Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 05 nov. 2008, 01:47

Bon, j'ai encore été un peu dépassé par les événements sur ce fil.

Je dis "je" ici par convention sociale bien sûr :-D. Serge m'a bien compris sur ce point et Spinoza dans la foulée, à mes yeux. Mais je partage entièrement le sentiment fondamental de Bardamu selon lequel l'intérêt essentiel d'une philosophie et celle de Spinoza en particulier, est de pouvoir être vécue.

Lorsqu'un individu humain dit "un chauffard m'est rentré dedans", il s'identifie à sa propre voiture, on comprend qu'il parle de sa voiture mais cette identification de l'individu et de la voiture, même répétée tous les jours aux oreilles de l'assureur, n'en est pas moins inadéquate, c'est-à-dire confuse. De même, nous disons "je me suis coupé", identifiant cette fois Moi et le corps qui a été effectivement coupé. Mais qu'est-ce qui peut dire "moi" ici ? Qu'est-ce qui est affecté au fond ? Je dis que c'est la substance et tous ses attributs. En disant "je me suis coupé", je n'exprime qu'assez inadéquatement que la substance étendue s'autoaffecte, d'une façon qui contribue à sa puissance tout en étant dangereuse et à combattre avec fermeté pour l'individu coupé, et que cette même substance est au fond ce qui connaît qu'il y a une telle interaction entre les corps qui expriment sa puissance.

Le sage, c'est un individu dont le mental a intégré l'idée que ni le corps, ni le mental le formant en tant qu'individu ne sont lui-même en tant que fond à partir duquel les pensées et mouvements qui le caractérisent singulièrement se déploiraient. Le sage, c'est un individu qui ne confond pas son individualité avec son identité fondamentale, qui ne confond pas le cep et les sarments, un individu qui comprend qu'il n'est pas ce à quoi le réduisent la connaissance du premier genre et les conventions sociales qui en résultent.

Le non-sage est un individu se considérant comme substance : tout en voyant bien qu'il existe à partir d'autres objets, il pense se soutenir par lui-même, être ce qu'il est, exister comme il existe, parce que lui, en tant qu'individu, le veut, par lui-même. C'est ainsi un individu dont le mental contient des idées inadéquates, notamment celle selon laquelle le corps se meut de lui-même ou dont le mental pense par lui-même. Et il ne faut pas croire qu'une fois qu'on a admis rationnellement que ni le corps ni le mental ne sont substances, on se met aussitôt à vivre et à penser en accord avec cette évidence. Les préjugés de l'enfance, surtout quand ils ne sont que rarement remis en cause socialement, ont la vie dure, comme l'avait bien vu Descartes.

Le sage est celui qui connaît que son individualité, malgré son dynamisme naturel et sa singularité, n'est pas le fond à partir duquel il se déploie mais seulement la surface, le déploiement en tant que tel. Sa sagesse consiste alors dans la saisie de l'unité de ce qui se déploie, qui est infini, et du déploiement, qui est fini.

D'ailleurs, quand nous cherchons à décrire ce qui se passe dans notre pensée, nous pouvons indiquer un certain nombre d'idées et d'affects relatifs à notre corps, qui nous singularisent. C'est ce qu'on peut appeler avec Kant le "moi empirique". Mais ce moi n'est qu'objet de pensée. La question est ici qu'est-ce qui pense ? De quelle nature est ce "moi" auquel nous attribuons des pensées concernant les différents et changeants états de notre individualité ? La question est alors celle non ce qui est pensé, l'objet, mais de ce qui pense, qu'on appelle en français le sujet.

Cela peut-il être le corps ? Certainement pas car un corps ne peut produire que des objets corporels, comme de la transpiration ou des impulsions électriques. Le corps ne peut donc être ce qui produit des pensées.

Est-ce le mental ou idée de ce corps ? Cette idée produit certes un certain nombre d'idées, à partir de la complexité qui la caractérise à la base. Mais qu'est-ce qui produit autrement dit pense cette idée de mon corps ?

Si je cherche empiriquement en "moi", je vois bien un pouvoir de penser un grand nombre de choses qui peuvent se rapporter à l'idée de mon corps mais ce qui pense cette idée, et qui m'accompagne depuis la conception, je ne saurais lui donner de forme ou de limitation quelconque. Je perçois une pure puissance de penser qui ne me singularise en rien. Chez Kant, c'est un sujet "transcendantal", c'est-à-dire condition de connaissance mais non connaissable. Quant à la réponse de Spinoza, qui permet d'organiser rationnellement l'intuition que nous passons notre vie à étouffer sous les confusions, c'est que ce qui pense, est très clairement identifiable, en raison de la capacité de la pensée de s'étendre elle-même : la substance de toute pensée, c'est Dieu.

_________


Pour répondre plus particulièrement à Louisa... D'abord merci de ton résumé, je fais partie de ceux que cela aide ! Et j'apprécie toujours ton souci de comprendre. Réponses donc à tes remarques.

Si je l'ai bien compris, Henrique propose de comprendre par "Individu" toute union de corps, indépendamment du fait que cette union exprime un rapport de mouvement et de repos singulier ou n'est qu'un simple assemblage de corps. (...)

1. la définition de l'Individu (E2 Lemmes Définition) ne consiste pas à appeler "Individu" tout assemblage de corps, mais uniquement le rapport de mouvement et de repos effectué par un assemblage de corps. (...)


D'abord quand je reformulais la définition spinoziste de l'individu, je n'ai nullement dit comme tu as l'air de le croire que ce n'était qu'une union de corps plus petits. J'avais parlé d'interactions réciproques, ce qui impliquait un rapport de mouvement et de repos entre eux. Je n'avais pas développé cela, au risque d'être mal compris, car que l'individu soit simple union de corps ou rapport de mouvement et de repos, il n'en demeure pas moins changeant dans la durée.

Ensuite, quand je disais que si un individu perd une partie ou en acquière une autre, il change d'essence, je pensais à des pertes ou des acquisitions radicales de parties comme une amputation du bras ou comme lorsque des poils poussent sur le pubis des adolescents. Bien sûr que si ce qui sort d'un côté y revient d'un autre, il n'y a pas de changement radical. Disons que ton objection aura permis de clarifier ce point mais de toutes façons, tu n'iras pas me dire je crois que si un individu conserve la même essence après avoir été aux toilettes, cela prouve qu'il est en soi et par soi le point fixe à partir duquel tout le reste s'ordonne !

Le rapport entre les parties, c'est la forme, l'essence. Si la matière des parties change mais que la forme demeure parce que d'autres corps ont remplacé ceux qui sont partis, l'essence demeure, dure mais cela n'autorise pas pour autant à faire de cette essence là le continuum qui peut connaître que l'individu change radicalement. Car si le moi était l'idée du corps, il ne pourrait y avoir connaissance des changements radicaux de l'individu, même inadéquate, puisque l'idée du corps varie selon un ordre identique à celui du corps. On vivrait tous dans un monde aussi cohérent et organisé qu'un film comme Mulholand Drive !

2. dire que ce qui ne change pas ne serait que spirituel ou mental ou de l'ordre de la pensée, c'est introduire un "déséquilibre" entre l'attribut de la Pensée et l'attribut de l'Etendue, ou entre un mode de la Pensée et un mode de l'Etendue. Comme si après notre mort l'essence de notre Esprit qui est éternelle, ne serait plus l'idée de l'essence de Corps. L'E5 dit à mon sens bien plutôt que les deux essences sont éternelles. Chez Spinoza, on ne peut pas identifier le changement au corporel et la permanence au spirituel (comme l'a toujours fait le christianisme). C'est reconduire le dualisme esprit/corps là où Spinoza introduit le concept de changement ou de "modification" dans l'idée même de Dieu (les modes étant des modifications ou affections de son essence divine).

J'ai du mal à envisager où tu as été trouver cela dans ce que j'avais pu écrire. On va dire que je m'étais mal exprimé. Comme je partais de la définition usuelle du moi comme ce qui sent, perçoit, imagine, comprend autrement dit pense toutes sortes de choses, j'en suis resté à envisager les choses du côté de la pensée. Mais évidemment, si ce qui pense en moi c'est Dieu, que je connais très clairement comme puissance de penser (E2P45 à 47) en tant qu'on le rapporte à son attribut cogitatif, cela n'empêche en aucun cas que ce qui se meut en moi ou demeure en repos c'est Dieu en tant qu'extension.

3. le spinozisme n'est pas une philosophie du sujet (le terme ne s'y trouve quasiment pas), l'Esprit n'est plus une sub-stance, un hypo-keimenon, un sub-strat des pensées ou idées (Descartes), il est lui-même une idée. Le seul "substrat" dans cette histoire, c'est Dieu, au sens où chaque idée est une modification d'un attribut, attribut qui constitue l'essence de Dieu.


Tu vois, Bardamu a bien raison, tu ne dis finalement pas autre chose que Henrique (Diaz/Delon), même si tu demeures semble-t-il plus attachée aux mots qu'aux idées qu'ils expriment. Ai-je dit quelque part que l'esprit ou plutôt mental (mens) était sujet/substance ? Je dis que le moi, c'est-à-dire ce qui pense et non ce qui est pensé, c'est Dieu. Je dis que l'individu, dans son aspect corporel ou mental, n'est pas le moi profond, c'est-à-dire substantiel. J'avais bien dit pourtant aussi qu'il y avait lieu de dénoncer la confusion entre l'ego cartesius et l'ego cogito.

Tu me demandais à ce propos le lien entre l'ego cartesius et la notion spinoziste d'individu. Là c'est moi qui ais du mal à saisir ton incompréhension. L'individu est caractérisé par un rapport singulier de mouvement et de repos, c'est donc un corps ou l'idée d'un corps. Descartes, est un individu en ce sens non ? C'est un corps et l'idée de ce corps. Descartes pense qu'il dispose d'une âme substantielle capable de penser, d'où sa confusion entre l'ego cartesius et l'ego cogito. Une fois la confusion dénoncée, l'ego cartesius ne part pas en fumée, seulement il est ramené l'individualité corporelle et mentale qui le singularisent et ne lui permettent en rien de connaître la nature substantielle de ce qui pense en lui.

4. comment comprendre que "moi" j'aurais une certaine permanence dans le temps, si la seule chose qui est permanente n'est pas singulier, mais un "sujet universel"?


Le sujet universel qui n'est pas singulier au sens où il n'a pas le moindre commencement d'un second par rapport auquel il se singulariserait, c'est Dieu. Mais il n'en est pas moins unique par définition, ce n'est pas (seulement) une notion commune.

L'individu corporel ou mental a une certaine permanence dans le temps en raison du lien expliqué en E3P6 entre la substance et ses modes : en tant qu'expression de la puissance divine, chaque chose singulière s'efforce de persévérer dans son être autant qu'elle le peut, c'est-à-dire selon une durée indéfinie.

Conclusion: il me semble que cette interprétation ne tient pas compte de la définition proprement spinoziste de l'Individu, tout en ré-introduisant le dualisme christiano-cartésien du corps changeant et de l'esprit identique à lui-même, tandis que remplacer la puissance de penser propre à chaque chose singulière par un "sujet universel de la pensée" me semble être trop hégélien pour pouvoir convenir au spinozisme.

Je pense que tu peux le voir, tu as trop vite interprété mon interprétation. Ce qui est identique à soi, je l'ai bien dit dès le départ, ce n'est pas le mental mais la pensée en tant qu'attribut de Dieu. Mental qui est tout aussi changeant que l'est effectivement le corps, mais n'empêche donc pas que l'étendue quant à elle soit effectivement identique à elle-même. Tu as pu voir aussi que je ne nie pas une certaine puissance de penser propre à chaque chose singulière, mais à partir de l'idée qui la constitue, les idées n'étant pas des images muettes. Seulement ce qui constitue cette idée, le moi véritablement substantiel qui pense cette idée de mon corps et qui n'admet pas de non-moi, c'est la Nature.

(Et peut-être est-ce utile de le préciser, dire que l'étant absolument infini est sub-jectum, comme Hegel disait que l'absolu est sujet, ce n'est pas faire de Dieu une personne, justement, puisque nous ne confondons pas individu et sujet. Une personne, c'est un individu qui a plus ou moins confusément conscience que l'infini et le fini, l'universel et le particulier, le nécessaire et le contingent se rejoignent en elle. N'étant pas individu, mais substance de tous les individus, Dieu ne saurait donc être une personne).

PS : sur ta "complaisance", que j'avais accompagnée d'un smiley, je faisais référence à ce message. Alors que Nepart confondait attribut et "monde" et disait ainsi que la Pensée serait un monde à part de celui de la matière/étendue permettant de comprendre la continuité du moi comme chez Descartes. Et toi tu lui répondais 'tu peux appeler le spinozisme un dualisme mais on ne dit pas ça d'habitude' comme si le monisme n'était chez Spinoza qu'une convention de commentateur qu'on peut contourner sans tordre le texte. Tu n'ignores pourtant pas E2P7 et E3P2 comme la suite semblait l'indiquer. Dire qu'il n'y a pas chez un auteur que matière en laissant supposer que la pensée serait en fait "une autre réalité" et ainsi une autre substance, quand on sait très bien qu'il n'en est rien, c'est peut-être une façon de le ménager mais ce n'est pas rendre service au lecteur au final, je crois. Le terme de complaisance était volontairement exagéré pour te taquiner.
Modifié en dernier par Henrique le 05 nov. 2008, 23:32, modifié 1 fois.

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Messagepar Sinusix » 05 nov. 2008, 21:46

Bonsoir

Même un très gros travail et une puissance intellectuelle très honorable, assise sur un background bac + 8/10 non philosophique, ne permettent pas d'enregistrer, au rythme où elles sont émises, encore moins de questionner, les interventions très techniques sur ce fil de près de cinq cents pages. Le problème a été rencontré par ailleurs, en mathématiques, lesquelles, à côté ou en complément de la théorie axiomatique des ensembles, reposent sur une théorie dite "naïve" desdits ensembles, ajustement qui, tout en étant aussi exact que le fondement principal, permet à un plus grand nombre (et encore très restreint) d'avancer dans ces domaines.
Je me permets donc de souhaiter, ou de proposer, que, dans l'esprit de nombreuses interventions pédagogiques de Bardamu, et puisqu'il a lui-même repris le terme de "naïf", les pensées de chacun des "champions du spinozisme du site" deviennent un peu plus accessibles à la masse, voire moins absconses, la clarification de la pensée étant souvent récompensée par l'élargissement de son audience, ce qui peut paraître un des objectifs des créateurs du site.
Au demeurant, puisque le monde de Spinoza est celui de la rationnalité pure, il m'apparaît de bonne pratique humaine de chercher à étendre aux autres que soi l'accès aux idées adéquates par le biais d'une maïeutique progressive.
Dans ce cadre, j'aurai l'occasion (nous avons tous un emploi du temps chargé) de revenir sur une certain nombre de thèmes apparus au fil des lignes et restés comme un chapelet de points d'interrogations.
Première question donc pour ce jour :
La construction moniste spinoziste ne me semblait pas devoir accueillir comme méthode d'investigation le doute "abusif", notamment au regard des notions communes. Or, si l'on accepte, ce que je fais spontanément, et selon la formule d'Henrique, le lien entre "ce qui pense" et la conscience d'un "moi", non illusoire, non soumis au changement (ou tout du moins à la majorité d'entre eux, ceux ne touchant pas les "individus" de notre corps qui sont le support de la fonction psychophysiologique associée), si l'on écarte momentanément l'analyse de l'origine de l'apparition, sociale ou psychologique, de cette conscience du "moi" [Comme le montrent les tests cliniques effectués sur des enfants autistes, et comme vous le savez, l'apparition du "moi" (et je ne reviens pas sur les brillants échanges évoqués ci-dessus) chez l'homme (pour les autres espèces, on ne sait pas) semble concomitante à la perception/définition de "l'autre" (définition sur laquelle justement trébuche l'autiste)], il paraît difficile de ne pas penser que, pour Spinoza, il s'agit là d'une notion commune, au même titre que "l'homme pense" de E2Axiome2.
Mais alors, faisons un retour en arrière sur le premier tome de la série ici poursuivie, sur notre sac poubelle, et surtout de son "âme". Puisque Spinoza constate que "l'homme pense", et non pas "l'âme pense" ou "l'esprit pense", j'en conclus que l'idée de toute chose singulière ou individu (l'âme de cette chose ou son esprit) n'enveloppe pas simultanément la faculté de penser. Autrement dit, comme le dit d'ailleurs quelque part V. Delbos, il y a bien "deux strates" de l'attribut pensée au sein du "facies totius universi" (pas en Dieu bien évidemment), donc comme un "déséquilibre" entre pensée et étendue, à savoir : l'intelligible dans chaque chose singulière (l'idée de la chose = être une idée), la capacité de penser, puissance propre à certaines choses singulières (l'entendement = avoir DES idées et DES "modes de la pensée"). Autrement dit, seule une "chose pensante" peut avoir des idées, notamment les idées de ses idées, autrement dit encore être "consciente" et pouvoir se construire un "moi" (je dis pouvoir car cette faculté, déduite d'une notion commune, n'appartient pas à l'essence de la chose). Les fourmis peuvent donc avoir une organisation sociale sans pour autant que chaque fourmi ait un ego à opposer aux autres membres de la colonie. En ce sens donc, l'âme et l'esprit seraient des mots équivoques dans la mesure où l'âme du sac poubelle n'a rien de commun avec l'âme du tigre, encore moins avec celle de Henrique Diaz.
Il est bien évident que, malgré le caractère "imaginaire" , comme cela a été redit à l'envi,de la théorie de la "sélection naturelle", et de la "direction complexifiante" (sans aucune assimilation finaliste de ma part) qu'elle semble donner aux enchaînements dans les choses singulières de la "nature", cette "césure" dans l'accès à l'intelligible entre les choses qui pensent et celles qui ne pensent pas pose un problème que n'avait pas à se poser Spinoza, dont la vision du "monde" ne pouvait être que celle de son époque (du mouvement et du repos sur la base d'un patrimoine de génération "fermé" selon les théories de la préformation).
On pourrait d'ailleurs raccrocher à cet endroit la réflexion de Louisa selon laquelle il y aurait plus de réalité dans la cause que dans l'effet, réflexion que je j'ai laissée contester par plus puissant que moi. Si en effet cette relation d'ordre est vraie au premier temps causal (substance à modes infinis immédiats), elle ne peut plus l'être ensuite, par définition spinoziste, dans la mesure où, Dieu "n'intervenant plus" de manière immédiate à partir du "facies totius universi", il faut en conclure que ce dernier est une quantité de réalité constante (bien que la formulation ne soit pas concevable, s'agissant d'un infini). Je dirais donc plutôt que l'effet a au plus autant de réalité que sa cause (ou que le cumul de l'ensemble de ses causes conjuguées), faute de quoi je ne vois pas comment (E1Axiome4) la connaissance de l'effet pourrait résulter de la connaissance de la cause et l'envelopper. On se trouverait donc plutôt devant une "redistribution" de la réalité totale au gré des mises en rapport et combinaisons nouvelles, processus qui aurait permis l'apparition de choses singulières de plus en plus complexes, disposant donc de plus en plus de réalité, sans pour autant avoir plus de réalité que leurs causes conjuguées (pour les scientifiques, on pourrait raccrocher ces phénomènes à la conservation de la fonction globale entropie, en ce compris la partie négentropique associée à la distribution d'information).
Danger de la vision : devenir adepte de Teilhard de Chardin.
J'entends que la méthode n'est pas de pure philosophie qui consiste à procéder à une lecture de nombres de passages de l'Ethique à travers un filtre scientifique. Je me permets cependant d'en réclamer la possibilité féconde, pour ce qui concerne Spinoza, dans la mesure où, s'agissant d'un rationalisme intégral et l'intelligibilité de Dieu étant accessible à l'homme, dans les limites clairement définies par Spinoza et par Dieu bien évidemment, il est heureux, s'agissant de déboucher sur une pratique personnelle et non pas de rester dans la bulle spéculative, de pouvoir confronter avec bonheur les fondements spinozistes avec les avancées scientifiques, quelles qu'elles soient. En ce sens d'ailleurs, je me permets de trouver de peu de portée pédagogique l'accumulation des exemples reposant sur "le mouvement et le repos" et le fameux "rapport" distinctif du singulier dans la mesure où il s'agit là d'une terminologie mécaniciste de son époque, que Spinoza utilise en toute conscience comme il le dit lui-même, mais dont nous pouvons désormais nous dispenser, pour nous appuyer sur la réalité physico-anatomique de notre époque, sans crime de lèse-majesté ni violation de la pensée de l'auteur. Fort heureusement, le spinozisme n'est pas balayé, trois siècles plus tard, par la révolution scientifique.
Amicalement

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Messagepar Durtal » 05 nov. 2008, 22:55

Sinuxis,

je me permets de faire un léger hors sujet en même temps qu'un tendre reproche

Voudriez vous bien cesser s'il vous plaît, de vous minimisez dans chacune de vos interventions?

Vous n'avez pas besoin des précautions oratoires auxquelles vous semblez vous estimer tenu, sous prétexte que vous seriez "novice" en philosophie et/ou en dans la philosophie de Spinoza.

Pour ce que j'ai pu lire de vous,vous n'avez rien à envier à ceux qui s'estiment "savants" dans la philosophie de Spinoza...

Amicalement,

D.

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Messagepar hokousai » 06 nov. 2008, 00:06

Au demeurant, puisque le monde de Spinoza est celui de la rationnalité pure,
(sinusix)

C'est un point de vue ........je le voyais plutôt comme un monde des affects et plus particulièrement comme une entreprise de défense du moi/ sujet (et sujet affecté) dans un univers hostile .

Les disputes tournent autour des parties 1 et 2 parce que les préoccupations des intervenants sont d' ordre scolastique (au sens de la scolastique médiévale et sur ses thèmes ) , ce qui est étrange autour d'un philosophe qui s' est opposé aux scolastiques , qui du moins le pensait
.
Mais il faut laisser aller son cours à ce qui découle naturellement (et de toute antiquité ) de l'interrogation des philosophes face à des questionnements qui leur sont propres .

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Messagepar Louisa » 06 nov. 2008, 00:52

Bardamu a écrit :L'Ethique est moins pour moi un traité à apprendre, qu'une voie à comprendre et à vivre. La connaissance claire et distincte n'est pas écrite dans les mots de l'Ethique, elle se produit éventuellement dans tel ou tel esprit confronté dans sa vie à l'Ethique. Si on discute de l'Ethique, c'est justement que les mots ne produisent pas chez tous les mêmes idées, que la seule vérité objective qui leur correspondait était dans l'esprit de Spinoza et qu'il est mort. Aujourd'hui, chacun construit quelque chose à partir de l'Ethique et de sa vie.
Je ne crois pas plus qu'une sagesse universelle "moyenne" soit la fin de l'Ethique que je ne crois à la vérité objective d'un texte, d'un ensemble de signes (désolé, Louisa...). A chacun son entendement, à chacun sa place, à chacun son optique, et à Dieu tous les entendements, toutes les places, toutes les optiques.


Bonjour Bardamu,
je suis d'accord avec la majorité de ce que tu écris ici: comprendre l'Ethique signifie VIVRE l'Ethique (et donc mettre notamment la Charité et la Générosité en pratique), tandis que les mots ne sont que, comme le dit Spinoza, des "mouvements corporels", évoquant un sens différent selon la personne qui les lit. Chaque point de vue appartient ainsi à la singularité de tel ou tel mode, et constitue à sa façon l'entendement divin. En ce sens CHACUN y a sa place.

Mais je ne crois pas que le spinozisme soit un précurseur du postmodernisme, de l'adagio qui accorde à "chacun ses vérités". Sans doute le mot "objectif" était mal choisi, puisque justement, aussi bien le sujet que l'objet disparaissent quasiment entièrement du vocabulaire spinoziste. Peut-être aurait-il été mieux de parler d'intersubjectivité, et encore.

En tout cas, ce que j'ai voulu dire, c'est que si Spinoza dit qu'une idée adéquate humaine constitue l'entendement divin, elle ne peut pas être purement "subjective". La vérité comporte une dimension qui dépasse le niveau purement subjectif ou individuel. En ce sens-là, je crois qu'il est effectivement possible d'atteindre la vérité par rapport à certains idées que véhiculent, toujours imparfaitement, les mots de l'Ethique. Personne ne mettra en doute, par exemple, le fait que dans le spinozisme il n'y a qu'une seule et même Substance. La liste de ce genre d'exemples me semble être assez longue. Pour moi, cela signifie qu'interpréter et essayer de comprendre Spinoza implique nécessairement "partager" ses interprétations, et accepter les critiques sans AUCUNE réserve, accepter d'y réfléchir et d'y répondre. C'est ainsi que se construit une vérité non seulement subjective, mais déjà intersubjective. La différence entre le constat (et la satisfaction qui accompagne ce constat) d'un accord c'est-à-dire d'une identité de point(s) de vue entre moi-même et un interlocuteur, et la dimension nécessairement intersubjective de la vérité, est absolue. L'un n'a rien à voir avec l'autre. C'est cela qu'a à mon avis également très bien résumé une phrase du discours historique du 44e président des Etats-Unis: "I will listen to you, ESPECIALLY when we disagree" ("je vais vous écouter, SURTOUT lorsque nous ne sommes pas d'accord").
L.

PS à Sinusix: je suis tout à fait d'accord avec le dernier message de Durtal ...

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Messagepar Korto » 06 nov. 2008, 13:09

Sinusix a écrit :On se trouverait donc plutôt devant une "redistribution" de la réalité totale au gré des mises en rapport et combinaisons nouvelles, processus qui aurait permis l'apparition de choses singulières de plus en plus complexes, disposant donc de plus en plus de réalité, sans pour autant avoir plus de réalité que leurs causes conjuguées (pour les scientifiques, on pourrait raccrocher ces phénomènes à la conservation de la fonction globale entropie, en ce compris la partie négentropique associée à la distribution d'information).
Danger de la vision : devenir adepte de Teilhard de Chardin.


Ouh la la ! oh oui ! Qu'est-ce c'est dangereux ! Mon Dieu ! Qu'est-ce que ça fait peur !!! Vade retro Chardinas ! Vite du sel ! Au secours !!! :lol: :lol: :lol:

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Messagepar Sinusix » 06 nov. 2008, 18:06

hokousai a écrit :
Au demeurant, puisque le monde de Spinoza est celui de la rationnalité pure,
(sinusix)

C'est un point de vue ........je le voyais plutôt comme un monde des affects et plus particulièrement comme une entreprise de défense du moi/ sujet (et sujet affecté) dans un univers hostile .
Mais il faut laisser aller son cours à ce qui découle naturellement (et de toute antiquité ) de l'interrogation des philosophes face à des questionnements qui leur sont propres .


Comme quoi, malgré l'amicale remarque qui m'est faite par Durtal, mon expression manque de rigueur.
En disant que le monde de Spinoza est celui de la rationalité pure, j'entends qu'il ouvre à l'entendement humain la faculté de parvenir à des idées adéquates sur tout l'environnement qui le baigne, et ainsi, par l'augmentation de la puissance de chacun, dans la joie, de mieux parvenir au but recherché qui est bien, fondamentalement, la maîtrise des affects et le "salut tant individuel que collectif".
J'accepte donc totalement la critique et l'objet de mon propos était bien plutôt, effectivement, de convier à alléger le forum du surinvestissement qu'il manifeste concernant les parties 1 et 2, pour motiver à le rééquilibrer vers 3, 4 et 5 et la confrontation des pratiques.
J'ajoute cependant que ce progrès dans le savoir adéquat, y compris de soi-même, à des fins comportementales envers autrui et la société bien fondées, peut laisser encore une grande part d'ombre à hauteur des "situations limites" que l'on n'a pas vécu personnellement, lesquelles seules, selon mon expérience personnelle, sont gage d'un progrès véritable.
Amicalement

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Messagepar Durtal » 06 nov. 2008, 21:26

Je voudrais ici, puisqu'il en a de nouveau été question, (voir l'échange Louisa-Henrique) tenter de lever un fois pour toute ce qui constitue selon moi un faux problème lié à une lecture "à la hussarde" et superficielle.

Il en est ici qui prétendent (Louisa bien sûr mais pas seulement elle) que les caractérisations de l'individu dans les lemmes contenus dans l'intermède de physique et de physiologie, impliqueraient immédiatement la permanence de la forme constitutive de l'individualité et s'opposeraient à l'affirmation selon laquelle cette forme est susceptible de changer.

Évidemment on alors un problème à comprendre les variations de la puissance d'agir, les passages à des degrés supérieurs ou inférieurs de perfection, dont il est ensuite question dans le livre 3 et dans toute la suite de L'Ethique. Et cette thèse semble appuyer l'idée (que je pense absolument fausse bien sûr, et sur ce point, Hume est assurément un héritier du Spinozisme) que l'on pourrait dégager l'idée d'un moi, au sens de l'idée d'un être simple soustrait à toute sorte de changement, différent d'un complexe imaginaire plus ou moins stable et plus ou moins variable.

Car pour ce qui concerne ce "moi" que caractérise le rapport à soi et aux autres choses dans les idées adéquates, une simple remarque suffit pour être assuré qu'il ne peut s'agir d'un "ego": Cette part de nous mêmes est celle "qui n'est pas détruite avec la mort" et comme la mort fait disparaître tout ce qui est constitutif de l'ego (par exemple la conscience "d'être ici et maintenant" "d'éprouver une douleur que je puis dire "mienne" etc...) il s'en suivra que ces expériences (puisque Spinoza les appelle également ainsi) que nous faisons de l'éternité en pensant les choses adéquatement ne relèvent pas des expériences subjectives ou des données immanentes à un "ego", ce sont donc pas des "expériences vécues" en un sens un peu défini.


Or que l'on puisse tirer de ces lemmes la conséquence que l'individu implique une permanence stricte eo ipso je le nie et c'est ce que je me propose de montrer brièvement.

On dit cela je crois parce qu'on ne prend pas garde à la formulation conditionnelle qu'emploie Spinoza dans les lemmes en questions. On transforme subrepticement un énoncé conditionnel en un énoncé catégorique (soit un glissement de quelque chose du genre "Si S(x) alors P(x)" vers quelque chose du genre "pour tout x, S(x) donc pour tout x, P(x)).

Prenons par exemple le lemme IV (mais pour ce que je veux montrer celui là ou un des autres, cela n'a pas d'importance : ils sont tous formulés de la même façon c'est à dire ils disent que quelque chose est vrai sous l'énoncé d'une certaine condition). J'appellerai cette formulation pour la distinguer de celles auxquelles je vais la comparer bientôt la "formulation (I)". On a donc (ceci n'est que l'énoncé du lemme IV tel qu'on le trouve dans l'Ethique):

(I) " Si d'un corps autrement dit d'un individu, composé de plusieurs corps, certains corps se séparent et qu'en même temps d'autres corps de même nature et en nombre égal viennent prendre leur place, l'Individu gardera sa nature d'avant sans changement de forme"

Mais une chose est d'énoncer (I) une autre chose est d'énoncer (II) soit :

(II) "Chaque fois que d'un corps, autrement dit un individu, composé de plusieurs corps, certains corps se séparent alors d'autres corps de même nature et en nombre égal viennent toujours prendre leur place, et donc l'individu conserve toujours sa nature d'avant et ne change jamais de forme""

Interpréter (I) comme signifiant la même chose que (II) c'est faire ce que j'ai appelé un glissement illégitime d'une forme hypothétique à une forme catégorique.

Et un corollaire immédiat ( que j'appelle la formulation "III") de (I) (tel donc que si (I) est vrai (III) l'est aussi) pourra s'exprimer de la façon suivante:

(III) "Si d'un corps autrement dit d'un individu composé de plusieurs corps, certains corps se séparent et qu'en même temps d'autres corps de même nature et en nombre égal ne viennent pas prendre leur place, l'individu ne gardera pas sa nature d'avant et changera de forme."

Et donc (I) (soit le lemme IV) n'indique absolument pas que les formes qui caractérisent les individus (ou les corps) ne changent jamais ou ne peuvent pas être changées (assertion catégorique) mais se contente de stipuler les conditions (assertion hypothétique) auxquelles de telles formes ne sont pas altérées ou ne changent pas ce qui implique immédiatement (il suffit de nier ces conditions ou de supposer qu'elles ne sont pas données) qu'il y a d'autres types de conditions qui feront que cette même forme s'altère et change (c'est ce que montre la formulation alternative (III) de l'énoncé du Lemme IV, qui je le répète en est simplement un corollaire ).

En d'autres termes il y a des changements qui ne détruisent pas la forme du corps et d'autres au contraire qui peuvent la détruire et même la détruisent effectivement lorsqu'ils interviennent.


On pourrait reformuler la chose en disant: SI le cours de la nature est tel que les conditions "C" sont toujours satisfaites à l'égard de l'individu "I", alors "I" conservera également toujours la même forme. Mais justement toute la question est de savoir SI cela est bien le cas donc SI le cours de la nature est tel que les conditions "C" sont toujours satisfaites pour l'individu "I" et je pense que personne ne contestera qu'il faut répondre à la négative par cette question.

D'un autre côté il y aurait une erreur symétrique à affirmer que le cours de la nature est tel que les conditions C ne sont jamais satisfaites à l'égard de l'individu "I". Car bien sûr si c'était le cas on ne pourrait pas parler de l'individu "I" ou encore : l'individu I n'aurait pas même l'occasion d'exister ou de "persévérer" dans l'être.

Ce qu'on pourrait résumer un peu brutalement en disant: un corps certes cela meurt, mais aussi cela vit et inversement, un corps certes cela vit mais aussi cela meurt.

La seule conclusion raisonnable qui s'impose est que la forme d'un individu ou son essence n'est pas une chose qui est soustraite au changement ou à toute espèce de changement ( et ici les résonances platoniciennes du lexique de la "forme" et de "l'essence" sont particulièrement fâcheuses) ni que l'existence du changement est nécessairement synonyme de la négation de l'essence (symétriquement ce sont les résonances héraclitéennes du lexique du mouvement et du changement qui sont fâcheuses). Tout simplement parce qu'il y a certains changement qui affirment cette essence ou qui sont précisément ceux par lesquels cette essence s'affirme et d'autres au contraire qui nient cette essence ou qui la détruisent. Il y a "changement" et "changement". L'individualité à un sens essentiellement "tendanciel".

D.

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Messagepar hokousai » 07 nov. 2008, 00:31

à Durtal

intéressant

mais je vais être plus court

en citant Spinoza

""" car aucune raison ne me force à penser que le corps ne meurt que s'il est changé en cadavre ""... .comme j'ai entendu dire d'un certain poète espagnol (prop 39/4)

...................................................................................

Ce qui ne résoud pas la question de la conscience du moi ( si c'est une question )
Descartes (le mentor )part du cogito conscient de lui même( Husserl pointe sur le cogito comme tout un chacun peut le faire ) lequel n'apparait plus du tout ( ou que très marginalement ) chez Spinoza .

Ce qui m'est toujours apparu comme un manque .

( comme une question oubliée , ou non vue .....au choix )

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Messagepar Louisa » 07 nov. 2008, 01:11

Durtal a écrit :Et donc (I) (soit le lemme IV) n'indique absolument pas que les formes qui caractérisent les individus (ou les corps) ne changent jamais ou ne peuvent pas être changées (assertion catégorique) mais se contente de stipuler les conditions (assertion hypothétique) auxquelles de telles formes ne sont pas altérées ou ne changent pas ce qui implique immédiatement (il suffit de nier ces conditions ou de supposer qu'elles ne sont pas données) qu'il y a d'autres types de conditions qui feront que cette même forme s'altère et change (c'est ce que montre la formulation alternative (III) de l'énoncé du Lemme IV, qui je le répète en est simplement un corollaire ).

En d'autres termes il y a des changements qui ne détruisent pas la forme du corps et d'autres au contraire qui peuvent la détruire et même la détruisent effectivement lorsqu'ils interviennent.


Bonjour Durtal,
comme je dois encore répondre, dans ce fil, aux derniers messages de Bardamu et de Henrique, je me concentrerai ici juste sur ce qui me semble être l'essentiel de ce que tu viens de dire.

D'abord, je suis tout à fait d'accord avec le raisonnement qui se trouve dans la première partie de ton message. En effet, il est clair que les lemmes que tu cites sont conditionnels. Et donc oui, dire quelles sont les conditions sous lesquelles un Individu ne change pas de forme, cela n'implique aucunement que jamais un individu ne change de forme. Donc jusque-là, je n'ai pas de problème avec ce que tu dis.

En revanche, la conclusion que tu tires de ce fait ne me semble pas être correcte. Ce n'est pas parce qu'on dit "sous les conditions x, y et z la forme de l'Individu ne change pas" qu'on peut déduire de ces mêmes propositions que sous d'autres conditions, la forme de l'Individu peut changer. Ces lemmes ne peuvent que nous obliger à nous poser la question de savoir dans quelles conditions un Individu changerait de forme. Ils ne permettent pas d'y répondre.

Or pour autant que je sache, Spinoza jamais ne donne un exemple d'une forme qui elle-même change. La seule chose qui peut changer, ce sont les rapports entre les corps qui constituent à tel ou tel moment telle ou telle union de corps ou qui effectuent à tel ou tel moment telle ou telle forme d'un Individu. Si je mange une pitta, les corps qui effectuaient à un certain moment le rapport de mouvement et de repos, autrement dit l'essence et donc la forme de ce boeuf-là, maintenant effectuent mon rapport de mouvement et de repos à moi. Ce type d'affections de mon Corps me permet de conserver ma forme, mais cela n'est possible que lorsque les corps qui effectuaient la forme de ce boeuf particulier auparavant, ne l'effectuent plus. Ce qui est alors détruit, ce n'est pas l'essence singulière du boeuf elle-même, c'est l'union temporaire et temporelle des corps qui à ce moment-là effectuait son rapport à lui. On peut éventuellement dire que la forme de ce boeuf est détruite, si par forme on entend précisément cette union, mais la forme elle-même ne s'est pas "transformée" en une autre forme.

Par conséquent, il me semble qu'il n'y a que deux possibilités pour une forme ou union de Corps: ou bien elle est effectuée pendant une certaine durée par des corps qui appartiennent momentanément à l'Individu en question (= conservation de forme; conservation dont les lemmes indiquent les conditions), ou bien elle est détruite (mort du Corps, que le Corps que l'on voit de l'extérieur maintienne plus ou moins sa "figure" externe ou non).

Si tu penses que cela n'est pas correcte: te souviens-tu de passages où Spinoza nous donnent les conditions d'un changement de la forme elle-même, ou où il donne des illustrations d'un tel changement?

En ce qui me concerne, c'est parce que de prime abord je n'en vois pas, qu'il me semble que ceci est la seule conclusion possible.

Quant à la question du moi et de l'ego: comme Spinoza n'en parle pas, a priori on peut à mon sens décider d'identifier le moi à un principe changeant aussi bien qu'à un principe invariant. Pour moi une question plus "urgente" à ce sujet est de savoir s'il faut intégrer les idées inadéquates dans la notion d'essence singulière ou non. Mais je reviendrai là-dessus dans mes réponses à Bardamu et Henrique. En attendant juste ceci: je me suis limitée pour l'instant à simplement expliquer ce que je pense par rapport à ta conclusion, sans démontrer quoi que ce soit, et cela d'une part parce que démontrer une "absence" d'illustrations de ta thèse n'est pas vraiment facile, et d'autre part parce que ce serait peut-être d'abord intéressant de savoir avoir quoi tu n'es pas d'accord par rapport à ce que je viens de dire, afin de pouvoir me concentrer immédiatement sur les points de divergence.
L.


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