Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 00:41

Nepart a écrit :Dans ce cas si quelqu'un avait les mêmes idées que toi, il serait toi?


oui tout à fait! Tout comme si quelqu'un avait exactement le même corps que moi, il serait moi.

Seulement, chez Spinoza les essences sont "singulières", c'est-à-dire elles sont constituées par ce sans quoi elles ne pouvaient être, ET qui sans elles ne peut être. C'est ce qui fait que jamais il ne peut y avoir deux essences qui sont à la fois singulières et néanmoins identiques. Car supposons que j'ai moi un ensemble d'idées A, et que toi aussi tu as exactement le même ensemble A, rien de plus ni de moins. Le jour où je meurs, l'ensemble A continuera à exister, puisqu'il se retrouve à l'identique chez toi. Dans ce cas, ce qui me constituait n'était PAS ce qui sans moi ne pouvait être, puisque cela (= A) continue à être même lorsque je ne suis plus là. C'est cela à mon avis la grande originalité des essences singulières telles que les a inventées Spinoza (normalement une essence ne se définit que par la première condition (ce qui constitue l'essence = ce sans quoi la chose ne peut pas être), sans la deuxième (ce qui constitue l'essence = ce qui sans la chose ne peut pas être).

Par conséquent, personne n'a les mêmes idées que moi, et je n'aurais moi-même jamais exactement les mêmes idées que qui que ce soit d'autre ... .
L
Modifié en dernier par Louisa le 30 oct. 2008, 00:48, modifié 1 fois.

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Messagepar nepart » 30 oct. 2008, 00:46

Je ne définis le sentiment de soi comme cela, car je ne ressentirais pas ces émotions, alors ce ne serait pas moi.

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Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 00:50

Je n'ai pas tout à fait compris ce que tu veux dire par là ... pourrais-tu reformuler?

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Messagepar nepart » 30 oct. 2008, 00:54

Si une personne partage 90% de mes idées, ce n'est pas pour autant que ce sera moi à 90%, car pour moi être soi, ça se ressent.

Or si elle se cogne chez elle contre un meuble, je ne ressentirais pas de douleur.

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Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 01:00

Ah ok. En fait, je ne suis pas du tout certaine que dans le spinozisme deux personnes puissent avoir une seule et même idée. Je crois que non, en fait. Les idées sont toujours causées ou bien par moi seule (et alors personne d'autre ne peut avoir exactement la même idée), ou bien par une rencontre entre moi-même et autre chose, et alors l'idée enveloppe ma nature à moi et celle de l'autre chose. A part cela, on a également des "notions communes", mais justement, Spinoza dit explicitement que celles-ci ne constituent AUCUNE essence de chose singulière (E2P37), tandis qu'ici on a décidé d'appeler "moi" ce qui chez Spinoza constitue une essence singulière.
L.

PS: pourquoi parler d'une "décision"? Parce que jamais Spinoza ne thématise quelque chose comme le "moi". Il n'y a pas de définition du moi. A partir de ce moment-là, si l'on veut néanmoins parler d'un "moi" et lui donner un sens spinoziste, il faut D'ABORD décider ce que NOUS on veut désigner par le mot "moi". Si l'on veut que ce soit la meilleure partie de nous-mêmes, alors retraduit dans le spinozisme il faut l'identifier à la partie éternelle de l'Esprit, donc ni au Corps, ni à ce qui dans notre essence est idée inadéquate. Si je l'ai bien compris, c'est la décision que Henrique propose.
Or on peut aussi décider qu'on va appeler "moi" tout ce qui n'est pas "autre". Et alors "moi" je suis avant tout une chose "singulière". Le moi désigne alors la singularité. Ce qui nous renvoie à l'essence, puisque une chose singulière est définie par son essence singulière. Et alors on voit que le moi est tout aussi bien constitué d'idées inadéquates que d'idées adéquates. Si j'ai privilégié cette hypothèse-ci, c'est notamment parce que lorsque j'ai une idée inadéquate, c'est bien, en un certain sens, MOI qui l'ai, et non pas mon voisin. Que l'idée inadéquate soit en partie causée par quelque chose hors de moi ne change en rien le fait que l'idée inadéquate constitue bel et bien mon Esprit à moi, et de personne d'autre. Raison pour laquelle parler d'un moi "purifié" de tout ce qui n'est pas "éternel" en "moi" ne me semble a priori pas être très pertinent, du point de vue spinoziste. Mais peut-être que ceux qui optent pour ce genre de décisions pourraient expliciter les raisons de ce choix?

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Messagepar hokousai » 30 oct. 2008, 02:08

chère Louisa

vous pouvez multiplier les idées , l'idée de moi est unique autant que l'idée que j 'ai de mon chien ( lequel peut être composé de ce que vous voudrez ) il est unique .

En tant que moi je ne suis pas différent d' hier ou de demain tout comme "maintenant" ce n'est pas différent de "maintenant" hier . Toutes les digressions sur le changement n 'abordent pas le début du commencement de la question .Car moi c'est justement ce qui non pas perdure mais se rie du temps . Je ne suis pas moins moi ou plus moi par un effet du temps .
Le sentiment de mon identité à moi même ne vieillit pas .IL peut disparaitre mais pas se transformer en une fraction de moi (à moitié moi par exemple !! )

Ne part à des doutes pour savoir si demain ce sera encore lui , qu'il attende demain ,voir s'il a changé et s'est transporter en un autre .

hoku.

PS :Si quelqu'un avait exactement le même corps que vous , ce serait vous .

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Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 02:16

Hokousai a écrit :vous pouvez multiplier les idées , l'idée de moi est unique autant que l'idée que j 'ai de mon chien ( lequel peut être composé de ce que vous voudrez ) il est unique .


Cher Hokousai,

oui, unique ou singulier, si l'on suit la définition spinoziste de la singularité, à mon avis cela revient au même. Donc tout à fait d'accord.

Hokousai a écrit :En tant que moi je ne suis pas différent d' hier ou de demain tout comme "maintenant" ce n'est pas différent de "maintenant" hier . Toutes les digressions sur le changement n 'abordent pas le début du commencement de la question .Car moi c'est justement ce qui non pas perdure mais se rie du temps . Je ne suis pas moins moi ou plus moi par un effet du temps .
Le sentiment de mon identité à moi même ne vieillit pas .IL peut disparaitre mais pas se transformer en une fraction de moi (à moitié moi par exemple !! )


très bien. Vous prenez alors la décision d'appeler "moi" ce qui ne change pas dans le temps. Je ne vois pas pourquoi cette décision a priori devrait être écartée, elle est tout aussi intéressante que n'importe quelle autre.

Hokousai a écrit :PS :Si quelqu'un avait exactement le même corps que vous , ce serait vous .


oui, c'est bien ce que je viens de répondre à Nepart, il me semble.
L.

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Messagepar nepart » 30 oct. 2008, 02:32

hokousai a écrit :chère Louisa

vous pouvez multiplier les idées , l'idée de moi est unique autant que l'idée que j 'ai de mon chien ( lequel peut être composé de ce que vous voudrez ) il est unique .

En tant que moi je ne suis pas différent d' hier ou de demain tout comme "maintenant" ce n'est pas différent de "maintenant" hier . Toutes les digressions sur le changement n 'abordent pas le début du commencement de la question .Car moi c'est justement ce qui non pas perdure mais se rie du temps . Je ne suis pas moins moi ou plus moi par un effet du temps .
Le sentiment de mon identité à moi même ne vieillit pas .IL peut disparaitre mais pas se transformer en une fraction de moi (à moitié moi par exemple !! )

Ne part à des doutes pour savoir si demain ce sera encore lui , qu'il attende demain ,voir s'il a changé et s'est transporter en un autre .

hoku.

PS :Si quelqu'un avait exactement le même corps que vous , ce serait vous .


Je ne pourrais plus savoir car je ne serais plus.

Et non ce serait la copie conforme, et les mêmes sensations seraient ressenties, mais par un autre.

Si vous avez 2 télés identiques vous ne direz pas que ce sont 1 seul et même télé...

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Messagepar 8 » 30 oct. 2008, 07:52

Ce qui est illusoire c'est de penser la continuité du moi comme une permanence.Même si le moi peut penser la permanence affectivement.

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Messagepar Henrique » 30 oct. 2008, 09:30

Mes amis, je pense que vous confondez individu et sujet.

L'individu est l'union de plusieurs corps interagissant de façon réciproque (cf. E2, déf. après le lemme 3), si bien que si vous enlevez ou ajoutez une partie à cet individu qu'est entre autres le corps humain, ce n'est plus le même, il change d'essence. Le mental (mens) dont parle E3P3 n'est rien d'autre que l'idée de cette individualité. De même que notre corps est composé d'autres corps, l'idée de notre corps est elle-même composée d'autres idées (E2P15).

Le sujet, c'est le support absolu des pensées : ce qui, en dernière analyse, connaît, autrement dit affirme l'existence de corps extérieurs et de la façon dont ils affectent le corps propre. Descartes identifiait l'ego cogito et l'ego cartesius, autrement dit le sujet et l'individu. Descartes, lui, était dualiste, contrairement à Spinoza (Louisa, ta complaisance en face du contresens de Nepart à ce sujet dans le précédent topic me fait encore bondir :lol: tu ne peux ignorer E2P7 scol. ou E3P2, scol.). Dans ce dualisme cartésien, il peut y avoir une autonomie absolue de l'individu Descartes, en tant qu'âme pensante individuelle, dotée notamment d'une volonté infinie, alors que le corps de Descartes est à l'évidence soumis à une existence hétéronome, affectée en permanence par les objets extérieurs.

Quand Nepart se demande "y a-t-il un moi continu malgré les changements lents le plus souvent mais évidents du corps ? Autrement dit celui qui prépare le diner est-il le même que celui qui va le manger ?" cela implique le moi, non comme état particulier du corps ou pensée particulière, plus ou moins adéquate de cet état, mais comme principe permanent des pensées, conscience qu'il y a préparation, dîner, changement d'état de l'individu. Ce principe doit rester identique dans le temps pour que la diversité et l'écoulement même d'une durée puissent être saisis. Mais comme Nepart confond en même temps subjectivité et individualité, à la suite il est vrai de Descartes, son problème lui paraît insoluble.

Dans l'optique non-dualiste de Spinoza, corps et mental sont une seule et même chose considérée sous deux angles différents. En ce sens, si un corps peut changer assez radicalement dans l'équilibre de ses parties, comme lorsqu'on passe de l'enfance à l'adolescence, il change d'essence ; de même pour un mental qui passe d'un état dominé par l'imagination à un état dominé par la raison. Il n'y a pas d'identité individuelle absolue, que l'on se place sous l'angle de l'étendue ou sous l'angle de la pensée. En revanche, malgré tous les changements corporels, il y a identité de ce qui constitue le corps de la naissance à la mort, à savoir l'étendue comme affirmation d'une existence en plusieurs dimensions (impliquant l'effort de persévérer autant que possible dans son être : E3P6). Et il y a identité (fait de rester le même) du pouvoir de penser, que l'on imagine, que l'on raisonne ou que l'on intuitionne, puisque dans tous les genre de connaissance, il y a affirmation de l'existence de ce qui s'étend comme de ce qui pense.

Ce pouvoir de s'étendre ou de penser ne s'expliquant par rien d'autre que par soi-même (seul un corps explique un autre corps et ainsi c'est toujours l'étendue qui fait être l'étendue, de même avec une idée, cf. E2 prop. 1 et 2), il ne peuvent être affectés par rien d'extérieur. D'où ce que je disais : si par moi, on entend ce qui dans mon corps ou mon mental demeure identique à soi et fonde tout le reste, alors je suis la Nature et le corps et le mental auxquels la connaissance du premier genre m'identifient habituellement (par utilité sociale essentiellement) n'en sont que les affections ou modifications. En ce sens, je suis la vigne. Et les sarments, tout en en étant inséparables (il n'y a pas de sarments sans vigne), n'en sont que des expressions singulières et passagères, des états, non un étant au sens substantiel.

Descartes avait bien vu que si le pouvoir d'imaginer, de mémoriser est plus ou moins grand selon les individus, le simple pouvoir de penser que l'on connaît immédiatement en y faisant attention, dont la mémoire ou l'imagination ne sont que des dérivés, est le même pour tout homme (chose du monde la mieux partagée...). Mais il n'en a pas tiré la conséquence pourtant évidente : si ce pouvoir est le même pour tout homme - et de fait n'importe qui, en tentant de douter de tout ce qui existe, arrive au même résultat, qu'il s'en aperçoive ou pas : au moment où on doute de l'existence de tout, nul ne peut penser "je ne pense pas, je n'existe pas" - si donc ce pouvoir de la pensée de se poser elle-même est le même pour tous, il ne constitue l'essence d'aucun individu, d'aucune chose singulière, c'est-à-dire qu'individualité et subjectivité sont deux choses à distinguer (mais pas pour autant à opposer).

Donc si le corps qui prépare le dîner n'est pas tout à fait le même que celui qui le mangera et à plus forte raison que celui qui dans dix ans repréparera un dîner, la simple puissance universelle de penser ces différents événements et de penser ces pensées (c'est-à-dire d'en avoir conscience) restera la même, d'où la possibilité de s'apercevoir des changements même les plus radicaux du corps ou de son idée complexe. Pour ce qui est de faire des projets d'avenir, cela les relativise certes beaucoup : l'individu qui en profitera ne sera pas tout à fait le même que celui qui y travaille, mais quand cela arrivera, il y aura reconnaissance du fruit de ce travail parce que le pouvoir de penser ne change pas. Et de toutes façons, comme la Nature est affirmation absolue de soi, chacun de ses modes s'affirme autant qu'il peut dans l'existence : l'être affirmé (l'individu) aura beau changer, augmentant ou diminuant sa puissance d'exister, ce qui affirme cet être et fait qu'il s'affirme, à savoir Dieu ou la Nature (cf. dém. de E3P6), demeure identique à soi. D'ailleurs, dans la dém. d'E2P15 à laquelle E3P3 fait référence, Dieu est bien le fond à partir duquel l'idée composite du corps ou mental peut se constituer.

Mais, aurais tu pu me dire, Nepart, si je suis la Nature, comme se fait-il que je ne sens pas tout ce qui se passe dans les corps différents de celui auquel je m'identifie habituellement ? Là encore la question revient à confondre individualité et subjectivité, mais je n'en dirai pas plus pour aujourd'hui vu que tu ne la poses pas et qu'en réfléchissant avec attention à ce que je viens d'écrire, et même dans mon précédent post, tu as déjà les éléments pour comprendre.

D'une façon générale, je trouve que tes réactions face aux efforts d'explication qu'on peut fournir sont un peu légères. Certes, tu soulèves souvent des difficultés qui dans leur apparente simplicité n'en sont pas moins redoutables de difficulté et donc intéressantes. Mais tu donnes l'impression de survoler vite fait les réponses proposées, notamment celles de Bardamu et de moi-même sur ce fil, pour dire tout aussi vite fait "j'avoue ne pas bien comprendre". En gros, il faudrait qu'on trouve tout de suite les formules choc qui te procureraient une illumination sans que tu aies plus d'effort que cela à fournir de ton côté. Au cas où ce serait ton optique, je te le dis tout de suite : ce n'est pas comme ça que ça marche, c'est ton propre travail qui te conduira à l'éclaircissement progressif des difficultés que tu rencontres et si certains travaillent à te fournir des pistes à cet effet, ne les balaye pas d'un revers de main si tu ne comprends pas tout immédiatement. On ne comprend jamais ni absolument rien quand un autre homme parle, ni absolument tout immédiatement. Seulement on peut passer du moins au plus en prenant le temps d'essayer de comprendre.


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