Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Enegoid » 05 nov. 2008, 19:13

A Sescho

je compte répondre à votre post du 22/10 après lecture de ce qui s'est dit depuis cette date.

(Je reviens sur le forum après plusieurs jours d'absence)

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Messagepar Enegoid » 08 nov. 2008, 11:57

(Je n'ai pas lu ce qui s'est écrit dans les autres posts depuis le 5/11 sur les sujets dérivés)

1. Modes infinis : la discussion sur les modes infinis, autour des p 21, 22 et 23 me surprend un peu. Ces modes infinis font apparemment partie d’un consensus établi entre les différents commentateurs de Spinoza (J’en veux pour preuve les notes que je trouve aussi bien chez Appuhn que dans la Pléîade, JF Moreau en parle également dans son cours à l’ENS)
Je comprends qu’on se pose des questions à leur sujet. Je comprends notamment l’interrogation de Sescho : pourquoi s’arrêter à deux niveaux ?
Mais je ne vais pas jusqu’à remettre en question l’existence de ces concepts dans la pensée de Spinoza, dès lors que cette existence est admise par des gens qui sont largement plus experts que moi sur le sujet et qu’elle correspond à ma compréhension personnelle.

2. Essence : la notion d’essence s’applique dans la plupart des cas à des êtres de raison (l’homme, très souvent, ou la montagne, pour reprendre l’exemple bien connu). Une fois admis cela, la question est : peut-on accorder une essence à un exemplaire particulier d’un être de raison, tel que Paul, ou le Mont-Blanc ?
On ne peut nier, me semble-t-il, que Spinoza parle parfois - pas souvent - de l’essence d’un être particulier (par exemple p2, 17 sc: « …nous connaissons clairement quelle différence il y a entre l’idée de Pierre, par exemple, qui constitue l’essence de l’âme de Pierre….La première en effet exprime directement l’essence du corps de Pierre…). Si l’on admet, alors, avec Spinoza (ce que ne fait pas Sescho) l’essence individuelle (cas particulier de l’essence de genre), la question devient : comment concilier une essence particulière stable avec un corps particulier en perpétuel changement ?

3. Permanence de l’essence : Il n’y a pas de réponse simple :

a. D’une part Spinoza admet le problème du changement d’essence « je n’ose nier en effet que le corps humain …puisse néanmoins changer de nature… ». Il donne l’exemple de la mort, du poète espagnol et de l’enfance (scol de p4, 39).
(Dans le cas du poète espagnol, il s'agit bien d'une essence individuelle).
Mais il conclut en disant : « j’aime mieux laisser là ce sujet. ». Ce faisant il nous laisse sur notre faim.

b. D’autre part il conçoit un individu unique, la nature, qui « est un seul individu dont les parties, c’est à dire tous les corps varient d’une infinité de manières, sans aucun changement de l’individu total ». Si on peut concevoir cette permanence pour un individu très complexe tel que la nature, pourquoi pas pour Paul ? (Ce qui, en passant, répondrait en partie à la question du moi…).

A quel moment peut-on dire qu’une essence individuelle est transformée en une autre ? La question reste ouverte, apparemment, mais nous ne sommes pas, me semble-t-il dans l’idée d’une transformation permanente comme le voudrait Sescho, si je l'ai bien compris : il y a des seuils, indéterminés, mais significatifs et en petit nombre : le passage de l’enfance à l’adulte, la mort, un événement extraordinaire…

4. L’enjeu de la discussion (pour moi) : que veut dire Spi quand il dit que « plus nous connaissons de choses singulières, plus nous connaissons Dieu » ?
Veut-il dire qu’il faut connaître l’homme, le cheval, le salpêtre, (êtres de raison) ou Paul, Louisa 8-) , l’arbre qui est devant ma maison, les causes de l’élection d’Obama, etc. (êtres réels) ?
Et peut-on connaître l’homme, par exemple sans connaître d’abord Paul, Louisa ou Sescho ?

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Messagepar sescho » 08 nov. 2008, 21:51

Sur le facies totius universi (face de l’univers entier), et sur son rapport prétendu avec E1P22 :

Préliminaires :

Comment le fini est dans l’infini : le cas de l’Etendue est très simple et finalement évident : quoique l’étendue soit modifiée par ce qui est dit fini, elle n’en reste pas moins continue (il n’y a pas de néant de l’étendue) et infinie (sans bornes, puisqu’il n’y a rien d’étendu hors l’étendue) : le fini est dans l’étendue, mais l’étendue elle-même n’en reste pas moins infinie, de fait (c’est à dire en tant qu’étendue.)

Le fini existe donc dans l’infini, mais n’en hérite pas pour autant de l’existence nécessaire, car pour cela il faut soit que l’essence implique l’existence (que c’est la même chose, en fait : attribut), soit que le mode découle de la nature absolue de l’attribut, et il est alors sempiternel et infini ; ce qui n’a pas lieu pour les choses singulières, qui du coup peuvent éventuellement se trouver en nombre divers, quoiqu’elles partagent la même essence pour l’essentiel.

Spinoza a écrit :CT1Dia1 : (12) La Raison. – ... Tu dis donc que la cause, en tant qu'elle est cause de ses effets, doit être en dehors d'eux. Tu parles ainsi parce que tu ne connais que la cause transitive, et non la cause immanente, qui ne produit rien en dehors d'elle-même ...

CT1Dia2 : (2) Théophile. – En disant que Dieu est une cause éloignée, je n'entends pas parler de ces choses que Dieu produit sans aucun autre moyen que sa propre existence : je n'ai pas voulu entendre ce terme dans un sens absolu ; ce que tu aurais pu facilement comprendre par mes propres paroles lorsque j'ai dit que l'on ne peut le nommer cause éloignée qu'à un certain point de vue.

(8) … tous les attributs qui ne dépendent pas d'une cause antérieure, et qui ne se définissent pas à l'aide d'un genre plus élevé, appartiennent à l'essence de Dieu ; et comme les choses créées ne peuvent pas constituer d'attributs, elles n'accroissent pas l'essence de Dieu, quoique liées très-étroitement avec cette essence.

(12) … Il est vrai, Érasme, que les choses qui n'ont besoin, pour leur propre existence, de rien autre que des attributs de Dieu, ont été créées immédiatement par lui de toute éternité ; mais il importe de remarquer que, quoiqu’il puisse être nécessaire qu’une modification particulière (et par conséquent quelque chose d'autre que les attributs de Dieu) soit exigée pour l'existence d'une chose, cependant Dieu ne cesse pas pour cela de pouvoir produire immédiatement une telle chose. Car, entre les conditions diverses qui sont exigées pour faire qu'une chose soit, les unes sont nécessaires pour produire la chose elle-même, les autres pour qu'elle soit possible. …

E1P8S1 : Le fini étant au fond la négation partielle de l’existence d’une nature donnée, et l’infini l’absolue affirmation de cette existence, il suit par conséquent de la seule Propos. 7 que toute substance doit être infinie.

E1P11S : … l’Etre absolument infini ou Dieu a de soi une puissance infinie d’exister, c’est-à-dire existe absolument. Et toutefois plusieurs peut-être ne reconnaîtront pas aisément l’évidence de cette démonstration, parce qu’ils sont habitués à contempler exclusivement cet ordre de choses qui découlent de causes extérieures, et à voir facilement périr ce qui naît vite, c’est-à-dire ce qui existe facilement, tandis qu’au contraire ils pensent que les choses dont la nature est plus complexe doivent être plus difficiles à faire, c’est-à-dire moins disposées à l’existence. Mais pour détruire ces préjugés, je ne crois pas avoir besoin de montrer ici en quel sens est vraie la maxime : Ce qui naît aisément périt de même, ni d’examiner s’il n’est pas vrai qu’à considérer la nature entière, toutes choses existent avec une égale facilité. Il me suffit de faire remarquer que je ne parle pas ici des choses qui naissent de causes extérieures, mais des seules substances, lesquelles (par la Propos. 6) ne peuvent être produites par aucune cause de ce genre. Les choses, en effet, qui naissent des causes extérieures, soit qu’elles se composent d’un grand nombre ou d’un petit nombre de parties, doivent tout ce qu’elles ont de perfection ou de réalité à la vertu de la cause qui les produit, et par conséquent leur existence dérive de la perfection de cette cause, et non de la leur. Au contraire, tout ce qu’une substance à de perfection, elle ne le doit à aucune cause étrangère, et c’est pourquoi son existence doit aussi découler de sa seule nature et n’être autre chose que son essence elle-même. Ainsi donc la perfection n’ôte pas l’existence, elle la fonde ; c’est l’imperfection qui la détruit, et il n’y a pas d’existence dont nous puissions être plus certains que de celle d’un être absolument infini ou parfait, savoir, Dieu ; car son essence excluant toute imperfection et enveloppant la perfection absolue, toute espèce de doute sur son existence disparaît, et il suffit de quelque attention pour reconnaître que la certitude qu’on en possède est la plus haute certitude.

Par ailleurs, tout sans exception est nécessaire (E1P29) et il n’y a rien de contingent dans la Nature ; pourquoi alors préciser « nécessaire » s’agissant des modes immédiats dans E1P21-23 ? Parce le sujet n’est pas ici l’essence ou les lois de la Nature, comme « causalité immanente » le traduit, mais de la seule existence des choses dont il est traité. Le « nécessaire » est donc ici un synonyme d’ « aller nécessairement avec », et donc de sempiternité.

Notons que le Mouvement lui-même ne peut pas se conclure de la seule considération de l’Etendue. Il est même plus évident de conclure du Mouvement l’existence de choses particulières (en général, pas de telle ou telle.) En fait, le Mouvement contient (outre l’espace et le temps) la « modalité », c’est-à-dire la « particularité » en principe, qui est donc une propriété immédiate du Mouvement.

Sur le facies totius universi

Il se comprend très bien, étant l’état de modification de l’Etendue entière (je ne raisonne que sur elle, sauf parallèle plus bas) à un instant donné, qui change à chaque instant par l’effet du Mouvement (dans l’Etendue.)

Est-il admissible comme cause des choses singulières ? Non, ensemble des modes finis qui le composent, il ne s’en distingue pas réellement.

Est-il éternel ? Oui si l’on considère qu’il existe toujours en général, non si l’on considère qu’il change en permanence, comme l’ensemble des choses singulières soumises au changement qu’il recouvre. La conclusion me semble évidente : Le facies totius universi n’est pas éternel (parce qu’il change, ce qui est une conclusion immédiate), mais l’individu dont il représente la face oui (E2P13L7S, lettre 64 à Schuller faisant référence au précédent, qui ne disent rien de plus.) Quel peut être cet individu ? Je ne vois aucune solution logique que l’étendue modifiée en principe, autrement dit l’étendue en mouvement (voir plus haut) : l’étendue et son mode sempiternel (qualité de l’existence héritée de la nature absolue de son attribut) le Mouvement. Voilà ce qui ne change pas quoique sa manifestation change tout le temps. Ceci aussi parce qu’il me semble évident que le Mouvement est la cause des choses particulières en général quant à leur essence, sans nécessité aucune d’un quelconque intermédiaire (et encore moins d’une infinité de ces intermédiaires.) Durtal avait donc bien dit en trois mots ce qui était juste.

En plus, on voit mal Spinoza répondre à Schuller : « causé par le mouvement, il y a cette chose là devant (que le lecteur ne peut pas voir, en plus), connectée à l’air qui l’entoure et aussi à celle-ci derrière, laquelle est connectée à cette troisième à côté, laquelle etc. » Les corps ne se concevant que dans l’interdépendance, ou tout simplement dans l’étendue infinie, seule cette réponse n’est pas ridicule : il s’agit de l’ensemble des corps à un instant donné.

On notera en outre qu’il ne parle que d’une face pour les deux attributs. C’est normal en vertu du parallélisme, mais rappelle (outre que l’idée de Dieu, mode immédiat dans E1P21, et l’entendement infini, mode immédiat dans cette lettre, sont une seule et même chose) que c’est valable aussi pour la Pensée, dans laquelle les idées sont des parties de l’Entendement infini, autrement dit du mode immédiat, lequel est en parallèle avec le Mouvement, ...

… Ma quatrième demande serait d’avoir des exemples de choses produites immédiatement par Dieu, et de choses produites par l’intermédiaire de quelque modification infinie. …

Spinoza : … Voici les exemples que vous me demandez : pour les choses de la première catégorie, je citerai, dans la pensée, l’entendement absolument infini ; dans l’étendue, le mouvement et le repos ; pour celles de la seconde catégorie, la face de l’univers entier, qui reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.

Le facies totius universi est-il infini ? C’est la question a priori la plus difficile : couvrant toute l’étendue il pourrait être dit infini. Toutefois, d’une part, chez Spinoza tout ce qui est infini est aussi éternel ou sempiternel et mises à part peut-être les idées adéquates - qui sont d’un type particulier, n’étant pas des étants au sens premier de Spinoza - le fini ne l’est pas, et le « facies » non plus. Ceci même s’il n’y a pas de lien logique immédiat (mais ce qui est infini est unique et complet et ne saurait ainsi changer.) D’autre part et surtout, il est clair que c’est en fait l’Etendue elle-même qui porte déjà cette infinité, pas sa manifestation (même pas le Mouvement sur ce point.)

Donc absolument rien n’autorise à considérer ce facies totius universi comme un soi-disant « mode infini médiat » ; c’est l’ensemble des choses singulières à un instant donné (facies), image mobile d’un individu (totius universi) qui est la Nature modifiée en principe, la Nature en mouvement.


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Messagepar Enegoid » 08 nov. 2008, 22:16

Réponse provisoire rapide:

"Et, continuant ainsi à l'infini, nous concevrons que la nature entière est un seul individu..."

Sescho a écrit :c’est l’ensemble des choses singulières à un instant donné (facies), image mobile d’un individu (totius universi) qui est la Nature modifiée en principe, la Nature en mouvement.


oui "tous les corps varient d'une infinité de manières sans aucun changement de l'individu total"

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Messagepar sescho » 08 nov. 2008, 22:47

Enegoid a écrit :... Ces modes infinis font apparemment partie d’un consensus établi entre les différents commentateurs de Spinoza (J’en veux pour preuve les notes que je trouve aussi bien chez Appuhn que dans la Pléîade, JF Moreau en parle également dans son cours à l’ENS)

Désolé, cet argument d'autorité ne me touche pas. Ces commentateurs sont infiniment plus compétents que moi en Philosophie, mais j'ai trop travaillé les textes de Spinoza et senti le fond de sa démarche (il n'y a aucune prétention dans ce que je dis : je ne me compare à personne, je parle en conscience, c'est tout) pour me laisser influencer par ce qui ne tient pas debout à mon sentiment profond (bon, les modes infinis médiats ne servant à rien, il n'y a pas péril en la demeure, cela dit...) Je doute par ailleurs que ces commentateurs consentent aisément à reconnaître une erreur, d'eux ou de leur maître qu'ils ont suivi, de peur d'affaiblir leur position institutionnelle. Et je vois remonter un certain nombre d'aberrations, à mon sens, qui semblent avoir cette origine. Je progresse plus, me semble-t-il, avec les membres de ce site qui allient une pertinence certaine avec une capacité d'évolution et de remise en cause encore vive.

Disons simplement que c'est ma façon d'aborder Spinoza...

Enegoid a écrit :... Si l’on admet, alors, avec Spinoza (ce que ne fait pas Sescho) l’essence individuelle (cas particulier de l’essence de genre), la question devient : comment concilier une essence particulière stable avec un corps particulier en perpétuel changement ?

Si je l'admets. Ce que je n'admets pas c'est 1) Qu'on puisse en avoir une idée claire et distincte. 2) Que seul convient de la voir comme strictement singulière. Il faut la voir par genre et différence ; Spinoza dit pour moi clairement que les hommes ont l'essentiel de leur essence en commun, l'essence du genre, sur laquelle porte toute l'Ethique ou presque.

Enegoid a écrit :3. Permanence de l’essence : Il n’y a pas de réponse simple ...

Durée significative de l'existence comme incarnation d'une même essence : seule l'essence de genre me semble pouvoir être invoquée utilement en l'espèce.

Enegoid a écrit :Si on peut concevoir cette permanence pour un individu très complexe tel que la nature, pourquoi pas pour Paul ? (Ce qui, en passant, répondrait en partie à la question du moi…).

Non (voir ci-dessus) : seule la Nature en mouvement dans sa totalité peut absolument prétendre à ce titre. Mais certes un individu qui vit par l'absorption et l'excrétion (le métabolisme standard) ne change pas d'essence pour cette part ; mais ce n'est quand-même que partiellement vrai (le métabolisme, l'absorption du rayonnement solaire, use, par exemple) ; l'essence de genre est en revanche clairement conservée par là seul (et c'est fondamentalement ce qui occupe Spinoza, sinon il ne pourrait traiter de rien : la nature humaine prise dans toute sa généralité.)

Enegoid a écrit :... il y a des seuils, indéterminés, mais significatifs et en petit nombre : le passage de l’enfance à l’adulte, la mort, un événement extraordinaire…

De tels "seuils", parfaitement arbitraires (sauf la mort pour l'essence de genre, bien sûr), me semblent hautement douteux dans une vision claire et distincte...

Enegoid a écrit :... que veut dire Spi quand il dit que « plus nous connaissons de choses singulières, plus nous connaissons Dieu » ?
Veut-il dire qu’il faut connaître l’homme, le cheval, le salpêtre, (êtres de raison) ou Paul, Louisa 8-) , l’arbre qui est devant ma maison, les causes de l’élection d’Obama, etc. (êtres réels) ?
Et peut-on connaître l’homme, par exemple sans connaître d’abord Paul, Louisa ou Sescho ?

Connaître par quel genre de connaissance ? Seul ce qui est connu clairement et distinctement peut être dit vrai en dehors de l'entendement. Plus nous connaissons de choses singulières plus nous connaissons Dieu, puisque la manifestation de Dieu est dans les choses singulières, et que nous y avons un certain accès, et que toute chose doit être rapportée à Dieu. Cela est très très général et ne dit pas qu'on peut connaître les choses singulières clairement et distinctement dans leur singularité. D'ailleurs, Spinoza étant en parfaite cohérence performative, il suffit de voir ce qu'on trouve dans l'Ethique même pour savoir de quoi il parle. C'est pourquoi le TTP dit :

Spinoza a écrit :… La meilleure partie de nous-mêmes, c’est l’entendement. Si donc nous voulons chercher ce qui nous est véritablement utile, nous devons nous efforcer de donner à notre entendement toute la perfection possible, puisque notre souverain bien consiste en cette perfection même. Or, comme toute la connaissance humaine et toute certitude parfaite dépendent exclusivement de la connaissance de Dieu, soit parce que sans Dieu rien ne peut exister ni être conçu, soit parce qu’on peut douter de toutes choses tant qu’on n’a pas une idée claire et distincte de Dieu, il s’ensuit clairement que c’est à la connaissance de Dieu, et à elle seule, que notre souverain bien et toute perfection sont attachés. De plus, rien ne pouvant être ni être conçu sans Dieu, il est certain que tout ce qui est dans la nature, considéré dans son essence et dans sa perfection, enveloppe et exprime le concept de Dieu ; d’où il résulte qu’à mesure que nous connaissons davantage les choses naturelles, nous acquérons de Dieu une connaissance plus grande et plus parfaite ; en d’autres termes (puisque connaître l’effet par sa cause, ce n’est autre chose que connaître une des propriétés de cette cause), à mesure que nous connaissons davantage les choses naturelles, nous connaissons d’une façon plus parfaite l’essence de Dieu, laquelle est cause de tout le reste. …


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Modifié en dernier par sescho le 08 nov. 2008, 23:05, modifié 1 fois.
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Messagepar sescho » 08 nov. 2008, 23:01

Le facies totius universi c'est aussi "ces choses que nous voyons autour de nous" dans cet autre extrait du CT :

Spinoza a écrit :CTApp1P4Dm : La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. ...



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Messagepar Enegoid » 09 nov. 2008, 19:15

(Tous les "quote" sont de Sescho)

Sur vos préliminaires : rien à dire, sinon que je ne vois pas ce que vous voulez faire passer à travers les citations de Spi que vous produisez à la suite de ces préliminaires. Dites-le vous-même ce sera plus simple.

Le « nécessaire » est donc ici un synonyme d’ « aller nécessairement avec », et donc de sempiternité.


Oui. Mais qu’est-ce que ça apporte ? A moins que vous vouliez vous placer dans le débat sur la différence entre éternité et « sempiternité »…est-ce le cas ?

Notons que le Mouvement lui-même ne peut pas se conclure de la seule considération de l’Etendue


Peut-être, mais c’est pourtant ce que fait Spinoza .
« Pour le mouvement, comme il appartient plus spécialement à la science de la nature qu'à celle dont nous traitons, nous n'avons pas besoin de dire qu'il a été de toute éternité et qu'il subsistera sans altération pendant toute l'éternité, qu'il est infini en son genre et ne peut ni exister ni être conçu par lui-même, mais seulement par le moyen de l'étendue »CT

Et je ne vois pas bien le raisonnement sous-tendu par votre phrase suivante « il est même plus évident de conclure du mouvement… » Le « même plus » me paraît sans rapport avec la première phrase.


Est-il admissible comme cause des choses singulières ? Non, ensemble des modes finis qui le composent, il ne s’en distingue pas réellement.


Ensemble infini des modes finis.
L’ensemble (infini) des modes finis « ne s’en distingue pas réellement « ? Il serait donc lui-même fini ? Je ne comprends pas…


Est-il éternel ? Oui si l’on considère qu’il existe toujours en général, non si l’on considère qu’il change en permanence, comme l’ensemble des choses singulières soumises au changement qu’il recouvre. La conclusion me semble évidente : Le facies totius universi n’est pas éternel (parce qu’il change, ce qui est une conclusion immédiate), mais l’individu dont il représente la face oui (E2P13L7S, lettre 64 à Schuller faisant référence au précédent, qui ne disent rien de plus.) Quel peut être cet individu ?

Spinoza dit que c’est la figure (faciès) qui est éternelle et l’univers qui varie.
L’individu, c’est l’ensemble des corps.

Durtal avait donc bien dit en trois mots ce qui était juste.


J’avais surtout noté qu’il disait que je me plantais, et que le débat n’avait pas d’intérêt. Mais il a peut-être dit quelque chose dans un autre post.

Donc absolument rien n’autorise à considérer ce facies totius universi comme un soi-disant « mode infini médiat » ; c’est l’ensemble des choses singulières à un instant donné (facies), image mobile d’un individu (totius universi) qui est la Nature modifiée en principe, la Nature en mouvement.


Appelez-le comme vous voudrez. Il s’agit simplement d’une appellation « admise ».
Mais le « facies » « demeure toujours le même, bien qu’il varie. C’est ce que dit Spinoza.

Je réponds plus tard sur le thème de l’essence.

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Messagepar Enegoid » 09 nov. 2008, 19:41

A Sescho

Faites moi (une fois de plus et SVP) le crédit d’avoir admis le rôle prépondérant de l’essence de genre. Je suis aussi d’accord avec le fait qu’on ne peut pas dire grand’ chose d’une essence singulière, et qu’une chose singulière participe de l’essence de son genre !

Permanence de l’essence :
seule l'essence de genre me semble pouvoir être invoquée utilement en l'espèce.
Dans un cas , celui du poète espagnol, Spinoza parle bien d’une essence singulière.

Enegoid a écrit:
Si on peut concevoir cette permanence pour un individu très complexe tel que la nature, pourquoi pas pour Paul ? (Ce qui, en passant, répondrait en partie à la question du moi…).

Non (voir ci-dessus) : seule la Nature en mouvement dans sa totalité peut absolument prétendre à ce titre. Mais certes un individu qui vit par l'absorption et l'excrétion (le métabolisme standard) ne change pas d'essence pour cette part ; mais ce n'est quand-même que partiellement vrai (le métabolisme, l'absorption du rayonnement solaire, use, par exemple) ; l'essence de genre est en revanche clairement conservée par là seul (et c'est fondamentalement ce qui occupe Spinoza, sinon il ne pourrait traiter de rien : la nature humaine prise dans toute sa généralité.)

Excusez-moi, mais là, vous faites carrément une réponse non argumentée. Une « affirmation qui n’engage que vous », comme on dit.

Enegoid a écrit:
... il y a des seuils, indéterminés, mais significatifs et en petit nombre : le passage de l’enfance à l’adulte, la mort, un événement extraordinaire…

De tels "seuils", parfaitement arbitraires (sauf la mort pour l'essence de genre, bien sûr), me semblent hautement douteux dans une vision claire et distincte...

Ce sont les exemples relevés dans le texte de Spi, qui ne s’est pas beaucoup étendu sur le sujet. Donc, d’accord, il y a de la place pour la philosophie personnelle.

Choses singulières

Votre citation finale ne permet pas de trancher sur la notion de singularité. Mais, encore une fois, d’accord avec vous, Spi s’intéresse avant tout aux essences de genre, donc , la chose singulière, chez lui, c’est plutôt l’homme que Paul.

« Argument d’autorité »
Et si vous oubliiez le mot « autorité » pour le remplacer par « existence » ? Il existe des gens qui « savent de quoi ils parlent » (comme vous le dites souvent) et qui parlent des modes infinis. C’est un fait.
Bon, vous en faites ce que vous voulez, mais Spi nous amène plutôt à rechercher le vrai dans toute idée, non ? (ce que je fais avec vous me semble-t-il, et j'espère que vous en faites autant).

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Messagepar sescho » 09 nov. 2008, 21:35

Enegoid a écrit :Sur vos préliminaires : rien à dire, sinon que je ne vois pas ce que vous voulez faire passer à travers les citations de Spi que vous produisez à la suite de ces préliminaires. Dites-le vous-même ce sera plus simple.

Comme cela me semblait évident par l'apposition directe, ils illustrent (entre autres) le propos qui précède, savoir que le fini est dans l'infini, et de quelle façon cela se conçoit selon Spinoza. Maintenant, si quelqu'un ne voit pas en quoi cela l'illustre, tant pis.

Sinon, le problème initial est que certains ne voient pas cela, et semblent penser que le fini c'est quelque chose à part mais en même temps, etc. que l'infini n'est pas la cause du fini, bien que Spinoza dise très explicitement le contraire, etc. Ce qui est un obstacle à la compréhension qu'il y a un ordre onto-logique qui va de la substance aux modes finis, et dont tous les intermédiaires (où se placeraient les soi-disant modes infinis médiats) doivent avoir clairement leur place, c'est à dire être en conséquence logique, même s'il ne s'agit pas d'une déduction pure.

Enegoid a écrit :
Le « nécessaire » est donc ici un synonyme d’ « aller nécessairement avec », et donc de sempiternité.


Oui. Mais qu’est-ce que ça apporte ? A moins que vous vouliez vous placer dans le débat sur la différence entre éternité et « sempiternité »…est-ce le cas ?

Non. Je n'en ai finalement pas fait usage.

Enegoid a écrit :
Notons que le Mouvement lui-même ne peut pas se conclure de la seule considération de l’Etendue


Peut-être, mais c’est pourtant ce que fait Spinoza ...

Vous ne devez pas me lire plus que cela. Il est évident que le Mouvement est dans l'Etendue et je l'ai écrit cent fois. Je dis juste qu'il ne s'agit pas d'une déduction logique, mais d'une con-séquence logique : le Mouvement est dans l'Etendue, mais l'Etendue se conçoit parfaitement sans le Mouvement.

Enegoid a écrit :Et je ne vois pas bien le raisonnement sous-tendu par votre phrase suivante « il est même plus évident de conclure du mouvement… » Le « même plus » me paraît sans rapport avec la première phrase.

Hum! Votre intervention commence à m'en rappeler d'autres, qui ne méritent pas de réponse bien longtemps... Quand on fournit si peu de travail, je considère qu'on doit avoir le verbe beaucoup moins haut.

Pour moi, il est assez naturel de voir que les corps découlent du Mouvement dans l'Etendue (même s'il reste un saut du point de vue de l'existence entre eux et les premiers.)

Enegoid a écrit :... L’ensemble (infini) des modes finis « ne s’en distingue pas réellement « ? Il serait donc lui-même fini ? Je ne comprends pas…

Je vous répondrai quand vous m'aurez expliqué ce qu'est un ensemble infini de modes finis.

Enegoid a écrit :Spinoza dit que c’est la figure (faciès) qui est éternelle et l’univers qui varie.
L’individu, c’est l’ensemble des corps.

Ah nous ne devons pas lire le français pareillement. C'est quoi pour vous la différence entre le facies, l'ensemble des corps et l'univers ?

Enegoid a écrit :... Mais le « facies » « demeure toujours le même, bien qu’il varie. C’est ce que dit Spinoza.

Pouvez-vous m'expliquer comment comprendre que quelque chose qui varie est toujours le même ?


Serge
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hokousai
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Messagepar hokousai » 10 nov. 2008, 00:15

Quand on fournit si peu de travail, je considère qu'on doit avoir le verbe beaucoup moins haut.


remarque peu judicieuse .


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