Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar bardamu » 02 nov. 2008, 14:59

hokousai a écrit :je cite

""""""""""On peut être incertain et dubitatif à
propos de tout, sauf de sa propre identité. A preuve, le sceptique le plus radical ne se prend
jamais pour quelqu’un d’autre, sauf dans les cas graves - et rares- de certains troubles de la
personnalité. Mais derrière cette apparence de facilité se cache cependant l’une des questions
les plus aporétiques que la philosophie ait jamais posée""""""""""

(Bado Ndoye,)

Tant qu'à faire citons aussi la conclusion de l'article inspirée de Ricoeur :
Bado Ndoye a écrit :L’identité idem désigne la constitution de notre être comme chose, par exemple la constitution de notre code génétique qui est invariable tout au long de notre vie. Elle reste toujours identique à elle-même. Or, on voit bien que notre personnalité, elle, peut se défaire, parce qu’elle ne relève pas justement de l’idem, mais de l’identité ipse, qui est celle du soi.

L’identité idem me rattache à l’ordre des choses et désigne ce qui, de moi, appartient à la nature, à l’animalité, alors que l’identité ipse définit mon être en tant que je suis un esprit. On peut la définir donc comme un terme relationnel qui unifie les vécus du sujet.

En mettant en chantier ces deux notions, Paul Ricoeur veut montrer que l’élaboration conceptuelle de la question de l’identité ne s’est attachée jusque-là qu’à la détermination de la somme des appartenances du sujet, autrement dit, ce qu’il possède, comme son corps ou son caractère, alors qu’il aurait fallu chercher ce qu’il est, c’est-à-dire la personnalité qu’il s’est forgée et qu’il continue de se forger, tout au long de son existence. La dimension du temps, donc de l’histoire, intervient encore ici, ce qui signifie que l’identité est par définition une problématique ouverte, puisque c’est seulement à l’horizon d’une vie qu’on peut dire qui on est. Le problème ici, c’est que nos histoires individuelles sont enchevêtrées à celles des autres.

Je ne suis pas une monade sans portes ni fenêtres, mais, comme dit le poète, un être poreux à toutes les influences et dont la personnalité se constitue au confluent de traditions culturelles qui se sont mélangées à d’autres, en un vaste mouvement de réciprocité où mon identité apparaît comme une création dynamique, donc en perpétuelle recomposition. On ne peut donc dire sans équivoque, de façon définitive, qui on est, puisqu’on est au carrefour d’un faisceau d’influences multiples, diverses et contradictoires, un échafaudage complexe de coutumes, de traditions et d’expériences individuelles et collectives que l’on construit, déconstruit et reconstruit continuellement tout au long de son existence.

Le rappel qu'il fait sur Hume a aussi son intérêt, la critique "humienne" de l'ego cogito pouvant évoquer le caractère parcellaire de l'esprit qu'on retrouve chez Spinoza : telle ou telle sensation, telle ou telle idée, telle ou telle volition.

P.S. : j'ai souligné "être poreux" parce que dans les lettres sur les travaux de Boyle, Spinoza parle de particules et de pores. C'est encore un sujet de réflexion pour moi par rapport à sa conception des corps.

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Messagepar hokousai » 02 nov. 2008, 18:49

( je cite le texte de Bado Ndoye)

Husserl, récapitulant les résultats auxquels est
arrivé Hume écrit : """(.. .) Un «je» identique n’est pas un datum, c’est un monceau de data en perpétuel changement. L’identité est une fiction psychologique. A des fictions de ce genre appartient aussi la causalité, la succession nécessaire. """""""
........................................................

Hume évacue la question . Un moi ( ego ) se pensant comme moi-même n’est pas du tout un monceau de quoi que ce soit . C’est une idée simple , aussi simple que celle de l’existence du monde ou simple comme l’idée que maintenant c’est maintenant .
La question est évacuée vers :que suis-je ? Elle est transportée sur le terrain des choses qui sont définissables par leurs relations à d’autres choses .
Or le moi n’est pas définissable par des relations à autre chose .Le moi n’a rien de poreux . Le moi ne se pose pas la question de savoir ce qu’ il est pour se reconnaître .La question est superflue il se reconnaît parfaitement bien immédiatement .

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Messagepar sescho » 03 nov. 2008, 10:16

Puisque Nepart a eu la bonne idée de replacer le sujet original ici (que j'ai bien l'intention de suivre comme il se doit), et que cela nous a donné en plus l'occasion d'une contribution d'Henrique, je voudrais juste replacer ce qui me semble juste :

- Baser une notion de Moi sur la permanence dans le temps de la chose singulière qu'est mon Corps/Esprit est nécessairement illusoire, puisque par nature l'existence des choses singulières n'est pas une vérité éternelle, qu'elles sont soumises au changement et par une autre nécessité incontournable à l'interdépendance, le tout du fait du Mouvement. Qu'il y ait une certaine permanence pendant une certaine durée de l'essentiel de l'essence actuelle (d'où les "essences de genres", l'essence de genre étant commune - plus exactement : c'est LA MÊME - à tous les individus du même genre, qui donc ne se distinguent pas essentiellement pour l'essentiel ;-) ) ne remet pas en cause cela. Ce qui est éternel, c'est l'essence, ce qui ne l'est pas c'est l'existence des choses singulières.

- La mémoire est fondamentalement le principe de l'imagination, laquelle tend à poser l'illusion : Moi chose singulière qui suis éternellement dans la durée (sauf au moment de la mort, qu'il faut donc exorciser) ; c'est la confusion de l'essence et de l'existence. Un homme frappé d'amnésie est-il toujours lui-même ou non ? Spinoza est on ne peut plus clair :

Spinoza a écrit :E2P18S : ... Je dis, premièrement, que la mémoire est l’enchaînement de cette sorte d’idées seulement qui enveloppent la nature des choses qui existent hors du corps humain, et non des idées qui expliquent la nature de ces mêmes choses ; car il ne s’agit ici (par la Propos. 16, partie 2) que des idées des affections du corps humain, lesquelles enveloppent la nature de ce corps et des corps extérieurs. Je dis, en second lieu, que cet enchaînement se produit suivant l’ordre et l’enchaînement des affections du corps humain, pour le distinguer de cet autre enchaînement des idées qui se produit suivant l’ordre de l’entendement, d’une manière identique pour tous les hommes, et par lequel nous percevons les choses dans leurs causes premières. ....

E5P23S : ... Aussi, quoique nous ne nous souvenions pas d’avoir existé avant le corps, nous sentons cependant que notre âme, en tant qu’elle enveloppe l’essence du corps sous le caractère de l’éternité, est éternelle, et que cette existence éternelle ne peut se mesurer par le temps ou s’étendre dans la durée. Ainsi donc, on ne peut dire que notre âme dure, et son existence ne peut être enfermée dans les limites d’un temps déterminé qu’en tant qu’elle enveloppe l’existence actuelle du corps ; et c’est aussi à cette condition seulement qu’elle a le pouvoir de déterminer dans le temps l’existence des choses et de les concevoir sous la notion de durée.

E5P34CS : Si l’on examine l’opinion du commun des hommes, on verra qu’ils ont conscience de l’éternité de leur âme, mais qu’ils confondent cette éternité avec la durée, et la conçoivent par l’imagination ou la mémoire, persuadés que tout cela subsiste après la mort.

E5P39S : ... C’est pourquoi notre principal effort dans cette vie, c’est de transformer le corps de l’enfant, autant que sa nature le comporte et y conduit, en un autre corps qui soit propre à un grand nombre de fonctions et corresponde à une âme douée à un haut degré de la conscience de soi et de Dieu et des choses ; de telle sorte qu’en elle ce qui est mémoire ou imagination n’ait, au regard de la partie intelligente, presque aucun prix, comme nous l’avons déjà dit dans le Schol. de la Propos. précédente.

Lettre 37 à Bouwmeester : ... On peut voir par là quelle doit être la vraie méthode et en quoi elle consiste principalement, savoir, dans la seule connaissance de l’entendement pur, de sa nature et de ses lois ; et pour acquérir cette connaissance, il faut sur toutes choses distinguer entre l’entendement et l’imagination, en d’autres termes, entre les idées vraies et les autres idées, fictives, fausses, douteuses, toutes celles, en un mot, qui ne dépendent que de la mémoire. ...

- Un aspect lié - presqu'une lapalissade - est que ne peut être dit fermement être un véritable Moi que ce qui relève d'une idée adéquate, et même claire et distincte, et donc doit être indiqué par toute l'Ethique. Or ce qu'elle indique en particulier c'est que cela doit être commun à tous les hommes (les sages) - ce qui exclut de parler de singulier en tant que singulier - et de ne pas être lié à la mémoire mais à la conscience d'être une puissance (limitée mais réelle) en Dieu (à chaque instant, mais sans pour autant faire référence au temps.)

- Il ne reste de possible comme "Soi" que cette conscience même, qui est consciente d'elle-même, qui ne se voit ni dans le temps (et tout particulièrement pas comme voué à la permanence dans le temps ; l'éternité c'est d'ailleurs bien plus profond et gratifiant) ni véritablement comme séparée du reste des hommes et de l'univers (car dans l'éternité il n'y a pas de telle séparation.) Spinoza s'en exprime vraiment très clairement dans les passages qui précèdent : vouloir trouver l'éternité dans une permanence dans le temps, c'est comme vouloir un cercle carré.

- Mais certes à chaque instant la conscience en acte reste consciente d'elle-même. Si c'est ce que l'on veut appeler "Moi", ou plutôt "Soi", je suis entièrement d'accord.


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Messagepar hokousai » 03 nov. 2008, 13:42

à Serge


ce qui exclut de parler de singulier en tant que singulier -


Il me semble bien que quand je vise le "moi " (ou bien quand le Moi se vise, puisque c’est réflexif, cela se fasse avec une détermination qui donc le singularise: c’est moi / ce n’est pas le monde .

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Messagepar sescho » 03 nov. 2008, 15:22

hokousai a écrit :Il me semble bien que quand je vise le "moi " (ou bien quand le Moi se vise, puisque c’est réflexif, cela se fasse avec une détermination qui donc le singularise: c’est moi / ce n’est pas le monde .

Je l'avais bien compris. Toutefois, résoudre vraiment la question du "Moi", c'est aussi, je pense, atteindre la béatitude du sage spinozien, chose qui est très très rare, aux dires de Spinoza comme de fait. Ceci suppose, me semble-t-il, que le véritable Moi a peu à voir avec ce que le commun (dont je fais encore partie en général) en dit.

Il y a deux façons de voir les choses, dit Spinoza (dans un certain sens, ces deux visions ne s'excluent pas l'une l'autre et aucune ne peut être absolument gommée ; dans un autre sens la seconde est grandement supérieure à la première) : 1) Selon le temps, l'espace et le nombre (par exemple distinguer les humains entre eux, alors qu'en fait ils ont la même essence pour l'essentiel), ou 2) Selon l'éternité, qui ne comprend absolument aucune notion de temps (explicite ou implicite), d'espace et de nombre.

Déjà, voir selon le temps, l'espace et le nombre, c'est aussi obligatoirement voir l'impermanence et l'interdépendance. Donc le "Moi" qui se maintiendrait absolument dans le temps est une fiction, une illusion basée sur la mémoire (voir ce que Spinoza en dit plus haut.) Le vrai "Moi" (vu clairement et distinctement, donc, pas par l'imagination) n'est pas du tout appuyé sur la mémoire, et est inchangé chez un homme frappé d'amnésie.

Reste la conscience en chaque instant (qui varie en permanence quant à son contenu en acte : l'entendement n'est qu'une notion générale chez l'homme) d'être une chose effectivement particulière en acte dans le monde des choses particulières en acte. Bon ; quelque part, c'est quelque chose d'irréductible, me semble-t-il. Mais aussi de très relativisé ("balancé") par la conscience claire des choses.

La conscience claire des choses c'est d'abord et surtout la vision intuitive que notre essence et celle de toute chose (à chaque instant, c'est-à-dire en fait sans se référer du tout au temps, sans conscience du temps) est éternelle et non en elle-même mais en Dieu (la conscience claire exprimant tout cela dans le même mouvement : ce n'est pas un raisonnement). Ceci suppose en particulier de voir que l'essence n'est ni selon la durée, ni selon l'espace, ni selon le nombre, et en outre que tout y compris moi-même est une manifestation d'une seule chose : Dieu. Ceci alors n'a rien de personnel, ni même d'individuel (même si selon le point de vue conventionnel c'est une chose particulière en acte qui le manifeste.)

Il ne faut pas confondre l'essence et l'existence s'agissant des choses particulières.


Serge
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Messagepar Sinusix » 03 nov. 2008, 19:09

Bonsoir à tous,

Brève parenthèse sur cette "somme" du forum.
Bien qu'il s'agisse d'un détour "scientifique", je me permets de conseiller le site Canadien intitulé "le cerveau à tous les niveaux", dont certains thèmes (il y en a pour tous les niveaux) confortent certains thèmes spinozistes (libre-arbitre, volonté, etc.) et permet de replacer, ce me semble, la "réflexion philosophique" sur certains rails.
Amicalement

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Messagepar bardamu » 03 nov. 2008, 20:05

sescho a écrit :(...) Or ce qu'elle indique en particulier c'est que cela doit être commun à tous les hommes (les sages) - ce qui exclut de parler de singulier en tant que singulier - (...)

Bonjour Serge,
Je pense voir ce que tu veux dire par là, mais ce n'est pas parce qu'un point appartient à une ligne qu'on ne peut parler que de ligne. C'est même parfois par un point que se comprend une dynamique, une ligne.
Ce qui est exclu c'est de sortir le point de la ligne mais pas d'en déterminer les caractéristiques. Ce qui est commun à tous les sages c'est aussi de voir les singularités et la leur propre.
Quand en un point un système bifurque vers quelque chose plutôt qu'autre chose, on a des lignes de causes et d'effets, des enchaînements nécessaires. C'est comme cela que dans l'unité de la Nature une ligne "Cheval" peut se distinguer d'une ligne "Humain", que sur une ligne "Humain" peuvent se distinguer des lignes individuelles etc. pour l'infinité de parties composant les choses, chacune ayant sa communauté d'affects et d'essence, et sa différence d'affects et d'essence par rapport à l'autre.
Image
Le sage sait sur quelle branche il est, il ne joue pas au cheval ni ne joue au sage d'à côté, tout en sachant que tout est porté par la même vie.

P.S. : cette image est produite par un "jeu du chaos" de Michael Barnsley. Un petit algorithme donne parfois d'étonnantes choses.

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Messagepar sescho » 03 nov. 2008, 20:54

bardamu a écrit :... Le sage sait sur quelle branche il est, il ne joue pas au cheval ni ne joue au sage d'à côté, tout en sachant que tout est porté par la même vie.

La loi de la sagesse est commune à tous les hommes, et de l'ordre de l'éternel. Comme les notions de base du raisonnement sont communes à tous les hommes. C'est cela qui importe, c'est cela que nous montre Spinoza et il le dit clairement. Le sage ne joue à rien, il est. Et il est comme le sage d'à-côté : ils voient exactement les mêmes choses éternelles : Dieu et sa manifestation autant qu'accessible à l'esprit humain. Sinon, pourquoi écrire, pourquoi publier l'Ethique, pourquoi en discuter ? Le reste ne sont que des circonstances, de la mémoire qui en découle, etc., fruits du mouvement. Ces circonstances n'ont rien à voir avec notre essence, qui est la vertu, la connaissance claire et distincte, qui est commune à tous les hommes en principe, et chez les sages de fait.

Pour moi, la déification des choses singulières en tant exclusivement que singulières, ne pas comprendre que les hommes ont l'essentiel de leur essence en commun (c'est donc la même pour une part extrêmement significative) c'est purement et simplement contraire à l'esprit de Spinoza, à le démarche de l'Ethique et au bon sens.

Quelques extraits entre autres (rappelant que la connaissance claire et distincte est la vertu, l'atteinte de l'essence réellement propre pour la part accessible, et qu'elle est amenée par le raisonnement) :

Spinoza a écrit :E2P18S : ... cet autre enchaînement des idées qui se produit suivant l’ordre de l’entendement, d’une manière identique pour tous les hommes, et par lequel nous percevons les choses dans leurs causes premières. ....

E3P55S : Lors donc que nous avons dit, dans le Schol. de la Propos. 52, partie 3, que notre vénération pour un homme vient de ce que nous admirons sa prudence, sa force d’âme, etc., il est bien entendu (et cela résulte de la Propos. elle-même) que nous nous représentons alors ces vertus, non pas comme communes à l’espèce humaine, mais comme des qualités exclusivement propres à celui que nous vénérons ; et de là vient que nous ne les lui envions pas plus que nous ne faisons la hauteur aux arbres et la force aux lions.

E4P36 : Le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu leur est commun à tous, et ainsi tous en peuvent également jouir.

Démonstration : Agir par vertu, c’est agir sous la conduite de la raison (par la Propos. 24, part. 4), et tout l’effort des actions que la raison dirige ne va qu’à un seul objet qui est de comprendre (par la Propos. 26, part. 4), et conséquemment (par la propos. 28, part. 4), le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu c’est de connaître Dieu, c’est-à-dire (par la Propos. 47, part. 2, et son Schol.) un bien qui est commun à tous les hommes, et que tous, en tant qu’ils ont même nature, peuvent également posséder.

Scholie : On m’adressera peut-être cette question : Si le souverain bien de ceux qui suivent la vertu n’était pas commun à tous, ne s’ensuivrait-il pas, comme plus haut (par la Propos. 25, part. 4), que les hommes, en tant qu’ils vivent suivant la raison, c’est-à-dire (par la Propos. 35, part. 4), en tant qu’ils sont en conformité parfaite de nature, sont contraires les uns aux autres ? Je réponds à cela que ce n’est point par accident, mais par la nature même de la raison, que le souverain bien des hommes leur est commun à tous. Le souverain bien, en effet, est de l’essence même de l’homme en tant que raisonnable, et l’homme ne pourrait exister ni être conçu s’il n’avait pas la puissance de jouir de ce bien souverain, puisqu’il appartient à l’essence de l’âme humaine (par la Propos. 47, Part. 2) d’avoir une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu.

E5P20 : Cet amour de Dieu ne peut être souillé par aucun sentiment d’envie ni de jalousie, et il est entretenu en nous avec d’autant plus de force que nous nous représentons un plus grand nombre d’hommes comme unis avec Dieu de ce même lien d’amour.

Démonstration : Cet amour de Dieu est le bien le plus élevé que puisse désirer une âme que la raison gouverne (par la Propos. 28, part. 4) ; il est commun à tous les hommes (par la Propos. 36, part. 4), et nous désirons que tous nos semblables en jouissent (par la Propos. 37, part. 4) ; par conséquent (en vertu de la Défin. 23 des passions), il ne peut être souillé d’aucun mélange d’envie ni de jalousie (par la Propos. 18, part. 5, et la Défin. de la jalousie qui se trouve au Schol. de la Propos. 35, part. 3) ; au contraire (par la Propos. 31, part. 3), cet amour de Dieu doit être entretenu en nous avec d’autant plus de force, que nous imaginons un plus grand nombre d’hommes jouissant du bonheur qu’il procure. C. Q. F. D.

E5P42S : J’ai épuisé tout ce que je m’étais proposé d’expliquer touchant la puissance de l’âme sur ses passions et la liberté de l’homme. Les principes que j’ai établis font voir clairement l’excellence du sage et sa supériorité sur l’ignorant que l’aveugle passion conduit. Celui-ci, outre qu’il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l’âme, vit dans l’oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c’est cesser d’être. Au contraire, l’âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être ; et la véritable paix de l’âme, il la possède pour toujours. ...

TTP1 : ... les choses que nous savons par la lumière naturelle dépendent entièrement de la connaissance de Dieu et de ses éternels décrets ; mais comme cette connaissance naturelle, appuyée sur les communs fondements de la raison des hommes, leur est commune à tous, le vulgaire en fait moins de cas ; le vulgaire, en effet, court toujours aux choses rares et surnaturelles, et il dédaigne les dons que la nature a faits à tous. ...

Mais quoique l’âme de Dieu et ses éternels desseins soient gravés aussi dans notre âme, et que nous percevions en ce sens l’âme de Dieu (pour parler comme l’Écriture), cependant, comme la connaissance naturelle est commune à tous les hommes, elle a moins de prix à leurs yeux, ainsi que nous l’avons déjà expliqué ; surtout aux yeux des Hébreux, qui se vantaient d’être au-dessus du reste des mortels, et méprisaient, en conséquence, les autres hommes et la science qui leur était commune avec eux. ...

TTP3 : ... Pour cela, je pose en principe que les objets que nous pouvons désirer honnêtement se rapportent à ces trois fondamentaux : connaître les choses par leurs causes premières, dompter nos passions ou acquérir l’habitude de la vertu, vivre en sécurité et en bonne santé. Les moyens qui servent directement à obtenir les deux premiers biens, et qui en peuvent être considérés comme les causes prochaines et efficientes, sont contenus dans la nature humaine, de telle sorte que l’acquisition de ces biens dépend principalement de notre seule puissance, je veux dire des seules lois de la nature humaine ; et par cette raison il est clair que ces biens ne sont propres à aucune nation, mais qu’ils sont communs à tout le genre humain, à moins qu’on ne s’imagine que la nature a produit autrefois différentes espèces d’hommes. ...

Si nous considérons maintenant avec attention la nature de la loi divine naturelle, telle que nous l’avons définie tout à l’heure, nous reconnaîtrons : 1° qu’elle est universelle, c’est-à-dire commune à tous les hommes ; nous l’avons déduite en effet de la nature humaine prise dans sa généralité...



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Messagepar hokousai » 04 nov. 2008, 00:06

à Serge

Bon ; quelque part, c'est quelque chose d'irréductible, me semble-t-il. Mais aussi de très relativisé ("balancé") par la conscience claire des choses.


non non !! il a moi et le non moi . Je veux bien qu 'on y pense plus (ou qu' on en parle plus ...et qu'on parle d'autre choses ), mais pas qu'on relativise , parce que ce n'est pas relativisable .

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Messagepar bardamu » 04 nov. 2008, 21:23

sescho a écrit :
bardamu a écrit :... Le sage sait sur quelle branche il est, il ne joue pas au cheval ni ne joue au sage d'à côté, tout en sachant que tout est porté par la même vie.

La loi de la sagesse est commune à tous les hommes, et de l'ordre de l'éternel. Comme les notions de base du raisonnement sont communes à tous les hommes. C'est cela qui importe, c'est cela que nous montre Spinoza et il le dit clairement. Le sage ne joue à rien, il est. Et il est comme le sage d'à-côté : ils voient exactement les mêmes choses éternelles : Dieu et sa manifestation autant qu'accessible à l'esprit humain. Sinon, pourquoi écrire, pourquoi publier l'Ethique, pourquoi en discuter ? Le reste ne sont que des circonstances, de la mémoire qui en découle, etc., fruits du mouvement. Ces circonstances n'ont rien à voir avec notre essence, qui est la vertu, la connaissance claire et distincte, qui est commune à tous les hommes en principe, et chez les sages de fait.

Pour moi, le plus important est que la rationalité commune exige l'entendement singulier, exige que le sage X sache qu'il n'est pas le sage Y, que chacun a ses déterminations, que la sagesse de l'aveugle n'est pas celle du voyant, que ces traits là sont tout aussi éternels que le reste, que leur compréhension sont tout autant des expressions de vertus. Question de vie ou de mort quand il s'agit de traverser la rue.

Une loi éternelle est que de Dieu découle nécessairement une infinité de choses infiniment modifiés, que Dieu n'est pas à proprement parler cause éloignée des choses particulières, et que si l'Ethique indique ces lois, c'est à chacun d'en voir la réalité vivante dans son existence même, auprès des choses mêmes.
L'Ethique est moins pour moi un traité à apprendre, qu'une voie à comprendre et à vivre. La connaissance claire et distincte n'est pas écrite dans les mots de l'Ethique, elle se produit éventuellement dans tel ou tel esprit confronté dans sa vie à l'Ethique. Si on discute de l'Ethique, c'est justement que les mots ne produisent pas chez tous les mêmes idées, que la seule vérité objective qui leur correspondait était dans l'esprit de Spinoza et qu'il est mort. Aujourd'hui, chacun construit quelque chose à partir de l'Ethique et de sa vie.
Je ne crois pas plus qu'une sagesse universelle "moyenne" soit la fin de l'Ethique que je ne crois à la vérité objective d'un texte, d'un ensemble de signes (désolé, Louisa...). A chacun son entendement, à chacun sa place, à chacun son optique, et à Dieu tous les entendements, toutes les places, toutes les optiques.

A nouveau : admettre une infinité de singularité n'est pas nier ce qu'elles partagent, c'est dépasser le commun pour atteindre ce qui correspond au mieux à une vie particulière.
Dans la montagne, il y a des sommets, pourquoi s'arrêter en chemin ?

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