La connaissance du troisième genre

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 21 oct. 2004, 17:27

rep à miam

je ne tiens pas vraiment à correspondre avec vous . Je me force depuis quelques jours mais le coeur n'y est pas .
Je trouve vos texte confus et allusifs, je ne comprends rien à vos théories , sorte de scolastique assez personelle et inutilement compliquée sur des textes de Spinoza qui demanderaient à être éclairés plutôt qu' obscurcis.

il est probablement vrai je ne vous lis pas avec attention .. disons que je n'ai pas le courage d' essayer de vous comprendre, n'étant pas certain d' emblée qu il y ait quelque chose à comprendre .

Après tout si vous étiez vraiment motivé et sûr de vous rien ne vous empéchait de faire à mon intention quelques copiés- copiés de vos textes .

Ce qui aurait laissé espérer l'éveil d'un souci pédagogique , lequel semble cruellement vous faire défaut
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Messagepar sescho » 22 oct. 2004, 19:21

bardamu a écrit :Sommes-nous d'accord que ce que j'ai développé ci-dessus dit qu'on a une connaissance des choses singulières par le 3e genre de connaissance ?

Non. On a une connaissance du troisième genre (des "choses" communes) par les choses singulières.

"Par les choses singulières" signifie "par la connaissance des choses singulières, non adéquate sur ce que ces choses ont de singulier, adéquate en tant que ces choses relèvent de l'universel".

Si la question est : "si cette connaissance des choses singulières est inadéquate, comment peut-on en tirer des idées adéquates ?" Les réponses sont : 1) Spinoza dit bien qu'on ne peut pas avoir d'idée adéquate des choses singulière mais qu'on peut en avoir de ce qui est commun à Dieu, moi et les choses singulières, ce qui ne constitue l'essence d'aucune chose singulière. 2) Elles ne sont pas à proprement parler "tirées" mais résultent d'un commun clair par lui-même.

bardamu a écrit :Le seul moyen de connaître les essences est d'établir un rapport adéquat entre la chose singulière, moi et le cosmos, et non pas d'avoir une idée analytique de celle-ci.

Si j'ai bien compris, je n'ai rien à redire à cela. Un "rapport" cela me va. Il n'y a pas de connaissance adéquate de chose singulière là-dedans.

Je précise en passant que j'ai eu à maintes reprises l'occasion de dire sur la liste que je ne considérais pas le raisonnement comme un aboutissement, mais seulement comme un moyen pour libérer ou développer la perception directe. Je considère la pensée discursive comme pénible, et donc nuisible en l'instant à ce titre, et comportant un danger propre : l'intellectualisme stérile. Sa vocation est de disparaître lorsque la perception directe a abouti. Maintenant, je ne considère pas pour autant l'"état de nature" comme le sommet de la puissance : s'il n'y a pas de vision de la Nature une et universelle, si on ne voit pas les lois - essentiellement les lois psychologiques, qu'on peut vivre de l'intérieur, mais auxquelles s'ajoutent effectivement les notions intuitives de mécanique, d'optique, etc. - transparaître dans le réel, en l'instant, je crois qu'on n'atteint pas la puissance humaine potentielle.

Mais, par exemple, le profil d'Epicure - que beaucoup confondent à tort selon moi, depuis l'origine, avec un hédoniste -, qui associe les plaisirs des sens (du pain et de l'eau y suffisent) et de tout ce qui est simple avec une conscience morale élevée, me semble celui d'un sage.

Mais encore faut-il avoir atteint cette conscience morale élevée... Et la Raison permet d'y progresser, car ce qu'atteint la Raison, c'est précisément ce qu'on ne peut percevoir basiquement : Dieu ou la Nature, les lois, ... En un mot, je suis totalement en phase avec Spinoza...

bardamu a écrit :Dans l'exemple de la proportionnalité des nombres, il s'agit justement de montrer que ce n'est ni la mécanique de répétition d'une leçon (1er genre) ni la connaissance par "une propriété générale" (2nd genre) qui correspond à la science intuitive mais une connaissance "participative", limitée à ce à quoi on participe, ici, les petits chiffres. Spinoza ne dit pas qu'on connaît l'essence de la proportionnalité, il dit que pour les petits chiffres, on a une science intuitive de leur rapport singulier. Pour les grands chiffres on n'aura pas cette connaissance du 3e genre, à moins d'être un vrai calculateur.

D'accord, même si je crains que nous ne glissions dans le byzantin... En tout état de cause, ce qui est vu en vérité, c'est bien un rapport, pas une chose singulière. Par ailleurs, les lois de la Nature sont pour Spinoza l'essence de Dieu même.

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Messagepar bardamu » 23 oct. 2004, 01:53

sescho a écrit :"Par les choses singulières" signifie "par la connaissance des choses singulières, non adéquate sur ce que ces choses ont de singulier, adéquate en tant que ces choses relèvent de l'universel".

Pourtant, E5P36scolie dit bien "connaissance des choses singulières" et non pas "connaissance par les choses singulières" : la connaissance des choses particulières (rerum singularium cognitio), que j'ai appelée intuitive ou du troisième genre est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles (cognitione universali) que j'ai appeler du second genre.
sescho a écrit :1) Spinoza dit bien qu'on ne peut pas avoir d'idée adéquate des choses singulière

E2P29 : "l'âme humaine n'a point une connaissance adéquate (...) toutes les fois qu'elle est déterminée extérieurement par le cours fortuit des choses à apercevoir ceci ou cela, et non pas toutes les fois qu'elle est déterminée intérieurement"
Pour le reste, lorsqu'elle est déterminée intérieurement, elle peut avoir une connaissance adéquate de son corps ou même des corps extérieurs.
Sescho a écrit : mais qu'on peut en avoir de ce qui est commun à Dieu, moi et les choses singulières, ce qui ne constitue l'essence d'aucune chose singulière.

Oui, une connaissance de l'universel est possible. Mais je maintiens qu'il y a aussi à percevoir la singularité de toute chose en toute chose sous peine de rater l'essentiel. L'essentiel quand je rencontre quelqu'un (y compris moi-même...) c'est sa différence et pas sa ressemblance à tel ou tel autre. Comment se connaître soi-même si on reste sous la loi du général ?
sescho a écrit :
bardamu a écrit :Le seul moyen de connaître les essences est d'établir un rapport adéquat entre la chose singulière, moi et le cosmos, et non pas d'avoir une idée analytique de celle-ci.

Si j'ai bien compris, je n'ai rien à redire à cela. Un "rapport" cela me va. Il n'y a pas de connaissance adéquate de chose singulière là-dedans.

Pour moi, une chose singulière n'est rien d'autre qu'un rapport m'incluant moi et le cosmos. Connaitre adéquatement une chose singulière, c'est entrer dans ce rapport et en prendre conscience.
Il n'y a pas de connaissance plus essentielle, éthiquement parlant, que celle-là, et l'essence de chaque chose est éthique, est d'être en tel ou tel rapport avec moi et le cosmos.
Je ne vois pas de connaissance adéquate hors de celle-là mais je considère qu'elle est l'essentiel pour la Béatitude.
Sescho a écrit :Mais, par exemple, le profil d'Epicure - que beaucoup confondent à tort selon moi, depuis l'origine, avec un hédoniste -, qui associe les plaisirs des sens (du pain et de l'eau y suffisent) et de tout ce qui est simple avec une conscience morale élevée, me semble celui d'un sage.

Comment mesures-tu l'élévation d'une morale ? A qui le pain et l'eau suffisent ?
J'ai vraiment du mal avec ce genre de discours que je trouve très normatifs et pré-conçus, ne prenant pas en compte la diversité des gens et de leur désir, leur conatus.
On sait trop les orgueils qui se cachent sous les masques de l'ascèse. Ben Laden est un homme simple se contentant de pain et d'eau...

Sescho a écrit :D'accord, même si je crains que nous ne glissions dans le byzantin... En tout état de cause, ce qui est vu en vérité, c'est bien un rapport, pas une chose singulière. Par ailleurs, les lois de la Nature sont pour Spinoza l'essence de Dieu même.

Le rapport de 1 à 2 puis de 3 à 6 est une chose particulière pour moi. C'est un mode particulier certes arithmétique mais essentiellement analogue à tout autre mode particulier.
A contrario, l'équation d= c*b/a sera générale.

Et les corps sont des rapports de mouvement et de repos, les âmes les idées des corps, donc les idées de rapports de mouvement et de repos.
Et la chose extérieure sera aussi un rapport de mouvement et de repos en rapport avec mon mouvement et le mouvement cosmique.

Finalement, je crois qu'il y a une cohérence entre tes convergences avec Platon et ta perception d'une connaissance ultime universelle plutôt que singulière, et l'inverse pour moi. Et je crains qu'on ne vive pas tout à fait dans le même monde, avec la même ontologie et peut-être pas la même éthique.
Ta perception de l'homme moral, d'une "puissance humaine potentielle" me sont assez étrangères. L'idée de "notions intuitives de mécanique, d'optique etc." me semble aussi très étrange si il s'agit de connaissance de telle ou telle théorie scientifique, celles-ci étant bien souvent contre-intuitives de l'aveux même des physiciens. Sinon, si il s'agit de la connaissance de sa voiture ou de son appareil photo, pourquoi pas.

D'autre part, lorsque tu dis que les lois de la nature sont l'essence de Dieu, c'est une tautologie puisque Dieu est la nature. La question me semble de savoir en quoi les lois de la nature sont générales ou singulières, en quoi elles s'appliquent uniformément à tous les êtres ou en quoi chaque être à sa loi propre. Les 2 vont ensembles et je reste persuadé que Spinoza nous parle de 2 genres de connaissance adéquate pour ces 2 réalités : lois générales et lois singulières, servitude et liberté.

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Messagepar sescho » 23 oct. 2004, 12:36

bardamu a écrit :Pourtant, E5P36scolie dit bien "connaissance des choses singulières" et non pas "connaissance par les choses singulières" : la connaissance des choses particulières (rerum singularium cognitio), que j'ai appelée intuitive ou du troisième genre est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles (cognitione universali) que j'ai appeler du second genre.

Soit, mais il s'agit d'une tournure de phrase dans un scholie, ce qui fait vraiment léger face à l'ensemble des extraits concordants que j'ai produits. Je ne rappellerai ici une nouvelle fois que la suite immédiate de ce scholie :

Spinoza, Ethique, traduit par C. Appuhn, a écrit :Bien que j'aie montré en général dans la première Partie que toutes choses (et en conséquence l'Ame humaine) dépendent de Dieu quant à l'essence et quant à l'existence, par cette démonstration, bien qu'elle soit légitime et soustraite au risque du doute, notre Âme cependant n'est pas affectée de la même manière que si nous tirons cette conclusion de l'essence même d'une chose quelconque singulière, que nous disons dépendre de Dieu.

Il s'agit donc bien, de toute évidence, pour la connaissance du troisième genre, de la connaissance des mêmes choses que pour le second, mais (et c'est pourquoi il y a deux genres distingués) avec une différence qualitative d'envergure. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, une conclusion peut être "juste" sans que nous la voyions pour autant en vérité (ce que nous voyons en vérité alors, pour moi, c'est seulement la logique de la démonstration) ; cela, c'est la connaissance du deuxième genre. Mais si nous voyons "cette conclusion" (la "chose"), cette loi générale, en vérité, par la perception directe en l'instant dans une interaction avec une chose physique quelconque, alors là c'est vraiment clair et distinct. Et on parvient à cela en rapprochant ce que la Raison nous a indiqué du fait physique constaté.

bardamu a écrit :Comment se connaître soi-même si on reste sous la loi du général ?

Je dirais que nous ne sommes pas un empire dans un empire, et que nous relevons tous très majoritairement des mêmes lois. C'est pourquoi Spinoza parle de "l'Âme humaine" en général. Se connaître s'est donc connaître en soi ce qu'il y a d'universel dans l'homme, au-delà des mouvements psychiques particuliers en tant que particuliers, et c'est seulement en quoi on peut dire que l'Âme est immortelle. Pour le reste, secondaire : le "plus particulier", la mémoire propre, etc., c'est sans doute à chacun de voir ce qu'il peut.

bardamu a écrit :Comment mesures-tu l'élévation d'une morale ? A qui le pain et l'eau suffisent ?
J'ai vraiment du mal avec ce genre de discours que je trouve très normatifs et pré-conçus, ne prenant pas en compte la diversité des gens et de leur désir, leur conatus.
On sait trop les orgueils qui se cachent sous les masques de l'ascèse. Ben Laden est un homme simple se contentant de pain et d'eau...

Peut-être, mais cela ne suffit pas pour généraliser. Épicure goûtait aussi la bonne chère a priori mais il trouvait la joie de vivre dans le simple. Par ailleurs, l’ascèse entendue comme une martyrisation du corps est une perversion de l’esprit. Il y a beaucoup d’orgueil qui se cache partout, y compris – et spécialement – chez ceux qui se croient autorisés à donner des leçons de bonne vie car ils croient avoir découvert la vie bonne : la leur. Toutefois, il me semble incontestable que de grands esprits ont approché cette Puissance (en quelque sorte en soi, comme loi de la Nature), dont Spinoza.

Il est vrai que ceux qui hurlent au moralisme dès que l’on fait référence à un idéal de vie humaine (la Puissance de Spinoza), prenant un jugement de valeur relatif (à une loi de la Nature) pour un jugement de valeur pure de l’immédiat, me surprennent. Et je dois bien dire que je pense qu’il n’ont que bien peu de sens éthique conscient. Car autant dans l’absolu il n’est pas indispensable d’avoir une vision théorique d’un idéal que quelque part on ne connaît pas, autant il est inconcevable pour moi d’être incapable d’en discuter correctement si on le vit. Certes la recherche du vrai en soi et plus généralement en la Nature, dénuée de tension, de prétention à connaître, suffit ; mais cela déjà est la Sagesse, laquelle est bien rare de fait. Je me demande même pourquoi ils argumentent : si l’assassin d’enfant est très bien dans sa peau comme il est, si le suicidaire ne saurait par la discussion raisonnée améliorer sa situation, si celui qui meurt d’inanition est dans une situation parfaite, si dire de quelqu’un qu’il est malade (du corps, par exemple) est faire un injustifiable jugement de valeur, si tous les avis se valent également, pourquoi avancer le sien ? Pourquoi discuter ?

Pour le reste, je n’ai pas tant cherché à donner mon avis qu’à tenter de restituer celui de Spinoza. Pour reprendre quelques derniers points, je ne crois pas que Spinoza ait jamais considéré un rapport comme une chose singulière. Dire que les lois sont l’essence de Dieu suppose déjà reconnaître les lois comme réelles ; en outre, la connaissance - autant que possible - de l’essence de Dieu étant la Puissance, celle des lois en fait partie, qui ne sont pas des choses singulières au sens de Spinoza. Pour moi, l’accord étendu (mais pas total évidemment) avec Platon est une réalité et non un effet de mes préjugés, et je crois l’avoir montré factuellement avec les extraits fournis, de même que Spinoza parle bien du général – seul pouvant être connu en vérité – pris dans le réel particulier. Il me semble clair que c’est ton interprétation qui est une extrapolation injustifiée. Toutefois, tu penses naturellement le contraire de ton côté et il me semble bon d’arrêter là. L’aboutissement d’une discussion intervient quand on est d’accord sur l’étendue du désaccord. Non du tout que je pense que nos positions soient symétriques sur le fond, mais poursuivre en l’état serait s’enfoncer dans le vain. Par ailleurs, je crois que l’effort que nous avons fourni permet à chacun de se faire une opinion par lui-même.

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Messagepar hokousai » 23 oct. 2004, 22:05

cher Sescho

vous dîtes"""""" Il s'agit donc bien, de toute évidence, pour la connaissance du troisième genre, de la connaissance des mêmes choses que pour le second, mais (et c'est pourquoi il y a deux genres distingués) avec une différence qualitative d'envergure. """""""""""""

je serai bref parce que je conteste un point ( un point de vue )

Je ne suis pas d' accord avec vous . Comme je l'avais repéré ***antérieurement ,vous paraissez tomber dans l’anti-intellectualisme qui ferait de l 'intuition sans pensée une connaissance ( du troisième genre éventuellement )
Or la connaissance du 3emme genre me semble bien être sous un certain regard ou en regard d'un certaine chose( si l'on peut dire) qui est le savoir de notre esprit qu’il est en Dieu et se conçoit par Dieu ( cf prop 30 part5)

Sans cela hors de cette conscience là il n’y a pas à mes yeux de connaissance du troisième genre .
je regrette d' avoir à le rappeler, mais il y a une nette coloration religieuse dans cette fin de l ‘'Ethique .

Hokousai


***repéré dans le message précédent , vous y disiez :« « Je considère la pensée discursive comme pénible, et donc nuisible en l'instant à ce titre, et comportant un danger propre : l'intellectualisme stérile. Sa vocation est de disparaître lorsque la perception directe a abouti. """
la connaissance du troisième genre n’est pas intellectualiste parce que consciente, mais elle est consciente de ce que l’esprit a la connaissance de Dieu etc .. prop 30 parte 5)cette connaissance est intuitive .

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Messagepar hokousai » 23 oct. 2004, 22:15

cher Bardamu

Je saisis assez bien ce que vous voulez dire et avec moi vous insistez sur la conscience dans la connaissance du troisième genre .
Sur la singularité de toutes choses je vous suis mais je ne vous suis pas sur le cosmos .

Vous dîtes :""""""Pour moi, une chose singulière n'est rien d'autre qu'un rapport m'incluant moi et le cosmos. Connaître adéquatement une chose singulière, c'est entrer dans ce rapport et en prendre conscience.
Il n'y a pas de connaissance plus essentielle, éthiquement parlant, que celle-là, et l'essence de chaque chose est éthique, est d'être en tel ou tel rapport avec moi et le cosmos."""""""

J'estime ce concept de COSMOS bien profane et assez réducteur , ( réducteur à l 'attribut de l' Etendue ) ,c'est un petit détail mais assez révélateur de certaines différences entre nous .


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Messagepar bardamu » 24 oct. 2004, 13:36

sescho a écrit :Soit, mais il s'agit d'une tournure de phrase dans un scholie, ce qui fait vraiment léger face à l'ensemble des extraits concordants que j'ai produits.

Il se pourrait que l'essentiel de la divergence porte sur ce qu'on appelle une essence singulière.
Si je n'ai pas commenté tes citations sur l'universel ou les appels de Spinoza à la connaissance de Dieu, du souverain bien, c'est qu'elles me semblent en-deça de la problématique. Certes il y a un souverain bien, certes il y a un universel à connaître mais on ne dit encore rien tant qu'on n'a pas dit ce qu'il était. Je ne conçois pas une connaissance adéquate de Dieu sans une connaissance adéquate des choses particulières qui sont l'expression réelle de Dieu.
J'essaie une synthèse : le souverain bien est la conscience ici et maintenant du monde particulier où je vis (ou que je suis). La connaissance d'une chose singulière est la connaissance de sa perfection, c'est-à-dire de sa réalité, c'est-à-dire de sa place dans le monde, c'est-à-dire de sa place dans mon monde replacé dans l'ensemble. L'essence d'une pomme n'est pas d'être ronde, rouge, accrochée à un pommier et autres qualités générales, c'est d'être quelque chose, là, essentiellement différent de toute autre, que je mange et qui me fait plaisir d'autant plus que je saisis en quoi son être est lié à l'ensemble du monde et que c'est donc le monde entier qui me fait plaisir.
Je ne vois rien d'autre à savoir éthiquement parlant et je ne doute pas que j'ai là la connaissance de l'essence d'une chose particulière parce que c'est là que je sens combien cette connaissance augmente ma puissance de vie : joie, éveil, sérénité, amour de la pomme (cause efficiente de ma joie) et de Dieu (cause efficiente de tout ça).
Objectif final : aimer le monde, nature naturante-naturée, totale diversité.
sescho a écrit :Comme j'ai eu l'occasion de le dire, une conclusion peut être "juste" sans que nous la voyions pour autant en vérité (ce que nous voyons en vérité alors, pour moi, c'est seulement la logique de la démonstration) ; cela, c'est la connaissance du deuxième genre. Mais si nous voyons "cette conclusion" (la "chose"), cette loi générale, en vérité, par la perception directe en l'instant dans une interaction avec une chose physique quelconque, alors là c'est vraiment clair et distinct. Et on parvient à cela en rapprochant ce que la Raison nous a indiqué du fait physique constaté.

Aurais-tu un exemple concret si possible autre que mathématique ?
Le "fait physique constaté" est, déjà dans le quotidien, quelque chose d'assez confus et en physique c'est encore plus flou.
Si on considère la Relativité Générale comme la loi générale de la gravitation, je doute que quiconque en ait une intuition et idem pour la physique quantique, le chaos déterministe ou simplement les probabilités. Les lois scientifiques les plus générales sont contre-intuitive aujourd'hui.
Si il ne s'agit pas des lois scientifiques, de quelles lois générales s'agit-il ?
sescho a écrit :(...)Se connaître s'est donc connaître en soi ce qu'il y a d'universel dans l'homme, au-delà des mouvements psychiques particuliers en tant que particuliers, et c'est seulement en quoi on peut dire que l'Âme est immortelle. Pour le reste, secondaire : le "plus particulier", la mémoire propre, etc., c'est sans doute à chacun de voir ce qu'il peut.

Comment est-ce que je me distingue de mon voisin si je considère que mon essence est ce que je partage avec lui ?
Certes on a 2 bras, 2 jambes et une tête comme tout le monde, mais tout le monde ce n'est personne. Qui suis-je, qui est Spinoza, qu'est-ce qui fait que je ne suis pas Spinoza ?
Qu'est-ce qu'une essence singulière pour toi ?
sescho a écrit :Je me demande même pourquoi ils argumentent : si l’assassin d’enfant est très bien dans sa peau comme il est, si le suicidaire ne saurait par la discussion raisonnée améliorer sa situation, si celui qui meurt d’inanition est dans une situation parfaite, si dire de quelqu’un qu’il est malade (du corps, par exemple) est faire un injustifiable jugement de valeur, si tous les avis se valent également, pourquoi avancer le sien ? Pourquoi discuter ?

C'est tout le thème des lettres entre Spinoza et Blyenbergh.
Lettre XXIII : "si quelque homme voit qu'il peut vivre plus commodément suspendu au gibet qu'assis à sa table, il agirait en insensé en ne se pendant pas ; de même qui verrait clairement qu'il peut jouir d'une vie ou d'une essence meilleure en commettant des crimes qu'en s'attachant à la vertu, il serait insensé, lui aussi, s'il s'abstenait de commettre des crimes. Car, au regard d'une nature humaine aussi pervertie, les crimes seraient vertu."

La valeur absolue des puissances s'établit de manière immanente et pas par un jugement extrinsèque. Chaque chose se juge à sa puissance propre et on ne peut souhaiter au requin que d'être un bon prédateur et à l'assassin d'enfant d'être un bon assassin. Les conséquences pour lui seront sociales, il sortira de la catégorie générale des humains pour passer dans celle des monstres et sera traité comme tel mais cela n'impliquera rien sur son éventuelle sagesse "monstrueuse". C'est tout le problème de la perversion, y compris au sens psychiatrique : le pervers est au-dessus des lois, subir la punition ne s'accompagne pas de culpabilité, il reste avec son auto-satisfaction, comme le philosophe ou le prophète...
sescho a écrit :je ne crois pas que Spinoza ait jamais considéré un rapport comme une chose singulière.

Il faut voir sa physique : les corps comme rapports de mouvement et de repos.
sescho a écrit :Dire que les lois sont l’essence de Dieu suppose déjà reconnaître les lois comme réelles ; en outre, la connaissance - autant que possible - de l’essence de Dieu étant la Puissance, celle des lois en fait partie, qui ne sont pas des choses singulières au sens de Spinoza.

Comme je l'ai dit ailleurs, je considère les lois générales et un chaos de lois particulières. Chaque chose est prise dans des lois générales et chaque chose à sa loi, sa loi qui fait qu'elle est cette chose et pas une autre. Chaque conatus exprime une loi de la Substance.
sescho a écrit :Il me semble clair que c’est ton interprétation qui est une extrapolation injustifiée. Toutefois, tu penses naturellement le contraire de ton côté et il me semble bon d’arrêter là.

Je ne pense pas que ton interprétation ou la mienne soit injustifiée même si je suis évidemment persuadé que la mienne est plus puissante que la tienne (j'aime bien ce côté gamin des discussions, "c'est qui qu'a la plus puissante ?").

Il se peut que j'extrapole du fait que le 3e genre est peu développé dans les textes mais je pense partager ces extrapolations avec d'autres, notamment Deleuze, comme l'a remarqué Miam.

Deleuze, Spinoza Philosophie pratique, p. 130-131 a écrit :Le statut central des notions communes est bien indiqué par l'expression "second genre de connaissance", entre le premier et le troisième. Mais de deux manières très différentes, non symétriques. Le rapport du deuxième au troisième genre apparaît sous la forme suivante : étant des idées adéquates, c'est-à-dire des idées qui sont en nous comme elles sont en Dieu (II, 38 et 39), les notions communes nous donnent nécessairement l'idée de Dieu (II, 45, 46 et 47). L'idée de Dieu vaut même pour la notion commune la plus générale, puisqu'elle exprime ce qu'il y a de plus commun entre tous les modes existants, à savoir qu'ils sont en Dieu et sont produits par Dieu (II, 45, c ; et surtout V,36,sc., qui reconnaît que toute l'Ethique est écrite du point de vue des notions communes, jusqu'aux propositions du livre V concernant le troisième genre). L'idée de Dieu comme faisant fonction de notion commune est même l'objet d'un sentiment et d'une religion propres au second genre (V 14-20).
Reste que l'idée de Dieu n'est pas en elle-même une notion commune et que Spinoza la distingue explicitement des notions communes (II, 47 sc.) : c'est précisément parce qu'elle comprend l'essence de Dieu, et ne fait fonction de notion commune que par rapport à la composition des modes existants. Quand donc les notions communes nous conduisent nécessairement à l'idée de Dieu, elles nous amènent à un point où tout bascule, et où le troisième genre va nous découvrir la corrélation de l'essence de Dieu et des essences singulières des êtres réels, avec un nouveau sens de l'idée de Dieu et de nouveaux sentiments constitutifs de ce troisième genre (V, 21-37). Il n'y a donc pas rupture du deuxième au troisième genre, mais passage d'un versant à l'autre de l'idée de Dieu (V, 28] : nous passons au-delà de la Raison comme faculté des notions communes ou système des vérités éternelles concernant l'existence, nous entrons dans l'entendement intuitif comme systèmes des vérités d'essence (parfois nommé conscience, puisque c'est là seulement que les idées se redoublent ou se réfléchissent en nous telles qu'elles sont en Dieu, et nous font expérimenter que nous sommes éternels).


Mon souci en philosophie est principalement éthique (= "que faire ?") y compris dans mes réflexions ontologiques.
Dans les conséquences de ta perception, je vois un point mort, un vide essentiel contraire à l'esprit de plénitude de Spinoza. En refusant la connaissance de l'essence de telle ou telle chose, j'ai l'impression qu'on conserve l'idée d'un monde-fiction, d'un monde faux et donc mauvais, dont on ne sortirait que par la négation du concret, de l'être-là de la chose au profit d'une re-construction abstraite de l'être. En affirmant la connaissance de l'essence de chaque chose, on affirme une positivité pure qui s'affirme en nous, directement, sans illusion.
On connaît l'essence de la chose quitte à abandonner l'idée d'une essence comme reconstruction infiniment précise d'une représentation de celle-ci, d'une Image-Eidos de celle-ci. L'essence du mode s'impose comme conscience de l'authentique, plutôt qu'elle ne se construit comme image du parfaitement précis. L'essence-eidos sera du domaine du 2nd genre, et j'appellerai essence-ethos celle du 3e genre.
Objectif : affirmation d'une authenticité vitale de chaque chose, refuser le négatif et le vide, affirmer un monde plein en tout point pour aimer ce monde en tout point.

Bon... faut que j'arrête mes extrapolations.

hokousai a écrit :J'estime ce concept de COSMOS bien profane et assez réducteur , ( réducteur à l 'attribut de l' Etendue ) ,c'est un petit détail mais assez révélateur de certaines différences entre nous

Profane sans aucun doute. Réducteur uniquement si on considère le cosmos comme limité à l'attribut Etendue ce qui n'était pas ici mon intention.
Pour moi, réel = cosmos = univers = nature = ce qui s'impose = positivité...
Je choisis le mot selon selon la connotation que je recherche. Mais il est vrai que mon vocabulaire spontané est physique plutôt que métaphysique, ce qui a l'avantage de m'éviter certains excès d'abstractions d'une métaphysique qui s'est beaucoup construite sur l'idéalisme. Si je pensais pouvoir me faire comprendre de manière suffisamment métaphorique ou analogique, je ne parlerais que de corps, de mouvements, de vecteurs, de mélanges... mais on risquerait de prendre ça pour ce matérialisme mécaniste et réducteur qui anime la vulgate techno-scientiste.

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Messagepar hokousai » 24 oct. 2004, 17:17

cher bardamu

Très aimable de m'avoir répondu ..( sans ironie) .C'est d' ailleurs la réponse que j' attendais""""

Vous dîtes """"""je ne parlerais que de corps, de mouvements, de vecteurs, de mélanges... mais on risquerait de prendre ça pour ce matérialisme mécaniste et réducteur qui anime la vulgate techno-scientiste."""

Non ,non ,on penserai que vous pensez dans unemanière exprimant l 'attribut de l'Etendue ..

Mais je vous attendais aussi sur une autre remarque ,il est vrai adressée à Sescho :""je regrette d' avoir à le rappeler, mais il y a une nette coloration religieuse dans cette fin de l ‘'Ethique ."""(hks )

hokousai

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Louisa
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Messagepar Louisa » 13 janv. 2008, 18:44

Cher Serge,

voici donc, comme promis, une tentative de réfléchir à la question des essences singulières. A priori, comme déjà dit ailleurs, je suis en gros d'accord avec ce que vient d'écrire ci-dessus Bardamu (et Miam), et si je crois avoir compris l'essentiel de ta position (il n'y a pas d'essences singulières), pour l'instant je ne vois pas encore très bien comment tu passes des passages cités à ta conclusion.

Au préalable, je tiens à préciser que pour l'instant je ne peux PAS donner une argumentation "parfaite" pro l'existence des essences singulières chez Spinoza. J'ai plutôt l'impression que tout ce qu'il écrit converge vers cette conclusion. C'est pourquoi je n'exclus pas non plus qu'éventuellement, en discutant, il s'avère que c'est toi qui as raison, et que Spinoza écarte explicitement toute possibilité d'essence singulière. En tout cas, ce qui m'intéresse avant tout, c'est d'essayer d'approfondir le problème en tant que tel, de mieux en comprendre les enjeux. Pouvoir arriver à une seule et même conclusion qui nous convainc tous serait génial, mais peut-être pas absolument nécessaire.

Je reprends ce que tu viens d'écrire ailleurs, car cela me semble être une intéressante "entrée en matière".

Serge a écrit :Personnellement (je me suis déjà exprimé plusieurs fois sur le sujet, et d'autres se sont montrés en désaccord, quoique selon moi ils n'aient strictement rien prouvé, et pour cause) je vois, selon le texte de Spinoza, la connaissance du troisième genre non comme un mystère qui serait le trésor caché de l'Ethique mais comme quelque chose de très simple : la vision directe de la Nature et de ses lois à l'œuvre, dans le mouvement, dans la vie, en soi.


les lois de la Nature sont-elles les lois de la nature de Dieu? Je n'en suis pas certaine. Comme le dit la démo de l'E1P17, les choses suivent en nombre infini de la seule nécessité de la nature divine, "ou encore (c'est la même chose) des seules lois de sa nature". La nature divine est-ce la même chose que la Nature? Je ne le crois pas, en fait. La nature divine, c'est l'essence de Dieu. Mais la Nature ou Dieu lui-même ne consiste pas seulement en cette essence, elle contient également toutes les affections de cette essence. Ces affections sont d'une AUTRE nature que la nature divine, tel que nous le rappelle l'E2P10. Car à l'essence divine appartient le fait d'envelopper l'existence nécessaire, mais cela ne vaut PAS pour l'essence de l'homme.

Le corollaire de la même proposition dit que "l'essence de l'homme est constituée par des modifications précises des attributs de Dieu". C'est très différent de l'essence de Dieu, qui elle est constituée par un nombre infini d'attributs.

La démo du même corollaire dit que l'essence de l'homme est "quelque chose qui est en Dieu (...) autrement dit une AFFECTION". Mais si l'essence de l'homme est une affection, et si l'on sait que de la nature divine suivent une INFINITE d'affections, ne faut-il pas en conclure qu'il existe donc une infinité d'essences? Essences qui sont toutes DIFFERENTES de l'essence de Dieu, qui quant à elle est constituée par les attributs?

Autrement dit, si pour toi il n'y a pas d'essence singulière, donc si les choses singulières n'ont pas une essence DIFFERENTE de l'essence de Dieu, est-ce que tu ne tombes pas dans l'erreur que Spinoza signale dans le scolie de la même E2P10: "ils croient (...) que la nature de Dieu appartient à l'essence des choses créées"?

Serge a écrit :Par exemple, je vois le mouvement d'un mobile où la bille de droite tape la première bille centrale immobile, le mouvement se transmettant entièrement à la bille de gauche et je perçois par-là en action la loi de conservation de la quantité de mouvement. En jouant au billard avec conscience de ce qui se passe physiquement de la même manière. En voyant le bonheur sain que j'ai à aider mon prochain sans esprit de retour aussi. C'est juste cela la connaissance du troisième genre. Le bonheur simple de percevoir clairement et distinctement en l'instant, dans la vie.


pourtant, les lois de la physique nous disent ce que toutes les choses singulières ont en commun, non? Et ce qu'une chose singulière a en commun avec une autre, ne peut constituer son essence (E2P37). Il faut en conclure que reconnaître en quoi une chose obéit à une loi de la nature, ne peut nullement être la même chose que de connaître son essence.

Je suppose que tu es d'accord avec cela, mais que pour toi cela ne pose pas de problème, puisque les choses n'ont pas d'essence singulière. Mais ce que dans ce cas je ne comprends pas, c'est en quoi le troisième genre de connaissance serait différent du deuxième. Tel que tu le présentes, il me semble qu'il suffit de prendre conscience d'une loi de la nature pour déjà être dans le troisième genre de connaissance. Le fait de se rappeler cette loi quand on contemple une chose singulière est un acte de mémoire, sans plus. On peut tout au plus dire que dans ce cas, et SI l'on identifie les lois de la nature avec l'essence même de Dieu, qu'on y voit l'essence de Dieu. Mais où Spinoza dit-il que concevoir une chose selon le troisième genre de connaissance reviendrait à voir DANS cette chose l'essence de Dieu? Car comme je viens de le montrer, cette essence de Dieu est différente de l'essence de l'homme. Pourquoi aurions-nous besoin des choses singulières pour contempler cette essence de Dieu, si déjà la connaissance des lois de la nature nous la donne parfaitement?

Puis que fais-tu avec l'E2P8, où Spinoza dit que "les idées des choses singulières, autrement dit des manières, qui n'existent pas, doivent être inclus dans l'idée infinie de Dieu de même que les essences formelles des choses singulières, autrement dit des manières, sont contenus dans les attributs de Dieu"?

Il y parle explicitement de plus d'une essence. Ce serait quoi, LES ESSENCES formelles des choses singulières, si pour toi il n'y a qu'une seule essence, qui est celle de Dieu lui-même?

Un autre problème concerne l'interprétation de l'E2P45, une fois qu'il faudrait travailler avec seulement une essence, celle de Dieu. Spinoza y dit: "L'idée d'une chose singulière existant en acte enveloppe nécessairement tant l'essence que l'existence de la chose elle-même. Or les choses singulières ne peuvent se concevoir sans Dieu: mais, parce qu'elles ont pour cause Dieu, en tant qu'on le considère sous l'attribut dont les choses sont elles-mêmes des manières, leurs idées doivent nécessairement envelopper le concept de leur attribut, c'est-à-dire l'essence éternelle et infinie de Dieu".

Nous savons déjà que l'essence de Dieu n'est pas l'essence des manières (voir ci-dessus). Il me semble qu'ici Spinoza dit littéralement qu'une chose a elle-même une essence, et que l'idée de cette chose enveloppe cette essence, tandis que cette même idée enveloppe également le concept non plus de lui-même seule, mais aussi de l'attribut dont la chose est une manière. L'idée d'une chose enveloppe donc nécessairement DEUX essences: d'une part sa propre essence, et d'autre part le concept de l'attribut donc l'essence de Dieu. Cela me semble être tout à fait logique, car l'essence de Dieu est la CAUSE de l'essence de la chose singulière, mais s'en distingue par le fait qu'elle enveloppe l'existence (elle contient sa propre cause), ce qui n'est pas du tout le cas de l'essence d'une chose singulière (qui ne contient pas sa propre cause, donc dépend d'autre chose).
Si tu veux éliminer les essences singulières - donc l'idée que chaque manière a sa propre essence formelle - comment comprends-tu cette démonstration 2.45? Comment faire comme si les deux essences dont il y parle en réalité ne seraient qu'une seule et même essence?

Autre problème: la proposition E3.57: "N'importe quel affect de chaque individu discorde de l'affect d'un autre, autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre".

Comment ces essences pourraient-elles différer l'une de l'autre, si tu ne reconnais pas aux individus une essence singulière? Ne faudrait-il pas nier la possibilité même de la discordance (politique, ...) entre les hommes si tu enlèves la possibilité d'avoir des essences singulières différentes?

Idem pour l'E3P54-55: "L'effort ou puissance de l'Esprit est l'essence même de cet Esprit; et l'essence de l'Esprit (comme il va de soi) affirme seulement ce qu'est et peut l'Esprit; et non pas ce qu'il n'est ou ne peut pas". Il est évident que mon Esprit ne peut pas faire ce que peut ton Esprit. Alors comment l'essence de mon Esprit pourrait-elle être la même que le tien, voir la même que l'essence divine .. ???

E3P9: "L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates". S'il ne s'agit pas de l'essence singulière de tel ou tel Esprit mais de l'essence de Dieu, comment celle-ci pourrait-elle être constitué d'idées inadéquates, là où Spinoza dit qu'en Dieu, toute idée est vraie et donc adéquate (E2P32)?

Serge a écrit :Mais si je vois les objets du monde comme étant en soi et non en Dieu, alors il est clair que je passe à côté d'une connaissance de troisième genre d'importance primordiale (qui n'est donnée qu'à très peu, en fait, car le dire et le vivre c'est tout autre chose, même si l'on est déjà convaincu de ce qu'a apporté le raisonnement, ce qui suppose déjà d'avoir très bien raisonné et avec conviction.) Personnellement, j'y travaille encore... (et pas toujours de façon ordonnée...)


E3P4: "aussi longtemps que nous ne prêtons attention qu'à la chose elle-même, et non aux causes extérieures, nous ne pourrons trouver en elle rien qui puisse la détruire", et cela parce que, vu en soi, la chose n'est rien d'autre que sa définition, qui affirme l'essence de CETTE chose, qui pose l'essence de la chose. Les lois de la nature, au contraire, permettrons de comprendre pourquoi à un certain moment cette chose-là est détruire.
J'aurais donc tendance à voir les choses de façon inverse à ce que tu proposes: aussi longtemps que l'on regarde les lois de la nature, on ne regarde pas l'essence de CETTE chose, mais on peut en revanche comprendre pourquoi voire quand elle sera détruire. Si au contraire on cesse de regarder autre chose que la chose en soi, alors là on ne voit plus rien d'autre que sa définition ou son essence. Comment interpréterais-tu cette proposition 3.4 si tu ne crois pas qu'il y a pour Spinoza des essences singulières?

E2P44: "il est de la nature de la raison de percevoir les choses vraiment, à savoir comme elles sont en soi".

A mon sens tu confonds ici l'idée de concevoir les choses comme elles sont en soi, et le fait que l'homme a tendance à concevoir les IMAGES des choses en soi (par exemple E3P18). Or l'image de la chose n'est pas du tout la chose. L'image de la chose, c'est une affection de mon corps et rien d'autre. Alors il va de soi qu'aussi longtemps que je ne regarde que cette affection de mon corps, je ne vais pas avoir une connaissance adéquate de la chose en question. Car avoir une idée de cette affection, c'est précisément ce que Spinoza appelle, par définition, "imaginer" (E2P17).

Serge a écrit :Autrement dit, si vous me dites que vous ne faites pas de distinction entre la sensation pure et la perception associée et que le tout est parfait, je vous dis que vous venez de définir ce qu'est la connaissance du troisième genre.


je ne vois pas comment identifier cela à la définition de la connaissance du troisième genre (qui va de l'idée adéquate d'un attribut vers la connaissance adéquate de l'essence d'une chose, E2P40 sc.II). J'y vois plutôt quasiment texto la définition de l'imagination: "Quand l'esprit contemple les corps extérieurs à travers les idées des affections de son propre Corps, nous disons qu'il les imagine", E2P26 cor.

Puis pour moi il s'agit même d'une négation de la distinction spinoziste essentielle entre une idée et une affection du corps, l'affection étant la sensation pure, et l'idée la "perception" y associée. Bref, il s'agit d'une confusion de l'image et de l'idée, confusion très fréquente selon Spinoza (par exemple E2P49 sc.).

Serge a écrit :Evidemment, le dire comme cela impose tout-de-suite le rappel de la Modestie : il ne suffit pas de prendre ces perceptions comme elles sont (ce qui est déjà beaucoup, néanmoins) pour qu'elles soient vraiment claires et distinctes et très complètes. Si l'on suit Spinoza, c'est la richesse de la mise en perspective (disons, pour illustrer, de l'importance et du nombre de lois perçues clairement et directement à l'œuvre, dans la perception directe en général) qui fait la puissance.


pourrais-tu indiquer un endroit qui te donne l'impression que ce dont il s'agit, dans le troisième genre de connaissance, ce n'est pas tellement un nombre de CHOSES SINGULIERES (E5P14) mais avant tout un nombre de LOIS de la nature?

Enfin, on sait que Spinoza définit l'essence d'une chose par un DEGRE de puissance, tandis que Dieu ou l'essence de la chose est une puissance infinie. Comment comprends-tu cette essence comme degré de puissance, si pour toi il n'y a pas d'essences singulières?

Voici donc quelques problèmes que j'ai pour l'instant avec l'idée de laisser tomber la notion d'essence singulière. S'il est tout à fait vrai que jamais Spinoza ne l'utilise explicitement, il y a pour moi pas mal d'endroits qui deviennent ou bien incompréhensibles, ou bien carrément contradictoire, si l'on ne travaille pas avec cette notion. C'est cela qui le rend à mes yeux nécessaire de la postuler. Si tu trouves un moyen pour résoudre tous ces problèmes, alors on pourra dire qu'effectivement, rien n'exclut la possibilité d'une absence d'essence singulière. Mais on n'aura toujours pas prouvé qu'elle est réellement contradictoire avec le spinozisme. C'est cette preuve que pour l'instant je ne retrouve pas dans tes messages ci-dessus.
Cordialement,
louisa

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Messagepar sescho » 14 janv. 2008, 23:09

Louisa a écrit :A priori, comme déjà dit ailleurs, je suis en gros d'accord avec ce que vient d'écrire ci-dessus Bardamu (et Miam), et si je crois avoir compris l'essentiel de ta position (il n'y a pas d'essences singulières), pour l'instant je ne vois pas encore très bien comment tu passes des passages cités à ta conclusion.

Au préalable, je tiens à préciser que pour l'instant je ne peux PAS donner une argumentation "parfaite" pro l'existence des essences singulières chez Spinoza. J'ai plutôt l'impression que tout ce qu'il écrit converge vers cette conclusion. ...

Argh ! 8O

Je pense, comme Spinoza, qu'il y a des essences singulières mais que l'Homme ne peut les connaître adéquatement.

Mais le sujet, dans mon esprit, n'était pas de faire des digressions autour de ce thème, mais d'analyser autant que possible avec rigueur le texte même de Spinoza (sans ajouter ni retirer de mots, etc.) Or il s'agit je pense de passages courts, écrits en bon français, compréhensibles (à tel point que je ne vois pas bien ce que je pourrais y ajouter) et analysables, je pense, pour toi (voir néanmoins à titre d'illustration ce que je propose pour E5P36S ici.)

Je remets ici les passages de Spinoza pour que tu puisses nous dire comment tu interprètes tout cela (à défaut de démontrer) :

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P25 : L’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps extérieur.

E2P26 : L’âme humaine ne perçoit aucun corps comme existant en acte, que par les idées des affections de son corps.

E2P29S : Je dis expressément que l’âme humaine n’a point une connaissance adéquate d’elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, mais seulement une connaissance confuse, toutes les fois qu’elle perçoit les choses dans l’ordre commun de la nature ; par où j’entends, toutes les fois qu’elle est déterminée extérieurement par le cours fortuit des choses à apercevoir ceci ou cela, et non pas toutes les fois qu’elle est déterminée intérieurement, c’est-à-dire par l’intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu’elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l’heure.

E2P37 : Ce qui est commun à toutes choses (voir le Lemme ci-dessus), ce qui est également dans le tout et dans la partie, ne constitue l’essence d’aucune chose particulière.

E2P38 : Ce qui est commun à toutes choses et se trouve également dans le tout et dans la partie, ne se peut concevoir que d’une façon adéquate.

Corollaire : Il suit de là qu’il y a un certain nombre d’idées ou notions communes à tous les hommes. Car (par le Lemme 2) tous les corps se ressemblent en certaines choses, lesquelles (par la Propos. précéd.) doivent être aperçues par tous d’une façon adéquate, c’est-à-dire claire et distincte.

E2P40S2 : Outre ces deux genres de connaissances, on verra par ce qui suit qu’il en existe un troisième, que j’appellerai science intuitive. Celui-ci va de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. J’expliquerai cela par un seul exemple. … Soit, par exemple, les trois nombres en question, 1, 2, 3 : il n’y a personne qui ne voie que le quatrième nombre de cette proportion est 6, et cette démonstration est d’une clarté supérieure à toute autre, parce que nous concluons le quatrième terme du rapport qu’une seule intuition nous a montré entre le premier et le second.

E2P46Dm : … ce qui donne la connaissance de l’infinie et éternelle essence de Dieu est commun à toutes choses, et se trouve également dans la partie et dans le tout : d’où il suit (par la Propos. 38, partie 2) que cette connaissance est adéquate. C. Q. F. D.

E2P47S : Nous voyons par là que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont choses connues de tous les hommes. Or, comme toutes choses sont en Dieu et se conçoivent par Dieu, il s’ensuit que nous pouvons de cette connaissance en déduire beaucoup d’autres qui sont adéquates de leur nature, et former ainsi ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé (dans le Schol. 2 de la Propos. 40, partie 2), et dont vous aurons à montrer dans la partie cinquième la supériorité et l’utilité. Mais comme tous les hommes n’ont pas une connaissance également claire de Dieu et des notions communes, il arrive qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils font les corps, et qu’ils ont uni le nom de Dieu aux images des choses que leurs yeux ont coutume de voir, et c’est là une chose que les hommes ne peuvent guère éviter, parce qu’ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs.

E5P12Dm : Les objets que nous concevons clairement et distinctement, ce sont les propriétés générales des choses, ou ce qui se déduit de ces propriétés.

Traduction Pautrat : Les choses que nous comprenons clairement et distinctement, ou bien sont des propriétés communes des choses, ou bien se déduisent d’elles…

E5P23S : Les yeux de l’âme, ces yeux qui lui font voir et observer les choses, ce sont les démonstrations.

E5P23Dm : … les idées qui sont en nous claires et distinctes ou qui se rapportent à la connaissance du troisième genre (voy. le Schol. 2 de la propos. 40, part. 2) ne peuvent résulter des idées mutilées et confuses, lesquelles (par le même Schol.) se rapportent à la connaissance du premier genre, mais bien des idées adéquates, c’est-à-dire (par le même Schol.) de la connaissance du second et du troisième genre. Ainsi donc (par la Déf. 1 des passions) le désir de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre ne peut naître de la connaissance du premier genre, mais il peut naître de celle du second. C. Q. F. D.

E5P36CS : … et j’ai pensé qu’il était à propos de faire ici cette remarque, afin de montrer par cet exemple combien la connaissance des choses particulières, que j’ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j’ai appeler du second genre ; car, bien que j’aie montré dans la première partie d’une manière générale que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, si solide et si parfaitement certaine qu’elle soit, frappe cependant notre âme beaucoup moins qu’une preuve tirée de l’essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion.



Serge
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