Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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nepart
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Du sentiment même de soi.

Messagepar nepart » 13 août 2008, 20:21

J'ai lu dans un sujet de discussion philosophique d'un autre forum, un message d'une personne qui s'interrogeait sur le sentiment même de soi.

Cette interrogation me semblant intéressante, j'ai pensé à la partager avec vous.



Le sentiment même d'un "moi" continu dans le temps serait une illusion perpétué par la sélection naturelle.

En effet, notre corps change de telle façon que la personne que vous êtes actuellement n'aura plus de matière en commun avec votre "moi" dans les années à venir, et l'organisation de votre cerveau aura changé.

Il n'y a donc aucune entière stabilité dans un temps supérieur au temps de Planck, une certaine unité minimale de temps pour un mouvement de matière, si j'ai bien compris;

Cette illusion serait basé sur :

le fait que notre apparence corporel change peu rapidement et que jour après jour, on se sent le même physiquement.
Cela peut faire pensée au fait que beaucoup d'hommes pense et ont pensé qu'il n'y a pas d'évolution dans la nature car à l'échelle humaine, on ne perçoit pas de changement

le fait que la mémoire subsistent au cours du temps donnerait une illusion de continuité du "moi".
Cette mémoire ne devrait pourtant pas être un argument pour cela, car nous n'avons aucun souvenir de nos premiers jours et pourtant nous nous y identifions.

Ces arguments ne sont, je pense, pas valable dans la pensée de Spinoza, ce dernier étant dualiste

Cependant, étant en désaccord avec le dualisme, je ne vois pas comment argumenter contre la thèse de l'illusion du "moi", sans faire appel au dualisme.

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Messagepar Faun » 13 août 2008, 22:01

Peut être que la solution serait du coté d'une sorte de "moi infini".

Indéfinissable, indistinct, une brume.

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Messagepar nepart » 14 août 2008, 16:23

En quoi cela s'y oppose t'il?

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Messagepar nepart » 17 août 2008, 21:39

Ce sujet n'inspire personne?

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Messagepar Louisa » 18 août 2008, 02:28

Bonjour Nepart,

ceci juste pour te dire qu'en ce qui me concerne, le sujet me semble être certes très intéressant, mais fort compliqué, sachant que Spinoza ne se prononce pas vraiment sur la question (le spinozisme n'est pas une "philosophie du moi", en tout cas pas explicitement, au sens où le moi ou ego n'y est jamais l'objet explicite, texto d'une réflexion; il s'agit bien plutôt d'essences de choses singulières dont l'homme, et de choses qui même si elles appartiennent à ces essences, n'y appartiennent que du point de vue de la durée et non pas du point de vue de l'éternité/réalité (comme par exemple les idées inadéquates)).

Pour te répondre, il faut donc reconstruire soi-même toute une interprétation de passages qui y réfèrent "en oblique", ce qui prend pas mal de temps, temps que je n'ai hélas pas pour l'instant (c'est pourquoi répondre à une question concernant l'interprétation de telle ou telle proposition est beaucoup plus facile, ou du moins peut se faire plus rapidement, quitte à devoir nuancer/développer/corriger/... par après). Or il y a ici des gens qui lisent Spinoza via la notion du moi. Peut-être qu'ils t'expliqueront comment ils y arrivent. D'autre part, tu as déjà lancé quelques pistes intéressantes toi-même ci-dessus, donc n'hésite pas à continuer à les développer, même si tu n'as pas encore beaucoup de réponses, car peut-être que cela donnera une idée à l'un ou l'autre parmi nous et qu'on aura envie de participer plus activement.
A bientôt!
L.

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Messagepar nepart » 19 août 2008, 18:39

Je ne comprends pas l'idée "lire spinoza via la notion du moi".

A quoi pense t'on dans la vie si ce n'est à soi même?

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Messagepar Spinoza_Powa » 21 août 2008, 02:57

Et voilà maintenant à cause de toi cette question reste dans mon esprit et je ne pourrais plus être tranquille avant d'avoir la réponse. Merci Nepart. :D

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Messagepar Louisa » 21 août 2008, 12:57

Nepart a écrit :Je ne comprends pas l'idée "lire spinoza via la notion du moi".

A quoi pense t'on dans la vie si ce n'est à soi même?


Bonjour Nepart,

tentative de réponse rapide .. .

Ce que je voulais dire par là, c'est que le mot "moi", en latin ego, n'est pas un objet de réflexion chez Spinoza. On ne trouve pas une définition de ce terme, pas un axiome concernant le moi, pas de propositions qui disent que le moi est ainsi ou ainsi. En ce sens, le "moi" est une véritable "invention philosophique": certains philosophes ont commencé à le thématiser à un certain moment, d'autres ne s'en occupent pas (dans le même sens, on dit par exemple que l'homme est devenu un "individu" seulement vers la fin du Moyen Age). D'ailleurs le latin a comme caractéristique de ne pas avoir besoin de pronom personnel pour indiquer le sujet d'un verbe. Ainsi Spinoza écrit-il en latin Per causam sui intelligo, ce qui se traduit par "Par cause de soi J'entends". Le "je" est déjà exprimé par le verbe "entends" ou intelligo seul, il ne faut pas un deuxième mot ("je") comme en français pour l'exprimer.

A mon sens, cela signifie que pour Spinoza, le "moi' n'est pas une "instance", une "entité" qui flotterait quelque part dans notre tête, et avec lequel nous avons un rapport. Il n'y a pas l'idée qu'il faut essayer d'être "soi-même", dans le spinozisme, par exemple. Toute chose singulière est toujours elle-même, et cela va tellement de soi que Spinoza ne développe pas l'une ou l'autre problèmatique concernant l'être "authentiquement" soi-même ou non, être "étranger" à soi-même ou non. On est ou bien soi-même, ou bien un autre, mais "je" n'est jamais "un autre" simultanément. Cette idée ne vient que beaucoup plus tard, au XIXe siècle, et se résume dans le célèbre vers de Rimbaud "Je est un autre".

Conclusion: chaque chose est toujours elle-même. Chaque homme a toujours un esprit, et celui-ci ne peut pas ne pas être ou devenir "son" esprit. L'homme ne doit donc pas "lutter" non plus pour garder son "moi", tout comme il ne doit pas lutter "contre" son "moi", comme certaines morales le préconisent. Il est son "moi", si l'on veut. Ce qu'il a à combattre, ce sont les passions, c'est-à-dire le fait que son Esprit pense aux choses hors de lui non pas en les enchaînant selon un ordre pour la raison, mais en les enchaînant en fonction des "rencontres fortuites avec la nature". C'est la raison pour laquelle il se trompe souvent, et quand il se trompe, il risque de ne pas faire ce qu'il vaut mieux faire pour se maintenir en vie et pour devenir heureux. Mais là il ne s'agit pas vraiment de combattre son propre "moi", il s'agit plutôt de défaire les liens hasardeux entre les idées qui nous passent par la tête, pour essayer de penser selon la capacité qui caractérise la nature de l'homme: la raison.

Mais bon, comme je l'ai annoncé, ce message est écrit rapidement, donc il ne sera sans doute pas tout à fait clair ... . Quelques remarques concernant ton premier message pour terminer:

Nepart a écrit :Le sentiment même d'un "moi" continu dans le temps serait une illusion perpétué par la sélection naturelle.


pour la sélection naturelle: voir ce que j'en ai déjà écrit dans d'autres messages à toi. En résumé: dans la version "vulgarisée" du darwinisme, on a tendance à croire que tout ce qui existe doit avoir une bonne raison pour exister, c'est-à-dire doit avoir été utile dans un lointain passé, et le résultat d'une sélection naturelle. En pratique, les choses ne se passent pas ainsi. Un tas de traits humains (mais cela vaut aussi pour les autres choses dans le monde) sont là SANS que la sélection naturelle ait opéré sur eux. Ils n'ont donc aucune "utilité" historique, au sens où ils n'ont pas été sélectionnés par la nature après l'un ou l'autre combat pour la survie avec d'autres êtres ayant d'autres traits. Ils sont là par hasard, tout simplement. Et il se fait qu'il est TRES difficile de faire le tri, scientifiquement parlant, entre ce qui était utile dans l'un ou l'autre combat préhistorique, et ce qui est un simple produit du hasard (notamment parce qu'on ne connaît pas bien ce passé lointain). Utiliser le critère "vulgaire" qui semble dire que tout ce qui est inutile aujourd'hui doit avoir été produit par la sélection naturelle, n'a donc aucun sens.

Quant à Spinoza: TOUT ce qui concerne une permanence dans le temps s'explique par le temps, et donc est un produit de notre imagination. Mais il ne dit pas que l'imagination elle-même est illusion, il dit qu'elle est SOURCE d'illusions.

Nepart a écrit :En effet, notre corps change de telle façon que la personne que vous êtes actuellement n'aura plus de matière en commun avec votre "moi" dans les années à venir, et l'organisation de votre cerveau aura changé.

Il n'y a donc aucune entière stabilité dans un temps supérieur au temps de Planck, une certaine unité minimale de temps pour un mouvement de matière, si j'ai bien compris;


on peut le dire, mais c'est oublier que ce qui fait que nous sommes qui nous sommes n'est pas tellement une histoire de "briques" matérielles. Nos idées correspondraient selon la neurologie actuelle par exemple à des "réseaux neuronaux". Ce qui est important là-dedans, ce ne sont pas les neurones en tant que tels, mais la façon dont ils sont interconnectés. Si donc un neurone meurt, un autre peut prendre sa place, et voilà, le réseau (les "câbles") reste entier, on pensera toujours la même idée. On sait même déjà qu'une grande partie du réseau peut être détruite. Du fait même que ce réseau n'existait pas de façon isolée des autres réseaux, les autres ont des "traces" de lui dans leur propre réseau, et réussisent à l'aide de ces traces à reconstruire le réseau entier, par exemple dans un autre endroit du cerveau, s'il s'agit d'une véritable lésion cérébrale.

Dans des termes spinozistes: ce qui fait que notre Corps est le nôtre, c'est que les multiples petits corps qui le constituent peuvent sans cesse être échangés pour d'autres (c'est ce qui arrive quand on mange), aussi longtemps qu'ils effectuent le RAPPORT entre petits corps qui nous caractérise nous. Aussi longtemps qu'un petit corps meurt (une cellule de peau de mon bras, par exemple), mais qu'il est remplacé par un autre, nouveau (en effet, sous la peau il y a une souche qui génère sans cesse de nouvelles cellules de peau), et qui va exercer exactement la même fonction par rapport aux autres cellules du corps, mon bras reste bel et bien MON bras. Voir ce qu'on appelle la "petite physique" de l'Ethique, c'est-à-dire les lemmes de la partie 2.

Nepart a écrit :Cette illusion serait basé sur :

le fait que notre apparence corporel change peu rapidement et que jour après jour, on se sent le même physiquement.
Cela peut faire pensée au fait que beaucoup d'hommes pense et ont pensé qu'il n'y a pas d'évolution dans la nature car à l'échelle humaine, on ne perçoit pas de changement


c'est étrange de dire cela, puisque tradionnellement une majorité de philosophes trouve que le monde humain est le monde changeant, le monde divin le monde où les choses restent toujours identiques à elles-mêmes. En effet, ne faut-il pas constater un grand changement entre un bébé et la même "personne" devenue adulte, par exemple? Pour Spinoza, le changement est même SI grand, qu'on peut réellement se demander dans quelle mesure il s'agit encore de la même "essence singulière", sachant que celle-ci se définit par un degré de puissance, et qu'il est indéniable qu'un homme adulte est BEAUCOUP plus puissant que le même homme bébé.

Nepart a écrit :le fait que la mémoire subsistent au cours du temps donnerait une illusion de continuité du "moi".
Cette mémoire ne devrait pourtant pas être un argument pour cela, car nous n'avons aucun souvenir de nos premiers jours et pourtant nous nous y identifions.


pour Spinoza la seule chose qui est éternelle est notre essence, pas notre mémoire, puisque celle-ci est liée au temps, et que le temps n'a rien à voir avec l'éternité. Ce qui "subsiste" donc, ce serait cette essence même, c'est-à-dire, l'ensemble de nos idées adéquates (et l'essence de notre Corps).

Quant aux premiers jours: ne faut-il pas dire que nous nous y identifions principalement parce que nos parents nous ont montré des photos et nous ont juré que ce bébé là, c'est nous, tandis qu'on voit bien que pour d'autres gens qu'on connaît depuis qu'ils étaient bébé, les choses se passent également ainsi, ce qui renforce notre tendance à y croire?

Nepart a écrit :Ces arguments ne sont, je pense, pas valable dans la pensée de Spinoza, ce dernier étant dualiste

Cependant, étant en désaccord avec le dualisme, je ne vois pas comment argumenter contre la thèse de l'illusion du "moi", sans faire appel au dualisme.


Pourrais-tu expliquer davantage ce que tu veux dire par là?
L.

PS à Spinoza_Powa: je n'oublie pas ta question concernant le déterminisme!

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Messagepar nepart » 21 août 2008, 18:03

Pour la selection naturelle, je ne vois pas ce qui s'oppose avec ce que tu dis.
Rien n'est finaliste il me semble dans mon explication, je dis juste que cela peut s'expliquer par la sélection naturelle, car cela procurerait un avantage sélectif et que la selection naturel favorise cela.

Oui nous ne sommes pas de briques materielles, mais dans le cas du remplacement d'un neurone par un autre, il y a conservation de l'organisation.
Or ce n'est pas ce qui se passe, l'organisation change, même celle de ton cerveau, des voix neurales se détruisent et se créent constamment.

Il n'y a donc rien de totalement stable, rien qui puisse nous définir, rien qui nous permettent de dire, je suis ça, et ce ça va se perpétuer jusqu'a ma mort.

L'ensemble des idées adéquates qui pourrait jouer ce rôle chez Spinoza ne me semble pas vrai non plus. Un enfant, un adulte et une personne malade qui perd ses capacités intellectuelles, n'ont pas les mêmes idées adéquates.

Si tu penses que l'idée que le "moi" bébé est du au autres, alors tu penses aussi que c'est illusoire de s'y identifier non?

Pour le dualisme, c'est qu'il me semble que pour Spinoza, tout n'est pas que matière ou énergie, même si ce "second monde" serait lui aussi déterminé. Mais peut être que j'ai mal compris ce point.
Il y aurait donc comme une âme qui formerait la constante recherché.

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Messagepar Louisa » 22 août 2008, 09:34

Nepart a écrit :Pour la selection naturelle, je ne vois pas ce qui s'oppose avec ce que tu dis.
Rien n'est finaliste il me semble dans mon explication, je dis juste que cela peut s'expliquer par la sélection naturelle, car cela procurerait un avantage sélectif et que la selection naturel favorise cela.


ce que je voulais dire, c'est qu'effectivement, on PEUT toujours dire que peut-être tel ou tel trait doit avoir été le résultat d'une sélection naturelle. Mais on peut toujours tout aussi bien croire qu'il s'agit d'un "co-produit", et partant qu'il est là tout à fait par hasard.

Puis il faut d'abord pouvoir montrer que ce sentiment ou cette "illusion", comme tu l'appelles, est là pour tous les hommes, ou pour la très grande majorité. Ce qui est tout sauf certain, si l'on voit combien par exemple les culturels africaines se pensent différemment que les cultures occidentales.

Enfin, encore une fois, tu présupposes que cette "illusion" serait un avantage. Pourquoi? Et si c'est le cas, pourquoi supposer que ce qu'on trouve AUJOURD'HUI être un avantage, l'aurait été aussi dans des circonstantes TOTALEMENT différentes, au moment où se construisait l'essentiel du génome humain?

Bref, l'idée que cela "peut" être le résultat d'une sélection naturelle me semble être un peu gratuite. Certes, c'est toujours possible. Mais l'inverse est tout aussi possible. C'est pour ça que je ne comprends pas très bien ce que cela apporte, tu vois?

Nepart a écrit :Oui nous ne sommes pas de briques materielles, mais dans le cas du remplacement d'un neurone par un autre, il y a conservation de l'organisation.
Or ce n'est pas ce qui se passe, l'organisation change, même celle de ton cerveau, des voix neurales se détruisent et se créent constamment.


il est vrai que des connexions, des synapses se créent chaque seconde, et la plupart d'entre elles sont immédiatement détruites. C'est l'une des facteurs qui sont à la base de la très grande plasticité du cerveau. Mais justement, à quoi cela sert-il? Lorsque les sens perçoivent quelque chose, cette info va se frayer un chemin dans le cerveau, et va en partie passer par des voies neuronales déjà traçées, en partie passer par telle ou telle synapse qui vient d'être formée. Ce faisant, cette synapse est bel et bien stabilisée. Elle ne sera PAS détruite, comme la majorité des autres synapes qui surgissent sans cesse spontanément. Si pas trop longtemps après une perception similaire se fait, elle va de nouveau passer par tout ce circuit, et le stabiliser davantage, et ainsi de suite. De cette manière le cerveau peut "apprendre": une mémoire se crée, des savoir-faire s'installent.

Donc oui, à mon sens il y a un tas de "réseaux" tout à fait stables dans le cerveau. Celui qui fait que tu n'oublies pas ta langue maternelle, par exemple - du moins pas aussi longtemps que ce réseau est activé, c'est-à-dire que tu la parles ou écris activement et régulièrement. Ce sont ces réseaux qui commencent réellement à se perdre chez quelqu'un qui souffre de la maladie d'Alzheimer: alors on oublie des choses tellement banales qu'on n'aurait jamais penser qu'un homme peut les oublier. Exemple: si tu as l'habitude de mettre toujours tes clefs à tel endroit, c'est bien TOI qui as cette habitude, non? Ce n'est pas une "illusion" que de dire qu'il y a là quelqu'un qui s'est créée cette habitude. Alors il faut bien qu'il y a une cause qui la maintient. Si tu sais conduire une voiture, tu as acquis une telle aptitude, qui se conserve très longtemps, même si pendant des années en pratique tu n'as pas de voiture. Etc.

Nepart a écrit :Il n'y a donc rien de totalement stable, rien qui puisse nous définir, rien qui nous permettent de dire, je suis ça, et ce ça va se perpétuer jusqu'a ma mort.

L'ensemble des idées adéquates qui pourrait jouer ce rôle chez Spinoza ne me semble pas vrai non plus. Un enfant, un adulte et une personne malade qui perd ses capacités intellectuelles, n'ont pas les mêmes idées adéquates.


souviens-toi du fameux passage concernant le poète espagnol, E4P39 scolie. Pour Spinoza, changer d'essence c'est précisément cela: on acquiert un tas de nouvelles idées adéquates (bébé - > adulte), ou on en perd tout d'un coup un grand nombre (le poète espagnol qui une fois guéri d'une maladie, ne se souvenait plus de rien, ne reconnaissait plus son oeuvre comme étant écrite par lui, etc). Bref, avec une maladie grave, on peut tout à fait perdre son essence, et son Corps peut effectuer une autre essence, qui n'a plus grand-chose à voir avec la première.

Nepart a écrit :Si tu penses que l'idée que le "moi" bébé est du au autres, alors tu penses aussi que c'est illusoire de s'y identifier non?


non, je crois plutôt qu'il faut tenir compte du fait que l'homme est un animal social, et donc que sa "personnalité" est largement le résultat des influences qu'il reçoit de son environnement. On pourrait dire que c'est quelque part ça, la vie humaine: apprendre à "assumer" les différentes (et parfois très divergeantes) influences qui se sont "croisées" en nous, et essayer de les intégrer d'une telle façon qu'on crée activement un genre d'unité flexible (ce qui implique qu'il est une erreur de croire que le "moi" consisterait en quelque chose que tous les autres n'ont pas, et qui ne viendrait pas de l'extérieur; là il s'agirait peut-être effectivement d'une "illusion"; quelque chose qu'il faudrait aller chercher "à l'intérieur de soi", et qui serait toujours là, toujours déjà "fait", prêt à être découvert etc).

Ou comme le dit Leibniz: la liberté consiste à intégrer les mille petites perceptions et inclinations, qui tirent l'âme dans tous les sens, dans une grande inclinaison, capable d'exprimer toute l'amplitude de l'âme à un moment donné. Le "moi" ici ne pré-existe pas à cette grande inclinaison, le "moi" n'arrive que lorsqu'on réussit, à tel ou tel moment, à intégrer et exprimer maximalement tout ce qu'on sent qui est là en nous, et qui procure une certaine "inquiétude", aussi longtemps qu'on n' pas trouvé l'inclinaison capable de former momentanément un tout.

Ou en des termes plus spinozistes: on sait que les idées inadéquates sont des idées que nous subissons, causées par l'extérieur, et qui peuvent elles aussi tirer l'âme dans tous les sens. Réussir à installer une conduite selon la raison, c'est réussir à former de ces idées inadéquates des idées adéquates, c'est-à-dire de les enchaîner selon un ordre pour la raison, enchaînement qui alors me caracterisera MOI, et non plus avant tout les mille petites causes qui me font passer de tel humeur à tel humeur, sans aucune stabilité.

Ce qui ne veut surtout pas dire qu'il faut arrêter ou rejeter les causes extérieures, au contraire même: pour Spinoza une grande puissance de penser va de pair avec une grande aptitude du Corps à être affecté. En effet, il faut bien avoir d'abord une image d'une chose extérieure, aussi imparfaite soit-elle, avant de pouvoir en avoir une idée adéquate. L'image n'étant rien d'autre qu'une affection du Corps, plus le Corps peut être affecté différemment, plus il peut "incorporer" des aspects de choses fort différentes, et donc plus il peut connaître du monde, et plus il peut intégrer des influences externes selon un ordre pour la raison, plus sa personnalité "s'enrichit".

Nepart a écrit :Pour le dualisme, c'est qu'il me semble que pour Spinoza, tout n'est pas que matière ou énergie, même si ce "second monde" serait lui aussi déterminé. Mais peut être que j'ai mal compris ce point.
Il y aurait donc comme une âme qui formerait la constante recherché.


je crois que tu as bien compris, au sens où effectivement, tout n'est pas matière, pour Spinoza. Il y a un attribut de l'Etendue (qu'on identifie plus ou moins à la matière), mais il y a une infinité d'autres attributs. Seulement, l'homme n'a accès qu'à un autre attribut encore: celui de la Pensée. Tu peux appeler cela un "dualisme", mais ce n'est pas ce qu'on fait d'habitude, parce que dans beaucoup de dualismes (par exemple le dualisme cartésien), l'un pôle sait causer des effets sur l'autre, ce qui est exclu chez Spinoza, puisque les deux expriment la seule et même "chose" (mon Esprit et mon Corps expriment tous les deux la chose singulière que je suis moi).

Sinon encore une fois, ce qui est constant chez Spinoza, ce sont les essences. Elles sont éternelles, elles expriment un degré de puissance précis. Et cela vaut aussi bien pour l'âme que pour le Corps: il y a une essence de l'Esprit, et une essence du Corps. Notre Corps actuel, qui effectivement à plusieurs égards change régulièrement, exprime néanmoins toujours plus ou moins la même essence (du moins si l'on est adulte, et encore ...), mais comme le montre l'exemple du poète espagnol, quelque chose peut arriver, et alors les petits corps qui exprimaient avant notre essence à nous, peuvent commencer à exprimer une autre essence. A partir de ce moment-là, le Corps pour Spinoza a changé d'essence. Ce qui revient pour lui à une "mort" du Corps précédent. Autrement dit, on ne meurt pas simplement quand le sang arrêter de circuler. On peut aussi mourir lorsque le sang circulant commence à effectuer une toute autre essence ... . Autre essence du Corps, bien entendu, et donc nécessairement aussi une autre essence d'Esprit.


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