Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 09 déc. 2008, 07:43

bardamu a écrit :E3 appendice Déf. 1, explication (trad. Saisset) :

J'aurais pu dire, en effet, que le désir, c'est l'essence même de l'homme en tant qu'on la conçoit comme déterminée à quelque action ; mais de cette définition il ne résulterait pas (par la Propos. 23, partie 2) que l'âme pût avoir conscience de son désir et de son appétit. C'est pourquoi, afin d'envelopper dans ma définition la cause de cette conscience que nous avons de nos désirs, il a été nécessaire (par la même Propos.) d'ajouter : en tant qu'elle est déterminée par une de ses affections quelconque, etc. En effet, par une affection de l'essence de l'homme, nous entendons un état quelconque de cette même essence, soit inné, soit conçu par son rapport au seul attribut de la pensée, ou par son rapport au seul attribut de l'étendue, soit enfin rapporté à la fois à l'un et l'autre de ces attributs.

On peut se poser plusieurs questions et j'en profite pour donner une autre possibilité de conception (ou la même vue autrement, je ne sais pas trop si je suis cohérent avec moi-même...).


Bonjour Bardamu,

Vous me semblez toujours inspiré quand vous vous éloignez provisoirement de l'invariance CPT pour vous consacrer à Spinoza. Votre intervention me paraît ouvrir et/ou confirmer deux champs de réflexion :

1/ En permettant l'hypothèse de l'assimilation du rapport spécifique complexe (ensemble de rapports pour moi), propre à un singulier, à celui de "classe d'équivalence", et en allant au bout de votre raisonnement (que j'avais ébauché sous une autre forme), nous pourrions peut-être éviter "l'éreintement" de l'essence singulière auquel aboutit Sescho.
Au delà, devant l'insistance de Spinoza lui-même à prendre ses exemples dans la chose mathématique d'une part, et l'éventuelle pertinence, pour ce qui me concerne, à appliquer des notions ensemblistes, par exemple, pour structurer ma lecture, je m'interroge s'il ne faut pas décidément donner raion à Frege dans sa critique du statut du nombre chez Spinoza (et donc de l'utilisation tant ordinale que cardinale qui peut en être faite), et par conséquent s'interroger s'il ne reste pas une caractéristique des "lois des lois", à ce titre opérateur essentiel de notre entendement.

2/ En rappelant fort opportunément cet extrait de l'explication du Désir, vous confirmez bien que l'essence n'échappe pas au processus itératif, objet de E2P7 (le parallélisme). J'en conclus personnellement, ce qui a déjà été abordé sans lendemain, que la "vie des essences" s'inscrit bien dans le processus évolutionniste (pour ceux qui ne le remettent pas en cause), ce qui pourrait apparaître comme une évidente banalité.
Cependant, à partir du moment où l'on intègre le caractère partiellement "autopoïétique" de la construction de la conscience chez l'homme (sans tomber dans l'existentialisme), on peut chercher à préciser l'éventuelle "historicité" du lien "essentiel" que vous analysez entre cité ou état et individu (donc en analysant l'évolution d'essence humaine associée), en prenant en compte des mouvements aussi divers que :
- la "démocratisation" de la vie post mortem, en Egypte, entre l'Ancien Empire et le Moyen Empire ;
- la "démocratisation" de la notion de salut entre le salut du peuple Juif et le salut individuel du chrétien ;
- le renversement dialectique de la notion de souveraineté, commencé avec le mouvement communal en Europe et lentement peaufiné au fil des siècles, parallèlement à la montée de l'individualisme dans les consciences, à l'extension de la sphère du privé sur le public, etc.

Zarathoustra I - Des mille et un buts :
Les créateurs furent d'abord des peuples et plus tard des Individus. En vérité, l'Individu même est la plus jeune des créations.

Amicalement[/i]

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Messagepar Sinusix » 09 déc. 2008, 07:46

Pardon : il faut lire construction de l'essence et non construction de la conscience, bien sûr.

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Messagepar Enegoid » 09 déc. 2008, 13:24

A Louisa

en ce qui me concerne, je ne vois pas comment on pourrait un jour espérer atteindre la vérité si l'on ne cherche que la "compagnie" de ceux...


Mais je n’ai rien à objecter à ce que vous dites !

Je suppose que je suis responsable de votre incompréhension : je disais « à un moment », ce qui signifiait, très maladroitement je l’accorde, « dans certains cas ».
Dans certains cas, donc, le mécanisme que vous décrivez se grippe, en quelque sorte. Et l’on assiste à des répétitions des mêmes questions et des mêmes affirmations, sans qu’apparaisse une réelle progression. Il faut faire quelque chose.

Selon moi, le mécanisme se grippe quand les réponses s’adressent à des questions non comprises, ou contenant des thèses implicites, ou d’autres questions implicites, ou quand les objections énoncent des thèses sans rapport avec la thèse qu’il s’agit de discuter, ou quand la thèse ou les objections ne rencontrent aucun écho, etc. Il y a des milliers de combinaison possibles

C’est alors qu’il faut se concentrer soit sur la thèse soit sur les objections.
Si en tant qu’objecteur je m’aperçois que mes objections ne portent pas, ou ne sont pas comprises et que le dialogue se grippe, je suis obligé de faire un choix :
1. Je demande une explicitation de la thèse
2. J’explicite mes objections.
Et j’ai le même choix à faire en tant qu’énonciateur d’une affirmation : j’explicite et je répète, ou je me concentre sur les objections, qui deviennent alors les affirmations à discuter.
Je voulais simplement dire qu’on peut difficilement faire les deux en même temps.
Mon opinion est qu’il faut généralement se concentrer avec empathie cad en supposant qu'il y a une part de vérité à chercher sur ce que dit l’interlocuteur pour arriver à un accord sur ce qu’il veut dire avant d’aller plus loin. Ce qui se fait rarement.(1)

Mais, bon, c’est un sujet à part entière qui n’a pas sa place sur ce fil.

(1)Notamment parce que la part de vérité à chercher n'est pas forcément celle qui nous intéresse au départ.

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Messagepar Sinusix » 10 déc. 2008, 11:39

Louisa a écrit :Donc deux choses obligent à mon avis d'accepter le fait que l'idée d'une opposition entre l'intelligible et le sensible telle que vous le présentez ne soit pas très spinoziste:
1. chez Spinoza toute idée est une perception, une sensation
2. la science contemporaine se penche sur le spinozisme précisément pour pouvoir trouver les concepts capables de désamorcer cette opposition.
Sinusix a écrit :Vous savez bien que si nous devions analyser en détail et reprendre un manuel de psychologie basique et ancien (voir le cours de Bergson par exemple), nous devrions mettre comme cause prochaine de la sensation, une impression, donc un corps extérieur ou un organe interne qui la provoque, laquelle relève de l'attribut étendue.


non, je ne sais pas cela. Ce qui signifie qu'il me faudra plus d'arguments avant de pouvoir comprendre en quoi cette thèse est vraie.


Bonjour, Louisa,

Soit, alors essayons de changer de méthode, à partir du texte que je cite (pages 78 à 80 - et pour Hokousai, je précise volontiers que le terme "basique" employé par moi ne s'adressait, bien au contraire, pas à Bergson mais aux notions de psychologie enseignées, avec quelle clarté aveuglante, à des élèves de Khâgne - en italique quand je cite texto).
On appelle sensation l'effet psychologique immédiat d'une impression produite sur le corps.
Qu'est-ce qu'une impression ?
Il faut distinguer soigneusement l'impression, qui est la cause, de la sensation, qui est l'effet. Soit par exemple un corps chaud : je le touche ; une impression se fait sur mon corps, c'est-à-dire qu'une certaine modification matérielle se produit à l'extrémité de mon doigt et se transmet le long de certains nerfs jusqu'à mon cerveau. L'impression est donc un fait d'ordre physiologique, mais la sensation de brûlure que j'éprouve à la suite de cette impression et lorsqu'elle s'est propagée jusqu'au cerveau est un fait psychologique. L'impression étant étendue, elle occupe de l'espace. La sensation est inétendue, elle n'occupe pas d'espace. L'impression est chose mesurable. On détermine la région du corps où elle est circonscrite, on en détermine l'intensité, la force. La sensation est réfractaire à la mesure ; l'impression est perceptible aux sens. Tout le monde peut voir la brûlure que je me suis faite au doigt et les modifications mêmes qui se sont produites dans le reste du corps pourraient à la rigueur être observées par tout le monde. La sensation n'est perçue que par moi.
La sensation étant distinguée de l'impression, demandons-nous donc quelles sont les principales sensations et comment on peut les classer.
Pour classer les sensations, il faut distinguer dans chacune d'elles deux éléments, dont l'un est proprement du ressort de la sensibilité, et dont l'autre est déjà intellectuel. Le premier élément est l'élément affectif. L'autre est l'élément représentatif.
Soit, par exemple, la sensation d'odeur de rose. Il faut y distinguer d'abord cette émotion agréale qui est ce que l'on recherche dans le parfum de la rose et ensuite cette représentation que nous nous faisons de la cause extérieure de cette odeur quand nous y reconnaissons l'odeur de la rose. Reconnaître une odeur, c'est l'attribuer à un objet, c'est s'en représenter la cause, et cette représentation, comme toute représentation, est un fait intellectuel.


On observera que ce binôme, ou dualité de la sensation, dualité que l'on retrouve chez Freud dans l'analyse des pulsions, est la traduction psychologique de E2P16.

Dès lors nous classerons les sensations selon la part plus ou moins grande qu'il faut y faire à l'élément affectif et à l'élément représentatif.
1°) Les sensations dites internes ou organiques ;
2°) Les sensations de l'odorat, du goût, et les sensations de température .
3°) Enfin les sensations visuelles, auditives et tactiles.

Après avoir classé les sensations nous devons poser les deux grands problèmes que soulève la théorie de la sensation, le problème de la mensuration des sensations et le problème de l'unité de composition des états sensibles.[b]


Je coupe et passe à ce deuxième aspect.

Les sensations sont données à la conscience comme des états hétérogènes, c'est-à-dire de qualités différentes, et elles sont apparemment irréductibles les unes aux autres. Quel rapport établir par exemple entre une sensation de couleur et une sensation de température, entre un bruit et une odeur ? Bien plus, les sensations qui se rapportent à un même sens sont de nature différente en tant que sensations. Il ne semble pas, par exemple, que la sensation du rouge ait quelque chose de commun avec celle du violet, et la ressemblance même que nous voyons entre elles tient surtout à ce que nous les savons fournies par un seul et même sens.

On aborde là tout le champ du subjectif et de l'intersubjectif, pour lequel je ne prendrai que deux exemples.
1°) A équivalence d'impression sonore, la petite phrase de la sonate de Vinteuil déclenche une représentation totalement différente chez Swann par rapport aux autres membres du clan Verdurin (les phénomènes associatifs liés à cette différence peuvent être rattachés à E2P18);
2°) Tout le problème des [b]qualia
auquel je faisais référence en citant le fameux problème posé par Thomas Nagel, et que vous connaissez mieux peut-être dans votre langue native : What is it like to be a bat ?

En conclusion, le dispositif de l'Ethique étant ontologique, et donc ne s'agissant pas d'un cours de psychologie, il est impossible d'avancer ou de se bien comprendre dans les échanges faute de préciser continuellement quel aspect est privilégié dans le concept "fourre-tout" (terme non péjoratif) de l'idée spinoziste. Quand vous dîtes, par exemple, que l'idée est perception ou sensation chez Spinoza, comment comprendre alors la précision explicative qu'il apporte à E2Définition 3, selon laquelle il faut distinguer le concept, activité de l'Esprit, et la perception, passivité de l'Esprit, lui-même idée du corps......
Bref, en conclusion de la conclusion, et pour en revenir au point de départ qui était votre contestation que la distinction sensible/intelligible fût opérationnelle chez Spinoza, j'observe que tout ce que nous avons analysé plus haut relève grosso modo des propositions allant de E2P13S à E2P23, à savoir des propositions traitant du 1er genre de connaissance.
Je dirais donc que, chez Spinoza, la distinction sensible/intelligible est transmutée en distinction 1er genre/2ème et 3ème genre.
Ceci étant dit, mais ce n'est pas l'objet et je ne vais pas augmenter le nombre de pages, il sera judicieux de se rappeler cet échange quand il s'agira de savoir quel genre d'accès aux essences individuelles nous pouvons avoir, dans la mesure où le 1er genre, donc le subjectif singulier, tel que rappelé ci-dessus, ne peut être sujet de connaissance (vere scire est scire per causas).

Louisa a écrit :
En attendant, je répète que ce que j'ai dit, c'est que chez Spinoza l'idée est sensation. En même temps, le parallélisme interdit tout rapport causal entre ce qui relève de l'attribut de l'étendue et l'attribut de la pensée, donc chez Spinoza (contrairement à ce que pense l'opinion commune aujourd'hui) jamais une impression corporelle ne peut "causer" une idée (E2P6). La seule chose qui peut causer une idée, c'est une autre idée. C'est bien cela qui bouscule notre façon habituelle de penser le sensible et l'intelligible. Par conséquent, il me semble que la thèse que je défends ci-dessus non seulement n'est pas acceptée par vous (puisque ce que vous répondez est l'inverse) mais sans doute pas encore claire non plus. Le problème n'est donc pas que je dirais des choses fort connues même déjà par des débutants, le problème est à mon avis que je ne me suis pas du tout exprimée clairement.


Il doit y avoir un problème de rédaction, car sinon je crains de lire ici une énorme confusion au niveau de la matière qui nous occupe. La relation entre l'impression corporelle et la sensation, donc l'idée que le sujet de l'affection en a, ne relève pas du lien de causalité, mais de la réplication idée/objet qui est la base de la vision moniste spinoziste. Je ne peux donc avoir défendu une thèse contraire.

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :
Je dis effectivement qu'appartiennent à toute essence singulière des propriétés communes, faute de quoi vous ne pourrez concevoir rien de commun entre deux essences singulières, auquel cas, dixit E1P3, Marie et Pierre (ou Médor et Datcha) ne pourront jamais procréer.


A mon avis c'est parce que vous voulez que les essences soient largement constituées de propriétés communes que vous supposez qu'elles doivent avoir quelque chose en commun. En tout cas, si vous trouvez quelque chose dans le texte même de Spinoza qui vous fait penser que l'essence de deux choses différentes peut avoir quelque chose en commun, cela m'intéresse (pas d'ironie dans cette phrase).


Mais à la fin, comment faut-il vous le dire ! Je ne dis pas que les propriétés communes (qui sont des concepts à vocation de définition, donc de connaissance adéquate par la chaîne des causes) constituent les essences, mais que, comme le texte E2D2 le dit, appartiennent à l'essence. Or, il y a réciprocité entre essence et définition : Nullam définitionem alicujus rei dare possumus, quin simul ejus essentiam explicemus.

Louisa a écrit :
A mon sens cette deuxième condition n'a rien à voir avec le "bon sens", si par cela on comprend l'opinion commune. Car elle ne dit pas que sans l'existence de la chose singulière, son essence n'existe pas. Elle dit que ce qui constitue l'essence de la chose n'existe pas lorsque la chose n'existe pas.


Là vous faîtes très fort. Une ensemble vide est un ensemble vide. Si ce qui constitue l'essence n'existe pas, l'essence n'existe pas, tout simplement.

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Ma compréhension de ce deuxième membre se rattache à l'analyse déjà renouvelée de E2P8 : faute d'existence de la chose singulière, son essence formelle n'existe pas (mais bien entendu, comme toute essence, elle "baigne" dans les attributs de Dieu, donc dans l'existant), mais en revanche, son essence objective, ou être objectif, ou idée existe bel et bien en Dieu. Comme chez Michel-Ange, l'essence objective de la statue de David, préexiste à la réalisation de cette dernière, et le bloc de marbre ignore encore la transmutation qu'il va connaître. La destruction de la statue ne réduit pas pour autant l'idée qu'en avait l'auteur, qui pourrait la recommencer, à quelques variantes près.


ok, mais pour moi le problème c'est que vous ne montrez pas comment déduire cela de l'E2P8. Tandis que la proposition même dit déjà que les essences formelles des choses qui n'existent pas existent elles aussi en Dieu, et pas seulement l'essence objective ou l'idée de la chose:

"Les idées des choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenues dans les attributs de Dieu".

La démonstration réfère au scolie précédent. C'est en effet le parallélisme qui fait que jamais une essence objective d'une chose ne peut exister sans son essence formelle. Les deux existent ou bien dans le temps et en Dieu (lorsqe la chose est dite durer), ou bien en Dieu seul (de toute éternité).


A mon humble avis, là, gravement faux, car comment alors aurait pu faire Michel-Ange et comment expliquer tous les "artefacts" de l'homme, dont la conception de l'automobile que vous utilisez peut-être.
Vous semblez oublier que la Pensée, comme déjà souvent dit, est un attribut particulier dans la mesure où il fonctionne à deux niveaux pour la chose singulière qui pense, donc l'homme.
A partir du moment où l'homme pense, l'idée d'une chose singulière, autrement dit son essence objective, devient elle-même, dans l'attribut pensée, objet, lequel a sa réplication idée : l'idée de l'idée.
De ce fait, le parallélisme n'est pas que extra-cogitatif (comme dit M. Gueroult), mais intra-cogitatif.
En conséquence, l'homme, qui pense, peut très bien concevoir (comme Dieu et c'est une spécificité de l'homme qui pense) l'essence objective d'une automobile ou de la statue de David sans que cette même statue existât encore. En revanche, bien entendu, et en l'occurrence, sauf dans les contes de fée, mais même chez Dieu, aucun miracle n'existe, pour faire passer l'essence objective à l'état d'essence réelle, il va bien falloir suivre tout le processus de E2P7, et pour Michel-Ange, aller chercher des burins et un marteau, donc aller puiser dans les autres attributs.

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit : Il n'empêche que pour l'approche que nous pouvons en avoir, du côté de l'entendement et dans le cadre du 2ème genre de connaissance, ce qu'il y a d'obligatoirement "commun" entre les essences formelles, pour autoriser par exemple la procréation entre Marie et Pierre, est valablement identifié, aux niveau des essences objectives ou idées qui sont dans l'entendement, par les propriétés communes ou "essences de genre objectives".


que voulez-vous dire par là?


C'est, me semble-t-il, très clair.

Ouf.....

Amicalement
Modifié en dernier par Sinusix le 11 déc. 2008, 12:00, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 10 déc. 2008, 19:43

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit : Il n'empêche que pour l'approche que nous pouvons en avoir, du côté de l'entendement et dans le cadre du 2ème genre de connaissance, ce qu'il y a d'obligatoirement "commun" entre les essences formelles, pour autoriser par exemple la procréation entre Marie et Pierre, est valablement identifié, aux niveau des essences objectives ou idées qui sont dans l'entendement, par les propriétés communes ou "essences de genre objectives".


que voulez-vous dire par là?



Le Monsieur cherche à te dire me semble-t-il... que les propriétés communes des choses que nous pensons dans les notions communes ou essences de genre ne sont pas des fictions et que par elles nous pensons quelque chose du réel.

D.

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Messagepar Louisa » 11 déc. 2008, 00:37

Enegoid a écrit :Selon moi, le mécanisme se grippe quand les réponses s’adressent à des questions non comprises, ou contenant des thèses implicites, ou d’autres questions implicites, ou quand les objections énoncent des thèses sans rapport avec la thèse qu’il s’agit de discuter, ou quand la thèse ou les objections ne rencontrent aucun écho, etc. Il y a des milliers de combinaison possibles

C’est alors qu’il faut se concentrer soit sur la thèse soit sur les objections.
Si en tant qu’objecteur je m’aperçois que mes objections ne portent pas, ou ne sont pas comprises et que le dialogue se grippe, je suis obligé de faire un choix :
1. Je demande une explicitation de la thèse
2. J’explicite mes objections.
Et j’ai le même choix à faire en tant qu’énonciateur d’une affirmation : j’explicite et je répète, ou je me concentre sur les objections, qui deviennent alors les affirmations à discuter.
Je voulais simplement dire qu’on peut difficilement faire les deux en même temps.
Mon opinion est qu’il faut généralement se concentrer avec empathie cad en supposant qu'il y a une part de vérité à chercher sur ce que dit l’interlocuteur pour arriver à un accord sur ce qu’il veut dire avant d’aller plus loin. Ce qui se fait rarement.(1)

Mais, bon, c’est un sujet à part entière qui n’a pas sa place sur ce fil.

(1)Notamment parce que la part de vérité à chercher n'est pas forcément celle qui nous intéresse au départ.


Bonjour Enegoid,

je crois que je suis d'accord avec quasiment tout ce que tu écris ici, sauf, peut-être, en ce qui concerne l'idée qu'il faudrait faire un choix. A mon sens on peut très bien essayer d'expliciter ses objections par rapport à la thèse de quelqu'un tout en demandant à l'autre d'expliciter sa thèse. L'un me semble même aller de pair avec l'autre, en règle générale. Si X dit que A est B, et Y trouve que A est non B, alors X peut essayer de dire pourquoi A ne peut pas être non B, et il peut dire en même temps pourquoi il trouve que A est B. Y peut alors faire de même: il explicite la thèse "A est non B", tout en donnant des objections à la thèse de X. C'est peut-être même précisément parce qu'il n'est pas évident de chercher soi-même des objections contre ses propres thèses que en recevoir de quelqu'un d'autre (de préférence quelqu'un qui défend la thèse inverse, car là on est certain que l'autre sera motivé à faire un effort pour aller chercher des objections) est tellement intéressant.

C'est pourquoi aussi j'ai de plus en plus l'impression que les difficultés de discuter de ces derniers temps peut-être relèvent avant tout de divergences quant au but d'un dialogue philosophique et quant à la conception même de ce qu'est ou peut faire la philosophie. Si ce qu'on veut c'est développer son propre point de vue sur la réalité à l'aide de sa propre lecture "claire" (mais pas moins subjective pour autant) de tel ou tel philosophe, on est dans une toute autre optique que si l'on veut reconstruire la cohérence de la pensée du philosophe en question afin de pouvoir l'appliquer dans sa vie réelle pour en tester la valeur. Selon l'optique privilégiée, on se posera d'autres questions, on cherchera d'autres types d'objections, voire d'autres types d'interlocuteurs tout court. Enfin, ceci n'est qu'une hypothèse, à vérifier donc.
L.

PS: une réponse aux autres messages ci-dessus arrive sous peu.

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Messagepar hokousai » 11 déc. 2008, 09:44

Selon l'optique privilégiée, on se posera d'autres questions, on cherchera d'autres types d'objections, voire d'autres types d'interlocuteurs tout court. Enfin, ceci n'est qu'une hypothèse, à vérifier donc.


Pour moi l'hypothèse est toute vérifiée :au strict niveau philosophique vous n'êtes pas une interlocutrice qui me convient (et réciproquement ).

hokousai

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Messagepar Louisa » 11 déc. 2008, 15:08

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Vous savez bien que si nous devions analyser en détail et reprendre un manuel de psychologie basique et ancien (voir le cours de Bergson par exemple), nous devrions mettre comme cause prochaine de la sensation, une impression, donc un corps extérieur ou un organe interne qui la provoque, laquelle relève de l'attribut étendue.


non, je ne sais pas cela. Ce qui signifie qu'il me faudra plus d'arguments avant de pouvoir comprendre en quoi cette thèse est vraie.


Soit, alors essayons de changer de méthode, à partir du texte que je cite (pages 78 à 80 - et pour Hokousai, je précise volontiers que le terme "basique" employé par moi ne s'adressait, bien au contraire, pas à Bergson mais aux notions de psychologie enseignées, avec quelle clarté aveuglante, à des élèves de Khâgne - en italique quand je cite texto).
On appelle sensation l'effet psychologique immédiat d'une impression produite sur le corps.
Qu'est-ce qu'une impression ?
Il faut distinguer soigneusement l'impression, qui est la cause, de la sensation, qui est l'effet. Soit par exemple un corps chaud : je le touche ; une impression se fait sur mon corps, c'est-à-dire qu'une certaine modification matérielle se produit à l'extrémité de mon doigt et se transmet le long de certains nerfs jusqu'à mon cerveau. L'impression est donc un fait d'ordre physiologique, mais la sensation de brûlure que j'éprouve à la suite de cette impression et lorsqu'elle s'est propagée jusqu'au cerveau est un fait psychologique. L'impression étant étendue, elle occupe de l'espace. La sensation est inétendue, elle n'occupe pas d'espace. L'impression est chose mesurable. On détermine la région du corps où elle est circonscrite, on en détermine l'intensité, la force. La sensation est réfractaire à la mesure ; l'impression est perceptible aux sens. Tout le monde peut voir la brûlure que je me suis faite au doigt et les modifications mêmes qui se sont produites dans le reste du corps pourraient à la rigueur être observées par tout le monde. La sensation n'est perçue que par moi.
La sensation étant distinguée de l'impression, demandons-nous donc quelles sont les principales sensations et comment on peut les classer.
Pour classer les sensations, il faut distinguer dans chacune d'elles deux éléments, dont l'un est proprement du ressort de la sensibilité, et dont l'autre est déjà intellectuel. Le premier élément est l'élément affectif. L'autre est l'élément représentatif.
Soit, par exemple, la sensation d'odeur de rose. Il faut y distinguer d'abord cette émotion agréale qui est ce que l'on recherche dans le parfum de la rose et ensuite cette représentation que nous nous faisons de la cause extérieure de cette odeur quand nous y reconnaissons l'odeur de la rose. Reconnaître une odeur, c'est l'attribuer à un objet, c'est s'en représenter la cause, et cette représentation, comme toute représentation, est un fait intellectuel.


On observera que ce binôme, ou dualité de la sensation, dualité que l'on retrouve chez Freud dans l'analyse des pulsions, est la traduction psychologique de E2P16.


Bonjour Sinusix,
merci pour ces précisions. On peut certainement trouver des ressemblances entre ce texte et l'E2P16. Mais en quoi consistent-elles plus précisément?

Spinoza y dit que le Corps humain peut être affecté par un corps extérieur, et que l'Esprit forme une idée de cette affection. Alors en effet, on peut se dire que ce qui s'appelle ci-dessus "impression" pourrait être appelé "affection", et ce qui s'appelle "sensation" "idée".

Or comme le montre bien le texte que vous avez envoyés: les mots ne sont pas innocents, ils portent avec eux toute une pensée très spécifique. Car lorsqu'on parle d'impression et de sensation telles que définies ci-dessus, on voit qu'il y a un rapport de cause à effet entre les deux: d'abord il y a impression, et cette impression cause la sensation. Dès qu'on dit cela, on peut y opposer la théorie spinoziste à ce sujet, qui dit que jamais une affection du Corps ne peut causer une idée. Ou on peut reprendre la question que pose Spinoza à une telle conception: quelque chose touche mon Corps, y laisse une impression, cette impression va via les nerfs vers le cerveaux, et là, de façon miraculeuse, devrait s'opérer la transformation de l'Etendue en de l'Inétendue. Pour Spinoza cela n'est pas très crédible. L'idée de l'affection, ou si vous voulez la sensation, se produit chez lui tout à fait simultanément ou "parallèlement" à l'impression ou l'affection elle-même. Il n'y a pas de délai temporel entre les deux. L'impression n'est pas la cause prochaine de la sensation.

Deuxième divergence: ce que l'E2P16 dit essentiellement, c'est que l'idée d'une affection (une sensation) doit "envelopper" la "nature" du corps extérieur. Nous sommes ici dans ce qui sera la base de la théorie des idées confuses et mutilées, donc inadéquates. C'est pourquoi cette proposition a une portée épistémologique et non seulement "psychologique", aspect qui également est absent dans le texte ci-dessus.

Pour ces deux raisons, j'aurais tendance à dire que certes on peut, si l'on veut, retraduire les termes d'une philosophie dans ceux d'une autre, mais est-ce qu'on gagne quelque chose ce faisant, ou est-ce qu'on risque plutôt de réduire la deuxième philosophie à la première, et par là même de rester avant tout dans la première? Dans ce cas-ci, il me semble qu'on perd des choses essentielles, puisque chez Spinoza l'impression ne cause pas la sensation tandis que la sensation enveloppe la nature du corps extérieur.

Sinusix a écrit :Dès lors nous classerons les sensations selon la part plus ou moins grande qu'il faut y faire à l'élément affectif et à l'élément représentatif.
1°) Les sensations dites internes ou organiques ;
2°) Les sensations de l'odorat, du goût, et les sensations de température .
3°) Enfin les sensations visuelles, auditives et tactiles.

Après avoir classé les sensations nous devons poser les deux grands problèmes que soulève la théorie de la sensation, le problème de la mensuration des sensations et le problème de l'unité de composition des états sensibles.

Je coupe et passe à ce deuxième aspect.

Les sensations sont données à la consciece comme des états hétérogènes, c'est-à-dire de qualités différentes, et elles sont apparemment irréductibles les unes aux autres. Quel rapport établir par exemple entre une sensation de couleur et une sensation de température, entre un bruit et une odeur ? Bien plus, les sensations qui se rapportent à un même sens sont de nature différente en tant que sensations. Il ne semble pas, par exemple, que la sensation du rouge ait quelque chose de commun avec celle du violet, et la ressemblance même que nous voyons entre elles tient surtout à ce que nous les savons fournies par un seul et même sens.

On aborde là tout le champ du subjectif et de l'intersubjectif, pour lequel je ne prendrai que deux exemples.
1°) A équivalence d'impression sonore, la petite phrase de la sonate de Vinteuil déclenche une représentation totalement différente chez Swann par rapport aux autres membres du clan Verdurin (les phénomènes associatifs liés à cette différence peuvent être rattachés à E2P18);
2°) Tout le problème des [b]qualia auquel je faisais référence en citant le fameux problème posé par Thomas Nagel, et que vous connaissez mieux peut-être dans votre langue native : What is it like to be a bat ?


ne pourrait-on pas dire que l'E2P16 quelque part répond à ce problème, en disant que lorsque je suis affectée (par exemple, lorsque mon oeil est affecté) par une chauve-souris, l'idée ou sensation "enveloppe" la nature de celle-ci? Bien sûr, il nous faudrait encore pouvoir comprendre ce que Spinoza a voulu dire par là, mais il me semble qu'on est déjà dans une pensée différente que celle qui pose que l'objet est au fond par définition inaccessible au sujet.

Autre chose intéressante dans ce que vous dites: lorsqu'on part des définitions de l'impression et de la sensation ci-dessus, un nouveau problème se pose effectivement: comment unifier toutes les sensations? Ou comment faire d'un ensemble disparate de sensations un seul et même "sentiment de soi?". Ce problème est quasiment explicitement posé par le philosophe que vous citez. Pour moi cela signifie que ce problème est créé par les définitions dont ce philosophe-là part. Or Spinoza part d'autres définitions, et donc se heurte, me semble-t-il, à d'autres problèmes. Il ne parle jamais d'un "sentiment de moi", il pose plutôt le problème du rapport entre un Individu et un Corps. Un Corps peut-il subsister tout en changeant d'Individu? J'ai l'impression que là on a un problème fort différent, qu'on ne peut pas réduire aux termes d'une philosophie qui pense sur base des définitions d'impression et de sensations citées ci-dessus.

Sinusix a écrit :En conclusion, le dispositif de l'Ethique étant ontologique, et donc ne s'agissant pas d'un cours de psychologie, il est impossible d'avancer ou de se bien comprendre dans les échanges faute de préciser continuellement quel aspect est privilégié dans le concept "fourre-tout" (terme non péjoratif) de l'idée spinoziste.


il faut certes essayer de préciser maximalement, tout à fait d'accord.

Sinusix a écrit :Quand vous dîtes, par exemple, que l'idée est perception ou sensation chez Spinoza, comment comprendre alors la précision explicative qu'il apporte à E2Définition 3, selon laquelle il faut distinguer le concept, activité de l'Esprit, et la perception, passivité de l'Esprit, lui-même idée du corps......


je crois (hypothèse) que dire d'une idée qu'elle est sensation ou perception, et dire qu'elle est concept, c'est formuler deux perspectives différentes sur une seule et même chose: l'Esprit. L'Esprit est composé d'idées, idées adéquates et inadéquates. Si l'on veut parler du fait que tout idée a un objet, on peut l'appeler "perception" (puisque l'idée perçoit son objet). Mais si l'on veut parler du fait que toute idée a été formée par l'Esprit (au lieu de "pâtir" de l'objet, c'est-à-dire au lieu d'être causée par son objet), alors il vaut mieux accentuer le côté actif et l'appeler concept. Toute idée est donc toujours les deux, mais on peut parler de l'idée en tant qu'elle est perception ou de l'idée en tant qu'elle est concept, selon ce qu'on veut dire de l'idée.

Donc ici aussi, je crois que le fait de parler de concept et non pas de sensation par exemple est important et rend la retraduction d'une idée spinoziste en une sensation bergsonienne difficile: par définition, le concept n'est pas causé par une affection du Corps, alors que par définition, la sensation est causée par une impression corporelle.

Sinusix a écrit :Bref, en conclusion de la conclusion, et pour en revenir au point de départ qui était votre contestation que la distinction sensible/intelligible fût opérationnelle chez Spinoza, j'observe que tout ce que nous avons analysé plus haut relève grosso modo des propositions allant de E2P13S à E2P23, à savoir des propositions traitant du 1er genre de connaissance.


oui peut-être. Il faudrait analyser ces propositions en détail pour pouvoir voir dans quelle mesure c'est le cas ou non.

Sinusix a écrit :Je dirais donc que, chez Spinoza, la distinction sensible/intelligible est transmutée en distinction 1er genre/2ème et 3ème genre.


pour moi cette thèse reste problématique. Une connaissance du premier genre est tout autant sensible qu'intelligible, puisqu'il s'agit toujours à la fois d'une idée et d'une affection du Corps. Si par "intelligible" on désigne "le monde des idées" et par "sensible" tout ce qui est corporel, à mon avis on ne peut que constater que les deux sont toujours simultanément présent à chaque niveau de connaissance, chez Spinoza. Si l'on y ajoute le fait que l'idée même est sensation, pour moi cela signifie que Spinoza brouille les frontières entre sensible et intelligible, pour proposer une distinction qui certes de prime abord y ressemble, mais qui au fond fonctionne fort différemment, à cause du parallélisme et d'un tas d'autres choix philosophiques encore.

Sinusix a écrit :Ceci étant dit, mais ce n'est pas l'objet et je ne vais pas augmenter le nombre de pages, il sera judicieux de se rappeler cet échange quand il s'agira de savoir quel genre d'accès aux essences individuelles nous pouvons avoir, dans la mesure où le 1er genre, donc le subjectif singulier, tel que rappelé ci-dessus, ne peut être sujet de connaissance (vere scire est scire per causas).


Spinoza ne dit-il pas que l'Ethique offre un remède aux affects qui passe par la connaissance adéquates des passions, autrement dit par la connaissance adéquate de ce qui en nous relève du premier genre de connaissance?

Puis je ne crois pas que le premier genre de connaissance est ce que nous avons de plus singulier ou subjectif. Car justement, toutes les idées du premier genre enveloppent la nature des corps extérieurs qui nous ont affectés et les affections dont elles sont l'idée sont même en partie causée par ces corps extérieurs, et en ce sens-là ne disent rien de nous-même considérés seuls ou "en soi".

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :En attendant, je répète que ce que j'ai dit, c'est que chez Spinoza l'idée est sensation. En même temps, le parallélisme interdit tout rapport causal entre ce qui relève de l'attribut de l'étendue et l'attribut de la pensée, donc chez Spinoza (contrairement à ce que pense l'opinion commune aujourd'hui) jamais une impression corporelle ne peut "causer" une idée (E2P6). La seule chose qui peut causer une idée, c'est une autre idée. C'est bien cela qui bouscule notre façon habituelle de penser le sensible et l'intelligible. Par conséquent, il me semble que la thèse que je défends ci-dessus non seulement n'est pas acceptée par vous (puisque ce que vous répondez est l'inverse) mais sans doute pas encore claire non plus. Le problème n'est donc pas que je dirais des choses fort connues même déjà par des débutants, le problème est à mon avis que je ne me suis pas du tout exprimée clairement.


Il doit y avoir un problème de rédaction, car sinon je crains de lire ici une énorme confusion au niveau de la matière qui nous occupe. La relation entre l'impression corporelle et la sensation, donc l'idée que le sujet de l'affection en a, ne relève pas du lien de causalité, mais de la réplication idée/objet qui est la base de la vision moniste spinoziste. Je ne peux donc avoir défendu une thèse contraire.


ok, merci pour la précision. Si j'ai bien compris, cela signifie que vous pensez vous-même aussi que dire que l'impression est la cause prochaine de la sensation, comme le disait votre texte ci-dessus, n'est pas spinoziste?

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :
Je dis effectivement qu'appartiennent à toute essence singulière des propriétés communes, faute de quoi vous ne pourrez concevoir rien de commun entre deux essences singulières, auquel cas, dixit E1P3, Marie et Pierre (ou Médor et Datcha) ne pourront jamais procréer.


A mon avis c'est parce que vous voulez que les essences soient largement constituées de propriétés communes que vous supposez qu'elles doivent avoir quelque chose en commun. En tout cas, si vous trouvez quelque chose dans le texte même de Spinoza qui vous fait penser que l'essence de deux choses différentes peut avoir quelque chose en commun, cela m'intéresse (pas d'ironie dans cette phrase).


Mais à la fin, comment faut-il vous le dire ! Je ne dis pas que les propriétés communes (qui sont des concepts à vocation de définition, donc de connaissance adéquate par la chaîne des causes) constituent les essences, mais que, comme le texte E2D2 le dit, appartiennent à l'essence. Or, il y a réciprocité entre essence et définition : Nullam définitionem alicujus rei dare possumus, quin simul ejus essentiam explicemus.


ok, disons dans ce cas que je ne comprends pas comment vous déduisez de l'E2D2 que les propriétés communes appartiennent à l'essence. A mon avis il faut en déduire exactement l'inverse: qu'elles ne peuvent pas appartenir à l'essence.

Prenons la propriété commune "envelopper le concept de l'attribut de l'Etendue". Tout corps a cette propriété commune. Mais si elle appartenait à l'essence d'un corps x, alors, dit la définition, elle doit être supprimé lorsque ce corps est supprimé. Or ce n'est pas le cas, car le concept de l'attribut sera toujours enveloppé dans tous les autres corps qui continuent à exister lorsque le corps x est mort. C'est la raison pour laquelle l'E2P37 peut conclure: "Donc cela n'appartient pas à l'essence de B, et ne constitue pas l'essence d'une autre chose singulière".

(Je dois encore vous répondre dans le fil créé par Hokousai concernant la distinction appartenir-constituer; en tout cas, ayant entre-temps un peu fait attention à cela en lisant Spinoza, je crois que ce que j'y ai dit n'est tout de même pas très certain. Mais je reviens bientôt là-dessus)

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :A mon sens cette deuxième condition n'a rien à voir avec le "bon sens", si par cela on comprend l'opinion commune. Car elle ne dit pas que sans l'existence de la chose singulière, son essence n'existe pas. Elle dit que ce qui constitue l'essence de la chose n'existe pas lorsque la chose n'existe pas.


Là vous faîtes très fort. Une ensemble vide est un ensemble vide. Si ce qui constitue l'essence n'existe pas, l'essence n'existe pas, tout simplement.


je crois que chez Spinoza c'est plus compliqué que cela. Voir mon exemple ci-dessus avec les corps x et autres. Bien sûr, si l'essence X est constituée de x1, x2, x3, et si x1, x2 et x3 n'existent pas, l'essence X n'existera pas non plus. Mais cela, c'est la première condition de l'E2D2, ce par quoi on définit traditionnellement l'essence. Etre homme, par exemple, c'est pour certains être un animal (x1) rationnel (x2). Cette essence existera aussi longtemps qu'il y a au moins un "ensemble" qui est constitué par x1 et x2. C'est là que nous avons des essences "de genre": aussi longtemps qu'il y a au moins un homme, l'essence de l'homme ne sera pas un ensemble vide, elle existera.

La deuxième condition en revanche renverse tout cela de fond en comble: elle dit que x1 peut constituer l'essence de telle chose, à condition de n'appartenir à l'essence d'aucune autre chose. Si dans le premier cas on peut encore avoir un x1 présent en chaque homme (donc des millions de x1), dans le deuxième cas on ne peut avoir qu'un seul x1, qui ne peut constituer ou appartenir qu'à cet homme-là, et à aucun autre. Bien sûr, la première condition continue à être valable, donc si l'on supprime x1, l'homme en question et son essence n'existeront plus non plus (c'est ainsi que beaucoup de philosophies abordent la définition de l'essence d'une chose, à ce point qu'aujourd'hui on attribue spontanément ce sens précis au mot "essence"). Mais Spinoza y ajoute que x1 lui-même n'existera plus lorsqu'on supprime cet homme (proposition inverse), ce qui est absurde dans une conception de l'essence qui travaille avec des essences de genre.

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Ma compréhension de ce deuxième membre se rattache à l'analyse déjà renouvelée de E2P8 : faute d'existence de la chose singulière, son essence formelle n'existe pas (mais bien entendu, comme toute essence, elle "baigne" dans les attributs de Dieu, donc dans l'existant), mais en revanche, son essence objective, ou être objectif, ou idée existe bel et bien en Dieu. Comme chez Michel-Ange, l'essence objective de la statue de David, préexiste à la réalisation de cette dernière, et le bloc de marbre ignore encore la transmutation qu'il va connaître. La destruction de la statue ne réduit pas pour autant l'idée qu'en avait l'auteur, qui pourrait la recommencer, à quelques variantes près.


ok, mais pour moi le problème c'est que vous ne montrez pas comment déduire cela de l'E2P8. Tandis que la proposition même dit déjà que les essences formelles des choses qui n'existent pas existent elles aussi en Dieu, et pas seulement l'essence objective ou l'idée de la chose:

"Les idées des choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenues dans les attributs de Dieu".

La démonstration réfère au scolie précédent. C'est en effet le parallélisme qui fait que jamais une essence objective d'une chose ne peut exister sans son essence formelle. Les deux existent ou bien dans le temps et en Dieu (lorsqe la chose est dite durer), ou bien en Dieu seul (de toute éternité).


A mon humble avis, là, gravement faux, car comment alors aurait pu faire Michel-Ange et comment expliquer tous les "artefacts" de l'homme, dont la conception de l'automobile que vous utilisez peut-être.


êtes-vous d'accord pour dire qu'ici vous opposez une objection "extra-spinoziste" à ce que je viens de dire? Je veux dire par là: ici vous dites que selon vous rien dans la réalité telle que vous la connaissez et pensez pour l'instant ne correspond à ce que je dis, au contraire, votre manière habituelle de penser fait que cette idée est absurde.

Si c'est ce que vous vouliez dire: ok, pas de problème, mais dans ce cas nous ne discutons plus de ce que dit Spinoza, nous discutons des différentes conceptions possibles du monde. Et là, comme déjà dit, pour moi il est difficile de penser en quoi une telle discussion pourrait avoir une quelconque pertinence (sur base de la conception de la philosophie que j'ai proposé ici il y a quelques jours, conception discutable bien sûr).

Sinusix a écrit :Vous semblez oublier que la Pensée, comme déjà souvent dit, est un attribut particulier dans la mesure où il fonctionne à deux niveaux pour la chose singulière qui pense, donc l'homme.
A partir du moment où l'homme pense, l'idée d'une chose singulière, autrement dit son essence objective, devient elle-même, dans l'attribut pensée, objet, lequel a sa réplication idée : l'idée de l'idée.
De ce fait, le parallélisme n'est pas que extra-cogitatif (comme dit M. Gueroult), mais intra-cogitatif.
En conséquence, l'homme, qui pense, peut très bien concevoir (comme Dieu et c'est une spécificité de l'homme qui pense) l'essence objective d'une automobile ou de la statue de David sans que cette même statue existât encore. En revanche, bien entendu, et en l'occurrence, sauf dans les contes de fée, mais même chez Dieu, aucun miracle n'existe, pour faire passer l'essence objective à l'état d'essence réelle, il va bien falloir suivre tout le processus de E2P7, et pour Michel-Ange, aller chercher des burins et un marteau, donc aller puiser dans les autres attributs.


Si vous pensez cela, vous introduisez du temps dans la production divine. Dieu aurait d'abord une idée, puis l'exécuterait. En effet, les choses se passent bien ainsi pour l'homme. Mais en Dieu, tout existe de toute éternité, une essence formelle d'une chose x n'a pas besoin de l'essence objective de la même idée pour pouvoir exister, il s'agit de deux expressions parallèles d'une seule et même chose. Aussi est-ce là que se trouve à mon sens l'erreur dans votre raisonnement: vous faites comme si mon idée de la statue est l'essence objective de la chose singulière "statue". Je ne crois pas que dans le spinozisme c'est le cas. Mon idée est en tant que telle une chose singulière, ayant une essence objective et une essence formelle (l'essence formelle d'une idée étant cette idée en tant qu'elle est un mode d'un attribut, l'essence objective d'une idée étant l'idée de cette idée, ou l'idée ayant cette idée comme objet). Mon idée est donc une autre chose singulière que l'idée qu'est la statue une fois réalisée. Toute chose a une essence objective et une essence formelle chez Spinoza, aussi les statues (ce que vous appelez parfois "animisme naïf", mais je n'ai pas encore compris en quoi ce serait naïf de penser ainsi, à moins qu'on identifie l'Esprit spinoziste à une conscience intentionnelle humaine, car alors en effet il est absurde d'attribuer cela à une pierre).
Amicalement,
L.

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Messagepar Louisa » 11 déc. 2008, 16:00

Durtal a écrit :
Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Il n'empêche que pour l'approche que nous pouvons en avoir, du côté de l'entendement et dans le cadre du 2ème genre de connaissance, ce qu'il y a d'obligatoirement "commun" entre les essences formelles, pour autoriser par exemple la procréation entre Marie et Pierre, est valablement identifié, aux niveau des essences objectives ou idées qui sont dans l'entendement, par les propriétés communes ou "essences de genre objectives".


que voulez-vous dire par là?


Le Monsieur cherche à te dire me semble-t-il... que les propriétés communes des choses que nous pensons dans les notions communes ou essences de genre ne sont pas des fictions et que par elles nous pensons quelque chose du réel.


ok, merci pour la précision. Si c'était effectivement cela ce que Sinusix voulait dire: je ne crois pas que quelqu'un ici ait déjà mis en question la réalité des propriétés communes. Le problème n'est pas tellement de savoir si elles sont réelles ou non (ou en tout cas, si quelqu'un ici a déjà défendu l'idée qu'elles ne le seraient pas, je ne me souviens plus de qui c'était et des arguments avancés), le problème est plutôt de savoir si elles peuvent appartenir à une essence d'une chose singulière ou non, voire à une essence tout court. Dire que le deuxième genre de connaissance porte sur ce que les essences ont en commun, pour moi c'est confondre le deuxième genre de connaissance avec le troisième. Le deuxième ne porte que sur des propriétés communes, le troisième que sur des essences (E2P40 sc.II), et l'E2P37 dit que ce qui est commun ne peut appartenir à une essence.

Bien sûr, on peut dire que la procréation entre deux hommes donnant lieu à un autre homme non stérile, c'est une propriété communes aux hommes. Mais déjà il faudrait dire qu'il s'agit d'une propriété commune à une majorité d'hommes (puisque certains hommes ne peuvent pas procréer, ou n'ont fait que des enfants stériles, tout en n'étant pas pour autant moins "homme"), et non pas à tous les hommes. Cette propriété ne peut donc même pas définir l'"espèce" Homme, puisqu'on accepte dans l'ensemble "Homme" aussi des Individus qui ne répondent pas à ce critère.

Or pour moi le véritable problème commence dès que l'on veut retraduire tout ceci en du langage spinoziste, et qu'on dit que "dès lors", les essences spinozistes doivent avoir quelque chose en commun. Comme si Spinoza était obligé de penser par les idées qui de prime abord sont évidentes pour nous. Comme si le mot "essence" ne serait pas un terme philosophique technique qui au cours de l'histoire de la philosophie a reçu des sens très différents selon la pensée en question, mais "devrait" avoir un seul sens précis, et que Spinoza "devrait" lui aussi adopter ce sens-là. Bien sûr, rien n'exclut que Spinoza utilise certains mots dans le même sens que nous. Mais on ne peut pas d'abord référer au sens qu'un mot a aujourd'hui pour nous pour dire que c'est cela ce que Spinoza pense; pour savoir ce qu'il pense il faut le déduire du texte, et là, bon, comment interpréter l'E2D2 et l'E2P37 d'une telle façon que des propriétés communes peuvent appartenir à ou constituer une essence? C'est cela que je ne vois pas très bien. On peut parfaitement dire qu'on décide d'appeler "essence" ce que deux hommes ont en commun pour pouvoir produire un enfant non stérile, mais cela, c'est notre décision (décision tout à fait respectable, intéressante, etc.), décider cela ne garantit en rien que cela coïncide avec ce que Spinoza a décidé d'appeler "essence".
L.

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bardamu
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Messagepar bardamu » 11 déc. 2008, 17:42

Sinusix a écrit :(...)
Bonjour Bardamu,

Vous me semblez toujours inspiré quand vous vous éloignez provisoirement de l'invariance CPT pour vous consacrer à Spinoza. Votre intervention me paraît ouvrir et/ou confirmer deux champs de réflexion :

Bonjour,
juste en passant, et en attendant que je mette au point un nouveau sujet où j'expliciterai mieux d'où viennent les déterminations de mes idées (le formalisme quantique à défaut d'invariance CPT...), un lien vers des extraits d'un bouquin qui me semble intéressant sur les problématiques tout/parties, essences singulières, identité, distinctions non-numériques : "L'automate spirituel, la subjectivité moderne d'après l'Ethique de Spinoza" par Lia Lévy.
J'espère avoir le temps de le lire prochainement.
Le lien est ciblé sur la page 188, chapitre "La catégorie de sujet d'états appliquée aux choses singulières : identité et permanence".

a+


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