Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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sescho
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Messagepar sescho » 28 sept. 2008, 16:56

Durtal a écrit :... je pense, que les propriétés très particulières de ce que Spinoza appelle "l'activité" font en sorte que pour autant que nous agissons et comprenons la nature, nous sommes toujours plus et d'autant plus que nous faisons ces choses, des êtres singuliers, des êtres individuels et qui se distinguent des autres choses.

Toutes les objections qui t'ont été faites, Serge, tournent autour de l'idée qu'il est difficile d'admettre que nous n'avons pas d'essence distincte des autres choses. Autrement dit, la conscience intuitive de nos chers camarades proteste de toute ses forces contre la suggestion selon laquelle nous n'aurions pas plus de consistance que les "nuages"…. Or je pense que tu as parfaitement raison, MAIS pour autant que nous sommes soumis aux passions. Un homme qui vogue au grès de son imagination et de ses passions a le type d'identité (mutatis mutandis) qu'à un nuage, c'est à dire: pas d'identité . Mais ce que je trouve proprement génial dans le concept Spinoziste "d'activité" est qu'il va dans le sens, non pas d'un retrait ou d'une "autonomisation" vis à vis des causes extérieures (ce qui bien sur est totalement impossible) mais dans le sens inverse. C'est à dire: plus nous parvenons à nous unir "à l'extérieur", c'est à dire plus nous sortons de nous mêmes, et plus nous sommes individualisés (plus nous sommes réellement nous même), plus nôtre singularité tend à exprimer l'infini. J'espère, ces jours prochains, avoir le loisir d'étayer ce que je raconte sur des bases un peu plus "techniques", mais, même si je si je suis d'accord avec toi sur ce que tu racontes à propos de la "réalité" des modes, ( et je veux dire: vraiment pleinement d'accord), il faut affronter le paradoxe de la liberté de l'homme, qui suppose son individualité.

Je suis d'accord avec cela. Et je suis d’accord avec ce que tu as dit plus haut (même si le texte de Spinoza laisse quelque doute à ce sujet), qu’un « individu » est quelque chose de composé et de plus « consistant » (stable) qu’une chose singulière chez Spinoza. Je conteste en revanche qu’il puisse échapper à l’impermanence en tant qu’individu. Au moins par sa mort ; mais, en fait, l’impermanence c’est le Mouvement, et donc la vie même. En passant, je suis aussi d’accord sur le sens réel de E2P10 ; par métaphore (imparfaite comme toute) : l’essence du doigt est contenue dans l’essence de la main (et donc celui-ci ne peut être ni être ni être conçu sans la main), mais l’essence de la main n’appartient pas à celle du doigt. Pour Dieu, c’est un peu plus subtil puisqu’il est infini de sa nature et possède l’existence nécessaire.

Je ne dis pas - ce qui serait stupide, l'essence d'une chose étant tout simplement ce qu'elle est - que l'essence des choses singulières est la même pour toutes. Certaines choses singulières ont plus de puissance (de "possibilités") - beaucoup plus s'agissant de l'Homme - que d'autres, autrement dit, expriment plus la nature de Dieu que d'autres. En outre, les essences sont en Dieu et éternellement en Dieu. Ceci n'implique pas cependant que les choses singulières (choses particulières existant en acte) aient toujours la même essence : il y a un glissement permanent dans le continuum des essences.

Note : toutefois Spinoza utilise de la façon la plus nette qui soit - et pour cause : il n'y a que de cela dont on peut tirer une connaissance claire - les "essences de genre", en particulier évidemment l'"Homme" (ce qui est constitutif de l'essence de tout individu singulier du genre Homme.) Dans ce cadre, évidemment, certain changements n'affectent pas ce qui fait qu'un homme est dit homme, autrement dit, ne sortent pas de l'essence du genre "Homme." Sinon les rapports particuliers (bien subtils) entre parties qui font un homme sont détruits, et il s'agit par exemple d'un cadavre, non d'un homme. Ceci explique la plupart des passages de Spinoza sur le sujet (E4Pré, par exemple.) D'autres, comme E3P47, introduisent une vision strictement particulière de l'essence. Dans ce cas, il y a changement en permanence : pas par principe "propre", mais par principe naturel. D'où une opposition au moins partielle entre "naturel" et "propre" - le second seul étant mis en cause - sur la durée s'agissant des choses singulières. Par ailleurs, les fonctions d'alimentation et d'excrétion qui régénèrent en quelque sorte le corps, tendent manifestement à maintenir sa nature et non au contraire à la détruire, mais ceci ne change rien dans le principe à l'interdépendance et à l'impermanence qui va avec en général (sinon c'est ridicule : une interdépendance absolument statique - il ne s'agit pas ici d'abord des parties constituant un individu, mais de l'effet sur lui de ce qui lui est extérieur -, cela s'appelle un corps composé, pas l'effet du Mouvement.) Il est en outre tout simplement de la première évidence que tout mode fini change, et ce donc par un principe naturel (l'interdépendance des modes finis), le changement réel variant en fonction de son environnement. Le maintien indéfini dans l'essence est effectivement une tendance dans une chose singulière, mais dans la réalité il est strictement impossible qu'elle s'y maintienne car aucune chose singulière ne peut se concevoir seule (E4P2, E4P4, E4App, etc. déjà cités, à lire.) L'essence n'est pas le désir, mais le désir n'est RIEN EN DEHORS de l'essence : le désir qui naît d'une passion vient de ce que l'essence "est excitée ou contrariée dans son principe de conservation par une puissance extérieure", c'est pourquoi la définition du désir dit que le désir c'est l'essence EN TANT qu'elle est poussée à l'action par une affection d'elle-même. C'est pourquoi un désir peut "naître" de quelque chose, comme le dit Spinoza, formule qui est impropre pour une essence. Seuls les désirs actifs, ajoutés par Spinoza à la fin de E3, sortent de ce schéma et sont une expression propre et continue de l'essence propre. En résumé, le désir c'est la tendance à la conservation de l'essence et ne peut pas être distingué de cette essence, si ce n'est qu'en tant que nous pâtissons il se manifeste en fonction de la situation extérieure changeante, tandis qu'en tant que nous agissons il se manifeste continûment.

Pour revenir à ton propos, rien ne me gène sinon que je vois mal comment on peut dire seulement "individuel" s'agissant de vérités éternelles (éternité qui n'est pas le cas de l'individu, confiné dans sa finitude et destiné à la mort) et telles pour tous les hommes, pour l'Homme. Comment peut-on limiter l'illimité ? Comment peut-on juger finie la connaissance du Dieu infini ? La réalisation (d'une essence qui est entière en Dieu) est individuelle, mais ce qu'elle réalise est éternel : c'est la part de Dieu connaissable au sens fort qui se trouve contenue dans la nature de l'Homme, donc de tous les hommes, pas d'un individu particulier ; une part de Dieu accessible (et très rarement accédée de fait) à tous les hommes. (Note : je ne pèse pas ici mes mots, mais je pense qu'à un esprit positif, le sens est assez clair.) C'est pourquoi le Védanta dit comme Spinoza en substance qu'Atman (le vrai Soi) est Brahman (Dieu), ou le Bouddhisme que le "non-soi" (qui n'est pas le néant) appartient au "non-né" (qui n'est pas non plus le néant.) C’est pourquoi je dis : la réalisation est individuelle, mais pas « personnelle, » dans le sens où l’individu pourrait être considéré en soi, sans Dieu (dans l’esprit, pas dans les paroles, comme tu l’as bien dit.)

Mais certes plus nous sommes indépendants mentalement des autres choses singulières et plus par définition nous sommes « individués » et plus nous exprimons l’infini. Donc je le répète : individuel, oui (nous sommes donc d’accord), personnel non (dans le sens que j’ai donné à ce mot.) Le Soi est individuel, le Moi est personnel et est un agrégat imaginaire. Et j’aurais tendance à dire en plus que dans l’affaire, le côté individuel est le côté secondaire, trivial presque. Tout cela dit, j’ai le sentiment que nous sommes profondément d’accord… :-)

Un extrait du grand Arnaud Desjardins (que l’on peut ici rattacher au Védanta, mais qui convient autant au Bouddhisme, au message de Jésus de Nazareth, etc. ; le « danseur » est une métaphore qui, comme toute métaphore a des limites nettes ; comme d’habitude il faut donc ici regarder la Lune et non le doigt. A Faun : pas la peine, je sais…)

Arnaud Desjardins, Pour une mort sans peur, a écrit :Un homme est immobile — en méditation. Immobile en méditation, il n'est ni un nageur, ni un père, ni un client, ni un consommateur, ni un danseur, il est simplement un Homme. Dès qu'il commence à remuer, à bouger, il devient un danseur. La danse commence avec le danseur, la danse s'achève avec le danseur. Mais avant que naissent simultanément le danseur et la danse, et après qu'ont disparu simultanément le danseur et la danse, subsiste l'Homme, juste l'Homme, assis immobile, avant et après la danse, comme je l'ai vu en Inde, comme je l'ai vu au Japon.
De la même manière, la Réalité suprême peut être considérée sous trois aspects. D'abord la Réalité ultime, essentielle, le Brahman non manifesté, « nirguna brahman » (Brahman sans aucun attribut). Il est représenté dans notre comparaison par l'Homme immobile et en méditation, préalable à la danse, sous-jacent à la danse et qui subsistera après la danse. Dans le danseur, il y a l'homme. Dans la manifestation, il y a le Brahman, la Réalité Suprême, Être — Conscience — Béatitude, « satchitananda ». C'est l'aspect statique, sans attribut, du Brahman.
Puis il y a l'aspect comparé au danseur : c'est ce qu'on nomme le Brahman avec attributs, « saguna brahman », et bien d'autres termes. La Réalité absolue devient le Dieu Créateur, « Ishwara » en Inde. Mais ce Dieu créateur, ne l'oubliez pas, n'est pas extérieur à sa Création, comme le sculpteur est extérieur à sa sculpture. Ce Dieu créateur est immanent à sa Manifestation. C'est d'ailleurs pourquoi en Inde, on dit plutôt la manifestation que la création. Le Brahman absolu se manifeste sous la forme du Brahman qualifié ou de la shakti, l'Unique Énergie infinie qui s'exprime par toutes les formes dont nous sommes conscients à l'intérieur de nous-même. C'est sa manifestation, c'est sa danse. De même que l'homme, le danseur et la danse ne sont qu'un, la Réalité Ultime non manifestée, l'Unique Energie infinie, et la Manifestation, la danse de Dieu, ne sont qu'Un. Cette Réalité Suprême est donc à la fois immanente puisque c'est Elle qui sous-tend toute la Manifestation, et transcendante parce qu'Elle n'est jamais affectée par cette Manifestation.
C'est cette Unique Réalité, immuable et s'exprimant par des formes changeantes, qui est le thème central des Upanishads, que vous l'appeliez Brahman du point de vue universel, ou Atman, du point de vue personnel.



Serge
Modifié en dernier par sescho le 28 sept. 2008, 18:23, modifié 2 fois.
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Messagepar Louisa » 28 sept. 2008, 17:45

A Durtal,

voici qu'il y a une heure, j'étais déjà bien avancée dans ma réponse à ton message plus long sur l'individualité proprement spinoziste, lorsque sans prévenir mon ordinateur décide d'en finir avec sa durée de vie à lui ... :cry: . Je viens de parvenir à le réanimer (tout en ayant perdu l'entièreté de mon message ...), mais il fait maintenant un bruit affreux, donc je suppose qu'il ne tiendra pas longtemps le coup ... . Par conséquent, il se peut que je vais devoir attendre avec la réponse jusqu'à ce qu'il est réparé (ou si cela n'est pas possible, jusqu'à ce que j'en ai acheté un autre) .. .
A bientôt j'espère,
L.

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Messagepar Louisa » 28 sept. 2008, 18:05

Sescho a écrit :Il est en outre tout simplement de la première évidence que tout mode fini change, et ce donc par un principe naturel (l'interdépendance des modes finis), le changement réel variant en fonction de son environnement. Le maintien indéfini dans l'essence est effectivement une tendance dans une chose singulière, mais dans la réalité il est strictement impossible qu'elle s'y maintienne car aucune chose singulière ne peut se concevoir seule


en effet, pour nous tous il est évident que toute chose singulière change, en fonction de son environnement. Et on voit bien qu'aucune chose n'arrive à atteindre l'immortalité, puisque toute chose meurt. Tout cela, j'en suis bien d'accord, est évident.

Mais lorsqu'il s'agit du spinozisme, on dépasse l'évidence quotidienne (comme est censée le faire toute philosophie).

Du point de vue spinoziste, celle-ci (l'évidence quotidienne) ne devient "vrai" (ou plutôt, ne fait partie du vécu, vaudrait-il mieux dire) QUE du point de vue du mode, modaliter. Qu'une chose naisse, vive puis meure n'est vrai QUE du point de vue du temps. Or le temps, nous l'imaginons, dit Spinoza (cela, c'est bel et bien tout à fait contre-intuitif, ici Spinoza ne nous demande rien d'autre que faire un petit effort pour QUITTER notre attachement aux évidences quotidiennes afin d'apprendre de les concevoir autrement). Du point de vue de l'éternité, c'est-à-dire non pas modaliter mais realiter, RIEN ne change, tout est permanent (même si cela n'a pas beaucoup de sens de le dire ainsi, puisque la permanence aussi se définit par le temps .. il vaut mieux dire qu'il n'y a ni permanence ni impermanence, mais éternité). De ce deuxième point de vue (seul point de vue capable d'accéder à la vérité et la réalité, dit Spinoza), toutes les essences singulières sont, c'est-à-dire existent, éternellement en Dieu.

Ou encore: une chose ne peut être détruite qu'EN TANT QU'elle peut être dit durer (ce qui est logique, après tout: seul ce qui dure dans le temps peut éventuellement cesser de durer). Mais dire d'une chose qu'elle dure, c'est envisager son existence actuelle que d'UNE façon possible. Comme Spinoza le répète souvent, on peut également envisager l'existence d'une chose singulière non pas dans le temps, mais du point de vue de l'éternité. Là, aucune chose ne commence à exister ni n'arrête d'exister à un autre moment de la durée. Concevoir les choses comme des "étants réels", ou les concevoir "vraiment", dit Spinoza, c'est non pas les concevoir en rapport avec un temps et un lieu (là on constate effectivement de l'impermanence, et il ne faut pas avoir lu Spinoza pour pouvoir le constater), c'est les concevoir comme étant éternellement "en Dieu" (E5P29). E5P31 dit même que si l'Esprit lui-même n'était pas éternel, il n'aurait jamais pu avoir une connaissance adéquate de Dieu (tandis que toute l'Ethique montre qu'une telle connaissance est possible).
L.

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Messagepar Durtal » 28 sept. 2008, 20:04

A Louisa,


Prends ton temps pour la réponse, j'ai pas fini la mienne non plus.

Juste une remarque au passage: je comprends plus trop. Faudrait savoir ce que vous voulez les enfants! Sescho dit que la réalité modale est impermanente et évanescente, et tu lui objectes que ce n'est vrai "que du point de vue de la réalité modale"!!!!! C'est un peu n'importe quoi là. En somme, tu es d'accord avec lui. (du moins concernant la réalité modaliter)

Amicalement (quand même).
D.

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Messagepar Louisa » 28 sept. 2008, 20:30

Durtal a écrit :Juste une remarque au passage: je comprends plus trop. Faudrait savoir ce que vous voulez les enfants! Sescho dit que la réalité modale est impermanente et évanescente, et tu lui objectes que ce n'est vrai "que du point de vue de la réalité modale"!!!!! C'est un peu n'importe quoi là. En somme, tu es d'accord avec lui. (du moins concernant la réalité modaliter)


attention de ne pas confondre ta compréhension avec ma volonté ... :D

Le problème c'est que toi et Sescho défendez l'idée que tout mode et donc aussi tout Individu est impermanent (mais vous le défendez pour des raisons différentes, il me semble, et en donnant à ce terme chacun un autre sens), tandis que je défends moi-même l'idée que l'Individu se définit par une permanence ou une stabilité de la nature d'un mode.

Bien sûr, cette permanence n'a de sens qu'au niveau du temps. Ce n'est donc qu'en tant que le mode dure, qu'on peut dire qu'il y a permanence, tandis qu'il faut immédiatement y ajouter qu'en tant qu'il dure, cette permanence est nécessairement limitée dans le temps (un jour, le mode mourra). En ce sens précis, il y a donc inévitablement, pour tout mode, une impermanence. La-dessus, il me semble que nous sommes d'accord tous les trois.

Or pour Sescho, les choses s'arrêtent là (il élimine par là l'existence actuelle du mode non pas en tant qu'il dure, mais du point de vue de l'éternité), tandis que toi tu sembles aller plus loin encore, pour dire que même dans le temps, il suffit d'avoir une affection qui n'est pas une Action pour que déjà, la nature même de l'individu change.

Spinoza quant à lui dit à mon sens clairement que concevoir les modes ou les choses comme vrais, autrement dit comme réels, ou comme des étants réels (scolie de l'E5P29, démo de l'E5P30), ce n'est pas les considérer modaliter c'est-à-dire du point de vue d'un mode, donc partiellement (donc dans le temps, c'est-à-dire de façon imaginaire). Pour considérer les choses et les modes dans ce qu'ils sont réellement (c'est-à-dire pour considérer leur essence en tant qu'elle est réelle/vraie, et non pas en tant qu'elle est dite durer), il faut les considérer du point de vue de l'éternité, et non pas du point de vue du temps. Ici, cela n'a pas de sens de parler de permanence ou d'impermanence (puisque les deux termes ne se définissent qu'en relation au temps), ici tout existe éternellement.

Bref, le malentendu s'est peut-être produit parce que tu parles d'une "réalité modaliter", là où Spinoza ne parle de réalité que du point de vue de l'éternité, et non pas modaliter. Modaliter, tout change, puisque le mode vit les choses d'abord d'un point de vue du temps (c'est pourquoi j'ai parlé de "vécu" dans mon message précédent, et que j'ai mis le "vrai" entre guillemets). Il faut tout l'exercice de l'Ethique pour pouvoir concevoir les choses du point de vue de l'éternité (même si la raison aussi nous y donne déjà accès).

Autrement dit, considérer les choses selon la raison ou selon le 3e genre de connaissance, c'est les considérer du point de vue de l'éternité et non pas "modaliter" (même si celui qui pense ainsi reste lui-même un mode, bien sûr; considérer "modaliter" ne veut pas dire que c'est le mode qui considère, cela veut dire qu'on considère les choses à partir de notre vécu immédiat de mode, c'est-à-dire de façon partielle, et non pas à partir de notre propre éternité, c'est-à-dire réellement).

Dans l'espoir qu'ainsi c'est plus clair ... ?
L.

PS: si quelqu'un s'y connaît en ordinateurs ... mon PC fait depuis cet après-midi un bruit gigantesque, si bien que je n'ose l'allumer que pendant quelques minutes, pour l'éteindre le plus vite possible ... au cas où l'un ou l'autre spinoziste (ou autre) ici disposait par miracle également d'un remède contre les affects des ordinateurs, je le remercie déjà de me le dire par MP ... :)

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Messagepar bardamu » 28 sept. 2008, 21:59

sescho a écrit :(...)
Pour revenir à ton propos, rien ne me gène sinon que je vois mal comment on peut dire seulement "individuel" s'agissant de vérités éternelles (éternité qui n'est pas le cas de l'individu, confiné dans sa finitude et destiné à la mort) et telles pour tous les hommes, pour l'Homme. Comment peut-on limiter l'illimité ? Comment peut-on juger finie la connaissance du Dieu infini ? La réalisation (d'une essence qui est entière en Dieu) est individuelle, mais ce qu'elle réalise est éternel : c'est la part de Dieu connaissable au sens fort qui se trouve contenue dans la nature de l'Homme, donc de tous les hommes, pas d'un individu particulier ; une part de Dieu accessible (et très rarement accédée de fait) à tous les hommes. (Note : je ne pèse pas ici mes mots, mais je pense qu'à un esprit positif, le sens est assez clair.)(...)

Bonjour Serge,
quel rapport entre l'infinité et l'éternité ?
Pourquoi relies-tu l'éternité à l'illimité, à la connaissance infinie ?

"notre âme, en tant qu'elle est intelligente, est un mode éternel de la pensée, lequel est déterminé par un autre mode éternel de la pensée et celui-ci par un troisième, et ainsi à l'infini ; de telle façon que tous ces modes pris ensemble constituent l'entendement éternel et infini de Dieu. (E5p40)

Réaliser l'éternel, ce n'est que se réaliser soi-même.
C'est de la bête géométrie : toute chose finie a sa place dans le plan de l'Etre immanent, dans l'existence-même hors considération de durée, toute chose a sa place dans sa finitude et son mouvement-même, a sa place dans sa relation aux autres choses et dans sa mort-limite, tout cela n'étant que son essence de mode fini.

Par éternité, j'entends l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue
comme résultant nécessairement de la seule définition de la chose éternelle.

Quelle que soit une chose, elle réalise de l'éternel parce que toute chose dans son existence-même enveloppe l'essence éternelle et infinie de Dieu (E2p45), parce que "la force par laquelle elle persévère dans l'être suit de l'éternelle nécessité de la nature de Dieu".

Tout cela n'a rien à voir avec la durée, rien à voir avec le fait qu'on va mourir, l'individu est éternel en tant qu'il est cet individu-là, celui qui doit être à cette place-ci dans la chaîne des choses, avec son existence à lui, finie, mortelle.
Et certes celui qui vit dans l'oubli de lui-même, de Dieu et des choses ne sait pas qu'elle est sa place, ne sait pas transformer le constat de son existence en conscience de son éternité.

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Messagepar hokousai » 28 sept. 2008, 22:44

Cher Faun je reprends une de mes messages

Il est remarquable que le temps ( pourtant très accessible à notre intellect ) n’est pas compris par Spinoza comme un attribut de Dieu . La durée/ temporalité n’est pas de ce que l’intellect perçoit d’une substance comme constituant son essence ( du moins pour Spinoza )
La définition de l’éternité est négative " elle ne peut s’expliquer par la durée ou le temps ".
Autant Dieu peut s’expliquer sous les points de vue de l’étendue ou de la pensée autant il ne peut s’expliquer sous le point de vue du temps .

Il n’y a pas consécutivité (dans le temps) des modifications . Ce qui est sans doute contre intuitif , d’ où l insistance de Spinoza dans la partie 1
Les modifications n’ont aucune finitude liée à la durée , une modification n’ a ni début ni fin ( prop 21 /1
Les modifications n’ont aucune finitude liée à la durée , une modification n’ a ni début ni fin ( prop 21 /1)

autrement dit :il ne se passe rien du tout ........

Peut -on parler d’impermanence ? Je ne le pense pas
Mais peut - on plus parler alors de permanence ?

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Messagepar Louisa » 28 sept. 2008, 22:45

louisa:
N'empêche que l'affection qu'elle subit est bel et bien SON affection à elle, et l'idée de cette affection (idée confuse) n'existe que dans son esprit à elle. Que cette idée enveloppe la nature des deux causes (la nature de la chose affectée et la nature du corps extérieur qui l'affecte) n'efface pas la différence entre les deux natures, qui restent chacune tout aussi individualisée qu'avant. Ce n'est que dans l'idée confuse que l'esprit de la chose affectée a de son affection que les frontières entre les deux natures sont brouillées, mais non pas en réalité.

Durtal:
Je ne suis pas d'accord avec ceci pour commencer. Si un corps en affecte un autre, d'une affection qui est une passion, le corps affecté perd de son individualité à mesure et pour autant qu'il est affecté. Pourquoi? Parce que le corps affectant, à l'égard du corps affecté tend à faire changer la nature du corps affecté pour l'adapter à la sienne, pour autant qu'il et dans la mesure où, il l'affecte. L'affection forme un nouveau mode. C'est du moins ce qu'implique le cas limite selon lequel si l'affection surpasse la puissance du corps affecté, celui ci s'en trouvera détruit, c'est à dire que sa nature sera entièrement changée pour une autre. Et c'est précisément parce que la nature de l'individu est modifiée par une nature étrangère à la sienne qu'il a des idées confuses et qu'il ne se conçoit pas lui même ni l'autre chose distinctement. De sorte que je ne vois pas du tout de signification à ce que tu écris quant à la différence entre "idée confuse" et "frontière" au niveau des corps. L'idée confuse traduisant précisément (au niveau de l'esprit) une "confusion corporelle des frontières" entre les corps affectant et affectés.
C'est très différent bien sur quand l'affection enveloppe une action de la chose affectée: dans ce cas, pas de perte de l'individualité, mais au contraire plus forte tendance à l'individuation, et naturellement idées claires et distinctes .


En attendant que j'arrive à faire taire mon PC, voici une première réponse. Elles arriveront probablement seulement au fur et à mesure, aussi longtemps que le problème continue (ce qui nous donne peut-être l'avantage de travailler sur ton texte en détail, ou lieu de juste pointer les divergences entre les interprétations de manière globale).

D'abord je ne vois pas ce qui te fait penser que le corps qui affecte tend à changer la nature même du corps affecté. Penses-tu à l'un ou l'autre passage du texte de Spinoza qui l'impliquerait?

Par exemple, je ne vois pas quel sens cela aurait de dire que le soleil tend à changer ma nature (c'est-à-dire à me détruire en tant qu'homme, en tant que chose singulière) lorsque je la vois. La destruction, chez Spinoza, n'est PAS ce à quoi toute chose tend, elle tend simplement à persévérer dans son être, et pour ce faire, elle doit certes détruire certaines autres choses, mais elle doit tout aussi bien laisser intacte la nature de beaucoup d'autres choses, puis se laisser affecter de manière positive (qui renforce sa propre puissance) par d'autres encore, et enfin en affecter d'autres de façon positive aussi.

Quant au "brouillage des frontières": à mon avis, la seule chose que Spinoza dit, c'est que l'IDEE (et non pas l'affection elle-même) d'une affection de mon Corps par un corps extérieur ENVELOPPE ma nature aussi bien que la nature du corps extérieur (tout en indiquant davantage la mienne que la sienne). Je ne vois pas comment déduire de cela (donc de l'idée confuse) que ma nature d'office est détruite dans un tel événement. Si elle était détruite, d'abord je ne pourrais PAS avoir une idée de cette affection (même pas une idée confuse, idée qui, encore une fois, indique avant tout ma propre nature), puisque je n'existerais plus, puis même s'il était possible d'en avoir une idée, elle ne serait plus confuse, puisqu'une des deux natures qu'elle enveloppe m'existerait plus.

Lorsque donc tu dis "L'idée confuse traduisant précisément (au niveau de l'esprit) une "confusion corporelle des frontières" entre les corps affectant et affectés.", je ne vois pas très bien ce que tu veux dire. Ce serait quoi, une "confusion corporelle des frontières" ... ? Si je vois le soleil, tu crois que la frontière entre mon corps et celui du soleil disparaît, qu'on n'est plus qu'un seul Individu? Si oui, pourquoi alors dire que c'est ma nature à moi qui est modifiée, puisque dans ce cas il me semble que les deux natures disparaissent toutes les deux (ce qui les "délimite" ayant disparu)?

Enfin, lorsque tu parles d'une "tendance à l'individuation", je ne vois pas immédiatement non plus à quoi tu pourrais référer. Tout Individu tend à persévérer dans son être (c'est précisément ce qui fait qu'il peut subir plein d'affections sans changer de nature), et tend à augmenter sa puissance. Mais "tendre à l'individuation" ... pourrais-tu expliquer davantage comme tu vois cet aspect du problème?
A bientôt,
L.

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Messagepar sescho » 28 sept. 2008, 23:03

Hum ! J'ai dû très mal m'exprimer... Ces retours me semblent à la fois basiques et hors sujet... Comme avec Durtal on peut compter faire une transaction sur le fond sans trop pinailler sur les formules, j'ai dû exagérer... Vu le hiatus, je vais laisser reposer pour tenter de m'exprimer plus clairement plus tard...

Mais je suis toujours preneur d'une explication de E5P40S par le menu, en restant dans le texte, et par le texte même de Spinoza (pas que notre âme en tant qu'elle est intelligente est un mode éternel de la pensée ; cela c'est évident, et n'apporte rien de plus à la discussion, qui a pour sujet la notion de "Moi" ; d'un mode fini existant en acte, donc.)


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Messagepar Faun » 29 sept. 2008, 10:07

On ne peut pas ainsi séparer éternité et durée chez Spinoza, une chose éternelle par définition dure éternellement, puisqu'elle existe (définition de l'éternité 7 partie 1), et cette existence dure éternellement. On ne peut évidemment pas mesurer grâce au temps, qui est une image corporelle, une durée éternelle. On peut mesurer le temps des choses qui ne sont pas éternelles, comme sont les corps, qui ont une durée limitée, avec un commencement et une fin. On ne peut pas faire intervenir le temps pour mesurer la durée des modes finis éternels que sont les intellects singuliers, par exemple, mais néanmoins cette existence qui est la leur dure, et n'a jamais eu de commencement et n'aura jamais de fin.

La différence est dans le caractère fini ou infini de la durée de l'existence des choses singulières, certains modes finis possèdent néanmoins une durée infinie, d'autres modes finis ont une durée limitée, les modes infinis nécessairement durent éternellement, ont une durée d'existence infinie.

Du coup si on range le Moi dans l'imagination d'une chose dont l'extension comme la durée sont limités et finis, alors évidemment le moi est une chose limitée, confuse, sans grande valeur.

Si ce qui dit moi en Moi est un mode éternel, le mode éternel que je suis, et non le mode corporel limité dans la durée ou le temps que je suis également, actuellement, alors le moi est l'expression de ma nature et de ma puissance éternelle, qui conduit naturellement à l'amour intellectuel de soi et de Dieu, qui est la cause, tant de mon corps fini que de mon esprit éternel, et pour cette raison cause de joie, donc d'amour.

Donc si on veut appeler "Soi" cette partie éternelle de l'âme, je n'y vois pas d'objection, mais néanmoins, dans l'ordre du langage, je ne peux faire autrement que dire "je" dans les deux cas. Tant que ce corps existe ou dure en effet, c'est moi également. Et la nature et la définition de ce corps singulier sont réellement différentes de tous les autres corps de la Nature, c'est cette singularité qui s'affirme dans l'utilisation du concept de Moi autant que dans celle de "Soi". Car, puisque les idées qui sont adéquates dans un esprit, ne sont pas en même temps dans tous les autres esprits, il y aura nécessairement des différences entre tel esprit et tel autre, auxquelles s'ajoutent les différences qui naissent de la différences des perceptions et des imagination qui naissent des différences entre les corps eux-mêmes. Et tant que le corps existe, ces images et ces assemblages d'images qui constituent l'image de soi existent également nécessairement, tout simplement parce que le corps est quelque chose de réel. Et c'est de cette même réalité des corps que naissent les affections passives qu'on appelle passions, et qui de la même façon, ne peuvent jamais être détruites tant que le corps existe. Elles peuvent seulement être comprises, et de cette compréhension même naît un autre affect, interne cette fois, capable de mettre à distance le premier. Mais il n'est évidemment pas question, car impossible, de détruire une affection passive ou une passion, seulement de la mettre à distance et d'agir indépendamment de cette affection. Or pour que l'esprit puisse ainsi agir indépendamment des affections externes, il faut bien que ce soit quelque chose de réel, une puissance singulière distincte de tout le reste de la Nature, apte à exercer une action et à produire des effets indépendamment des forces qui s'exercent à l'extérieur de lui. Qu'on l'appelle donc comme on voudra, Moi ou Soi ou n'importe quoi d'autre, il y a bien une force singulière qui s'affirme. C'est cela qui se prend soi-même pour objet d'amour, car cela est pour soi-même une cause de joie, et c'est ce que Spinoza nomme amour-propre, satisfaction de soi-même, gloire.


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