Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
Règles du forum
Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 30 oct. 2008, 12:42

à Louisa


"""très bien. Vous prenez alors la décision d'appeler "moi" ce qui ne change pas dans le temps. Je ne vois pas pourquoi cette décision a priori devrait être écartée, elle est tout aussi intéressante que n'importe quelle autre."""


Je ne décide de rien du tout... Je ne décide pas plus apriori que je déciderais la forme d'un cercle .Le moi se reconnaît comme un cercle se reconnaît . Il n’y a pas d’enquête à faire. Je n’ai pas à comparer avec un bonne définition si c’est bien de moi dont j’ai conscience ou pas .

Je ne définis pas "moi" comme un objet distinct de moi et qui serai le" moi " (le mien le votre ou en général ).

Moi je ne suis pas définissable autrement que par "moi ne change pas ". S'il changeait alors je ne serais plus moi ...mais un autre.
Or Moi je suis toujours moi et jamais un autre.
Pas dans le même temps et sous le même rapport.
Si c'était le cas alors moi n’aurait plus le sens de moi .

Vous est- il arriver de penser que vous n'étiez pas vous même.
Vous avez pu vous dire moi JE ne suis plus moi même.

.................................................................................................

Distinguer entre l'individu que je suis et deviens et qui est descriptible par bien des manières et le moi, me parait en effet indispensable.

Henrique est un peu à coté du sujet (c'est le cas de le dire) en évoquant le sujet support absolu des pensées.
L idée de sujet est une idée autre que celle du moi (ou de l'identité de moi à moi même)
Pour cette dernière il n 'y est pas question de support des pensées, le moi ne supporte que lui même (une seule idée) .

Vous pouvez à la limite me faire le reproche de faire une réduction eidétique du moi .Quelque chose d’Husserlien qui viserait l’essence du moi.
N’est ce pas spinoziste que de chercher l’essence ou la meilleure approche, celle la plus dégagée de l'imagination, plutôt que d'alourdir les questions d’idées connexes qui diluent l’idée principale ?

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 16:59

Henrique a écrit :Mes amis, je pense que vous confondez individu et sujet.

L'individu est l'union de plusieurs corps interagissant de façon réciproque (cf. E2, déf. après le lemme 3), si bien que si vous enlevez ou ajoutez une partie à cet individu qu'est entre autres le corps humain, ce n'est plus le même, il change d'essence. Le mental (mens) dont parle E3P3 n'est rien d'autre que l'idée de cette individualité. De même que notre corps est composé d'autres corps, l'idée de notre corps est elle-même composée d'autres idées (E2P15).


Cher Henrique,

il est très bien possible que nous sommes en train de confondre ce qui doit être distingué. Or je ne suis pas certaine d'avoir bien compris la distinction que tu introduis ici, donc voici une tentative d'expliciter ce qui pour moi reste encore obscure.

Tu dis que l'individu est une union du corps. En effet, c'est littéralement ce que Spinoza dit dans la définition de l'Individu qui se trouve dans les lemmes de l'E2. Or il me semble que déjà cette définition elle-même, considérée dans sa totalité, dit autre chose que ce que tu dis par après ci-dessus:

"Quand un grand nombre de corps, de même grandeur ou de grandeur différente, sont pressés par les autres de telle sorte qu'ils s'appuient les uns sur les autres ou bien, s'ils sont en mouvement, à la même vitesse ou à des vitesses différentes, qu'ils se communiquent les uns aux autres leurs mouvements selon un certain rapport précis, ces corps, nous les dirons unis entre eux, et nous dirons qu'ils composent tous ensemble un seul corps ou Individu, qui se distingue de tous les autres par cette union entre corps."

On voit ici que ce n'est pas le fait même que certains corps se trouvent à un certain moment "ensemble" qui permet de parler d'un Individu. L'Individu est une espèce d'ensemble très précis: il s'agit de cet ensemble dont les corps qui le composent non seulement se communiquent leurs mouvements, mais opèrent cette communication SELON UN CERTAIN RAPPORT PRECIS. Quel rapport plus précisément? Le "rapport de mouvement et de repos" qui caractérise l'essence singulière de cet Individu-là, et d'aucun autre Individu.

C'est le fait qu'il s'agisse d'une union capable d'exprimer un rapport de mouvement et de repos (qui n'est pas un rapport de corps entre eux; les corps ne font qu'effectuer le mouvement) qui lui permet de formuler et démontrer le lemme 4, premier lemme qui vient après la définition de l'Individu:

"Si d'un corps, autrement dit d'un Individu, composé de plusieurs corps, certains corps se séparent, et qu'en même temps d'autres corps de même nature et en nombre égal viennent prendre leur place, l'Individu gardera sa nature d'avant, sans changement de forme."

on voit bien qu'il est tout à fait possible qu'une partie de l'Individu quitte l'Individu SANS que celui-ci change d'essence. On pourrait objecter qu'ici Spinoza dit seulement qu'on peut remplacer une partie par une autre semblable, et non pas carrément enlever une partie des corps qui constituent l'Individu. Mais voici que le lemme 5 dit que les parties elles-mêmes peuvent changer: elles peuvent devenir plus grandes ou plus petites, aussi longtemps que le rapport de mouvement et de repos que le résultat de ce changement effectue est toujours le même, il s'agira toujours du même Individu ayant la même essence. Ce n'est donc pas par la présence ou absence de certaines parties que l'on peut "reconnaître" le tout qu'est l'Individu, c'est uniquement par le rapport de mouvement et de repos que certaines parties (qui peuvent beaucoup changer) effectuent qu'on peut voir si l'ensemble de ces parties revêt une autre forme que celui d'avant.

Puis Spinoza lui-même dit bel et bien que "manger", ce n'est pas changer d'individu, c'est plutôt exactement ce que l'homme doit faire pour CONSERVER l'union de corps qui le caractérise (E2 Postulat 4). Le fait de manger, donc d'incorporer d'autres corps dans le nôtre, d'y AJOUTER des corps, est donc précisément ce qu'il faut pour CONSERVER l'Individu que je suis. Ce genre d'ajouts maintiennent l'essence, au lieu de la changer. En revanche, rien ne m'empêche, pendant que je mange, de penser, et par là on peut éventuellement changer "essentiellement" (voir ci-dessous).

Enfin, le mens (mental/Esprit) est effectivement l'idée de ce Corps, idée composée. Mais idée composée de quoi? D'idées ayant des parties du Corps comme objet? D'idées des corps qui composent à tel ou tel moment mon Corps à moi? Non, le mental est une idée composée avant tout d'idées ayant des AFFECTIONS du Corps comme objet (puis d'idées ayant des idées comme objet). Le mental n'a donc des idées du Corps QUE par les idées ayant ce qui change "localement" dans le Corps comme objet (une affection étant un mouvement local de certaines parties du Corps, mouvement que ces parties communiquent aux autres parties du Corps, et cela, si tout va bien, sans que l'ensemble des corps commence à effectuer un autre rapport de mouvement et de repos qu'avant). C'est pourquoi Spinoza doit dire que ce qui constitue l'essence du mental ou de l'Esprit, ce sont aussi bien les idées adéquates que les idées inadéquates, car les idées inadéquates sont précisément des idées d'images, c'est-à-dire d'affections du Corps.

C'est pour ces raisons qu'il me semble que chercher un "moi" dans ce que Spinoza appelle l'union de Corps, donc dans l'individualité, c'est peut-être y aller un peu trop vite. Le terme "Individu" ne désigne qu'un ensemble de corps capable d'effectuer à tel ou tel moment mon essence à moi. Peut-on trouver un équivalent de cela au niveau spirituel? Ne s'agit-il pas de deux plans conceptuels différents? Le plan de l'Individu serait alors celui qui concerne l'union entre corps qui se conserve malgré les changements et mouvements que les différents corps que le Corps rassemble subissent/opèrent. Le plan de l'Esprit, en revanche, est celui qui concerne l'idée composée d'idées ayant précisément ces changements pour objets. C'est pour cela que l'on ne peut pas s'en tenir à l'idée de l'Individu, c'est-à-dire à l'idée ayant une "CONSERVATION de rapport" comme objet, si l'on veut trouver quelque chose qu'on peut appeler "moi" dans le spinozisme: l'essence de notre Esprit est constituée de PLUS d'idées que juste cette idée-là, elle est également constituée d'idées ayant les CHANGEMENTS que sont les affections du Corps pour objets. Or l'idée d'une affection du Corps c'est précisément ce que Spinoza appelle "imagination", et toutes les idées inadéquates appartiennent à l'imagination. Si donc on veut penser le moi, il faut prendre les idées inadéquates avec, et non pas se limiter aux idées adéquates de ce qui se conserve seul. Le moi est donc plus "large" que ce que le terme "Individu" seul permet d'indiquer.

Henrique a écrit :Le sujet, c'est le support absolu des pensées : ce qui, en dernière analyse, connaît, autrement dit affirme l'existence de corps extérieurs et de la façon dont ils affectent le corps propre.


si je comprends bien, tu prends alors le mot sujet au sens de subiectum, c'est-à-dire le substrat d'autre chose. Or Spinoza n'utilise quasiment pas ce terme, et à mon sens à raison: le spinozisme n'est PAS une philosophie de la subjectivité. Descartes a introduit le sujet, et immédiatement après Spinoza l'élimine de nouveau. Dans le spinozisme, l'Esprit n'est pas le "support" des idées, le "substrat" des idées (ou ... la "sub-stance", comme c'est le cas chez Descartes), il EST une idée. Idée composée bien sûr, mais cela signifie qu'il n'est rien d'AUTRE qu'une idée, et non pas quelque chose qui serait le "substrat" des idées ou pensées.

Henrique a écrit : Descartes identifiait l'ego cogito et l'ego cartesius, autrement dit le sujet et l'individu. Descartes, lui, était dualiste, contrairement à Spinoza (Louisa, ta complaisance en face du contresens de Nepart à ce sujet dans le précédent topic me fait encore bondir :lol: tu ne peux ignorer E2P7 scol. ou E3P2, scol.).


en quoi l'ego cartesius serait-il équivalent avec ce que Spinoza appelle "Individu" .. ? Je ne vois pas très bien le lien.

Quant à ce que tu appelles ma "complaisance": serait-il possible de préciser avec quelle idée ou interprétation de Spinoza tu n'étais pas d'accord, et pour quelles raisons? Merci!!

Henrique a écrit : Dans ce dualisme cartésien, il peut y avoir une autonomie absolue de l'individu Descartes, en tant qu'âme pensante individuelle, dotée notamment d'une volonté infinie, alors que le corps de Descartes est à l'évidence soumis à une existence hétéronome, affectée en permanence par les objets extérieurs.


en effet, le "sujet" introduit par Descartes est une entité qui possède une certaine autonomie par rapport au corps (et inversement, puisque le corps aussi y est une substance). Mais cette autonomie me semble toujours être relative: Descartes reconnaît bel et bien qu'une maladie corporelle peut avoir des effets sur mon humeur et donc déterminer mon Esprit à penser plutôt ceci que cela, tandis que mon Esprit peut "commander" à mon Corps certaines choses qu'il ne serait pas incliné à faire "lui-même" de manière "autonome".

Sinon effectivement, ce qui caractérise un "sujet", au sens cartésien du terme, c'est le libre arbitre, la volonté infinie.

Henrique a écrit :Quand Nepart se demande "y a-t-il un moi continu malgré les changements lents le plus souvent mais évidents du corps ? Autrement dit celui qui prépare le diner est-il le même que celui qui va le manger ?" cela implique le moi, non comme état particulier du corps ou pensée particulière, plus ou moins adéquate de cet état, mais comme principe permanent des pensées, conscience qu'il y a préparation, dîner, changement d'état de l'individu. Ce principe doit rester identique dans le temps pour que la diversité et l'écoulement même d'une durée puissent être saisis. Mais comme Nepart confond en même temps subjectivité et individualité, à la suite il est vrai de Descartes, son problème lui paraît insoluble.


manger est certainement un acte qui permet d'enlever une partie du Corps et d'ajouter une nouvelle partie, et tout cela simplement pour conserver l'union des corps qui effectue le rapport de mouvement et de repos propre à l'Individu "Nepart".

Mais il est très bien concevable qu'en préparant le repas ou en mangeant, on réfléchit un peu, et on a par exemple une idée adéquate en plus. Une idée adéquate AUGMENTE le degré de puissance de l'Esprit qui l'a. Or l'essence est définie par un degré de puissance. C'est pourquoi à mon sens Nepart touche bel et bien à une difficulté qui se trouve au sein même du spinozisme: quel statut donner à l'Esprit qui vient d'avoir une idée adéquate, sachant que l'essence de l'Esprit se caractérise par un degré de puissance, et qu'une idée adéquate, en tant que Joie, par définition CHANGE ce degré de puissance (elle l'augmente)?

Certains commentateurs ont proposé l'hypothèse que la Joie et la Tristesse seraient des "variations" autour du degré de puissance qui caractériserait telle ou telle chose singulière. Mais cela ré-introduit la notion d'une puissance "potentielle", qui peut être "réalisée" ou non (puissance de la puissance, comme un autre commentateur l'a appelé). A mes yeux, Pascal Sévérac a donné dans Le devenir actif chez Spinoza une réfutation très convaincante de cette idée de "potentialité" (si cela intéresse quelqu'un, je veux bien essayer de la résumer).

C'est pourquoi je pense qu'il peut éventuellement être plus fécond de supposer que lorsqu'un Individu est affecté de Joie, il y a réellement production d'un nouvel Individu. L'union des corps qui caractériserait l'Individu précédent n'existe plus, les corps qui composent le Corps effectuent maintenant un nouveau rapport de mouvement et de repos, rapport caractéristique non plus pour le degré de puissance x, mais pour le degré de puissance x + 1.

Je ne crois pas qu'interpréter les choses ainsi permet de résoudre toutes les difficultés à ce sujet, mais il s'agit peut-être d'une piste de réflexion qui mérite d'être explorée.

Henrique a écrit :Dans l'optique non-dualiste de Spinoza, corps et mental sont une seule et même chose considérée sous deux angles différents. En ce sens, si un corps peut changer assez radicalement dans l'équilibre de ses parties, comme lorsqu'on passe de l'enfance à l'adolescence, il change d'essence ; de même pour un mental qui passe d'un état dominé par l'imagination à un état dominé par la raison. Il n'y a pas d'identité individuelle absolue, que l'on se place sous l'angle de l'étendue ou sous l'angle de la pensée.


oui, tout à fait d'accord.

Henrique a écrit : En revanche, malgré tous les changements corporels, il y a identité de ce qui constitue le corps de la naissance à la mort, à savoir l'étendue comme affirmation d'une existence en plusieurs dimensions (impliquant l'effort de persévérer autant que possible dans son être : E3P6). Et il y a identité (fait de rester le même) du pouvoir de penser, que l'on imagine, que l'on raisonne ou que l'on intuitionne, puisque dans tous les genre de connaissance, il y a affirmation de l'existence de ce qui s'étend comme de ce qui pense.


je crois que Spinoza dit exactement l'inverse: le pouvoir de penser a TELLEMENT changer entre un bébé et un adulte, que le sentiment d'identité ne vient que du fait que notre entourage donne un seul et même nom à ce qui en réalité est une longue chaîne causale de transformations. C'est en tout cas ainsi que je crois qu'il faut interpréter le fameux scolie de l'E4P39:

"Mais il faut ici remarquer que la mort survient au Corps, c'est ainsi que je l'entends, quand ses parties se trouvent ainsi disposées qu'elles entres les unes par rapport aux autres dans un autre rapport de mouvement et de repos. Car je n'ai pas l'audace de nier que le Corps humain, quoique subsistent la circulation du sang et d'autres choses qui font, croit-on, vivre le Corps, puisse néanmoins échanger sa nature contre une nature tout à fait différente. Car aucune raison ne me force à penser que le Corps ne meurt que s'il est changé en cadavre; bien mieux, l'expérience elle-même semble persuader du contraire.
(...) Et, si ça a l'air incroyable, que dire des bébés? Leur nature, un homme d'âge avancé la croit tellement différente de la sienne qu'il ne pourrait jamais se persuader d'avoir jamais été bébé, s'il n'en faisait d'après les autres la conjecture pour lui-même.
"

Qu'il y ait une CONTINUITE causale entre le bébé que j'étais et l'adulte que je suis, seules les photos de notre enfance et les affirmations de nos parents qu'il y ait bel et bien un rapport de cause à effet entre ce petit corps là dont je ne me souviens pas et mon corps actuel, peuvent nous en convaincre. Mais à mon sens Spinoza dit ici clairement que le Corps du bébé est MORT une fois que je suis devenue adulte. L'union des corps qui le caractérisait, n'existe plus. Le fait que du sang circule toujours dans une union de Corps qui par une chaîne causale est liée à l'union de Corps qui caractérisait le bébé, ne prouve en rien que cette nouvelle union de Corps, ce nouvel Individu, serait le même que celle du bébé. Au contraire même: le degré de puissance a tellement changé, a tellement augmenté, qu'il est impossible de toujours parler d'une même essence. Et je ne vois pas comment ré-introduire la notion de sujet (avec toutes ses connotations "anti-spinozistes") pourrait permettre de comprendre ce scolie autrement?

Henrique a écrit :Ce pouvoir de s'étendre ou de penser ne s'expliquant par rien d'autre que par soi-même (seul un corps explique un autre corps et ainsi c'est toujours l'étendue qui fait être l'étendue, de même avec une idée, cf. E2 prop. 1 et 2), il ne peuvent être affectés par rien d'extérieur. D'où ce que je disais : si par moi, on entend ce qui dans mon corps ou mon mental demeure identique à soi et fonde tout le reste, alors je suis la Nature et le corps et le mental auxquels la connaissance du premier genre m'identifient habituellement (par utilité sociale essentiellement) n'en sont que les affections ou modifications. En ce sens, je suis la vigne. Et les sarments, tout en en étant inséparables (il n'y a pas de sarments sans vigne), n'en sont que des expressions singulières et passagères, des états, non un étant au sens substantiel.


je n'ai pas compris ce que tu dis ici. Tu trouves qu'on peut entendre par "moi" ce qui demeure identique dans mon corps ou mental, ou tu trouves que cela relève de l'imagination?

Henrique a écrit :Descartes avait bien vu que si le pouvoir d'imaginer, de mémoriser est plus ou moins grand selon les individus, le simple pouvoir de penser que l'on connaît immédiatement en y faisant attention, dont la mémoire ou l'imagination ne sont que des dérivés, est le même pour tout homme (chose du monde la mieux partagée...).


pour Spinoza, l'essence d'une chose singulière est caractérisée par sa puissance de penser et d'agir ... comment pourrait-il proposer cela, si dans le spinozisme le POUVOIR DE PENSER serait le même pour tout homme ... ?

A mon sens, ce qui caractérise pour Spinoza la nature humaine, c'est notamment la RAISON. Mais la raison n'est pas un "pouvoir", la raison ce n'est pas la puissance de penser en tant que tel. La raison est une activité: elle consiste à contempler les idées pour voir en quoi elles s'opposent, diffèrent ou conviennent entre elles. Etre apte à se livrer à une telle activité, cela appartient à la nature de tout homme, tout comme tout homme est apte à utiliser ses bras et ses jambes pour courir. Mais encore faut-il s'exercer dans cette activité, tout comme l'athlète doit s'exercer les muscles, avant de pouvoir développer un grand pouvoir de penser et d'agir.

Henrique a écrit : Mais il n'en a pas tiré la conséquence pourtant évidente : si ce pouvoir est le même pour tout homme - et de fait n'importe qui, en tentant de douter de tout ce qui existe, arrive au même résultat, qu'il s'en aperçoive ou pas : au moment où on doute de l'existence de tout, nul ne peut penser "je ne pense pas, je n'existe pas" - si donc ce pouvoir de la pensée de se poser elle-même est le même pour tous, il ne constitue l'essence d'aucun individu, d'aucune chose singulière, c'est-à-dire qu'individualité et subjectivité sont deux choses à distinguer (mais pas pour autant à opposer).


tu appellerais alors "subjectivité" ce pouvoir de penser qui selon toi est le même chez tous? Pour toi on change sans cesse d'individualité, mais pas de "sujet"? La "subjectivité" n'aurait plus rien de singulier? Il n'y aurait qu'une seule subjectivité, celle de l'humanité?

Si oui, pour moi le fait même que chaque essence singulière, chaque homme singulier se caractérise par un degré de puissance, donc un pouvoir de penser propre, rend cette hypothèse peu spinoziste.

Henrique a écrit :Donc si le corps qui prépare le dîner n'est pas tout à fait le même que celui qui le mangera et à plus forte raison que celui qui dans dix ans repréparera un dîner, la simple puissance universelle de penser ces différents événements et de penser ces pensées (c'est-à-dire d'en avoir conscience) restera la même, d'où la possibilité de s'apercevoir des changements même les plus radicaux du corps ou de son idée complexe.


Spinoza ne dit-il pas bien plutôt que lorsqu'il y a changement radical, il y a nécessairement oubli, il n'y a même plus de trace dans la mémoire de ce qu'on était avant? N'est pas cela ce qu'il dit dans le scolie que je viens de citer, ou dans l'histoire qu'il raconte du poète espagnol?

Comment ma puissance de penser mes souvenirs pourrait-elle être la même aujourd'hui que lorsque j'avais 5 ans (et comment cette puissance pourrait-elle être "universelle" ...)?

Enfin, comment serait-il possible qu'il y ait changement corporel SANS qu'il y ait un changement "parallèle" au niveau de l'Esprit, donc au niveau de la puissance de penser?

Henrique a écrit :Pour ce qui est de faire des projets d'avenir, cela les relativise certes beaucoup : l'individu qui en profitera ne sera pas tout à fait le même que celui qui y travaille, mais quand cela arrivera, il y aura reconnaissance du fruit de ce travail parce que le pouvoir de penser ne change pas.


à mon avis il y a plutôt une continuité causale, et rien d'autre: j'ai aujourd'hui l'idée que je veux réussir mes examens de janvier. Je vais donc aujourd'hui me mettre à l'étude. Si j'ai bien étudié, et compris certaines choses, ma puissance de penser ce soir sera déjà un peu plus grande, et je comprendrai encore mieux pourquoi il est important de réussir mes examens en janvier. Ma volonté/compréhension de réaliser ce projet aura donc un peu augmenter. L'idée du matin (vouloir réussir les examens) a donc causé pendant la journée quelques nouvelles idées concernant le projet, idées qui le soir auront remplacé celles du matin. Et le lendemain, ces nouvelles idées seront ce qui me détermine à étudier. Et ainsi de suite.

D'ailleurs, dans beaucoup de projets ou d'"oeuvres à faire", le projet lui-même change au fur et à mesure qu'on s'en occupe. Il n'y a pas d'abord déjà une idée toute faite, puis une simple "exécution". Il y a plutôt une idée assez vague au début, qui non seulement se précise en essayant de faire ce que l'on croit être nécessaire pour le réaliser, mais qui très souvent aussi change (on peut penser au peintre qui veut réaliser telle ou telle idée sur la toile, mais qui regarde régulièrement son travail inachevé avec une certaine distance, pour y découvrir ainsi soudainement une idée à laquelle il n'aurait jamais pensé avant d'avoir commencé cette toile, idée fort différente de l'idée initiale ou du projet initial, et qui déterminera la suite de son travail, si bien qu'il ne le trouvera accompli qu'au moment où la toile correspond à de toutes autres critères que celles qu'il s'était donné au début).

Henrique a écrit :Et de toutes façons, comme la Nature est affirmation absolue de soi, chacun de ses modes s'affirme autant qu'il peut dans l'existence : l'être affirmé (l'individu) aura beau changer, augmentant ou diminuant sa puissance d'exister, ce qui affirme cet être et fait qu'il s'affirme, à savoir Dieu ou la Nature (cf. dém. de E3P6), demeure identique à soi. D'ailleurs, dans la dém. d'E2P15 à laquelle E3P3 fait référence, Dieu est bien le fond à partir duquel l'idée composite du corps ou mental peut se constituer.


en effet, le seul Individu qui jamais ne meurt, dont l'union de Corps qui le caractérise n'est jamais défaite, c'est Dieu. Rien ne peut l'affecter d'une telle façon que la Nature n'effectue plus l'union des corps qui caractérise son essence à lui.

Henrique a écrit :Mais, aurais tu pu me dire, Nepart, si je suis la Nature, comme se fait-il que je ne sens pas tout ce qui se passe dans les corps différents de celui auquel je m'identifie habituellement ? Là encore la question revient à confondre individualité et subjectivité, mais je n'en dirai pas plus pour aujourd'hui vu que tu ne la poses pas et qu'en réfléchissant avec attention à ce que je viens d'écrire, et même dans mon précédent post, tu as déjà les éléments pour comprendre.


ne faudrait-il pas dire que cette question confond bien plutôt "être la Nature", c'est-à-dire "être Dieu", et "être DU Dieu"? Et n'étant qu'un Individu qui a une autre essence que l'essence divine, je ne peux jamais connaître tous les autres Individus (c'est précisément ce qui distingue l'une de l'autre).

En tout cas, je ne vois pas très bien comment tu distinguerais ici individualité et subjectivité, donc voilà, si Nepart ne posera pas cette question ou s'il ne trouve pas lui-même la réponse, moi cela m'intéresse en tout cas d'en savoir plus ... :)
L.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 17:59

PS pour ceux qui veulent aller vite: tentative de résumer mon message précedent.

Si je l'ai bien compris, Henrique propose de comprendre par "Individu" toute union de corps, indépendamment du fait que cette union exprime un rapport de mouvement et de repos singulier ou n'est qu'un simple assemblage de corps. Prenant le mot "Individu" donc dans le sens de "assemblage de corps", il constate que lorsqu'on mange, "notre" Corps, en tant qu'assemblage, n'est plus le même, puisqu'après avoir mangé, il y a un assemblage d'AUTRES corps que ceux qui étaient là avant le repas (les corps du poisson mangé faisant maintenant partie de mon Corps à moi). C'est ce qui fait que du point de vue de l'individualité, nous changerions sans cesse. Même le simple fait de manger fait changer d'Individu.

En revanche, il y aurait également un "sujet universel", qui se caractérise par un "pouvoir universel de penser", et qui serait également "nous", au sens où, je suppose, nous y participerions. Ceci serait alors ce qui demeure inchangé durant toute notre vie.

Mon problème avec cette thèse:

1. la définition de l'Individu (E2 Lemmes Définition) ne consiste pas à appeler "Individu" tout assemblage de corps, mais uniquement le rapport de mouvement et de repos effectué par un assemblage de corps. Les lemmes 4 et 5 indiquent que beaucoup de corps peuvent s'y ajouter ou quitter l'Individu, aussi longtemps que les corps présents effectuent toujours le même RAPPORT entre eux, l'Individu reste le même. Le 4e postulat de l'E2 permet de comprendre que manger est précisément ce qu'il nous faut pour CONSERVER le rapport qui nous caractérise, pour rester le même Individu.

2. dire que ce qui ne change pas ne serait que spirituel ou mental ou de l'ordre de la pensée, c'est introduire un "déséquilibre" entre l'attribut de la Pensée et l'attribut de l'Etendue, ou entre un mode de la Pensée et un mode de l'Etendue. Comme si après notre mort l'essence de notre Esprit qui est éternelle, ne serait plus l'idée de l'essence de Corps. L'E5 dit à mon sens bien plutôt que les deux essences sont éternelles. Chez Spinoza, on ne peut pas identifier le changement au corporel et la permanence au spirituel (comme l'a toujours fait le christianisme). C'est reconduire le dualisme esprit/corps là où Spinoza introduit le concept de changement ou de "modification" dans l'idée même de Dieu (les modes étant des modifications ou affections de son essence divine).

3. le spinozisme n'est pas une philosophie du sujet (le terme ne s'y trouve quasiment pas), l'Esprit n'est plus une sub-stance, un hypo-keimenon, un sub-strat des pensées ou idées (Descartes), il est lui-même une idée. Le seul "substrat" dans cette histoire, c'est Dieu, au sens où chaque idée est une modification d'un attribut, attribut qui constitue l'essence de Dieu.

4. comment comprendre que "moi" j'aurais une certaine permanence dans le temps, si la seule chose qui est permanente n'est pas singulier, mais un "sujet universel"?

Conclusion: il me semble que cette interprétation ne tient pas compte de la définition proprement spinoziste de l'Individu, tout en ré-introduisant le dualisme christiano-cartésien du corps changeant et de l'esprit identique à lui-même, tandis que remplacer la puissance de penser propre à chaque chose singulière par un "sujet universel de la pensée" me semble être trop hégélien pour pouvoir convenir au spinozisme.
L.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 30 oct. 2008, 18:40

à Louisa

PS pour ceux qui veulent aller vite: tentative de résumer mon message précédent.


c'est gentil

A ce sujet , je me débrouille assez bien pour résumer moi même les réponses que vous me faites .

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 18:58

Hokousai a écrit :
Louisa a écrit :PS pour ceux qui veulent aller vite: tentative de résumer mon message précédent.


c'est gentil

A ce sujet , je me débrouille assez bien pour résumer moi même les réponses que vous me faites .


d'accord, alors vous n'appartenez pas à ceux à qui je m'adressais dans ce PS ... :D

J'écris ce genre de résumés non pas parce que je supposerais qu'il y ait toujours quelques "imbéciles" qui n'auraient pas compris à la première lecture ce que je veux dire. Je l'écris simplement parce que je sais bien que certains n'ont pas le temps de ou n'aiment pas lire des messages longs, tandis que moi-même j'ai d'une part besoin de tout ce développement en détail (ne fût-ce que pour moi même) pour pouvoir répondre ce que je veux répondre, et j'ai d'autre part besoin aussi des critiques et objections éventuelles de ceux qui ne peuvent pas tout lire (par manque de temps/intérêt/...), raison pour laquelle j'y ajoute parfois un "résumé". C'est tout.

C'est un peu comme les préfaces des livres: on ne peut pas les écrire avant d'avoir écrit tout le livre, mais c'est l'écriture lente du livre qui permet par après à celui qui a écrit de formuler beaucoup plus succinctement ce qu'après coup il constate qu'il a fait. Raison pour laquelle ceux qui n'ont pas envie de lire tout le livre peuvent déjà avoir une idée de quoi il s'agit en s'en tenant à la préface seule. Mais il n'y a aucun "mépris" par rapport au lecteur dans ce genre d'exercices.

A bientôt pour une réponse à votre dernier message,
L.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 30 oct. 2008, 19:02

Il faut reconnaître que Henrique évoque le moi

[quote]D'où ce que je disais : si par moi, on entend ce qui dans mon corps ou mon mental demeure identique à soi et fonde tout le reste, alors je suis la Nature et le corps et le mental auxquels la connaissance du premier genre m'identifient habituellement (par utilité sociale essentiellement) n'en sont que les affections ou modifications.[/b]

En première instance (mais il y a t- il une seconde instance ?) Le Moi n’est pas ce qui demeure identique . Lorsque je prends conscience d’être moi-même , je ne fais aucune référence à l’ avoir été ou à l’être dans le futur . Le moi se reconnaît hors la durée .
Voila une idée (très ) adéquate rabattue sur le premier genre de connaissance , en vertu de quoi, avide de sortir d’une telle adéquation, laquelle semble donner le vertige , on dérive vers un second genre de méconnaissance .

Avatar du membre
nepart
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 172
Enregistré le : 07 déc. 2007, 00:00

Messagepar nepart » 30 oct. 2008, 19:40

Malheureusement, je ne parvient pas à comprendre vos réponses qui sont certainement de qualité.

Je ne maîtrise pas encore l'éthique et son jargon.

ps: Je viens de me souvenir de l'origine de cette interrogation.
Un professeur d'histoire nous raconté que des personnes changeaient beaucoup en temps de guerre et perdaient parfois toute humanité.

En y réfléchissant je m'étais demandé, et si une expérience tel que la lecture d'un livre, dans notre vie nous changeait tellement que nos plus grandes sources de joies soit nos sources actuelles de peines, mais qu'au final cela nous rendrait plus heureux.

Le ferions nous car la seul finalité humaine est le bonheur ou non car nous n'arriverions pas à nous imaginer que c'est encore nous et que donc ce sera le bonheur d'un autre?

ps: Si la nature est infini, alors il y a forcement des copies de nous dans la nature. Or vous ne ressentez pas ce qu'ils ressentent.

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 30 oct. 2008, 21:58

Bonjour Louisa,
Louisa a écrit :
Henrique a écrit : Descartes identifiait l'ego cogito et l'ego cartesius, autrement dit le sujet et l'individu. Descartes, lui, était dualiste, contrairement à Spinoza (Louisa, ta complaisance en face du contresens de Nepart à ce sujet dans le précédent topic me fait encore bondir :lol: tu ne peux ignorer E2P7 scol. ou E3P2, scol.).


en quoi l'ego cartesius serait-il équivalent avec ce que Spinoza appelle "Individu" .. ? Je ne vois pas très bien le lien.

Justement, il me semble que Henrique indique que ce n'est pas la même chose.
Descartes identifierait l'être, l'Individu, à un "Je pense" ou un "Je veux". Spinoza ne le fait pas. Sauf erreur, tout ce que dit Henrique, c'est ce que tu as développé plus haut : le sujet, le "Je pense", n'est pas l'Individu auquel correspond une essence.
Le sujet est le résultat des affections de l'Individu, y compris l'imagination, il est soumis aux fluctuations diverses. A contrario, l'Individu est la base invariante par ré-équilibrage permanent, ce qui a une essence.
Lorsque le sujet accède à une connaissance vraie de l'Individualité qu'il est, il le fait en voyant comment cette individualité se fonde sur non seulement un rapport singulier de mouvement et de repos, mais aussi sur une puissance d'exister et d'être (être ce rapport singulier) qui provient directement de la Nature (Dieu est cause de l'existence et de l'essence).
Louisa a écrit :Or l'essence est définie par un degré de puissance. C'est pourquoi à mon sens Nepart touche bel et bien à une difficulté qui se trouve au sein même du spinozisme: quel statut donner à l'Esprit qui vient d'avoir une idée adéquate, sachant que l'essence de l'Esprit se caractérise par un degré de puissance, et qu'une idée adéquate, en tant que Joie, par définition CHANGE ce degré de puissance (elle l'augmente)?
(...)
L'union des corps qui caractériserait l'Individu précédent n'existe plus, les corps qui composent le Corps effectuent maintenant un nouveau rapport de mouvement et de repos, rapport caractéristique non plus pour le degré de puissance x, mais pour le degré de puissance x + 1.

Il me semble insuffisant voire inadéquat de définir l'essence par un degré de puissance. On ne change pas d'essence quand un bon repas nous fortifie.
L'essence d'un être fini est le rapport singulier qui détermine ce qu'est cet être fini.
Il y a ensuite une puissance d'exister dans la durée qui est puissance d'affirmation de cet être dans son rapport "conflictuel" aux autres êtres, dans son rapport de différence (affecter et être affecté), et une puissance d'exister sub specie aeternitatis qui exprime la constitution essentielle de la Nature, la conjonction des essences d'une "infinité de choses infiniment modifiées" qui n'est autre que Dieu ou la Nature. Quand on prend l'essence comme puissance ce n'est que comme invariant, partie déterminée de puissance et non pas degré fluctuant.
Les degrés sont pour l'expression de cette partie dans ses rapports temporels, c'est-à-dire de différenciation conflictuelle sub specie "durationis".

Dans l'existence selon la durée, il y a par exemple A < N < U < T < R < E et A + N > T etc., tout un tas de rapports affectifs, un système d'équations qui expriment des rapports de puissance dont l'unique solution invariante est NATURE. Chacun peut résoudre son équation pour savoir si il est N ou A, trouver sa place essentielle.

Si on confond les deux types d'expression de la puissance, on ne peut comprendre comment des joies peuvent être mauvaises, comment des affections qui augmentent temporairement la puissance d'agir peuvent être en inadéquation avec la nature de l'être concerné, et conduire à sa destruction.

Les affections qu'occasionnent les rencontres dans la durée peuvent par la puissance de penser servir à s'approcher de sa puissance propre sub specie aeternitatis, de sa puissance d'"essence-existence". Le sujet, la pensée qui fluctue au gré des rencontres, comprend peu à peu sa nature, son Individualité, à la fois dans son caractère fini et dans son caractère de partie de l'infini. Plus le sujet coïncide avec l'Individu, c'est-à-dire plus on se comprend comme tel ou tel mode déterminé de la Nature et plus on tend vers la sagesse, on entre dans le registre de la conjonction apaisée des essences-existences sub specie aeternitatis qui constitue la Nature.

Le cheval est heureux pour autant qu'il reste cheval, l'humain est heureux pour autant qu'il reste humain et "être humain" chez Spinoza c'est essentiellement "être sage", c'est-à-dire exprimer la puissance de connaissance qui caractérise l'homme en général, exprimer sa puissance propre de connaissance pour chaque homme en particulier. Du côté du corps, cette puissance de connaissance s'exprime dans un grand nombre d'aptitudes (E5p39).

Et si les sages se rejoignent dans l'éternel là où l'ignorant reste dans les conflits du "temporel", c'est en connaissant aussi ce qui les différencie l'un l'autre, en respectant leurs singularités. Les sages ne perdent pas leur Moi dans la sagesse : ils l'ont accordé à leur Individualité, laquelle s'accorde à toutes les Individualités dès lors qu'on les vit, qu'on les rencontre dans la conscience de leur lien à la nécessité naturelle.

Disons que c'est comme cela que j'interprèterais ce que disait Henrique : "si par moi, on entend ce qui dans mon corps ou mon mental demeure identique à soi et fonde tout le reste, alors je suis la Nature et le corps et le mental auxquels la connaissance du premier genre m'identifient habituellement (par utilité sociale essentiellement) n'en sont que les affections ou modifications."

Si par moi, on entend ce qui demeure identique à soi, c'est-à-dire si le sujet trouve son identité, alors je suis le N ou le A de la NATURE, des affections ou modifications d'un système unique.

Ceci dit, j'ai quasiment identifié "Individu" et identité ou essence ("le désir de chaque individu diffère de celui d'un autre individu autant que diffèrent leurs natures ou leurs essences"), en les plaçant dans la vision sub specie aeternitatis mais il faudrait voir si au niveau vocabulaire Spinoza n'utilise pas plutôt "Individu" pour les rapports dans la durée.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 30 oct. 2008, 23:05

Bardamu a écrit :
louisa a écrit :
Henrique a écrit :
Descartes identifiait l'ego cogito et l'ego cartesius, autrement dit le sujet et l'individu. Descartes, lui, était dualiste, contrairement à Spinoza (Louisa, ta complaisance en face du contresens de Nepart à ce sujet dans le précédent topic me fait encore bondir :lol: tu ne peux ignorer E2P7 scol. ou E3P2, scol.).


en quoi l'ego cartesius serait-il équivalent avec ce que Spinoza appelle "Individu" .. ? Je ne vois pas très bien le lien.


Justement, il me semble que Henrique indique que ce n'est pas la même chose.


Bonjour Bardamu,
merci de ta remarque, remarque qui si elle est correcte, implique je j'ai tout à fait mal compris la distinction que Henrique vient de faire entre sujet et Individu. Si c'est le cas, il suffit qu'il le dise pour que je reprenne le tout. En attendant, voici la raison pour laquelle je l'avais interprété ainsi.

Henrique écrit: Descartes identifiait x et y, autrement dit a et b. A mon sens, cela signifie que Henrique veut dire que pour Spinoza, x n'est pas y, et a n'est pas b, tandis que le x cartésien doit mutatis mutandis correspondre au a spinoziste, et le y au b (donc l'ego cogito au sujet, l'ego cartesius à l'Individu). Par conséquent, Henrique dit que pour Descartes il faut identifier le sujet et l'Individu, tandis que chez Spinoza il s'agirait de deux choses distinctes, sachant que le sujet c'est l'ego cogito, l'Individu l'ego cartesius.

C'est l'un des endroits de son message qui me faisait penser que pour Henrique, l'Individu (en tant qu'union des corps, donc en tant que chose corporelle) est le "siège" du changement permanent, et le "sujet" le siège de toute invariabilité (étant universel, il est le "pouvoir de penser" qui caractériserait tout homme).

Ce que j'ai essayé de dire était effectivement que selon moi Spinoza définit l'Individu plutôt de manière inverse: par la capacité de conserver son identité, malgré les affections qu'il subit. Or si Henrique est d'accord avec cela, il est certain que je l'ai mal compris et qu'il vaut mieux que je relise son message.

A bientôt pour une réponse à la suite de ton message,
L.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 30 oct. 2008, 23:17

cher nepart

votre question est mal posée

Très exactement vous vous vous posez des questions qui ne sont pas résumables par celle- ci :

est ce que ce sentiment d'être soi est illusoire?

votre idée est qu' on change suffisamment et pour certain tellement que se dire continument " c'est moi "ou "c'est toujours moi "est une illusion .
En fait vous pensez que c'est une illusion .
A chaque fois on dit MOI , mais ce MOI désignerait des réalités différentes .
ce MOI cacherait/ masquerait que nous avons changé .

Dans ce sens vous auriez raison .

.........................................

Malheureusement ce n'est pas ça la question du sentiment du moi . Car qu'on ait changé plus ou moins ou pas du tout , le sentiment du MOI est le même .
Je me retrouve tout autant moi même quand j 'y pense à cinq ans ou à cinquante ans .

Si vous aviez habité la même maison depuis cinquante ans , quand vous rentrez chez vous c'est de la même façon qu'il y a cinquante ans ,c'est chez vous .( maintenant c'est chez vous , pas plus pas moins qu il y a cinquante ans )
Modifié en dernier par hokousai le 31 oct. 2008, 01:03, modifié 2 fois.


Retourner vers « L'ontologie spinoziste »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 20 invités