E5P40S : signification ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 11 mars 2012, 14:43

1) Tout ce qui est dans la puissance de Dieu ou de la nature existe nécessairement : E1P35

-> Or mon chat est dans la puissance de Dieu, donc mon chat existe nécessairement.

2) Il est de la nature de la raison de concevoir les choses comme nécessaires : E2P44 et donc, corollaires : c'est par la seule imagination que nous concevons les choses comme contingentes ; il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous l'angle de l'éternité. Mais E2P45 : c'est vrai aussi de l'entendement intuitif, qui ne porte pas sur les notions communes mais sur les choses singulières : "Toute idée d'un corps ou d'une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu." Or ce qui existe à partir d'une essence éternelle est également éternel (E1D8). Donc toute idée d'un corps ou toute idée d'une idée, en tant qu'elle enveloppe l'essence de Dieu, est également éternelle. Il ne s'agit pas ainsi dans Éthique V de ne se connaître que soi-même sous l'aspect de l'éternité mais bien toutes les choses qu'il nous est possible de connaître (E5P25 à 27).

-> Or puisque mon chat existe nécessairement, et qu'il exprime la puissance éternelle de Dieu, il est possible de le connaître sous l'aspect de l'éternité. Et ce notamment parce que par éternité, nous pouvons entendre "l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue comme résultant nécessairement de la seule définition de la chose éternelle", de sorte qu'en existant comme résultat nécessaire de la nature de Dieu, qui est éternel, mon chat est éternel.

Certes mon chat, comme moi-même d'ailleurs n'existons pas nécessairement à partir de notre seule essence, mais nous existons nécessairement à partir de l'essence de Dieu et de l'existence de l'infinité des causes qui ont conduit à la nôtre et donc éternellement.

3) La durée n'est pas contraire à l'éternité, c'est la continuation indéfinie mais donc limitée d'une existence, tandis que l'éternité est l'existence même en tant qu'elle est déjà accomplie avant d'apparaître dans la durée et encore accomplie alors qu'elle n'est plus dans la durée. L'éternité, contrairement à ce qui a été dit plus haut, n'est pas la durée infinie (cf. explication d'E1D8), elle est l'existence nécessaire de toutes choses malgré la finitude de leur durée. Finitude qui d'ailleurs ne se conçoit qu'abstraitement, comme forme de la quantité (E2P45S).

Ainsi mon chat, comme moi-même en tant qu'homme, avons une existence limitée du point de vue de la durée mais, aussi bien, nous existons éternellement en tant que notre essence exprime la nécessité éternelle de Dieu : ce qui n'existe pas encore ou plus dans la durée existe cependant de toute éternité en Dieu, selon l'attribut qui s'y rapporte, en tant que corps ou en tant qu'idée : E2P8. Autrement dit, sous l'aspect de l'éternité, tout est également présent, il n'y a pas de "n'être pas encore" ou de "n'être plus", c'est une simultanéité de tous les étants ; croire que ce qui ne dure qu'un temps n'est pas éternel, c'est proprement confondre l'éternité et la durée infinie.

4) Pour toute chose existant en acte, il existe en Dieu une idée de cette chose : E2P3 ; Dieu est la cause de la réalité formelle des idées (le fait qu'elles soient formées) en tant qu'il est substance pensante (E2P5) et cette idée est son esprit même : E2P11 et démonstration de E2P12 - c'est pourquoi Spinoza ne nie pas la sensibilité aux bêtes, contrairement à Descartes, sachant comment l'esprit se forme (E3P57S).

-> Dieu a l'idée de mon chat, dont Dieu est la cause en tant qu'il est affecté par une autre idée et ainsi à l'infini (E2P9), il connaît de toute éternité ce qui se passe dans l'objet de cette idée (corollaire suivant), autrement dit il est son esprit en tant que mode éternel de la pensée. Il suit de là que l'esprit ou idée du corps du chat fait partie de l'entendement infini de Dieu, comme c'est le cas pour l'esprit de l'homme (E2P11S).

5) L'homme n'est pas un empire dans un empire, ce qui vaut fondamentalement pour lui, vaut aussi pour tout ce qui existe selon les lois de la nature. Spinoza, dans l’Éthique s'intéresse principalement au salut de l'homme, il dit bien qu'il pourrait déduire beaucoup d'autres choses de ses principes ontologiques, mais que ce n'est pas son objet. Ce qui est affirmé du moins jusqu'à E2P13, les idées des choses et leur rapport à l'entendement infini vaut pour toutes choses : "tout ce qui a été exposé jusqu'à ce moment étant d'une application générale et ne se rapportant pas plus à l'homme qu'aux autres individus de la nature ; car tous à des degrés divers sont animés. De toutes choses, en effet, il y a nécessairement en Dieu une idée dont Dieu est cause, de la même façon qu'il l'est aussi de l'idée du corps humain, et par conséquent tout ce que nous disons de l'idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l'idée de toute autre chose quelconque. " (E2P13S)

Ce qui différencie l'homme du chat, c'est la complexité de son corps : "à mesure qu'un corps est plus propre que les autres à agir ou à pâtir simultanément d'un grand nombre de façons, il est uni à une âme plus propre à percevoir simultanément un grand nombre de choses". L'esprit de l'homme peut percevoir beaucoup plus de choses que celui d'un chat, celui d'un chat beaucoup plus que celui d'une plante, celui d'une plante beaucoup plus que celui d'une pierre étant donné que leurs corps peuvent agir ou pâtir d'un plus ou moins grand nombre de façons. Il n'y a donc bien qu'une différence de degrés entre eux.

Aussi le chat n'a probablement pas une idée très claire de Dieu en tant qu'il n'est capable de percevoir que peu de choses simultanément et ainsi en former des notions communes que de façon très partielle. On notera cependant qu'en expliquant le fondement du troisième genre de connaissance, dans E2P45, Spinoza ne se réfère dans sa démonstration qu'à des propositions antérieures à E2P13. En revanche, l'idée de l'idée qu'un chat peut avoir de son corps sera aussi limitée que celle de son corps, principalement à mon sens parce qu'il ne dispose pas des moyens physiques d'un langage articulé permettant de rassembler ensemble un grand nombre de perceptions (sachant toutefois qu'un mauvais usage de ce même langage est la raison qui fait qu'en ayant une connaissance adéquate de Dieu et de leur relation avec lui, les hommes n'en ont pas clairement conscience).

Pourtant, un chat perçoit l'étendue en percevant les corps - ce qui n'est probablement pas le cas d'une plante qui n'ayant pas à se mouvoir pour vivre n'a pas besoin de percevoir d'autres corps. On pourrait donc reprendre à son compte ce que dit la démonstration d'E2P47, à ceci près que les notions communes dont un chat peut disposer sont certainement beaucoup moins nombreuses.
Mais quoiqu'il en soit, s'il est douteux qu'un chat ait l'idée de Dieu, c'est-à-dire de l'étendue et de la pensée, Dieu a l'idée du chat et c'est ce qui importait dans mon explication précédente.

Que le chat ne puisse donc concevoir sa propre essence sous l'aspect de l'éternité n'empêche en rien qu'elle soit un mode éternel de la puissance de de penser de Dieu et que ce mode constitue donc avec tous les autres son entendement infini.

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Messagepar hokousai » 11 mars 2012, 16:13

à Henrique

je vais restreindre mon questionnement

Je disais
Car vous écrivez :"C'est donc l'idée du chat, comme mode éternel de la nature qui est en Dieu " Est -ce que l'idée du chat comme mode éternel de la nature est différente de l'idée du chat ( tout court ).

vous me répondez :
<b>Je ne peux pas vous dire, ne sachant pas ce que vous entendez par "tout court".</b>

J'ai une idée du chat disons que je sais reconnaitre un chat ( je ne vais pas plus loin ...Colette vous en écrirai un roman

SI je dis j'ai l'idée du chat comme animal de compagnie .
J'ai l'idée du chat comme attrapeur de souris
Jai l'idée du chat comme allergisant .
J' ai l'idée du chat comme animal de concours .

Le commun des mortels vous dira qu''il comprend comme une sorte d 'ajout à l'ideé du chat ( tout court ).

Mais dans<b> l'idée du chat comme mode éternel de la nature qui est en Dieu</b>.
Est -ce qu'il y a un ajout et lequel ?
.........................................................................

je vous disais ceci
En fait c'est tout ce qu'on pense quand on se le dit . Je me dis" mon chat mange ", il y a dedans l"idée de l'essence du chat et son expression singulière ...les deux , unies.
"
vous me répondez
<b>Je ne crois pas. Si vous avez simplement conscience de l'image du chat mangeant, vous n'avez pas forcément la conscience concrète que le chat exprime nécessairement l'étendue de Dieu.</b>

ça c'est très intéressant .
Mais je vous fais la même demande. Qu'est ce que ça ajoute ?

Si je dis : j'ai l'idée du chat comme chose étendue (plutôt que comme animal de compagnie), qu'est ce que ça ajoute ?
Qu'est- ce que ça ajoute de <b>différent</b> de "animal de compagnie ?"

Pourquoi y voyez- vous une différence telle que cette idée de chat là soit éternelle?
Il me semble que vous avez une idée très abstraite de l'étendue, ce qui nest pas mon cas.( ne pas vous étonner que Kant l' apriorise. )

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Messagepar Shub-Niggurath » 11 mars 2012, 16:43

Henrique a écrit : croire que ce qui ne dure qu'un temps n'est pas éternel, c'est proprement confondre l'éternité et la durée infinie.


Oui je crois qu'on peut dire d'une chose éternelle qu'elle dure, car l'éternité est la même chose que l'existence (définition 8 partie 1), et la durée la continuation indéfinie de l'existence (définition 5 partie 2). Une durée infinie appartient donc aux choses éternelles, autrement dit la perpétuité. Mais je ne confonds pas la durée avec le temps, qui n'est qu'une manière d'imaginer la durée. De même je ne confond pas l'éternité avec le passé, ni avec le présent ni avec le futur, car ces trois choses sont elles aussi des manières d'imaginer la durée.

Si donc une chose éternelle possède une existence infinie, ce que Spinoza affirme clairement, on ne pourra pas attribuer l'éternité à n'importe quel mode de l'attribut pensant, autrement dit à n'importe quelle idée, mais seulement aux idées qui sont elles-mêmes éternelles, c'est-à-dire aux idées qui appartiennent au second et au troisième genre de connaissance.
Or ces idées sont bien dans les esprits humains et non dans les esprits des autres animaux ou plantes de la Nature. Donc les animaux et les plantes ne font pas partie de l'intellect de Dieu, et ne sont pas éternels comme lui.

C'est que former des idées éternelles n'est même pas à la portée de tous les humains, mais cela nécessite un effort particulier de la pensée (Spinoza ne cesse de dire que c'est très difficile, et je suis bien d'accord avec lui). Or si c'est très difficile pour les esprits humains, combien davantage ce l'est pour les esprits des autres animaux. Donc le salut, qui consiste à comprendre les choses par le second et le troisième genre de connaissance, est une chose difficile autant que rare (scolie de la proposition 42 partie 5).

Il n'y a donc pas à chercher l'intellect de Dieu dans les esprits des animaux ni dans ceux des plantes, mais seulement dans les esprits humains, et aussi, sans faire de science-fiction, dans les esprits des autres êtres vivants et pensants dans l'univers infini.

Concernant la nécessité de l'existence, je ne crois pas non plus qu'on puisse l'attribuer à n'importe quels modes indifféremment, mais seulement aux modes éternels et infinis, comme par exemple l'intellect de Dieu. L'axiome 1 partie 2 est très clair sur ce point. Or si l'existence nécessaire n'appartient pas à l'homme, du moins tant qu'il n'a pas formé d'idées adéquates, combien moins il appartient aux autres animaux et aux plantes. Donc il me paraît tout à fait absurde de prétendre qu'un chat ou n'importe quel autre animal existe nécessairement, et donc est éternel.

Il n'y a que l'idée de Dieu qui puisse conférer à l'esprit l'éternité, c'est-à-dire l'idée d'un être absolument infini, et le salut consiste à comprendre que tout est en Dieu et se conçoit par Dieu. Or le salut et l'éternité de l'esprit, c'est la même chose. Donc les êtres qui n'ont pas la puissance de former l'idée de Dieu ne peuvent être sauvés, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent faire partie de l'intellect éternel et infini de Dieu, mais ils périssent nécessairement.

"Dieu seul, par conséquent, implique l'existence nécessaire, et rien d'autre que lui" Lettre 35...

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Messagepar bardamu » 11 mars 2012, 17:20

Shub-Niggurath a écrit :Oui je crois qu'on peut dire d'une chose éternelle qu'elle dure, car l'éternité est la même chose que l'existence (définition 8 partie 1), et la durée la continuation indéfinie de l'existence (définition 5 partie 2). Une durée infinie appartient donc aux choses éternelles, autrement dit la perpétuité. (...)

C'est que former des idées éternelles n'est même pas à la portée de tous les humains, mais cela nécessite un effort particulier de la pensée (Spinoza ne cesse de dire que c'est très difficile, et je suis bien d'accord avec lui).

Je crains que ça ne puisse pas marcher comme ça.
Soit l'idée "2+2=4" : en tant qu'elle constitue mon esprit, en tant que j'ai l'idée dans la durée, on lui associe une durée : (mon esprit présentement ("2+2=4")). Idem en tant qu'elle constitue un autre esprit dans la durée.
L'idée sub specie aeternitatis, l'idée en tant qu'éternelle, c'est l'idée considérée sans les conditions d'effectuation dans la durée, ce qui permet qu'on parle d'une même idée constituant mon esprit et un autre (ou même d'un ordinateur en tant qu'il effectue l'opération), que ce soit la même idée de Dieu effectuée par le Christ-Esprit ou l'Ethique de Spinoza bien que ce soit chacun à leur manière dans les conditions d'existence dans la durée qui sont les leurs.
Cela ne veut pas dire que ces conditions d'effectuation dans la durée n'existent pas ou qu'elles ne sont pas nécessairement liées à l'existence de l'idée, mais que par définition ce n'est pas par elles qu'on peut dire qu'une idée est éternelle puisque justement l'éternité se distingue de la durée.
On peut voir de manière assez marquante ce principe de "multi-réalisabilité" des idées dans la lettre 17 à Balling où Spinoza semble parler d'une quasi-télépathie en tant que deux esprits sont constitués de la même idée. Avoir la même mentalité, le même esprit, penser la même chose, parce qu'on est constitué des mêmes idées au niveau des essences, du sub specie aeternitatis.

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Messagepar Shub-Niggurath » 11 mars 2012, 17:47

Je ne dis pas que l'éternité soit la même chose que la durée, mais je dis que l'éternité implique nécessairement une durée infinie. L'éternité ne s'explique pas par la durée, mais la durée s'explique bien par l'éternité. Sinon il faudrait vider de son sens le terme d'éternité, qui n'aurait alors plus rien à voir avec l'existence infinie. Or existence infinie et éternité, c'est la même chose. Donc une chose éternelle dure perpétuellement, autrement dit infiniment.

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Messagepar bardamu » 11 mars 2012, 18:30

Shub-Niggurath a écrit :Je ne dis pas que l'éternité soit la même chose que la durée, mais je dis que l'éternité implique nécessairement une durée infinie. L'éternité ne s'explique pas par la durée, mais la durée s'explique bien par l'éternité. Sinon il faudrait vider de son sens le terme d'éternité, qui n'aurait alors plus rien à voir avec l'existence infinie. Or existence infinie et éternité, c'est la même chose. Donc une chose éternelle dure perpétuellement, autrement dit infiniment.

Soit je ne comprends pas bien ce que tu veux dire, soit non.

E5p23 dém. : Or, nous n'attribuons à l'esprit humain aucune durée
qui se puisse déterminer dans le temps, si ce n'est en tant
qu'il exprime l'existence actuelle du corps, laquelle se développe
dans la durée et peut se déterminer dans le temps ; en d'autres
termes (par le Coroll. de la Propos. 8, part. 2), nous n'attribuons à
l'esprit une durée que pendant la durée du corps. Toutefois, comme
ce qui est conçu par l'essence de Dieu avec une éternelle nécessité
est quelque chose, ce quelque chose, qui se rapporte à l'essence de
l'esprit, est nécessairement éternel (par la Propos. précéd.).


Soit on attribue une durée à l'esprit est alors c'est une durée déterminée, soit on le considère sub specie aeternitatis et alors on ne lui attribue pas de durée. En tout cas, on ne lui attribue pas de durée infinie.
L'éternité (E1d8) est la chose posée par son essence, et sa manière d'être implique ou pas une durée infinie. L'essence d'un mode fini existe éternellement en tant que mode fini, avec la part de puissance et de durée qui lui revient, sans plus.

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Messagepar Shub-Niggurath » 11 mars 2012, 20:15

Je répondrais en citant la proposition 21 partie 1 :

"tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu a dû exister toujours (semper) et être infini, autrement dit est, par cet attribut, éternel et infini."

On a donc bien une équivalence, dans l'esprit de Spinoza, entre le fait d'exister toujours (au sens fort, c'est à dire perpétuellement ou sempiternellement) et le fait d'être éternel.

J'ajoute le commentaire de Pierre-François Moreau sur cette proposition, qui va exactement dans le même sens :

http://gedomia.ens-lsh.fr/simclient/int ... ements.xml

"l'éternité implique la perpétuité" et "quand il y a éternité il y a perpétuité"
dit Pierre-François Moreau.

Et dans la démonstration, Spinoza confond les termes d'existence et de durée, ce qui montre bien que ce qui a une existence infinie possède également une durée infinie, autrement dit que l'existence de cette chose est éternelle, donc qu'elle enveloppe ou implique une durée perpétuelle. (existentiam sive durationem)

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Messagepar Henrique » 11 mars 2012, 20:56

Shubb-Niggurath,
On peut admettre que Dieu, ses attributs et ses modes infinis ont une durée infinie, une perpétuité ou une sempiternité, en tant qu'ils sont effectivement infinis mais ce n'est pas par cela qu'ils sont dits éternels.
C'est pourtant bien dans l'explication de la définition 8 : quand bien même on concevrait une durée sans commencement ni fin, c'est-à-dire une durée comme continuation infinie d'une existence, ce n'est pas l'éternité.

E2P8C montre clairement qu'il y a deux types d'existence pour les modes finis : soit du point de vue de leur durée et alors ils n'existent que selon une durée limitée, soit du point de vue de l'idée infinie de Dieu, c'est-à-dire l'entendement infini comprenant éternellement l'infinité des modes qui découlent des attributs et en ce sens (E1P16) et alors ils sont éternels : "aussi longtemps que les choses singulières n'existent qu'en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, c'est-à-dire les idées de ces choses n'existent qu'en tant qu'existe l'idée infinie de Dieu ; et aussitôt que les choses singulières existent, non plus seulement en tant que comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant qu'ayant une durée, les idées de ces choses enveloppent également cette sorte d'existence par laquelle elles ont une durée. "

Autrement je voudrais bien savoir où Spinoza affirme qu'il n'y a que ce qui possède une existence infinie qui serait éternel.

Quand bien même il n'y aurait que l'homme qui pourrait avoir l'idée de Dieu, ce qui n'est pas du tout démontré mais cela importe en fait peu à mon propos, le fait qu'il ait l'idée de Dieu ne fait pas de lui un être infini, tant par l'étendue que par la pensée.

Ensuite que l'idée d'une chose singulière, constituant l'esprit de cette chose comme je l'ai amplement référencé sans qu'aucune réponse ne soit apportée, ne soit pas rattachée à l'idée de Dieu comme puissance infinie d'exister, autrement dit que l'esprit d'un animal n'ait pas conscience de Dieu, cela n'empêche nullement que cette idée fasse partie de son entendement infini. Quand on regarde ce qui fait que l'esprit humain appartient à l'entendement infini dans E2P11C, aucune mention n'est faite de la nécessité d'avoir l'idée de Dieu pour faire partie de l'entendement infini.

Encore une fois, Spinoza dit dans le scolie de la prop. 13 que ce qui a été dit jusque dans la prop. 13 a été dit pour l'esprit humain mais aurait tout aussi bien pu être dit de tout autre être naturel. Et donc quand il dit dans la prop. 11 "Le premier fondement de l'être de l'âme humaine n'est autre chose que l'idée d'une chose singulière et qui existe en acte.", d'où il suit dans le corollaire que "l'âme humaine est une partie de l'entendement infini de Dieu", cela vaut tout aussi bien pour n'importe quel esprit de la nature. Et il le confirme dans le scolie : "tous les individus de la nature sont animés à des degrés divers. De toutes choses, en effet, il y a nécessairement en Dieu une idée dont Dieu est cause, de la même façon qu'il l'est aussi de l'idée du corps humain, et par conséquent tout ce que nous disons de l'idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l'idée de toute autre chose quelconque."

S'il y a de toutes choses une idée dont Dieu est cause, alors chacune de ces idées est éternelle en vertu de la définition même de l'éternité. Comment nier que Spinoza ait dit le contraire ?

J'ajoute E5P22 : "Toutefois, il y a nécessairement en Dieu une idée qui exprime l'essence de tel ou tel corps humain sous le caractère de l'éternité." Encore une fois la démonstration de cette proposition ne fait nullement intervenir la nécessité selon laquelle il faudrait soi-même avoir l'idée de Dieu pour pouvoir être l'idée éternelle d'un corps en Dieu et les propositions sur lesquelles s'appuient la démonstration sont toutes antérieures à E2P13 et donc elles valent pour tous les corps humains, qu'ils aient ou non la conscience claire de Dieu, mais aussi pour tous les individus de la nature. C'est pourquoi Spinoza peut dire dans la démonstration d'E5P30 "concevoir les choses sous le caractère de l'éternité, c'est concevoir les choses en tant qu'elles se rapportent, comme êtres réels, à l'essence de Dieu, en d'autres termes, en tant que par l'essence de Dieu elles enveloppent l'existence."

Ainsi il n'est nullement nécessaire d'avoir des idées éternelles pour être dans l'entendement infini : Dieu a l'idée de toute chose, y compris d'une pierre qui en tant qu'esprit (idée d'un corps) ayant pour seul objet son corps et n'étant que très peu affecté par les autres n'a certainement qu'une idée très obscure de soi-même et aucune idée de Dieu, et chacune des idées de ces choses, qui sont aussi leurs esprits, est éternellement dans l'entendement de Dieu et participe à sa constitution.

Si le pouvoir de percevoir (l'entendement) d'un être s'élargit à un plus grand nombre d'idées adéquates qu'inadéquates, alors il pourra jouir de la conscience de son éternité mais celle-ci par définition ne commence pas quand il forme des idées adéquates, elle existait déjà auparavant mais il n'en n'avait pas conscience, cf. E5P33S. En conséquence, il n'est pas nécessaire d'avoir conscience de son éternité pour faire partie de l'entendement infini de Dieu, qui s'il ne devait compter que l'entendement des hommes qui ont pris conscience de leur éternité en tant que modes de la puissance d'exister de Dieu serait particulièrement limité par tous ceux qui passent leur vie uniquement occupés à la satisfaction de leurs désirs charnels, ce qui reviendrait donc à poser un entendement infini limité, ce qui est absurde.

Aussi, qu'il soit difficile de se maintenir dans la conscience de notre éternité et ainsi de jouir de la béatitude (Spinoza ne le dit qu'une fois) ne signifie en rien que l'entendement infini, objet de ce fil, ne serait constitué que de l'entendement des hommes qui se sont élevés à l'idée adéquate de Dieu.

Enfin quand Spinoza dit dans E5P42S "Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'être", il ne s'agit bien sûr pas de l'existence sous l'angle de la durée de l'esprit qui cesse aussitôt que le corps cesse mais de l'existence sous l'angle de l'éternité qui ne cesse, ni d'ailleurs ne commence (E5P33S)

Donc, l'ensemble des idées éternelles ou modes éternels du penser, ce sont toutes les idées correspondant à chaque chose existant dans la nature et non pas seulement les entendements correspondant aux corps humains.

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Messagepar Shub-Niggurath » 12 mars 2012, 10:31

Je ne crois pas qu'on puisse affirmer que toute les idées qui sont en Dieu sont éternelles, au contraire il me semble qu'il en va des idées comme des corps, c'est-à-dire qu'elles commencent à exister et finissent d'exister, en même temps que les corps auxquelles elles correspondent.

Il en va autrement des idées des essences singulières, qui elles sont véritablement éternelles, c'est-à-dire qu'elles possèdent une existence infinie dans la durée (et non dans l'espace).

C'est par les idées des essences singulières que Spinoza démontre dans la partie 5 de l'Ethique l'éternité de l'esprit humain, or l'essence de l'homme consiste dans la connaissance, c'est-à-dire dans le pouvoir de former des idées adéquates par le second et troisième genre de connaissance, donc c'est seulement en tant que l'esprit humain est composé d'idées adéquates qu'il est éternel.

"plus l'esprit connaît d'objets par le second et troisième genre de connaissance, plus importante est la part de lui-même qui subsiste"
Démonstration de la proposition 38 partie 5

Je ne vois donc pas comment on pourrait dire que l'intellect éternel est infini de Dieu serait composé de l'ensemble des idées actuellement existantes, mais selon moi il est seulement constitué de l'ensemble des idées adéquates qui sont dans les esprits singuliers, et notamment des idées des essences qui sont toutes des parties de la puissance infinie de Dieu, c'est-à-dire de l'essence divine.

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Messagepar hokousai » 12 mars 2012, 13:23

à Shub N

J'insiste sur" actuel" ( sur l'autre fil ) Parce que Spinoza insite sur "actuel".C' est quoi <b>actuel</b> ?
Est ce que "actuel" est dans la durée?
Est-ce que actuel est liée à éternité?

A éternité est liée l' existence nécessaire actuelle ( en acte )

..........................................
Vous auriez tort si vous n'estimiez pas que Dieu à des idées de toutes les choses existantes ( je comprends existantes comme en acte ).
Dieu a des idées adéquates de toutes les choses actuelles et pas seulement celles formées dans l"esprit humain.

Si<b> l'éternité </b>est l'essence même de Dieu en tant qu'elle envelope l'existence <b>nécéssaire</b> .
Alors toutes les choses existantes sont enveloppées par l' éternité .
Toutes les choses finies existantes sont éternelles.(parce que causées nécessairement )
( vous allez hurler )
Les choses finies sont enveloppées par l'éternité (mais pas par l' infinitude).

L'intellect actuel de Dieu forment les idées adéquates actuelles des choses actuelles.
Ces idées adéquates comme les corps étendus sont éternels ( pas infinies ).
Mais les idées inadéquates formées par l'esprit humain sont en Dieu et suivent de la même nécessité . Donc elles sont éternelles .
( vous allez rehurler )

Je résume mon idée : Si c'est actuel c'est nécéssaire et si c'est nécéssaire c' est éternel .
( voir prop 30 partie 5)
Pour moi tout tourne autour de" en acte"/actuel
.........................
L '<b> Idée`infinie de Dieu </b>ce n''est pas l'intellect de Dieu ( je distingue les deux ) L'idée infine de Dieu est unique mais d'elle suivent une infinité de choses d'une infinité de manière <b>dont l'intellect </b>qui n'est pas la pensée absolue .. l'amour, le désir en suivent aussi comme manière de penser.

Mon cher Shub je vous remercie d'avoir initié tant de débats.


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