Le sentiment même de soi II

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 03 déc. 2008, 23:52

à Louisa

Les principes d'une science rationnelle sont appelées chez Spinoza "notions communes", mais pour autant que je sache il ne dit jamais que nous les connaissons par "intuition"



il ne dit pas que nous les déduisions par raisonnement et démonstrations .

Tous les corps conviennent en certaines choses . Cette convenance nous est données nous avons à la recueillir. Nous n'avons même pas la possibilité d 'y renoncer . La convenance des choses produit les notions communes sans que nous ayons à les extraire par raisonnement . Elles sont donc intuitivement connues ( à mon avis ).

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Louisa
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Messagepar Louisa » 04 déc. 2008, 00:47

Hokousai a écrit :
louisa a écrit :Les principes d'une science rationnelle sont appelées chez Spinoza "notions communes", mais pour autant que je sache il ne dit jamais que nous les connaissons par "intuition"


il ne dit pas que nous les déduisions par raisonnement et démonstrations .

Tous les corps conviennent en certaines choses . Cette convenance nous est données nous avons à la recueillir. Nous n'avons même pas la possibilité d 'y renoncer . La convenance des choses produit les notions communes sans que nous ayons à les extraire par raisonnement . Elles sont donc intuitivement connues ( à mon avis ).


oui on peut certainement dire cela, le problème n'est pas que ce serait faux absolument parlant.

Le problème est plutôt qu'il me semble que chez Spinoza le mot "intuition" est un mot "technique", c'est-à-dire a reçu un sens qui n'est plus vraiment celui du sens commun, et cela parce que la connaissance intuitive n'y est pas juste une connaissance qui ne se démontre pas, c'est une connaissance qui déduit de l'essence des attribut l'essence des choses.

On peut bien sûr essayer de ramener cette définition à ce que d'habitude on pense toujours déjà, mais je crois qu'il est beaucoup plus exigeant et intéressant d'essayer de reconstruire le sens qu'il faut lui donner en tenant compte de l'usage que Spinoza fait lui-même du mot "intuition" (et d'autre part en tenant compte du fait que l'expression "connaissance intuitive" au XVIIe siècle n'était pas nouveau mais se situait dans une tradition philosophique où là aussi on désigne quelque chose de beaucoup plus spécifique et précis que juste l'idée d'une connaissance non démontrée ... d'ailleurs je crois que c'est Sescho qui un jour a déjà attiré notre attention sur le fait que dans la définition même du troisième genre de connaissance, il y a le mot "déduction", ce qui est tout à fait étrange s'il doit s'agir d'une connaissance indémontrable). Puis il y a aussi le fait que dans le spinozisme c'est par ce genre "d'intuitions" qu'on acquiert la Liberté humaine, le salut, la béatitude ou Joie suprême. Cela aussi nous oblige, me semble-t-il, à concevoir autrement le mot "intuition" que ce qu'on fait d'ordinaire (car dans la vie courante, nos intuitions ne sont pas forcément ce qui procure par définition le plus grand bonheur).
L.

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Messagepar Louisa » 04 déc. 2008, 03:08

Bardamu a écrit :
louisa a écrit :(...) Si l'on veut prendre l'interfécondité comme critère, alors trouver la définition consiste à trouver ce qui est la différence spécifique de l'Homo sapiens par rapport aux trois autres espèces d'Homo. Mais pourquoi ce critère serait-il le seul valide, ou le plus valide, lorsqu'il s'agit d'une essence?(...)


Bonjour Louisa,
je crois que Sinusix a suffisamment précisé sa pensée dans son dernier message pour qu'on voit de quoi il parle.
L'interfécondité peut, par exemple, caractériser une certaine population d'êtres qui tend à se conserver, une lignée.
Les rapports corporels au niveau d'une personne peuvent être étendus à un ensemble d'êtres qui conviennent ensemble au niveau inter-générationnel.


Bonjour Bardamu,
certes, l'interfécondité peut être conçue ainsi. Mais pour l'instant je ne vois pas très bien en quoi cette conception serait spinoziste. Tout ce qui persévère dans son être doit avoir une essence, je suppose qu'on est d'accord là-dessus. Mais cette essence est-elle singulière (propre à cet être ou Individu) ou générale (propre à plusieurs Individus)?
Supposons qu'une population puisse être un Individu au sens de la définition des lemmes (j'aurais tendance à croire que cela n'est pas possible; un peuple peut à la limite être un Individu, ayant une puissance propre, mais une population purement "biologique" ... ?) L'essence de cet Individu serait-elle générale? A mon avis tout commence par la définition 2 de l'E2, qui exclut toute "généralité". L'essence de l'Individu que serait l'humanité doit donc elle aussi être singulière, c'est-à-dire n'est l'essence que de l'ensemble, et non pas de chaque individu qui en fait partie. Tout comme mon essence singulière est mon essence à moi, différente de l'essence de par exemple mes poumons.

Le problème avec l'idée de prendre ce qui se caractérise par une interfécondité comme ce qui a une essence "commune", est à mon sens double:
1. on définit l'essence des individus par ce qu'ils ont en commun, ce qui est incompatible avec l'E2 Définition 2, donc l'interfécondité ne peut pas constituer l'essence de tel ou tel homme
2. l'interfécondité permet non seulement de définir, dans ce cas (donc lorsqu'on l'utilise pour définir l'essence d'une espèce), l'espèce humaine, mais elle définit d'autres espèces encore. L'interfécondité n'est donc pas une propriété "propre" à l'espèce humaine, elle est commune a toute espèce. Donc elle ne peut pas constituer l'essence de telle ou telle espèce.

Bardamu a écrit :En fait, il ne faut pas forcément penser que toute évocation d'espèce ou de genre est contraire à celle d'essence, dès lors que ce qu'on entend par espèce ou genre est une communauté réelle.


c'est précisément cela mon problème: comment concevoir l'essence comme ce qui désigne une communauté réelle lorsque l'E2P37 dit que ce qui est commun ne peut constituer une essence?

Bardamu a écrit : Tu sembles prendre d'emblée ces évocations comme celle de Transcendantaux mais il ne faut pas oublier la lettre 32 où Spinoza explique comment peut se constituer un emboîtement d'"individus" d'une particule de sang à la Nature entière. Le rapport entre Tout et partie dépendra du point de vue.


oui en effet, mais dire que toute essence est singulière signifie seulement que pour chaque Individu il faut une essence constituée que de ce qui appartient à cet Individu et à aucun autre Individu. Cet Individu peut bien sûr être composé de multiples autres Individus. Cela implique juste que tous ces Individus auront une essence singulière, différente des autres et de celle du tout qu'ils composent. C'est pour la même raison que je crois que Spinoza peut dire que l'être de la substance n'appartient pas à l'essence de l'homme (ou de n'importe quelle chose singulière): l'essence divine est une autre essence que l'essence de tel ou tel mode. Elles sont constituées différemment, et n'ont rien en commun.

Bardamu a écrit :Même si Kupiec, Sonigo et al., ont une conception qui se rapproche plus de Spinoza que l'interprétation "informatique" d'un "code génétique", interprétation déjà contesté dans les années 70 (cf Atlan), en poussant trop loin les aspects compétitifs de leur "endodarwinisme" ils risquent l'abandon de toute idée de détermination explicite d'un être fini, c'est-à-dire la connaissance de son essence.


en fait, je crois que si Kupiec et Sonigo ne parlent jamais d'"essence", ce ne pas seulement parce qu'en sciences on n'en parle jamais (comment prouver quelque chose par rapport à une "essence" ...?), mais aussi parce que ce qu'ils proposent me semble être assez proche de ce qu'on dit parfois du spinozisme deleuzien: Deleuze (dans sa propre philosophie) n'aurait jamais vraiment compris le troisième genre, et aurait donc défendu un "spinozisme tronqué", pour lequel les rapports eux-mêmes définissent les Individus, au lieu de simplement exprimer telle ou telle essence singulière. On élimine donc le niveau de l'essence, pour n'accepter comme réel que les rapports. Comme le dit le quart de couverture de L'origine des individus de Kupiec: "L'ontophylogenèse détruit la conception d'un individu qui n'existerait que par sa détermination interne et lui substitue celle d'un individu existant par la relation à ce qui lui est extérieur". Cela ne veut pas dire que l'on abandonne toute détermination de l'être fini. A mon sens cela signifie seulement que cette détermination sera l'effet de rapport entre la chose et les choses extérieures. La singularité est alors la combinaison unique d'influences ou de "lignes de force" externes. On n'a plus besoin de penser une essence (une entité éternelle) qui serait le "support" que cet être fini exprimerait, on enlève la dernière couche "métaphysique" pour rendre les êtres finis entièrement à leurs déterminations concrètes.

De prime abord, cela ressemble à la lecture de Spinoza que nous propose Sescho, puisqu'il n'y a plus d'essences singulières. Mais je crois qu'au fond c'est très différent. Sescho semble ne reconnaître comme "être fini" que ce qui est le résultat de forces extérieures, mais il maintient l'idée d'essence, et il ne lui accorde une réalité que dans le cas de choses générales. Kupiec abandonne l'idée d'essence, et ne donne de réalité non seulement uniquement aux choses individuelles (nominalisme), mais aussi uniquement à ce qui est le résultat de forces extérieures. Ici ce qui est externe peut constituer une intériorité autonome, tandis que chez Sescho non. En même temps, tout Individu étant constitué par des choses externes, on obtient un "monisme" tel que le définit Russell et qui s'oppose à un atomisme des essences singulières. Spinoza dit clairement qu'on ne pourra jamais connaître la chaîne des causes qui ont donné lieu à tel ou tel Individu singulier, mais qu'on peut en revanche connaître, par connaissance intuitive, son essence singulière. Kupiec dit plutôt que la seule connaissance possible de la singularité de la chose, c'est la connaissance de l'ensemble de ces causes. Ces causes sont équivalentes à des déterminations, donc on garde l'idée d'un être fini connaissable, mais il n'est jamais entièrement connaissable. Il n'est connu que dans la mesure où nous connaissons telle ou telle "force externe" qui le constitue.

Bardamu a écrit :Si l'ADN n'est pas suffisant à expliquer l'ontogénèse, il est suffisant pour distinguer précisément des populations, ce qui autorise leur définition selon cette modalité génétique qui, au moins partiellement, intériorise au niveau des générations des effets écosystèmiques (déviation-sélection). Il y a légitimité à définir la communauté "espèce humaine génétique" ou la communauté "espèce chevaline génétique" dès lors qu'on a un facteur discriminant qui soit sûr. Il ne s'agit pas de l'application d'une distinction arbitraire basé sur de vagues ressemblances (baleine = poisson chez Aristote), il s'agit du constat d'une distinction réelle sur un point physique particulier réel qui traduit univoquement des divergences-convergences entres lignées réelles. Quand les généticiens créent des lignées pures de rats sur un caractère phénotypique dont un gène est condition sine qua non, difficile de leur dire qu'il n'y a pas de déterminisme génétique même si son expression n'est pas forcément simple.


oui, tout à fait d'accord. Mais pour moi la question n'est pas vraiment là, la question est plutôt de savoir si une propriété commune à tous les hommes peut constituer une essence au sens spinoziste du terme, c'est-à-dire en respectant le fait que ce qui constitue une essence d'une chose jamais ne peut constituer l'essence d'une autre chose.

Bardamu a écrit :Si par définition le commun ne définit pas le singulier et donc les propriétés communes ne définissent pas une essence singulière, il faut malgré tout un facteur discriminant qui établira en quoi "entre de tels corps il y a union réciproque, et qu'ils constituent dans leur ensemble un seul corps, un individu, qui, par cette union même, se distingue de tous les autres".


y aurait-il une "union de corps" entre les individus d'une même espèce? Si oui, l'espèce en tant que telle devrait pouvoir être affectée et affecter. L'humanité est elle parfois affecté? Peut-elle affecter? Le fait de pouvoir produire des enfants non stériles (qui n'est qu'une possibilité, pas une réalité, au sens où chaque homme ne va pas produire réellement des enfants chez chaque femme) pourrait-il définir un Individu? Pour moi cette idée est très étrange. Ou disons que si l'on veut définir l'humanité par l'interfécondité, donc par une propriété commune, et si l'on accepte de dire que justement, on ne peut pas définir une essence par une propriété commune, il me semble qu'on aboutit à une contradiction dont je ne vois pas très bien comment la résoudre.

Bardamu a écrit :Pour ma part, je suis circonspect sur le caractère "spinoziste" d'une qualification physique des êtres, c'est-à-dire sur la question de savoir si le salut de l'homme, la béatitude, dépend de nos capacités de caractérisation de "mouvements et de repos". Je trouve légitime qu'un généticien veuille définir l'"individu-espèce Homo Sapiens" sur la définition claire des effets discriminants de tel ou tel locus génomique ou que Kupiec et Sonigo veuillent le faire en prenant en compte les rapports d'imbrication aux niveaux moléculaire-cellulaire-organique-environnementaux, mais je préfère qu'on détermine plus simplement l'humanité par un rapport à la raison, une puissance de penser, un type d'affects, sachant que cette capacité aura de toute manière un correspondant physique.


en tout cas, dans le spinozisme la connaissance des essences ne peut faire l'objet d'une connaissance rationnelle, scientifique. Aucune science ne pourra donc "définir" tel ou tel homme, et si la biologie utilise le concept d'espèce, ce n'est pas une définition au sens spinoziste du terme, mais juste une façon, pour les humains, de classifier les êtres vivants. Cela n'empêche que pour connaître les hommes, il faut connaître leur Corps, mais à mon sens ce type de connaissance "scientifique" ne nous donne accès qu'à ce que tous les Corps humains ont en commun, et donc non pas à l'essence singulière de tel ou tel homme.

Bardamu a écrit :On "humanise" le loup en en faisant un chien, c'est-à-dire que les rapports qui s'effectuent avec l'humain tendent à la convergence et là-dessus, la détermination par la connaissance du physique n'est pas forcément sensée.


oui en effet. Mais cette "humanité" définie par la raison, existerait-elle réellement, ou ne serait-ce qu'une définition qui fait partie du "modèle" que l'entendement humain forme (dans le spinozisme) de la nature humaine? A mon avis d'un point de vue spinoziste il faut dire que "la raison" est une propriété commune des hommes, donc ne constitue l'essence d'aucun homme.

Bardamu a écrit :Quand Spinoza dit "Le cheval et l'homme obéissent tous deux à l'appétit de la génération, mais chez celui-là, l'appétit est tout animal ; chez celui-ci, il a le caractère d'un penchant humain", il caractérise des rapports qui ne conviendraient pas entre les 2 groupes : ce n'est pas sur les mêmes déterminants que l'appétit de génération se produisent au sein de la communauté chevaline et au sein de la communauté humaine, et de même chaque couple humain est différent du voisin.
"Faire couple", "faire troupeau", "faire société", "faire espèce" etc. sont des processus qui déterminent par convenance de corps et d'esprit des individus de niveau supérieur à la personne. Individualiser, c'est dans le même temps déterminer le facteur de convenance entre parties qui déterminera le facteur de singularité par rapport aux autres individus.


oui, là-dessus j'aurais plutôt tendance à être d'accord. Mais est-ce que cela implique pour toi qu'il y aurait des essences d'espèce? Si oui, pourquoi plus précisément?

Bardamu a écrit :A y réfléchissant, je dirais pour synthétiser :

les propriétés communes d'espèce ou de genre, c'est-à-dire des traits caractérisant une communauté, expriment l'essence singulière d'un individu qui est la communauté. Ou en sens inverse : chaque individu en tant que partie d'une communauté enveloppe l'essence singulière de l'individu "communauté".


que chaque individu enveloppe l'essence de l'individu dont il fait partie ne me pose pas de problème. Mais comment dire qu'une essence singulière peut être définie par des propriétés communes à ses "parties"? Si l'on supprime une de ces parties, les propriétés communes continueront à exister. A mon sens, si l'on tient compte de la définition 2 de l'E2, c'est cela même qui fait que ces propriétés ne peuvent constituer aucune essence.

Bardamu a écrit :C'est ainsi que chaque attribut exprime une essence éternelle singulière et en même temps "fait communauté" pour ses modes qui l'enveloppent tous, c'est-à-dire qui ne peuvent se concevoir sans lui.


oui en effet, mais ce qui constitue une essence à mon avis n'est pas ce qui est enveloppé par une chose ou une essence. Chaque mode enveloppe le concept de son attribut (et déjà pas l'attribut en tant que tel!). Mais où Spinoza dirait-il que l'attribut définirait ou constituerait l'essence singulière du mode? L'être de la substance, donc l'être d'un attribut, ne constitue en tout cas pas l'essence d'un mode (E2P10). Bien sûr, aucun mode ne peut se concevoir sans l'attribut, mais cela ne correspond qu'à la première condition de ce qui par la définition 2 de l'E2 constitue une essence. Or pour pouvoir constituer une essence, il faut aussi satisfaire à la deuxième condition, qui implique que ce qui constitue une essence ne peut être conçue sans la chose dont il constitue l'essence. C'est cela qui élimine toute "généralité" de l'essence, il me semble. C'est cela qui fait qu'un attribut ne peut constituer l'essence d'une chose singulière, puisqu'il est évident que les attributs se conçoivent par soi, et non pas par tel ou tel mode.
L.

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Messagepar Sinusix » 04 déc. 2008, 16:16

Louisa a écrit :
Sinusix a écrit :Pour les besoins de la chose, je me permets de faire un retour en arrière "scolaire" en empruntant à Lucien Sève (Une introduction à la philosophie marxiste) quelques truismes.
La consistance véritable des choses se situe au delà de ce qu'en reflète la connaissance sensible, et ne peut être atteinte que par une connaissance d'un autre ordre : celle non plus des sens mais de l'intellect (ou entendement selon les traducteurs). La pensée conceptuelle marque donc bien un détachement par rapport à la réalité empirique, c'est-à-dire telle qu'elle m'apparaît dans l'expérience sensible, mais c'est un détachement fécond, car par ce détour elle saisit, semble-t-il, au sein de l'existence sensible encore confuse et superficielle une réalité intelligible plus précise et plus profonde : son essence. Puisque les sens nous trompent, on ne peut atteindre les choses sans s'élever à l'intelligence de leur essence.
Je m'arrêterai donc à ce simple niveau, qui hante plus de deux mille ans de réflexion, à savoir la distinction entre existence sensible et essence intelligible.


Bonjour Sinusix,
à mon sens, cette conception du sensible et de l'intelligible est avant tout une conception parmi d'autres, conception qui comme toute idée humaine ne hante que ceux qui y adhèrent. Spinoza me semble précisément être un excellent exemple du fait que l'on peut tout aussi bien penser les choses fort différemment. Au lieu de mettre l'essence dans l'intelligible (ou dans le spirituel, ou dans la pensée), et l'existence dans le sensible (ou dans le corporel), Spinoza nous offre l'occasion de penser les choses radicalemen différemment: une chose singulière a aussi bien une essence objective (= idée, appartenant à l'attribut de la Pensée) qu'une essence formelle (= par exemple le corps, appartenant à l'attribut de l'Etendue). Les deux, essence objective ou idée ou Esprit, et essence fomelle ou Corps, expriment exactement la même chose (res) singulière.
Bref, à mon sens il faut être très prudent lorsqu'on lit un philosophe, car on a tous tendance à supposer que les idées dont on ne doute pas soi-même sont également défendues par le philosophe en question, tandis que lire de la philosophie de manière philosophique permet précisément de se rendre compte du fait qu'absence de doute ne signifie pas encore vérité, qu'il y a un tas d'autres manières de penser possibles, et tout aussi indémontrables que ce que l'on tient aujourd'hui communément pour vrai.
Si vous croyez que les essences chez Spinoza ne sont "que" des idées, et n'existeraient pas en dehors de l'entendement humain, sur quels passages du texte vous basez-vous, et comment en déduisez-vous cette hypothèse interprétative?
Enfin, si vous préférez passer à un autre sujet de discussion au lieu de prolonger cette réflexion-ci, en ce qui me concerne il n'y a pas de problème. Dans ce cas merci de vos remarques!
Amicalement,
L.

Louisa, bonjour
Je vais effectivement stopper là car votre dernière analyse ne me (nous) permet décidément pas de progresser. J'ai laissé le seul extrait suivant de notre échange qui, de mon point de vue, résume les difficultés du dialogue avec vous. D'abord, quelle expérience personnelle miraculeuse vous aurait permis de sortir du couple magique sensible/intelligible, qui n'est pour moi qu'une forme vulgarisée de Etendue/Pensée ? En quoi Spinoza est-il sorti de ce schéma du ressenti humain, sinon pour en asseoir le fondement sur autre chose que des chimères de la religion ?
Or donc :
1/ Mon développement, et votre réponse, proposés à un lycéen comme lecture critique comparative de pure "analyse de texte questions/réponses" montrerait que vous répondez presque systématiquement en la déformant à la pensée de votre interlocuteur, en l'occurrence moi, ce qui renforce a contrario la soi-disant base logique spinoziste de votre argumentaire ;
2/ Vous vous appliquez, de monpoint de vue, avec moins de rigueur les préceptes philosophiques que vous me conseillez de suivre.
Un seul exemple donc tiré de ci-dessus.
D'où pouvez-vous tirer que je réduis l'essence chez Spinoza à des "idées". A aucun moment mon propos n'est tel. En revanche, d'où tirez-vous vous-même que : une chose singulière a aussi bien une essence objective (= idée, appartenant à l'attribut de la Pensée) qu'une essence formelle (= par exemple le corps, appartenant à l'attribut de l'Etendue).
Ce n'est pas ce que je dis, ni ce que dit, pour votre lecture apparente, E2P8, que je cite : les idéesdes choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenues dans les attributs de Dieu.. Le texte du scolie suivant assimile les idées évoquées ci-dessus à l'être objectif des choses singulières, c'est-à-dire, à mon sens, à leur essence objective.
Autrement dit, il y a bien une essence formelle, laquelle caractérise, ou singularise, si vous préférez, la réalité de la chose ou de l'étant concerné, ontologiquement parlant, c'est-à-dire incluant la totalité des attributs (les deux que nous connaissons et l'infinité d'autres que nous ne connaissons pas), et une essence objective, à laquelle seule nous avons accès par l'entendement, donc gnoséologiquement parlant. Si donc, toute réalité a une essence, vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, l'entendement et les vecteurs de l'entendement sont les seuls moyens de connaître et/ou de concevoir la réalité de ladite essence.
C'est bien pourquoi encore je persiste, quand vous me faîtes dire que je ne croirais pas à la réalité des attributs, ce que je n'ai pas dit. Je précise simplement, par rapport à votre lecture de mon point de vue ambiguë, que les attributs n'ont de réalité que gnoséologique (la définition IV est claire ; il se conçoivent par soi, mais ils n'existent paspar soi).
En conséquence, je ne vois pas comment, sur la base de l'ouverture conceptuelle qu'autorise la rédaction de E2Définition2, vous pouvez récuser tous les arguments qui militent pour que l'entendement, avec tous les moyens qui sont les siens permettant d'arriver à des idées adéquates, se fasse une idée précise de ce qui constitue l'essence objective d'une chose singulière, seule connaissance à laquelle il puisse espérer accéder (et parmi ces moyens, les propriétés qui appartiennent, au sens de E2D2, à l'essence de chaque homme en tant que ces propriétés, par exemple le langage chez l'homme, contribuent à sa singularité). On pourrait s'amuser à faire d'ailleurs l'exégèse du texte puisque Spinoza utilise le terme de supprimer. Qu'entend-il par supprimer la chose en cas d'absence de ce qui appartient à la chose ? Si on entend qu'il s'agit de la suppression définitive, alors on risque de retomber dans le roman fleuve antérieur puisqu'on peut envisager un homme sourd, muet, aveugle, cul-de-jatte, etc. Est-ce toujours un homme. J'optrais donc plutôt pour la version "intelligente" qui par suppression de la chose entend suppression de la chose telle que définit pas son essence, ce qui relève d'ailleurs un peu de la tautologie.
Et vous ne trouverez dans mon propos rien de contraire à cette recherche, dans le cadre de laquelle certaines de mes explications (l'isomorphisme par exemple), comme je l'avais fait pour E2P8 en son temps, n'ont d'objectif que clarificateur et ne veulent pas ajouter des concepts contradictoires (rien à voir avec la forme), là où il n'y a pas lieu.
Je ne m'étends pas, car toute votre réponse relève du même principe, où vous répondez par un paragraphe de votre codex à des arguments déformés pour la circonstance.
De manière générale et pour ce qui me concerne, l'Ethique n'est pas la Bible et surtout recèle suffisamment de points obscurs ou de contradictions apparentes (relevées par combien de grands spécialistes) pour que, de mon point de vue, nous sachions dépasser les points où, faute des connaissances d'aujourd'hui, Spinoza n'a pu s'exprimer que dans les termes de son temps (voir, par exemple, sa vision dépassée du statut du nombre), et retenir ce qui structure sa pensée, pour ne pas dire sa vision.
Faute de cela, puisque vous préparez semble-t-il quelque chose sur le rapport entre philosophie et sciences, sa pensée risque d'être partiellement emportée par les découvertes philosophiques négatives de la science, chères à Merleau-Ponty.
Amicalement

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Messagepar Louisa » 04 déc. 2008, 19:19

Sinusix a écrit :De manière générale et pour ce qui me concerne, l'Ethique n'est pas la Bible et surtout recèle suffisamment de points obscurs ou de contradictions apparentes (relevées par combien de grands spécialistes) pour que, de mon point de vue, nous sachions dépasser les points où, faute des connaissances d'aujourd'hui, Spinoza n'a pu s'exprimer que dans les termes de son temps (voir, par exemple, sa vision dépassée du statut du nombre), et retenir ce qui structure sa pensée, pour ne pas dire sa vision.


Bonjour Sinusix,

juste une réponse déjà à ceci, une réponse plus détaillée à ce qui précède arrive sous peu. Je vais essayer d'entamer ici ce que je voulais déjà dire à propos d'un de vos messages précédents, celui dont j'avais dit qu'à mon sens il touchait à des choses fondamentales et fort intéressantes mais auxquel je n'avais pas encore répondu.

Dire que l'Ethique n'est pas la Bible peut vouloir dire deux choses:
1. qu'on ne doive pas forcément croire que tout cela est vrai simplement parce que Spinoza l'a dit
2. que la philosophie essaie de nous donner accès au vrai, mais peut parfois se tromper ou être réfutée par des découvertes scientifiques ultérieures.

Si je suis tout à fait d'accord avec le premier point, je ne peux l'être en ce qui concerne le deuxième. Je ne vois pas comment un philosophe, qui ne fait que lire, regarder le plafond, puis écrire, pourrait ainsi nous donner accès à une quelconque vérité "scientifique" sur le monde ou sur la nature. Pour obtenir des vérités sur le monde, il faut (comme le dit d'ailleurs Spinoza lui-même (la référence exacte m'échappe pour le moment)) faire des expériences, créer un laboratoire et des dispositifs expérimentaux, interagir avec la nature pour voir comment elle réagit etc. Tout cela n'a rien à voir avec le travail du philosophe, qui lui n'interagit nullement avec "la nature" mais est un expert dans un tout autre domaine de la connaissance humaine: la spéculation.

Or qu'est-ce que la spéculation? On pourrait prendre ce mot au sens ordinaire du terme, et se dire que spéculer c'est formuler des hypothèses concernant ce dont on n'a pas encore de certitude. Comprise ainsi, la philosophie est bien sûr mise dans le rôle de "servante" de la science: elle essaie de pressentir intuitivement ce que peut-être un jour la science va pouvoir démontrer. On est proche de la "divination", la seule chose qui fait que la spéculation s'en distingue ce sont les moyens employés: en philosophie on essayerait de s'en tenir au "rationnel" tandis que les autres formes de divination utiliseraient des moyens "irrationnels".

Mais je crois que la puissance propre à la philosophie n'a que très peu à voir avec la spéculation conçue de cette manière. Il s'agit bien plutôt de transformer réellement des choses dans le monde, mais seulement ces choses que l'on peut effectivement transformer en lisant - regardant le plafond - écrivant: nos idées.

Nous avons tous reçus, de notre culture (mais aussi de nos lectures) des idées, des opinions plus ou moins communes. Puisque notre entourage en règle générale trouve qu'elles sont évidentes, souvent on ne doute pas de leur vérité. Or il se fait qu'il s'agit d'idées dont la vérité est tout sauf démontrée scientifiquement, et qui dans la plupart des cas ne sont ni démontrables, ni falsifiables. Pourtant, c'est sur elles que nous nous appuyons pour nous orienter dans la vie, pour faire des choix, choix parfois existentiels, ayant des conséquences considérables pour notre vie ou celle des autres. Comment peut-on éviter que ce que nous faisons parfois a des conséquences indésirables mais qui nous semblent être "nécessaires" tandis qu'en réalité les idées sur lesquelles on se base pour faire cela sont tout sauf nécessaires? A mon sens, Platon a voulu répondre à cette question précise en instituant une nouvelle discipline, appelée "philosophie".

Tout grand philosophe peut être reconnu (notamment) par l'écart entre les idées communes et celles qu'il propose. Et c'est en même temps en cela que consiste tout l'intérêt de la philosophie: lire un philosophe tel qu'il le demande, c'est accepter d'apprendre à voir le monde autrement qu'à travers les idées qui nous semblent être évidentes. Par exemple, on a tous l'habitude d'appeler "liberté" le fait de ressentir que régulièrement dans la vie nous avons des choix à faire, choix qui parfois sont déterminant pour le reste de notre vie, et que seuls nous-mêmes on peut faire. Est-ce cela la "vraie" liberté? Si l'on veut à ce sujet obtenir une vérité, il faudra faire un expérience scientifique. Mais quelle expérience pourrait nous dire ce que le mot "liberté" devrait désigner ... ? Aucune (vous penserez peut-être à Libet, et on peut en discuter si vous croyez que là on aurait tout de même une expérience scientifique capable de nous donner une vérité prouvée à ce sujet). Doit-on appeler "libre" celui qui peut choisir (donc hésiter; la liberté comme "condition humaine", comme "propriété essentielle" de chaque homme) ? Ou doit-on appeler "libre" celui qui à un moment x est cause adéquate d'un acte et uniquement à ce moment même? Ou doit-on appeler "libre" celui qui à un moment x parvient à poser un acte qui "exprime toute l'amplitude de son âme" et "intègre toutes les petites perceptions et inclinations" en une seule "inclinaison"? Comment "prouver" quelque chose à ce sujet? Cela est impossible, car il s'agit de choix par rapport au sens que l'on décide de donner aux mots.

L'intérêt d'essayer de comprendre ces différentes conceptions philosophiques de la liberté ne consiste donc pas en la possibilité de pouvoir déterminer quel philosophe serait le plus dans le "vrai", ou quel philosophe aurait le mieux deviné ce que la science dit aujourd'hui. Il consiste bien plutôt dans la compréhension de telle et telle philosophie elles-mêmes. Comprendre en profondeur ce que tel ou tel philosophe a décidé d'appeler "liberté" (ou dans le cas qui nous occupe ici, "essence"), c'est la méthode tout à fait idéale pour pouvoir découvrir quelles idées en nous sont des idées dont on ne doute pas et pourtant dont on n'a aucune preuve, qui pourraient donc très bien être fausse, ou remplacées par d'autres (par exemple par celles proposées par le philosophe qu'on est en train de lire).

L'opposition sensible-intelligible est une excellente illustration de cela: ce couple conceptuel a été proposé par Platon, mais dans le courant de 2500 années de philosophie il a reçu des sens fort différents (et toute une série de philosophes ne l'a tout simplement pas repris, ne voyant pas l'intérêt ou la nécessité de concevoir les choses ainsi). Cela n'empêche qu'aujourd'hui l'opinion commune pense de préférence à partir d'un sens plus ou moins précis de ces deux termes. Du coup, comme le fait toujours l'opinion (au sens platonicien du mot), on s'imagine que ces idées doivent être "vraies". On ne peut même pas s'imaginer que quelqu'un propose réellement ("sincèrement") de penser différemment (si c'est le cas, on va se sentir obligé d'invoquer des "vices" chez la personne qui pense différemment pour essayer d'expliquer son comportement, car seule une malveillance pourrait expliquer une divergence conceptuelle lorsque nos évidences de tous les jours sont en jeu). Or ce faisant on remplace l'idée de vérité comme vérité scientifiquement prouvée par une toute autre idée ou "figure" de la vérité: doit être vrai cette idée qui est la plus "populaire". Si j'ai l'impression que la majorité démocratique pense ainsi, alors cela doit être vrai. Quelqu'un qui vient avec une autre idée, du fait même qu'il est le seul à la proposer, doit forcément être dans le faux.

Le problème avec cette conception de la vérité n'est pas seulement qu'à mes yeux elle rend toute pratique véritablement philosophique impossible, le problème est avant tout qu'ainsi on oublie que nos vérités les plus solides, celles qui ont été scientifiquement démontrées, sont très souvent précisément des idées qui lorsqu'on les a découvertes allaient tout à fait à l'encontre de l'opinion commune. Cela prouve que ce n'est pas parce qu'une majorité pense que X est vrai, que X est réellement vrai. D'ailleurs aussi longtemps qu'on confondait vérité et croyance, les scientifiques risquaient leur vie juste en faisant leur boulot, car peu de gens étaient (et sont) spontanément prêts à accepter que l'opinion commune se trompe.

C'est la raison pour laquelle je disais ci-dessous que je suis tout à fait d'accord pour dire que l'Ethique n'est pas une Bible. En philosophie, il ne s'agit pas de croire, il s'agit de penser, et surtout de mettre en question non propres évidences. Or la philosophie n'est pas une science non plus. Elle ne sait prouver aucune vérité concernant la nature. On ne peut donc attendre d'un philosophe qu'il nous prouve scientifiquement la vérité de ses idées avant de vouloir les prendre au sérieux. Ni religion ou croyance, ni science, sa puissance à elle réside entièrement dans le fait de nous pouvoir faire prendre conscience de la non nécessité de certaines de nos idées, et ainsi nous donner la liberté d'organiser notre vie sur base d'autres idées que celle de l'opinion commune, si l'on peut raisonnablement s'attendre à plus de bonheur en vivant ainsi.

Encore faut-il comprendre en quoi consistent ces nouvelles idées. Si l'on lit un philosophe en y cherchant "du vrai", et si l'on prend ses propres opinions comme "étalon", le risque est grand de ne pas vraiment pouvoir pénétrer telle ou telle philosophie jusqu'au niveau où une profonde remise en question de ses propres idées devient possible, si bien qu'être prêt à suspendre ses idées est une condition tout à fait nécessaire pour pouvoir comprendre en profondeur ce qu'un philosophe écrit.

Et là la vérité revient comme par ricochet. Car si vérité il y a, en philosophie, elle se situe au niveau de l'interprétation ou du commentaire d'un texte. Est-ce que chez Spinoza il y a une ou plusieurs substances? Là il s'agit d'une question par rapport à laquelle une preuve est possible. Cette preuve ne concerne bien sûr que des "idéalités", des idées, tout comme c'est le cas en mathématiques. Il n'en demeure pas moins que la vérité de la thèse "dans le spinozisme il n'y a qu'une seule substance" est parfaitement démontrable. Il suffit de d'abord citer le texte, puis de donner une argumentation déductive se basant sur d'autres "faits" par rapport au texte, et de soumettre cette argumentation à la critique d'autres pour qu'en fin de compte, une argumentation solide et vraie peut être produite, et par là même une interprétation vraie.

Or on sait qu'un philosophie écrit non pas en un langage scientifique, mais se sert principalement d'une langue technique basée sur le lanage ordinaire. Du coup, il ne peut pas être aussi clair que l'est un mathématicien. Qui plus est, chaque lecteur se frayera un chemin dans l'ouvrage en s'appuyant sur ses propres idées et d'autres lectures, et donc aura une interprétation qui de prime abord n'est pas à 100% compréhensible pour d'autres lecteurs. Une grande partie d'un dialogue "rationnel" visant à obtenir de vérités concernant l'interprétation d'un texte philosophique consiste donc inévitablement en la demande de clarification de ce que l'interlocuteur dit ou écrit et en la tentative de clarification de ce qu'on dit soi-même (sur base des questions des autres).

C'est la raison pour laquelle à mon sens il est tout à fait normal que vous constatez que dans mes réponses à vos messages, je donne des objections par rapport à des idées que vous ne pensez pas. Il ne s'agit point de "déformations" de votre pensée, comme si j'avais déjà dès le début accès à votre pensée à vous, simplement en lisant vos mots, et qu'ensuite je déforme (d'ailleurs pour quelle raison est-ce que je m'amuserais à faire cela ... ?). Que je comprenne autre chose quand je vous lis que ce que vous pensiez vous-même quand vous aviez écrit votre message est tout à fait normal, surtout en philosophie. Essayer de comprendre ce que pense l'autre demande déjà tout un travail. Et ce travail a besoin d'être précis. Il faudrait par exemple d'abord citer votre phrase, puis citer mon commentaire de cette phrase, et ensuite montrer en quoi je me trompe et reformuler autrement (maintenant que vous voyez comment j'avais lu cette phrase) ce que vous aviez voulu dire réellement. Si vous dites simplement que j'ai "déformé" votre pensée pour vous en tenir là, alors en effet, le dialogue n'est plus très enrichissant. Car dans ce cas je n'ai aucun moyen de mieux comprendre ce que vous pensez. Je ne sais pas ce qui a pu causer le malentendu ni comment le résoudre.

Puis cette lecture "littérale" vaut bien sûr aussi pour la lecture non plus de ce qu'écrit l'interlocuteur mais le philosophe lui-même. Il ne suffit pas de dire que pour vous l'essence spinoziste est constituée à 90% de propriétés communes, il faut pouvoir déduire cela du texte, et il faut pouvoir démontrer l'E2P37 d'une telle façon que cette hypothèse devient compatible avec ce passage. Ce que pour l'instant vous ne faites pas, vous répétez plutôt que pour vous il est impossible de concevoir le mot "essence" autrement. A partir de ce moment-là, je ne peux bien sûr pas dire que mon analyse de l'E2D2 est vraie, puisque vous ne donnez ni une réfutation ni une confirmation de cette analyse. Je constate juste que pour vous, la conclusion de cette analyse est inconcevable, sans plus. La seule chose que je peux répondre à cela, c'est qu'à mon sens l'intérêt d'une méthode "philosophique" de lire de la philosophie consiste précisément dans le fait qu'appliquer cette méthode de lecture elle-même permet d'apprendre comment concevoir ce qui de prime abord, lorsqu'on s'en tient à ses propres opinions, est inconcevable. Et alors il faut apprendre ce qu'un philosophe comme Etienne Souriau formule beaucoup mieux que moi:

"Il faut donc considérer la philosophie comme entièrement écrite en termes techniques, même lorsqu'elle emploie les mots du langage commun. Ils le deviennent par leur intégration au philosophème, et doivent être interprétés comme tels. (...) Toute philosophie nouvelle comporte une dose de Nouveau Parler, même si les mots prises à part ne semblent pas nouveaux."

Apprendre ce "Nouveau Parler", voici ce que demande à mon avis la lecture philosophique d'un philosophe. C'est là que cela devient assez important d'injecter le moins possible de nouvelles notions (comme "isomorphisme", par exemple), car on n'apprend pas une langue en utilisant des mots d'une autre langue.

Enfin, on pourrait se demander à quoi bon apprendre à parler du "spinozien". Ou du "cartésien", etc. Je crois que dès le début de la philosophie, on s'est dit que les mots ne sont pas innocents, mais nous obligent à penser les choses ainsi et pas autrement. Acquérir une plus grande liberté de penser, pouvoir prendre une distance par rapport à ses propres opinions, cela demande un travail minutieux sur les mots, véhicules de ses opinions et idées. Apprendre le "Nouveau Parler" proposé par tel ou tel philosophe, c'est apprendre en même temps de ne plus s'attacher à ses idées comme on s'attache à sa propre vie, c'est apprendre à tenir compte du caractère indémontrable et peut-être même faux de beaucoup de ses propres "évidences", et apprendre à changer d'idées lorsqu'un problème le demande.

Bref, voici donc ce que je voulais déjà dire à propos d'un de vos messages précédents et à quoi votre comparaison de l'Ethique avec une Bible m'a permis de revenir un instant. Bien sûr, je suppose que vous serez parmi ceux sur ce forum qui ne sont pas d'accord avec ce que je dis ici (Hokousai par exemple reconnaîtra aisément dans tout cela ce que j'ai déjà essayé de lui dire autrement, dans le passé, tandis que ma dernière réponse à Julien_T revenait fondamentalement au même). Pour éviter tout malentendu: la conception de la philosophie que je propose ici n'a pas été inventée par moi-même, elle est revendiquée par un certain nombre de philosophes (contemporains et plus anciens). Mais elle n'est bien évidemment pas la seule possible. Elle est donc discutable, et c'est pour cette raison même que j'ai voulu essayer de l'expliciter. Toute critique est la bienvenue.
Amicalement,
L.
Modifié en dernier par Louisa le 05 déc. 2008, 03:24, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 04 déc. 2008, 22:14

A Louisa

Et bien distinguons connaissance intuitive du troisième genre et connaissance immédiate à tous les niveaux .
Si vous parlez d’ idées données, il y a immanence( non médiatisation )de certaines idées , comme le dit sinusix . Certaines idées de bases sont immanentes , elles fondent les démonstrations possibles . Vous pouvez démontrer le théorème de Pythagore vous ne démontrez pas qu’un triangle rectangle a un angle droit .

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Messagepar bardamu » 05 déc. 2008, 23:48

Bonjour Louisa,
je vais à l'essentiel.
Louisa a écrit :oui, tout à fait d'accord. Mais pour moi la question n'est pas vraiment là, la question est plutôt de savoir si une propriété commune à tous les hommes peut constituer une essence au sens spinoziste du terme, c'est-à-dire en respectant le fait que ce qui constitue une essence d'une chose jamais ne peut constituer l'essence d'une autre chose.

Ou en d'autres termes, est-ce que essence signifie toujours "essence singulière" puisqu'il s'agit de montrer qu'une essence ne peut être définie par du commun.

Reprenons autrement :
E1p8 scolie :
1° La vraie définition d'une chose quelconque n'enveloppe ni n'exprime rien de plus que la nature de la chose définie.
2° Il suit de là qu'aucune définition n'enveloppe ni n'exprime un nombre déterminé d'individus, puisqu'elle n'exprime rien de plus que la nature de la chose définie. Par exemple, la définition du triangle n'exprime rien de plus que la simple nature du triangle ; elle n'exprime pas un certain nombre déterminé de triangles.


On voit bien (j'espère...) que Spinoza tend à définir toute chose du point de vue d'une singularité et donc qu'essence, pour autant qu'on juge que c'est équivalent à "nature de la chose", serait équivalent à "essence singulière".

Maintenant, il faut trouver le moyen de gérer les communautés, les "sociétés communes" (communis societas).
De même qu'un corps est un rapport de mouvement et de repos, et que donc il implique plusieurs "parties" ou composantes pour faire un rapport, n'importe quelle "société commune" peut être définie par son rapport singulier. Telle ou telle Cité sera régie par un certain esprit signalé par ses lois, son organisation interne, ses rapports aux autres cités, ses appétits de conquête ou autre etc. Telle ou telle espèce au sens d'une génétique des populations sera indiquée par une propriété d'interfécondité et il faudra ensuite définir une essence qui correspondra à sa singularité, biologique si on veut faire de la biologie, éthico-comportementale si on fait de l'éthologie, écologique si on s'intéresse à l'impact sur un écosystème etc.

D'autre part, un attribut exprime une essence éternelle et infinie, et c'est par ses modalités que sera prise en compte une multiplicité interne. De même, telle ou telle personne en tant que citoyenne pourrait être vu comme modalité de l'esprit de sa Cité pour autant que les deux sont en accord, qu'ils partagent leurs tendances, leurs appétits etc.

A des êtres complexes produisant des "images" communes, des données sensorielles du 1er genre qui nous font identifier un être sans réflexion pourront correspondre plusieurs essences selon que l'entendement s'oriente vers tel ou tel rapport à/dans la nature. A l'essence de l'homme tel que défini par Spinoza n'appartient certainement pas le chapeau melon qu'on verrait sur un gentleman. Mais après tout, il existe peut-être des clubs d'amateurs de chapeaux melons dont l'essence (des clubs) intègrera un rapport aux chapeaux et dont les membres seront définis comme des modes de l'"être-club-du-chapeau-melon". Il y a peut-être aussi des personnes dont l'essence actuelle fétichiste ou dont l'essence consciemment assumée demande un chapeau melon comme composante pour s'exprimer, après tout, il n'y a pas d'aviateur sans avion...

A vrai dire, je ne vois pas de difficulté à s'accorder sur un moyen de préserver à la fois une idée de communauté et une idée de singularité quelles que soient les divergences de vocabulaire (le "spinozien" n'est pas toujours clair...). Si on ne veut pas parler d'"essence de genre" définie par une propriété commune parlons de l'essence d'une communauté réelle, d'une communauté qui vaudra comme singularité. Est-ce que quelqu'un est en désaccord avec cette idée ?

Au passage, pour une indication sur ma méthode de compréhension d'autrui, au cas où ça pourrait aider (je sens comme une crispation...) :
la nature d'un être est comprise dans les affections qu'il produit en nous et il "suffit" de faire effort pour "dé-construire" et reconstruire cette expression de l'autre en nous pour capter le cheminement de sa pensée, prendre sa position au niveau des connaissances techniques, des intérêts affectifs (l'un est attiré par la communauté de raison, l'autre par la singularité d'existence), des objectifs (certains sont ici en chercheurs universitaires d'autres cherchent une sagesse quotidienne) etc. pour soi-même produire des idées similaires et entendre la petite musique des relations entre êtres singuliers avec ses "accords dissonants".
Il y a alors réduction du désir d'imposer ses idées, de l'exigence qu'il y ait arbitrage, démonstration d'erreur, crainte du faux vu qu'on est dans la saisie de la positivité d'affirmations singulières, sans comparaison, sans jugement, au coeur d'un même mouvement naturel.

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Messagepar Louisa » 05 déc. 2008, 23:55

Sinusix a écrit :Je vais effectivement stopper là car votre dernière analyse ne me (nous) permet décidément pas de progresser. J'ai laissé le seul extrait suivant de notre échange qui, de mon point de vue, résume les difficultés du dialogue avec vous. D'abord, quelle expérience personnelle miraculeuse vous aurait permis de sortir du couple magique sensible/intelligible, qui n'est pour moi qu'une forme vulgarisée de Etendue/Pensée ? En quoi Spinoza est-il sorti de ce schéma du ressenti humain, sinon pour en asseoir le fondement sur autre chose que des chimères de la religion ?


Bonjour Sinusix,
voici une réponse plus détaillée à votre dernier message.
Si vous me demandez quelle expérience personnelle m'a permis de sortir du couple magique sensible/intelligible, la réponse pour moi est simple: l'expérience de la philosophie. L'expérience de philosopher. C'est elle qui m'a appris que diviser toutes nos expériences en expériences sensibles et en expériences intelligibles n'est qu'une façon de les concevoir. Il en existe bien d'autres. Spinoza est pour moi l'un de ces philosophes qui a poussé le plus loin l'abandon de cette dichotomie, lorsque par exemple dans le TIE il dit littéralement que l'idée, ce n'est rien d'autre qu'une "sensation". L'idée est sensation, chez Spinoza. Et comme le dit Pierre-François Moreau dans les entretiens que ce site a le mérite de rendre facilement accessible: au XVIIe, lorsqu'on parlait de "perception", on parlait de "connaissance", donc d'idée. La division sensible-intelligible telle qu'on la conçoit spontanément aujourd'hui n'a rien d'"éternel", c'est une invention conceptuelle telle que l'humanité a pu en faire plein d'autres. Invention tout à fait intéressante, bien sûr, mais invention tout de même, c'est-à-dire tout sauf une idée scientifiquement prouvée. D'ailleurs, lorsque le célèbre neurologue António Damasio écrit son dernier livre, intitulé Spinoza avait raison, il accentue précisément cet aspect du spinozisme, en soulignant que de nombreuses données neurologiques vont plutôt dans le sens d'un parallélisme entre l'esprit et le corps, ce qui signifie que les deux sont une seule et même chose, et ne s'opposent guère. Cela ne veut pas encore dire que le parallélisme est scientifiquement prouvé, cela signifie juste que ce que l'opinion commune aujourd'hui appelle "sensible" et "intelligible" pourrait bien ne pas être fondé du tout, scientifiquement parlant. Et les scientifiques qui travaillent sur ce sujet s'inspirent précisément de Spinoza.

Donc deux choses obligent à mon avis d'accepter le fait que l'idée d'une opposition entre l'intelligible et le sensible telle que vous le présentez ne soit pas très spinoziste:
1. chez Spinoza toute idée est une perception, une sensation
2. la science contemporaine se penche sur le spinozisme précisément pour pouvoir trouver les concepts capables de désamorcer cette opposition.

Sinusix a écrit :Or donc :
1/ Mon développement, et votre réponse, proposés à un lycéen comme lecture critique comparative de pure "analyse de texte questions/réponses" montrerait que vous répondez presque systématiquement en la déformant à la pensée de votre interlocuteur, en l'occurrence moi, ce qui renforce a contrario la soi-disant base logique spinoziste de votre argumentaire ;


comme déjà dit, cela me semble être tout à fait normal que parfois je vous comprends mal, je ne vois pas pourquoi cela aurait un sens de supposer que j'aurais d'emblée compris tout ce que vous écrivez, puis "déformé" votre pensée. Discuter c'est cela aussi: prendre le temps de s'expliquer d'une telle façon que tel ou tel interlocuteur concret à la fin parvient à comprendre ce qu'on essaie de dire.

En matière de spinozisme, comme l'a déjà très bien dit Durtal, l'enjeu consiste précisément à savoir ce qui est spinoziste et ce qui ne l'est pas. Vous dites que chez Spinoza les essences peuvent être en partie (voire majoritairement) constituées de propriétés communes, je dis moi que l'E2D2 et l'E2P37 rendent cela à mon sens impossible. Pour moi, cela est un point de départ excellent d'un débat argumenté. Seulement, il faudra bien qu'on rentre tôt ou tard dans l'argumentation sur base du texte, sinon on ne saura jamais si c'est vous qui vous trompez ou moi qui me trompe. Pour l'instant, vous dites seulement que l'essence doit être composé majoritairement de propriétés communes parce que vous ne doutez pas de la vérité de cette idée. Je ne peux que vous dire que pour moi cela est très bien, mais je m'intéresse avant tout à la question de savoir comment Spinoza a conçu les essences. Pour le savoir, il faut bel et bien retourner au texte, on ne peut pas simplement dire comment on conçoit soi-même l'essence.

Sinusix a écrit :2/ Vous vous appliquez, de monpoint de vue, avec moins de rigueur les préceptes philosophiques que vous me conseillez de suivre.


ah, là-dessus nous sommes absolument d'accord. Je ne me considère point comme une "grande philosophe", je ne suis qu'en train d'apprendre. Par conséquent, non seulement je ne peux pas déjà faire ce qu'à mon sens tout grand philosophe doit faire, il se peut que ma conception même de la philosophie soit erronée. Raison pour laquelle je viens de l'exposer et de demander des objections, si quelqu'un pense ne pas être d'accord.

Sinusix a écrit :Un seul exemple donc tiré de ci-dessus.
D'où pouvez-vous tirer que je réduis l'essence chez Spinoza à des "idées". A aucun moment mon propos n'est tel. En revanche, d'où tirez-vous vous-même que : une chose singulière a aussi bien une essence objective (= idée, appartenant à l'attribut de la Pensée) qu'une essence formelle (= par exemple le corps, appartenant à l'attribut de l'Etendue).


pour la première question: vous avez dit que pour vous les essences ne peuvent pas être "senties", elles doivent être de l'ordre de l'intelligible. Puis vous dites que selon vous le spinozisme est un matérialisme. Du coup, tout ce qui est intelligible, et que vous semblez ranger du côté de l'attribut de la Pensée, perd toute réalité. Seul la matière ou l'attribut de l'Etendue est réel, pas celui de la Pensée. Voici en tout cas comment j'ai pour l'instant compris ce que vous avez écrit. Or il va de soi qu'il se peut que je vous aie mal compris. Dans ce cas je ne peux que vous dire comment je l'ai compris et espérer que vous allez ensuite corriger là où il s'avère qu'il y a des malentendus.

Pour la deuxième question, j'avais déjà mentionné les références précises dans le message en question: TIE B33-36. Si vous n'avez pas le TIE sous la main ou si vous ne trouvez pas les passages en question, n'hésitez pas à me demander de les citer texto.

Sinusix a écrit :Ce n'est pas ce que je dis, ni ce que dit, pour votre lecture apparente, E2P8, que je cite : les idéesdes choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenues dans les attributs de Dieu.. Le texte du scolie suivant assimile les idées évoquées ci-dessus à l'être objectif des choses singulières, c'est-à-dire, à mon sens, à leur essence objective.
Autrement dit, il y a bien une essence formelle, laquelle caractérise, ou singularise, si vous préférez, la réalité de la chose ou de l'étant concerné, ontologiquement parlant, c'est-à-dire incluant la totalité des attributs (les deux que nous connaissons et l'infinité d'autres que nous ne connaissons pas), et une essence objective, à laquelle seule nous avons accès par l'entendement, donc gnoséologiquement parlant. Si donc, toute réalité a une essence, vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, l'entendement et les vecteurs de l'entendement sont les seuls moyens de connaître et/ou de concevoir la réalité de ladite essence.


euh ... oui, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous écrivez ici. Qu'est-ce qui vous a fait penser que je ne le serais pas?

Sinusix a écrit :C'est bien pourquoi encore je persiste, quand vous me faîtes dire que je ne croirais pas à la réalité des attributs, ce que je n'ai pas dit. Je précise simplement, par rapport à votre lecture de mon point de vue ambiguë, que les attributs n'ont de réalité que gnoséologique (la définition IV est claire ; il se conçoivent par soi, mais ils n'existent paspar soi).


il est dommage que vous ne me citiez pas littéralement. Je n'ai pas du tout dit que pour vous il n'y a pas de réalité des attributs dans le spinozisme (et encore moins que vous ne "croiriez" pas à cette réalité, car je considère que les croyances ne se discutent pas, et relèvent du choix privé de chacun). J'ai dit que lorsque vous dites que le spinozisme est un matérialisme, vous enlevez la réalité aux autres attributs, en l'occurrence celui de la Pensée. A mon sens Spinoza dit bien plutôt qu'il y a une infinité d'attributs, qui tous se caractérisent par une puissance donc réalité infinie et autonomie. Je pourrais bien sûr "moraliser" le fait que vous m'interprétiez de façon erronée, et dire que vous "déformez" ma pensée. Mais à quoi bon faire cela? Je ne vois pas en quoi cela pourrait nous faire avancer. Si en revanche vous m'aviez cité, j'aurais pu comprendre en quoi je me suis mal exprimée, j'aurais pu comprendre ce qui vous a donné l'impression que moi je crois que vous croyez que les attributs n'ont pas de réalité. Là il y a à mon sens une possibilité réelle de mieux se comprendre. Ensuite, il faudrait qu'on retourne au texte, pour voir qui peut avoir raison.

Sinon j'avoue que je n'ai jamais compris la pertinence d'un argument du genre "la proposition x est claire", accompagné d'un thèse interprétative. Bien sûr, si vous lisez la proposition x ainsi, pour vous il n'y a pas de doute, donc vous vous dites qu'elle est claire. Mais si ce que vous en déduisez est non seulement indubitable pour vous, mais aussi "rationnellement vrai", alors il faut pouvoir expliciter la déduction, non? La définition 4 de l'E1 par exemple ne dit pas du tout que les attributs se conçoivent par soi mais n'existent pas par soi. Si c'est ce que selon vous on peut en conclure, ce sont les raisons pour lesquels vous pensez cela qui m'intéressent. Juste dire que pour vous c'est le cas, c'est donner votre opinion. Nous sommes dans une démocratie, donc chacun a droit à son opinion, mais cela ne fait pas forcément avancer votre interlocuteur vers une compréhension meilleure de cette opinion si vous n'y ajoutez pas la "preuve", si vous ne dites pas comment vous en déduisez cela.

Autre question: que voulez-vous dire par "réalité gnoséologique"?

Sinusix a écrit :En conséquence, je ne vois pas comment, sur la base de l'ouverture conceptuelle qu'autorise la rédaction de E2Définition2, vous pouvez récuser tous les arguments qui militent pour que l'entendement, avec tous les moyens qui sont les siens permettant d'arriver à des idées adéquates, se fasse une idée précise de ce qui constitue l'essence objective d'une chose singulière, seule connaissance à laquelle il puisse espérer accéder


il s'agit d'un malentendu. C'est Sescho qui prétend que nous n'ayons pas accès à l'essence singulière d'une chose, tandis que Bardamu (si je l'ai bien compris) et moi-même disons l'inverse: dans le spinozisme, une connaissance adéquate de l'essence singulière des choses est tout à fait possible, c'est même en cela que consiste la béatitude. Bref, si vous croyez qu'une connaissance adéquate d'une essence singulière dans le spinozisme est possible, nous sommes tout à fait d'accord là-dessus.

Sinusix a écrit : (et parmi ces moyens, les propriétés qui appartiennent, au sens de E2D2, à l'essence de chaque homme en tant que ces propriétés, par exemple le langage chez l'homme, contribuent à sa singularité).


ok, mais j'attends qu'on démontre comment déduire de l'E2D2 qu'une propriété commune peut constituer une essence avant de pouvoir la lire ainsi.

Sinusix a écrit : On pourrait s'amuser à faire d'ailleurs l'exégèse du texte puisque Spinoza utilise le terme de supprimer. Qu'entend-il par supprimer la chose en cas d'absence de ce qui appartient à la chose ? Si on entend qu'il s'agit de la suppression définitive, alors on risque de retomber dans le roman fleuve antérieur puisqu'on peut envisager un homme sourd, muet, aveugle, cul-de-jatte, etc. Est-ce toujours un homme. J'optrais donc plutôt pour la version "intelligente" qui par suppression de la chose entend suppression de la chose telle que définit pas son essence, ce qui relève d'ailleurs un peu de la tautologie.


je n'ai pas vraiment compris ce que vous voulez dire ici. Serait-il possible de reformuler autrement? Merci par avance.

Sinusix a écrit :Et vous ne trouverez dans mon propos rien de contraire à cette recherche, dans le cadre de laquelle certaines de mes explications (l'isomorphisme par exemple), comme je l'avais fait pour E2P8 en son temps, n'ont d'objectif que clarificateur et ne veulent pas ajouter des concepts contradictoires (rien à voir avec la forme), là où il n'y a pas lieu.
Je ne m'étends pas, car toute votre réponse relève du même principe, où vous répondez par un paragraphe de votre codex à des arguments déformés pour la circonstance.


n'importe qui peut se retirer à tout moment d'un débat rationnel en invoquant l'hypothèse que l'interlocuteur soit malveillant. En ce qui me concerne, je n'ai jamais compris l'intérêt de cette hypothèse. Si notre but est de mieux comprendre Spinoza, ne vaudrait-il pas mieux de prendre d'office au sérieux ce que l'autre écrit, et donc supposer qu'il n'a vraiment pas compris ce qu'on a voulu dire lorsqu'on constate qu'il réfute des idées qu'on ne pense pas, au lieu d'arrêter tout simplement la discussion (et donc réflexion) en supposant que l'autre déforme consciemment notre pensée ... ?
Amicalement,
L.

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Messagepar hokousai » 06 déc. 2008, 01:24

à Louisa


Toute votre affaire du nouveau parlé est très discutable .(Deleuze et ses créations de concepts !)

S’il y a nouvelle pensée ( peut être ) elle doit s’expliquer dans le langage commun (et non dans un langage privé .Il n’ y a pas de langage privé ).Elle doit s’expliquer nolens volens par les mots du langage ordinaire sinon elle est non seulement incompréhensible mais pas une nouvelle pensée du tout .

Whitehead par exemple a une nouvelle pensée celle de procès , il a un mot » procès » il écrit tout un livre pour expliquer ce qu' il pense par ce mot là .Il est pédagogue ( plus ou moins ) tente de se faire comprendre .Pour se faire comprendre s’il utilise d’autres mots nouveaux alors le problème est renvoyé jusqu à ce qu’il s’exprime en langage courant ,une bonne fois ,que ce soit compréhensible .

Il ne suffit pas de créer un nouveau vocable et de la faire fonctionner dans des propositions , s’il n’est pas compris dans le langage compréhensible ( ie ordinaire ), le nouveau vocable tourne à vide (et pour l’auteur aussi ).
Que veut dire Kant par jugement synthétique a priori ? S’il ne donne pas un exemple ordinaire personne ni lui même ne comprend .Que veut dire Spinoza par connaissance intuitive du troisième genre ? On lui a assez reproché de ne pas s’ expliquer dans le langage ordinaire .Que pouvait-il bien penser qu’il ne soit pas capable de dire à tous donc à lui-même ,car que je sache il ne parlait pas un sabir privé de sa confection .

In Fine on en revient toujours à du langage commun et ce parce qu’on a que celui là .Le langage véhicule des idées et c’est se leurrer de penser qu’on change d’idée en changeant des mots ou en en inventant de nouveaux .

Hokousai

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Messagepar Louisa » 06 déc. 2008, 01:31

Bonjour Bardamu,

Bardamu a écrit :
louisa a écrit :oui, tout à fait d'accord. Mais pour moi la question n'est pas vraiment là, la question est plutôt de savoir si une propriété commune à tous les hommes peut constituer une essence au sens spinoziste du terme, c'est-à-dire en respectant le fait que ce qui constitue une essence d'une chose jamais ne peut constituer l'essence d'une autre chose.


Ou en d'autres termes, est-ce que essence signifie toujours "essence singulière" puisqu'il s'agit de montrer qu'une essence ne peut être définie par du commun.


en effet.

Bardamu a écrit :Reprenons autrement :
E1p8 scolie :
1° La vraie définition d'une chose quelconque n'enveloppe ni n'exprime rien de plus que la nature de la chose définie.
2° Il suit de là qu'aucune définition n'enveloppe ni n'exprime un nombre déterminé d'individus, puisqu'elle n'exprime rien de plus que la nature de la chose définie. Par exemple, la définition du triangle n'exprime rien de plus que la simple nature du triangle ; elle n'exprime pas un certain nombre déterminé de triangles.

On voit bien (j'espère...) que Spinoza tend à définir toute chose du point de vue d'une singularité et donc qu'essence, pour autant qu'on juge que c'est équivalent à "nature de la chose", serait équivalent à "essence singulière".


à mon sens (à vérifier) Spinoza parle de l'essence au sens commun (au XVIIe) aussi longtemps qu'il n'a pas donné sa définition à lui (E2D2). Il peut donc parler d'une essence de l'homme au sens ordinaire du terme (essence de genre) dans l'E1. Dans l'E2, en revanche, il me semble que (à vérifier aussi) la définition appartient au deuxième genre de connaissance, et est ainsi capable de capter ce qui est commun entre plusieurs individus dans la mesure où ceux-ci nous affectent, mais pas de donner accès à une essence (ce qui ne se fait que par connaissance intuitive, alors que toute définition est discursive).

Par conséquent, je ne suis pas certaine qu'on puisse déjà déduire de l'E1P8 que dans le spinozisme toute essence est singulière. Certes, elle dit bien que la définition d'une chose n'a besoin que de considérer sa nature seule, ce qui signifie qu'il ne faut pas d'abord avoir une idée adéquate de Dieu avant de pouvoir avoir une définition d'une chose. Or si cette idée semble "choquer" Sescho, on peut peut-être le comprendre au sens où effectivement, concevoir une essence singulière n'est possible, dans le spinozisme, que par le troisième genre de connaissance, pas par le deuxième. La définition d'une chose ne peut relever que du deuxième genre de connaissance, et ce n'est que là qu'on n'a pas besoin d'en passer par l'idée de Dieu, puisqu'on s'en tient aux propriétés communes. Si en revanche on veut passer à l'essence même des choses, on est bien obligé de penser d'abord à l'idée de l'essence de Dieu (à l'idée de l'essence d'un attribut, comme le dit l'E2P40) avant de pouvoir avoir accès à l'essence des choses. Pour Sescho cela en tant que tel semble déjà "prouver" l'idée qu'une essence n'est jamais singulière, mais d'une part je n'ai pas encore compris la "démonstration" de cette idée, d'autre part à mon sens ce n'est que l'E2D2 qui oblige à accepter le caractère singulier de toute essence.

Or si je t'ai bien compris, tu suggères qu'une essence qui s'applique ou s'attribue à plusieurs Individus, pourrait néanmoins être singulière (l'essence de l'homme par exemple). Je n'ai pas tout à fait compris en quoi consisterait alors pour toi la singularité. En le fait de pouvoir être conçue "en soi"?

Bardamu a écrit :Maintenant, il faut trouver le moyen de gérer les communautés, les "sociétés communes" (communis societas).
De même qu'un corps est un rapport de mouvement et de repos, et que donc il implique plusieurs "parties" ou composantes pour faire un rapport, n'importe quelle "société commune" peut être définie par son rapport singulier. Telle ou telle Cité sera régie par un certain esprit signalé par ses lois, son organisation interne, ses rapports aux autres cités, ses appétits de conquête ou autre etc. Telle ou telle espèce au sens d'une génétique des populations sera indiquée par une propriété d'interfécondité et il faudra ensuite définir une essence qui correspondra à sa singularité, biologique si on veut faire de la biologie, éthico-comportementale si on fait de l'éthologie, écologique si on s'intéresse à l'impact sur un écosystème etc.


il est vrai que dans le TP Spinoza parle d'une puissance d'un Etat, puissance qui se "composerait" de l'ensemble des puissances des citoyens. Puis même l'homme, en tant qu'Individu, est constitué d'autres Individus (les poumons, l'estomac, ...). Donc oui, on pourrait dire que toute "société" doit elle aussi avoir son essence. Et puisque toute essence est singulière (E2D2), cette essence doit elle aussi être singulière. Concevoir l'essence singulière d'une société (autrement dit d'un Individu composé d'autres Individus) comme étant constituée par ce qui ne la caractérise qu'elle me semble être plus ou moins logique. Mais peut-on en déduire que l'essence des Individus composants est constituée par le fait de composer cet Individu englobant? C'est là que je crois qu'on ait un problème. Certes, toute essence singulière "enveloppe" l'idée de l'essence de l'Individu qu'elle constitue. Mais j'ai l'impression que dans le spinozisme "envelopper" n'est pas la même chose que "être constitué par". Tous les Corps humains enveloppent l'idée de l'attributs de l'Etendue. Mais ce qui constitue leur essence singulière, ce sont tel et tel modes précis et déterminés de cet attribut.

Donc je dirais (à vérifier): ce qui constitue une société, ce sont bel et bien ses parties ou "Individus". Mais l'essence de ces Individus composants ne peut pas être constituée par l'Individu qu'ils composent, sinon elle serait constituée par une propriété commune, ce qui en vertu de l'E2D2 est impossible.

La question devient alors: est-ce que l'interfécondité peut constituer un Individu "homme"? Le fait même qu'il s'agit d'une propriété commune me fait penser que non. On peut "définir" l'homme par le biais de ce critère, mais alors on en reste au deuxième genre de connaissance, c'est-à-dire aux propriétés communes, on ne va pas jusqu'à l'essence. Pour qu'il y ait un Individu "homme" (c'est-à-dire pour que le terme "homme" ne réfère pas juste à des propriétés communes à certains Individus), donc pour qu'il y ait une essence singulière de "l'homme", il faudrait qu'il y ait quelque part une chose singulière ayant des effets concrets, et qui correspondrait à cette essence. Certes, l'augmentation inquiétante de la température sur terre est le résultat d'êtres humains, mais serait-il le résultat de "l'humanité" ou de "l'Homme"? Ne faudrait-il pas dire que cela est aussi absurde que de croire que la liberté est une "condition humaine"? Car en quoi la femme kényane qui sur sa coline entièrement isolée du monde "civilisé" essaie de survivre en cultivant quelques hectares de maïs et trois poulets serait-elle une cause de l'échauffement de la terre ... ? Pourtant elle aussi est un cas particulier de l'espèce "homme". Par conséquent, ne faudrait-il pas dire qu'un homme peut être la cause de désastres écologiques, mais ne l'est pas toujours? Si oui, je ne vois pas en quoi on pourrait concevoir une essence de "l'humanité" en rapport avec les problèmes écologiques contemporains.

Bref, je crois qu'il est effectivement tout à fait concevable que dans le spinozisme il y a des Individus composés (des "sociétés" (au sens whiteheadien, c'est-à-dire au sens où tout Individu composé forme une société, non seulement les Individus composés d'êtres humains ou d'êtres vivants)) qui ont donc une essence singulière eux aussi, mais pour l'instant je ne vois pas très bien en quoi ces essences pourraient être constituées par ce qui est propre ou commun aux Individus qui les composent. Cela ne veut pas dire que je crois que cela est tout à fait exclu, mais il me semble qu'il faudrait qu'on puisse davantage expliciter en quoi une telle essence consisterait alors, ou en quoi consisterait alors le rapport entre l'Individu-société et les Individus composants (tu as peut-être l'impression de l'avoir déjà précisé; si c'est le cas je ne l'ai pas encore compris).

En tout cas, il est vrai que si l'on dit que x est commun à tous les Individus y1, y2, y3, etc, on dit que l'essence de y1, y2 etc. n'est pas constituée par x. Ce qui fait qu'il pourrait y avoir effectivement un Individu dont l'essence est précisément constitué par x (puisque x n'appartient à aucune des essences y1, y2 etc, et donc serait propre à cet Individu seul). Mais pour moi l'embêtant c'est que dans ce cas, la propriété x, commune à tous les y, ne sera pas supprimée lorsque y1 est supprimé, et donc ne peut constituer l'essence ... essence de quoi, de x ou de y1? Peut-être faudrait-il répondre: de y1 (ou y2 etc.)? Et alors elle pourrait quand même constituer l'essence de l'Individu qu'est la société de tous les y... ? Bref, en ce qui me concerne je n'y vois pas encore très clair. Toujours est-il que pour moi concevoir une essence comme étant constituée par une propriété commune des Individus qui la composent est contraire à l'E2D2. C'est ce qui fait que l'essence de "l'Homme" ne peut pas être constituée par l'interfécondité, même pas d'un point de vue biologique ou génétique. L'interfécondité peut donner une définition de l'Homme, mais elle ne peut pas donner accès à l'essence singulière de tel ou tel homme. S'il me semble que tu es peut-être d'accord par rapport à cela, j'ai aussi l'impression que tu y ajoutes que l'interfécondité pourrait constituer l'essence de l'Homme ou de l'humanité. Et c'est là que je comprends moins bien. Une propriété commune peut-elle constituer une essence? Avoir quelque chose en commun est-ce suffisant pour déjà constituer un Individu?

Bardamu a écrit :D'autre part, un attribut exprime une essence éternelle et infinie, et c'est par ses modalités que sera prise en compte une multiplicité interne. De même, telle ou telle personne en tant que citoyenne pourrait être vu comme modalité de l'esprit de sa Cité pour autant que les deux sont en accord, qu'ils partagent leurs tendances, leurs appétits etc.


oui, ok, mais dirais-tu aussi que l'esprit de sa Cité constitue l'essence même de tel ou tel citoyen? Ou cet esprit est-il plutôt une propriété commune à tous citoyen? Et cette propriété commune peut-elle constituer l'essence de la Cité, ou celle-ci est-elle plutôt constituée par tous les citoyens ensemble (et exprimée par la constitution de la Cité)?

De prime abord (à vérifier) je dirais: cette propriété commune ne peut pas constituer l'essence de la Cité, ni celle de ces citoyens. L'essence de la Cité est constituée par l'ensemble des citoyens, l'essence de chaque citoyen par des modes précis et déterminés des attributs de Dieu.

Bardamu a écrit :A des êtres complexes produisant des "images" communes, des données sensorielles du 1er genre qui nous font identifier un être sans réflexion pourront correspondre plusieurs essences selon que l'entendement s'oriente vers tel ou tel rapport à/dans la nature.


oui en effet.

Bardamu a écrit :A l'essence de l'homme tel que défini par Spinoza n'appartient certainement pas le chapeau melon qu'on verrait sur un gentleman. Mais après tout, il existe peut-être des clubs d'amateurs de chapeaux melons dont l'essence (des clubs) intègrera un rapport aux chapeaux et dont les membres seront définis comme des modes de l'"être-club-du-chapeau-melon". Il y a peut-être aussi des personnes dont l'essence actuelle fétichiste ou dont l'essence consciemment assumée demande un chapeau melon comme composante pour s'exprimer, après tout, il n'y a pas d'aviateur sans avion...


oui cela ne me semble pas être inconcevable en tant que tel, mais alors on admet que ce qui constitue une essence peut être une propriété commune des Individus qui la composent. Tandis qu'il me semble que ce qui constitue une essence, c'est précisément l'ensemble des Individus qui la composent. Car si ce qui constitue l'essence d'un Individu (= société) peut être une propriété commune aux Individus qui la composent, alors il faut dire que lorsque tel ou tel homme-au-chapeau-melon meurt, la société elle aussi serait morte (en vertu de l'E2D2), ce qui est absurde lorsque cette société est définie par la propriété commune elle-même (car alors la société existe aussi longtemps qu'il y au moins un homme avec chapeau melon).

Bardamu a écrit :A vrai dire, je ne vois pas de difficulté à s'accorder sur un moyen de préserver à la fois une idée de communauté et une idée de singularité quelles que soient les divergences de vocabulaire (le "spinozien" n'est pas toujours clair...). Si on ne veut pas parler d'"essence de genre" définie par une propriété commune parlons de l'essence d'une communauté réelle, d'une communauté qui vaudra comme singularité. Est-ce que quelqu'un est en désaccord avec cette idée ?


pour moi il n'est pas certain que l'E2D2 permet de supposer qu'une communauté puisse être définie par les propriétés communes de ses membres. Mais je suis d'accord pour dire que toute communauté au sens d'Individu composé doit avoir une essence singulière.

Bardamu a écrit :Au passage, pour une indication sur ma méthode de compréhension d'autrui, au cas où ça pourrait aider (je sens comme une crispation...) :
la nature d'un être est comprise dans les affections qu'il produit en nous et il "suffit" de faire effort pour "dé-construire" et reconstruire cette expression de l'autre en nous pour capter le cheminement de sa pensée, prendre sa position au niveau des connaissances techniques, des intérêts affectifs (l'un est attiré par la communauté de raison, l'autre par la singularité d'existence), des objectifs (certains sont ici en chercheurs universitaires d'autres cherchent une sagesse quotidienne) etc. pour soi-même produire des idées similaires et entendre la petite musique des relations entre êtres singuliers avec ses "accords dissonants".
Il y a alors réduction du désir d'imposer ses idées, de l'exigence qu'il y ait arbitrage, démonstration d'erreur, crainte du faux vu qu'on est dans la saisie de la positivité d'affirmations singulières, sans comparaison, sans jugement, au coeur d'un même mouvement naturel.


j'avoue que j'ai beaucoup envie de te suivre sur ce point-ci (car il est clair que cela ne peut qu'aider à créer une "paix sociale"). Il se peut que c'est même une attitude plus spinoziste que celle que je défends moi-même (à vérifier). Mais ce qui continue à me gêner là-dedans, c'est que je ne vois pas comment ne pas passer à une conception "relativiste" de la vérité si l'on s'y prend ainsi. S'il s'agit d'essayer de comprendre l'autre (tel ou tel intervenant sur ce forum), ce que tu dis me semble être parfait. Mais quid s'il s'agit de comprendre Spinoza ... ? Certes, toutes les interprétations proposées ici sont des "effets" produits par l'Ethique. Mais n'est-ce pas Spinoza lui-même qui dit qu'on ne peut pas connaître la cause par ses effets, qu'il faut prendre le chemin inverse, et cela more geometrico ... ? Enfin, pour l'instant je suis loin d'avoir déjà trouvé une réponse satisfaisante à ces questions, donc je continue d'y réfléchir (donc merci de tes remarques) ... .
L.


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