Henrique a écrit :Mes amis, je pense que vous confondez individu et sujet.
L'individu est l'union de plusieurs corps interagissant de façon réciproque (cf. E2, déf. après le lemme 3), si bien que si vous enlevez ou ajoutez une partie à cet individu qu'est entre autres le corps humain, ce n'est plus le même, il change d'essence. Le mental (mens) dont parle E3P3 n'est rien d'autre que l'idée de cette individualité. De même que notre corps est composé d'autres corps, l'idée de notre corps est elle-même composée d'autres idées (E2P15).
Cher Henrique,
il est très bien possible que nous sommes en train de confondre ce qui doit être distingué. Or je ne suis pas certaine d'avoir bien compris la distinction que tu introduis ici, donc voici une tentative d'expliciter ce qui pour moi reste encore obscure.
Tu dis que l'individu est une union du corps. En effet, c'est littéralement ce que Spinoza dit dans la définition de l'Individu qui se trouve dans les lemmes de l'E2. Or il me semble que déjà cette définition elle-même, considérée dans sa totalité, dit autre chose que ce que tu dis par après ci-dessus:
"
Quand un grand nombre de corps, de même grandeur ou de grandeur différente, sont pressés par les autres de telle sorte qu'ils s'appuient les uns sur les autres ou bien, s'ils sont en mouvement, à la même vitesse ou à des vitesses différentes, qu'ils se communiquent les uns aux autres leurs mouvements selon un certain rapport précis, ces corps, nous les dirons unis entre eux, et nous dirons qu'ils composent tous ensemble un seul corps ou Individu, qui se distingue de tous les autres par cette union entre corps."
On voit ici que ce n'est pas le fait même que certains corps se trouvent à un certain moment "ensemble" qui permet de parler d'un Individu. L'Individu est une espèce d'ensemble très précis: il s'agit de cet ensemble dont les corps qui le composent non seulement se communiquent leurs mouvements, mais opèrent cette communication SELON UN CERTAIN RAPPORT PRECIS. Quel rapport plus précisément? Le "rapport de mouvement et de repos" qui caractérise l'essence singulière de cet Individu-là, et d'aucun autre Individu.
C'est le fait qu'il s'agisse d'une union capable d'exprimer un rapport de mouvement et de repos (qui n'est pas un rapport de corps entre eux; les corps ne font qu'effectuer le mouvement) qui lui permet de formuler et démontrer le lemme 4, premier lemme qui vient après la définition de l'Individu:
"
Si d'un corps, autrement dit d'un Individu, composé de plusieurs corps, certains corps se séparent, et qu'en même temps d'autres corps de même nature et en nombre égal viennent prendre leur place, l'Individu gardera sa nature d'avant, sans changement de forme."
on voit bien qu'il est tout à fait possible qu'une partie de l'Individu quitte l'Individu SANS que celui-ci change d'essence. On pourrait objecter qu'ici Spinoza dit seulement qu'on peut remplacer une partie par une autre semblable, et non pas carrément enlever une partie des corps qui constituent l'Individu. Mais voici que le lemme 5 dit que les parties elles-mêmes peuvent changer: elles peuvent devenir plus grandes ou plus petites, aussi longtemps que le rapport de mouvement et de repos que le résultat de ce changement effectue est toujours le même, il s'agira toujours du même Individu ayant la même essence. Ce n'est donc pas par la présence ou absence de certaines parties que l'on peut "reconnaître" le tout qu'est l'Individu, c'est uniquement par le rapport de mouvement et de repos que certaines parties (qui peuvent beaucoup changer) effectuent qu'on peut voir si l'ensemble de ces parties revêt une autre forme que celui d'avant.
Puis Spinoza lui-même dit bel et bien que "manger", ce n'est pas changer d'individu, c'est plutôt exactement ce que l'homme doit faire pour CONSERVER l'union de corps qui le caractérise (E2 Postulat 4). Le fait de manger, donc d'incorporer d'autres corps dans le nôtre, d'y AJOUTER des corps, est donc précisément ce qu'il faut pour CONSERVER l'Individu que je suis. Ce genre d'ajouts maintiennent l'essence, au lieu de la changer. En revanche, rien ne m'empêche, pendant que je mange, de penser, et par là on peut éventuellement changer "essentiellement" (voir ci-dessous).
Enfin, le
mens (mental/Esprit) est effectivement l'idée de ce Corps, idée composée. Mais idée composée de quoi? D'idées ayant des parties du Corps comme objet? D'idées des corps qui composent à tel ou tel moment mon Corps à moi? Non, le mental est une idée composée avant tout d'idées ayant des AFFECTIONS du Corps comme objet (puis d'idées ayant des idées comme objet). Le mental n'a donc des idées du Corps QUE par les idées ayant ce qui change "localement" dans le Corps comme objet (une affection étant un mouvement local de certaines parties du Corps, mouvement que ces parties communiquent aux autres parties du Corps, et cela, si tout va bien, sans que l'ensemble des corps commence à effectuer un autre rapport de mouvement et de repos qu'avant). C'est pourquoi Spinoza doit dire que ce qui constitue l'essence du mental ou de l'Esprit, ce sont aussi bien les idées adéquates que les idées inadéquates, car les idées inadéquates sont précisément des idées d'images, c'est-à-dire d'affections du Corps.
C'est pour ces raisons qu'il me semble que chercher un "moi" dans ce que Spinoza appelle l'union de Corps, donc dans l'individualité, c'est peut-être y aller un peu trop vite. Le terme "Individu" ne désigne qu'un ensemble de corps capable d'effectuer à tel ou tel moment mon essence à moi. Peut-on trouver un équivalent de cela au niveau spirituel? Ne s'agit-il pas de deux plans conceptuels différents? Le plan de l'Individu serait alors celui qui concerne l'union entre corps qui se conserve malgré les changements et mouvements que les différents corps que le Corps rassemble subissent/opèrent. Le plan de l'Esprit, en revanche, est celui qui concerne l'idée composée d'idées ayant précisément ces changements pour objets. C'est pour cela que l'on ne peut pas s'en tenir à l'idée de l'Individu, c'est-à-dire à l'idée ayant une "CONSERVATION de rapport" comme objet, si l'on veut trouver quelque chose qu'on peut appeler "moi" dans le spinozisme: l'essence de notre Esprit est constituée de PLUS d'idées que juste cette idée-là, elle est également constituée d'idées ayant les CHANGEMENTS que sont les affections du Corps pour objets. Or l'idée d'une affection du Corps c'est précisément ce que Spinoza appelle "imagination", et toutes les idées inadéquates appartiennent à l'imagination. Si donc on veut penser le moi, il faut prendre les idées inadéquates avec, et non pas se limiter aux idées adéquates de ce qui se conserve seul. Le moi est donc plus "large" que ce que le terme "Individu" seul permet d'indiquer.
Henrique a écrit :Le sujet, c'est le support absolu des pensées : ce qui, en dernière analyse, connaît, autrement dit affirme l'existence de corps extérieurs et de la façon dont ils affectent le corps propre.
si je comprends bien, tu prends alors le mot sujet au sens de
subiectum, c'est-à-dire le substrat d'autre chose. Or Spinoza n'utilise quasiment pas ce terme, et à mon sens à raison: le spinozisme n'est PAS une philosophie de la subjectivité. Descartes a introduit le sujet, et immédiatement après Spinoza l'élimine de nouveau. Dans le spinozisme, l'Esprit n'est pas le "support" des idées, le "substrat" des idées (ou ... la "sub-stance", comme c'est le cas chez Descartes), il EST une idée. Idée composée bien sûr, mais cela signifie qu'il n'est rien d'AUTRE qu'une idée, et non pas quelque chose qui serait le "substrat" des idées ou pensées.
Henrique a écrit : Descartes identifiait l'ego cogito et l'ego cartesius, autrement dit le sujet et l'individu. Descartes, lui, était dualiste, contrairement à Spinoza (Louisa, ta complaisance en face du contresens de Nepart à ce sujet dans le précédent topic me fait encore bondir
tu ne peux ignorer E2P7 scol. ou E3P2, scol.).
en quoi l'
ego cartesius serait-il équivalent avec ce que Spinoza appelle "Individu" .. ? Je ne vois pas très bien le lien.
Quant à ce que tu appelles ma "complaisance": serait-il possible de préciser avec quelle idée ou interprétation de Spinoza tu n'étais pas d'accord, et pour quelles raisons? Merci!!
Henrique a écrit : Dans ce dualisme cartésien, il peut y avoir une autonomie absolue de l'individu Descartes, en tant qu'âme pensante individuelle, dotée notamment d'une volonté infinie, alors que le corps de Descartes est à l'évidence soumis à une existence hétéronome, affectée en permanence par les objets extérieurs.
en effet, le "sujet" introduit par Descartes est une entité qui possède une certaine autonomie par rapport au corps (et inversement, puisque le corps aussi y est une substance). Mais cette autonomie me semble toujours être relative: Descartes reconnaît bel et bien qu'une maladie corporelle peut avoir des effets sur mon humeur et donc déterminer mon Esprit à penser plutôt ceci que cela, tandis que mon Esprit peut "commander" à mon Corps certaines choses qu'il ne serait pas incliné à faire "lui-même" de manière "autonome".
Sinon effectivement, ce qui caractérise un "sujet", au sens cartésien du terme, c'est le libre arbitre, la volonté infinie.
Henrique a écrit :Quand Nepart se demande "y a-t-il un moi continu malgré les changements lents le plus souvent mais évidents du corps ? Autrement dit celui qui prépare le diner est-il le même que celui qui va le manger ?" cela implique le moi, non comme état particulier du corps ou pensée particulière, plus ou moins adéquate de cet état, mais comme principe permanent des pensées, conscience qu'il y a préparation, dîner, changement d'état de l'individu. Ce principe doit rester identique dans le temps pour que la diversité et l'écoulement même d'une durée puissent être saisis. Mais comme Nepart confond en même temps subjectivité et individualité, à la suite il est vrai de Descartes, son problème lui paraît insoluble.
manger est certainement un acte qui permet d'enlever une partie du Corps et d'ajouter une nouvelle partie, et tout cela simplement pour conserver l'union des corps qui effectue le rapport de mouvement et de repos propre à l'Individu "Nepart".
Mais il est très bien concevable qu'en préparant le repas ou en mangeant, on réfléchit un peu, et on a par exemple une idée adéquate en plus. Une idée adéquate AUGMENTE le degré de puissance de l'Esprit qui l'a. Or l'essence est définie par un degré de puissance. C'est pourquoi à mon sens Nepart touche bel et bien à une difficulté qui se trouve au sein même du spinozisme: quel statut donner à l'Esprit qui vient d'avoir une idée adéquate, sachant que l'essence de l'Esprit se caractérise par un degré de puissance, et qu'une idée adéquate, en tant que Joie, par définition CHANGE ce degré de puissance (elle l'augmente)?
Certains commentateurs ont proposé l'hypothèse que la Joie et la Tristesse seraient des "variations" autour du degré de puissance qui caractériserait telle ou telle chose singulière. Mais cela ré-introduit la notion d'une puissance "potentielle", qui peut être "réalisée" ou non (puissance de la puissance, comme un autre commentateur l'a appelé). A mes yeux, Pascal Sévérac a donné dans
Le devenir actif chez Spinoza une réfutation très convaincante de cette idée de "potentialité" (si cela intéresse quelqu'un, je veux bien essayer de la résumer).
C'est pourquoi je pense qu'il peut éventuellement être plus fécond de supposer que lorsqu'un Individu est affecté de Joie, il y a réellement production d'un nouvel Individu. L'union des corps qui caractériserait l'Individu précédent n'existe plus, les corps qui composent le Corps effectuent maintenant un nouveau rapport de mouvement et de repos, rapport caractéristique non plus pour le degré de puissance x, mais pour le degré de puissance x + 1.
Je ne crois pas qu'interpréter les choses ainsi permet de résoudre toutes les difficultés à ce sujet, mais il s'agit peut-être d'une piste de réflexion qui mérite d'être explorée.
Henrique a écrit :Dans l'optique non-dualiste de Spinoza, corps et mental sont une seule et même chose considérée sous deux angles différents. En ce sens, si un corps peut changer assez radicalement dans l'équilibre de ses parties, comme lorsqu'on passe de l'enfance à l'adolescence, il change d'essence ; de même pour un mental qui passe d'un état dominé par l'imagination à un état dominé par la raison. Il n'y a pas d'identité individuelle absolue, que l'on se place sous l'angle de l'étendue ou sous l'angle de la pensée.
oui, tout à fait d'accord.
Henrique a écrit : En revanche, malgré tous les changements corporels, il y a identité de ce qui constitue le corps de la naissance à la mort, à savoir l'étendue comme affirmation d'une existence en plusieurs dimensions (impliquant l'effort de persévérer autant que possible dans son être : E3P6). Et il y a identité (fait de rester le même) du pouvoir de penser, que l'on imagine, que l'on raisonne ou que l'on intuitionne, puisque dans tous les genre de connaissance, il y a affirmation de l'existence de ce qui s'étend comme de ce qui pense.
je crois que Spinoza dit exactement l'inverse: le pouvoir de penser a TELLEMENT changer entre un bébé et un adulte, que le sentiment d'identité ne vient que du fait que notre entourage donne un seul et même nom à ce qui en réalité est une longue chaîne causale de transformations. C'est en tout cas ainsi que je crois qu'il faut interpréter le fameux scolie de l'E4P39:
"
Mais il faut ici remarquer que la mort survient au Corps, c'est ainsi que je l'entends, quand ses parties se trouvent ainsi disposées qu'elles entres les unes par rapport aux autres dans un autre rapport de mouvement et de repos. Car je n'ai pas l'audace de nier que le Corps humain, quoique subsistent la circulation du sang et d'autres choses qui font, croit-on, vivre le Corps, puisse néanmoins échanger sa nature contre une nature tout à fait différente. Car aucune raison ne me force à penser que le Corps ne meurt que s'il est changé en cadavre; bien mieux, l'expérience elle-même semble persuader du contraire.
(...) Et, si ça a l'air incroyable, que dire des bébés? Leur nature, un homme d'âge avancé la croit tellement différente de la sienne qu'il ne pourrait jamais se persuader d'avoir jamais été bébé, s'il n'en faisait d'après les autres la conjecture pour lui-même."
Qu'il y ait une CONTINUITE causale entre le bébé que j'étais et l'adulte que je suis, seules les photos de notre enfance et les affirmations de nos parents qu'il y ait bel et bien un rapport de cause à effet entre ce petit corps là dont je ne me souviens pas et mon corps actuel, peuvent nous en convaincre. Mais à mon sens Spinoza dit ici clairement que le Corps du bébé est MORT une fois que je suis devenue adulte. L'union des corps qui le caractérisait, n'existe plus. Le fait que du sang circule toujours dans une union de Corps qui par une chaîne causale est liée à l'union de Corps qui caractérisait le bébé, ne prouve en rien que cette nouvelle union de Corps, ce nouvel Individu, serait le même que celle du bébé. Au contraire même: le degré de puissance a tellement changé, a tellement augmenté, qu'il est impossible de toujours parler d'une même essence. Et je ne vois pas comment ré-introduire la notion de sujet (avec toutes ses connotations "anti-spinozistes") pourrait permettre de comprendre ce scolie autrement?
Henrique a écrit :Ce pouvoir de s'étendre ou de penser ne s'expliquant par rien d'autre que par soi-même (seul un corps explique un autre corps et ainsi c'est toujours l'étendue qui fait être l'étendue, de même avec une idée, cf. E2 prop. 1 et 2), il ne peuvent être affectés par rien d'extérieur. D'où ce que je disais : si par moi, on entend ce qui dans mon corps ou mon mental demeure identique à soi et fonde tout le reste, alors je suis la Nature et le corps et le mental auxquels la connaissance du premier genre m'identifient habituellement (par utilité sociale essentiellement) n'en sont que les affections ou modifications. En ce sens, je suis la vigne. Et les sarments, tout en en étant inséparables (il n'y a pas de sarments sans vigne), n'en sont que des expressions singulières et passagères, des états, non un étant au sens substantiel.
je n'ai pas compris ce que tu dis ici. Tu trouves qu'on peut entendre par "moi" ce qui demeure identique dans mon corps ou mental, ou tu trouves que cela relève de l'imagination?
Henrique a écrit :Descartes avait bien vu que si le pouvoir d'imaginer, de mémoriser est plus ou moins grand selon les individus, le simple pouvoir de penser que l'on connaît immédiatement en y faisant attention, dont la mémoire ou l'imagination ne sont que des dérivés, est le même pour tout homme (chose du monde la mieux partagée...).
pour Spinoza, l'essence d'une chose singulière est caractérisée par sa puissance de penser et d'agir ... comment pourrait-il proposer cela, si dans le spinozisme le POUVOIR DE PENSER serait le même pour tout homme ... ?
A mon sens, ce qui caractérise pour Spinoza la nature humaine, c'est notamment la RAISON. Mais la raison n'est pas un "pouvoir", la raison ce n'est pas la puissance de penser en tant que tel. La raison est une activité: elle consiste à contempler les idées pour voir en quoi elles s'opposent, diffèrent ou conviennent entre elles. Etre apte à se livrer à une telle activité, cela appartient à la nature de tout homme, tout comme tout homme est apte à utiliser ses bras et ses jambes pour courir. Mais encore faut-il s'exercer dans cette activité, tout comme l'athlète doit s'exercer les muscles, avant de pouvoir développer un grand pouvoir de penser et d'agir.
Henrique a écrit : Mais il n'en a pas tiré la conséquence pourtant évidente : si ce pouvoir est le même pour tout homme - et de fait n'importe qui, en tentant de douter de tout ce qui existe, arrive au même résultat, qu'il s'en aperçoive ou pas : au moment où on doute de l'existence de tout, nul ne peut penser "je ne pense pas, je n'existe pas" - si donc ce pouvoir de la pensée de se poser elle-même est le même pour tous, il ne constitue l'essence d'aucun individu, d'aucune chose singulière, c'est-à-dire qu'individualité et subjectivité sont deux choses à distinguer (mais pas pour autant à opposer).
tu appellerais alors "subjectivité" ce pouvoir de penser qui selon toi est le même chez tous? Pour toi on change sans cesse d'individualité, mais pas de "sujet"? La "subjectivité" n'aurait plus rien de singulier? Il n'y aurait qu'une seule subjectivité, celle de l'humanité?
Si oui, pour moi le fait même que chaque essence singulière, chaque homme singulier se caractérise par un degré de puissance, donc un pouvoir de penser propre, rend cette hypothèse peu spinoziste.
Henrique a écrit :Donc si le corps qui prépare le dîner n'est pas tout à fait le même que celui qui le mangera et à plus forte raison que celui qui dans dix ans repréparera un dîner, la simple puissance universelle de penser ces différents événements et de penser ces pensées (c'est-à-dire d'en avoir conscience) restera la même, d'où la possibilité de s'apercevoir des changements même les plus radicaux du corps ou de son idée complexe.
Spinoza ne dit-il pas bien plutôt que lorsqu'il y a changement radical, il y a nécessairement oubli, il n'y a même plus de trace dans la mémoire de ce qu'on était avant? N'est pas cela ce qu'il dit dans le scolie que je viens de citer, ou dans l'histoire qu'il raconte du poète espagnol?
Comment ma puissance de penser mes souvenirs pourrait-elle être la même aujourd'hui que lorsque j'avais 5 ans (et comment cette puissance pourrait-elle être "universelle" ...)?
Enfin, comment serait-il possible qu'il y ait changement corporel SANS qu'il y ait un changement "parallèle" au niveau de l'Esprit, donc au niveau de la puissance de penser?
Henrique a écrit :Pour ce qui est de faire des projets d'avenir, cela les relativise certes beaucoup : l'individu qui en profitera ne sera pas tout à fait le même que celui qui y travaille, mais quand cela arrivera, il y aura reconnaissance du fruit de ce travail parce que le pouvoir de penser ne change pas.
à mon avis il y a plutôt une continuité causale, et rien d'autre: j'ai aujourd'hui l'idée que je veux réussir mes examens de janvier. Je vais donc aujourd'hui me mettre à l'étude. Si j'ai bien étudié, et compris certaines choses, ma puissance de penser ce soir sera déjà un peu plus grande, et je comprendrai encore mieux pourquoi il est important de réussir mes examens en janvier. Ma volonté/compréhension de réaliser ce projet aura donc un peu augmenter. L'idée du matin (vouloir réussir les examens) a donc causé pendant la journée quelques nouvelles idées concernant le projet, idées qui le soir auront remplacé celles du matin. Et le lendemain, ces nouvelles idées seront ce qui me détermine à étudier. Et ainsi de suite.
D'ailleurs, dans beaucoup de projets ou d'"oeuvres à faire", le projet lui-même change au fur et à mesure qu'on s'en occupe. Il n'y a pas d'abord déjà une idée toute faite, puis une simple "exécution". Il y a plutôt une idée assez vague au début, qui non seulement se précise en essayant de faire ce que l'on croit être nécessaire pour le réaliser, mais qui très souvent aussi change (on peut penser au peintre qui veut réaliser telle ou telle idée sur la toile, mais qui regarde régulièrement son travail inachevé avec une certaine distance, pour y découvrir ainsi soudainement une idée à laquelle il n'aurait jamais pensé avant d'avoir commencé cette toile, idée fort différente de l'idée initiale ou du projet initial, et qui déterminera la suite de son travail, si bien qu'il ne le trouvera accompli qu'au moment où la toile correspond à de toutes autres critères que celles qu'il s'était donné au début).
Henrique a écrit :Et de toutes façons, comme la Nature est affirmation absolue de soi, chacun de ses modes s'affirme autant qu'il peut dans l'existence : l'être affirmé (l'individu) aura beau changer, augmentant ou diminuant sa puissance d'exister, ce qui affirme cet être et fait qu'il s'affirme, à savoir Dieu ou la Nature (cf. dém. de E3P6), demeure identique à soi. D'ailleurs, dans la dém. d'E2P15 à laquelle E3P3 fait référence, Dieu est bien le fond à partir duquel l'idée composite du corps ou mental peut se constituer.
en effet, le seul Individu qui jamais ne meurt, dont l'union de Corps qui le caractérise n'est jamais défaite, c'est Dieu. Rien ne peut l'affecter d'une telle façon que la Nature n'effectue plus l'union des corps qui caractérise son essence à lui.
Henrique a écrit :Mais, aurais tu pu me dire, Nepart, si je suis la Nature, comme se fait-il que je ne sens pas tout ce qui se passe dans les corps différents de celui auquel je m'identifie habituellement ? Là encore la question revient à confondre individualité et subjectivité, mais je n'en dirai pas plus pour aujourd'hui vu que tu ne la poses pas et qu'en réfléchissant avec attention à ce que je viens d'écrire, et même dans mon précédent post, tu as déjà les éléments pour comprendre.
ne faudrait-il pas dire que cette question confond bien plutôt "être la Nature", c'est-à-dire "être Dieu", et "être DU Dieu"? Et n'étant qu'un Individu qui a une autre essence que l'essence divine, je ne peux jamais connaître tous les autres Individus (c'est précisément ce qui distingue l'une de l'autre).
En tout cas, je ne vois pas très bien comment tu distinguerais ici individualité et subjectivité, donc voilà, si Nepart ne posera pas cette question ou s'il ne trouve pas lui-même la réponse, moi cela m'intéresse en tout cas d'en savoir plus ...
L.