Qu'est ce que la causalité immanente ?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar alcore » 26 juin 2009, 11:07

A Alcore

Admettons un instant cette lecture. Quelles conséquences auraient-elles sur la conception spinoziste de l'immanence ?

a) la force n'est pas l'expression d'une monade spirituelle purement qualitative et extérieure à la quantité; une telle conception conduit inévitablement à faire de la matière première un ensemble de possibilités idéales et de la matière seconde un agrégat, bref à nier le caractère substantiel de l'Etendue (ce qui est bien conforme aux vues idéalistes et créationnistes de Leibniz).
Inversement, pour Spinoza, la force serait la conséquence du caractère infini du quantum. La force n'est pas une grandeur discrète (un agrégat) ni l'expression d'une substance spirituelle qualitative. Le saut qualitatif qui fait passer de l'imagination des quantités discrètes et du progrès indéfini à la conception du quantum infini, donné d'un coup, est lui-même compris dans la forme de la quantité. La force de la substance n'est rien d'autre que l'affirmation, dans l'immanence du quantum, d'une différence infinie qui, elle, est proprement qualitative. La force n'est pas quelque chose qui viendrait se surajouter au quantum infini; la force n'est rien d'autre que la manifestation de ce que le quantum par lui-même échappe aux variations et au progrès indéfini. La qualité de la force est une conséquence du dépassement dans le quantum de toute détermination finie.

b) les variations du quantum fini n'altèrent en rien le quantum infini de la substance et l'on comprend que Spinoza puisse à la fois affirmer que la cause reste unie à son effet de façon à former un tout et que l'essence de la substance ne se trouve jamais augmentée par cette union.

"
je te l'ai dit clairement, tous les attributs qui ne dépendent pas d'une cause antérieure, et qui ne se définissent pas à l'aide d'un genre plus élevé, appartiennent à l'essence de Dieu ; et comme les choses créées ne peuvent pas constituer d'attributs, elles n'accroissent pas l'essence de Dieu, quoique liées très-étroitement avec cette essence. " CT,dial

L'objection pourtant est sérieuse. Si la substance de l'Etendue appartient à Dieu et si elle est seulement un quantum infini, le risque est grand d'introduire dans la substance la variabilité propre aux déterminations de grandeur et il faut bien d'une façon ou d'une autre articuler le quantum infini de la substance avec les quantités déterminées que sont les modes-effets, d'autant que l'on tient à l'immanence de la substance et de la cause.
Spinoza répond que Dieu est un individu, unique, absolument infini et que tout ce qui peut lui être attribué et qui constitue proprement une individualité (non l'exemplaire d'un certain genre) appartient à son essence. Les attributs sont des individus et comme tels indivisibles. L'Etendue (la quantité) est donc elle aussi indivisible et à ce titre appartient à Dieu. Quelque chose de la quantité est indivisible qui peut légitimement être imputé à Dieu.
Comme tout individu (qui n'est pas l'élément d'un multiple fini, d'un quantum déterminé), l'attribut Etendue n'est pas déterminé à exister par une cause extérieure.
Ce qui est parfaitement individué est parfaitement indivisible et par suite parfaitement dépourvu de cause.
Les choses finies en revanche ne sont jamais parfaitement individuées, elles sont donc soumises à la loi du plus et du moins, de la composition, de la causalité extérieure, du rapport tout-parties.
Ces choses finies sont, dit Spinoza, très étroitement liées à l'essence de Dieu, en vertu de l'immanence de la cause qui les produit.
Mais pour autant que ces choses ont une essence elles sont en Dieu: leur essence n'est qu'un mode de l'attribut Etendue,du quantum infini lequel est parfaitement indivisible.

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Messagepar alcore » 26 juin 2009, 11:26

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Tout ceci est-il à même de concilier l'immanence de la causalité avec le fait que la cause reste qualitativement distincte de ses effets ( a fortiori quand la cause est infinie et les effets finis) ? Et comment l'immanence causale peut-elle rendre raison de la finitude, du surgissement de choses nouvelles et de la mort ?
Tout ceci reste encore bien obscur.

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Messagepar alcore » 26 juin 2009, 12:14

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La cause (la substance étendue par ex) produit un effet distinct d'elle en ce sens que le quantum infini est qualitativement distinct de tout quantum déterminé. Mais, en même temps, cette différence infinie est tout entière immanente à la forme générale de la quantité et ne nous fait donc jamais sortir de la substance (qui elle-même est quantum infini).

Voilà pourquoi, il y a toujours quelque chose de "commun" entre la cause et l'effet, à savoir précisément le fait que l'une comme l'autre sont des quanta, ou que le quantum déterminé de l'effet n'abolit pas l'indétermination de sa cause. La cause demeure quantum infini, invariable, indivisible et transporte son indivisibilité, son infinité dans l'effet qui, lui, est divisible, variable, etc. Cette transposition serait impossible si l'on faisait de l'attribut une qualité pure opposée aux quanta finis. Dans cette hypothèse les choses finies seraient des effets inévitablement extérieurs à leur cause.
La substance reste qualitativement distincte de ses effets quoique cette différence infinie soit immanente à la forme générale de la quantité (infinie pour la substance, déterminée pour les modes).
Tout ce qui est contenu indivisiblement dans la substance se trouve exposé, exprimé sous la forme d'une variété indéfinie de modes dont chacun enveloppe et exprime l'essence indivisible de la substance. La causalité ou force de la substance ne s'ajoute pas de l'extérieur à la quantité pour la réaliser; la causalité n'a pas à réaliser un divers idéal puisque le quantum infini est actuellement existant. La productivité de la cause n'est rien de créateur. Elle n'est pas action de chose à chose mais transposition de l'indivisibilité de la substance dans chacun de ses modes.

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Messagepar alcore » 26 juin 2009, 13:55

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Votre lecture nous conduit insensiblement vers les grandeurs intensives et vous savez que l'excellent Ramond a fait un sort à la lecture qualitativiste des attributs (Deleuze) ainsi qu'à la notion de grandeur intensive. Les attributs sont, selon lui, des quantités, et la notion de qualité, nécessairement subjective, n'a aucun sens dans l'objectivité où ne règnent que des rapports quantitatifs. Spinoza serait du côté de Bergson et de Hume et non de Kant ou Hegel. Votre lecture au contraire introduit la qualité DANS la quantité et prête donc le flanc à l'objection de Ramond. LEs attributs ne sont d'abord ni à aucun moment des qualités !

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Messagepar alcore » 26 juin 2009, 14:13

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La lecture de Ramond a au moins le mérite de nous délivrer d'une interprétation qualitativiste, d'ailleurs dominante, mais absurde des attributs. Sur ce point, je le rejoins: si les attributs étaient des qualités alors Spinoza serait Leibniz et la causalité ne serait jamais immanente. Le point de vue de l'immanence nous contraint à identifier substance et quantité, si bien que Ramond va jusqu'à rehausser la notion de nombre au niveau des attributs; rien, selon lui, ne distingue l'infinité des modes (nécessairement indéfinie) de l'infinité des attributs. Bref, Spinoza oscillerait entre une conception extranumérique de l'infini et les exigences de sa propre doctrine qui le pousseraient à réintroduire les considérations numériques dans l'ontologie, le tout sans cohérence. Sa lecture sauve donc l'immanence mais au prix de la cohérence du système.

Au moins un point est acquis: le primat de la quantité sur la qualité dans la définition de l'infini, de la substance et de ses attributs.

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Messagepar alcore » 26 juin 2009, 22:17

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Malgré tous les présupposés sur lesquels repose l'analyse hegelienne de l'infini quantitatif, il est clair que Hegel a mis le doigt sur une détermination importante. Le simple fait de reconnaître le moment qualitatif de la quantité, moment qui se présente sous la forme d'un rapport tout à fait indépendant de ses termes, même variables, permet de comprendre que la qualité ne se confond pas avec sa réalité immédiate et sensible, mais est elle-même une catégorie a priori. LA qualité qui est ainsi rétablie, dans la quantité, dans et par le dépassement de toute grandeur déterminée (finie), est la véritablement qualité. Le progrès sans fin du quantum fini n'est pas plus réel que la qualité sensible immédiate et subjective. La vérité du quantum est d'être infini, et la vérité de la qualité, c'est d'être le moment qualitatif du quantum infini. Ainsi apparaît nettement que la réalité n'est pas une donnée qu'il faudrait recevoir de l'expérience; la qualité comme la réalité sont des catégories pures. Le quantum infini est intrinsèquement qualitatif, réel et inversement le sens véritable de la réalité est de n'être ni une donnée sensible immédiate, ni une substance spirituelle (monade).

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Messagepar alcore » 26 juin 2009, 22:31

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Voulez-vous dire que la réalité pensée jusqu'au bout doit être conçue comme grandeur intensive ?
Mais cela signifierait alors que le véritable donné, le présupposé originaire de toute perception et de toute expérience ne se situe ni dans l'espace ni dans le temps, ni dans la quantité abstraite, ni dans la qualité sensible. Mais comment s'articulent le quantum infini et la causalité ? Et pourquoi cette articulation est elle comprise par Spinoza en termes d'immanence ?

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Messagepar alcore » 27 juin 2009, 00:10

Etant donné que Spinoza ne fournit aucune indication ni sur le concept de causalité ni sur la façon dont ce concept s'articule avec le concept de quantum infini et de qualité, nous ne pouvons que proposer des hypothèses.
Ce qui est irrécusable c'est que toute réalité effective doit se soumettre à des configurations mathématiques pour faire la preuve de sa validité objective. Ce qui l'est également c'est la nécessité de remonter, pour construire le concept de réalité (effective), au-delà de la sensation et de la grandeur extensive. C'est seulement lorsque toute matière de la sensation a été réduite à 0 et que toute possibilité de composer une chose partes extra partes a été abandonnée que le véritable concept de nature apparaît.
Ce qui est irrécusable également c'est le fait que la réalité effective n'est pas donnée dans une intuition inextensive, car ce qui est proprement qualitatif dans la réalité ne se définit pas par opposition avec l'extensif. C'est en tant qu'étendue que la substance est et demeure indivisible, et puisque ce caractère qualitatif du quantum se réduit à n'être qu'une pure relation, indépendante de ses termes, même variables, le concept d'Etendue peut être dissocié de celui de masse. En pensant la matière comme point doté d'une masse ou atome on ne dépasse pas la détermination de la réalité comme grandeur extensive. La substance n'a pas besoin d'atomes empiriquement singuliers pour exister. La réalité effective de la substance n'a besoin d'aucune donnée empirique pour affirmer son existence. Ce qui est proprement effectif dans la substance étendue ne consiste pas en points matériels.
L'idée de force de la substance concentre elle tout le poids de la réalité effective, une fois celle-ci délivrée de l'imagination des atomes, de l'étendue cartésienne, des sensations, des qualités éparses. Ce que la force pose, produit c'est une diversité illimitée de qualités et de choses, toutes qualités qui, au regard du concept de grandeur extensive, ne sont précisément rien (=0).

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Messagepar alcore » 27 juin 2009, 00:17

Alcore

Vous voulez dire que l'élément dynamique de la substance est lié à l'aspect qualitatif que revêt le quantum dès lors qu'il est pensé comme actuellement infini ?

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Messagepar alcore » 27 juin 2009, 00:20

Oui alcore vous m'avez compris.


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