plutôt votre théorie qui est un fantasme. Les textes de Spinoza sont très clairs sur ce point que les modes, modification ou manières, appelez-les comme vous voudrez, donc les corps et les esprits, possèdent un degré d'être, ce sont des êtres vivants, et les corps existent tels que nous les sentons, et les idées ont également une existence réelle, et c'est une Nature pleine, une plénitude qu'est la Nature pour Spinoza, puisqu'en elle il n'est pas de vide, comme il l'affirme explicitement.


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