E5P40S : signification ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Shub-Niggurath
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Messagepar Shub-Niggurath » 19 mars 2012, 09:21

Je suis d'accord pour dire qu'à chaque mode existant dans l'attribut étendu correspond une idée dans l'attribut pensant, mais il me paraît étrange d'affirmer que ces idées constituent ensemble l'intellect infini de Dieu. L'idée de la table par exemple est bien un mode de l'attribut pensant, mais cela suffit-il à en faire une partie de l'intellect infini ? L'homme pense, c'est un axiome pour Spinoza, mais que la table pense, cela me semble difficile à affirmer...

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Messagepar hokousai » 19 mars 2012, 15:57

à Shub
La table pense- t -elle? Difficile question.

Il me semble que ( pour Spinoza ) on ne peut dire que toutes les choses pensent .
Un corps enveloppe le concept d un seul et même attribut ( l'etendue ).
Dieu en tant qu'il constitue l' essence de la table est modifié dans l"étendue . Mais de l'intellect infini découle tout ce qui peut être pensé donc Dieu a une idée de la table ( disons que peut être !!).

"Tout ce qui arrive dans l'objet d'une quelconque idée, il y en a nécessairement la connaissance en Dieu en tant qu'on le considère affecté par l'idée de ce même objet c'est à dire en tant qu'il constitue<b> l"esprit d' une certaine chose</b> .( prop 12/2)
J'insiste sur<b> l' esprit d'une certaine chose</b>.
Il semble donc que cette certaine chose ait un esprit . Ce qui ne signifie pas que la chose pense ( me semble- t- il ) a tout le moins pas qu' elle ait conscience de penser.
Est- il de l'essence de la table que l'idée de la table soit unie au corps de la table tel que l' esprit humain est uni au corps humain ?

Mais Spinoza est plus que réservé sur les limites attribuées par l' esprit humain aux choses extérieures. Il le dit dans la lettre 50 à Jelles. Rien ne nous dit que Dieu pense une table ou a l'idée d'une table du moins tel que nous en avons l'idée . Car Dieu ne pense pas ce qui n'est pas mais ce qui est ( comme vous le disiez )
Or quand nous pensons cette table nous pensons ce qu'elle est par ce qu'elle n'est pas .
Je vous laisse juge de la difficulté de la pensée de Spinoza sur cette question.

bien à vous
hokousai
Modifié en dernier par hokousai le 20 mars 2012, 14:32, modifié 1 fois.

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Messagepar Henrique » 20 mars 2012, 10:22

Chers amis,
La table ne pense, pas plus que le corps humain !
Le cerveau de l'homme fonctionne, traite des informations et des informations d'informations mais il ne pense pas à proprement parler. Une table est un corps beaucoup moins complexe que celui de l'homme.
Ce qui pense en moi, ce n'est pas moi, c'est la substance en tant qu'elle est pensante. Cette substance fait qu'à mon corps correspond l'idée de mon corps et c'est cela même qui constitue l'esprit dont la conscience est possible pour moi comme le montre E2P13 et la suite d'E2 sur l'idée de l'idée qu'est la conscience. C'est ce qui fait que pour tout corps, il existe un esprit tel que Spinoza le définit ; d'où le panpsyschisme déclaré dans le scolie d'E2P13.

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Messagepar Shub-Niggurath » 20 mars 2012, 12:09

D'accord la substance est une chose pensante, mais l'intellect infini a-t-il la même extension que l'attribut pensant ? Autrement dit l'intellect infini contient-il l'ensemble infini de toutes les idées ? Auquel cas l'idée de la table, qui est composée d'une infinité d'idées diverses, ferait partie de l'intellect de la substance, ce qui me paraît douteux...

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Messagepar bardamu » 20 mars 2012, 14:16

Shub-Niggurath a écrit :D'accord la substance est une chose pensante, mais l'intellect infini a-t-il la même extension que l'attribut pensant ? Autrement dit l'intellect infini contient-il l'ensemble infini de toutes les idées ? Auquel cas l'idée de la table, qui est composée d'une infinité d'idées diverses, ferait partie de l'intellect de la substance, ce qui me paraît douteux...

L'attribut n'a pas de caractère extensif, il caractérise la nature des choses (être étendue, être pensée etc.). Quand on dit : une pomme est rouge, l'attribut "rouge" n'a pas d'extension en lui-même, son extension est celle des choses rouges. Le rouge se distingue du vert mais pas sur un mode extensif.

Un corps humain est pensé = Dieu en tant qu'il constitue l'idée d'un corps = notre esprit.
Une corps de table est pensé = Dieu en tant qu'il constitue l'idée d'un corps de table = esprit de la table.
Quand on demande si la table pense, on demande en fait si la table réfléchit, si elle a une image d'elle-même, si elle comprend, si elle a la même puissance de pensée que nous, ce qui n'est évidemment pas le cas.
La table fonctionne au mieux comme l'imagination, c'est-à-dire que les idées qui lui correspondent sont celles des affections du corps : elle "mémorise" les chocs (traces, taches, griffures...), répète comme un perroquet (action-réaction, transmission des chocs), a deux mots de vocabulaire (toc-toc quand on tape dessus, "crac !" quand on lui casse un pied), sa volonté se limite à l'effort de conserver sa position et sa figure (inertie, rigidité...) etc.

Et donc, oui, l'idée de la table fait partie de l'entendement infini en tant que la puissance à être table s'exprime aussi en pensée, est pensée.

Ceci étant, on peut aussi définir l'individu "table" uniquement comme mode corporel, auquel cas l'idée de la table n'appartient pas à l'individu "table". Dans ce cadre, on ne considère que les aspects mouvement/repos sans prendre en compte les aspects informationnels (mémoire, communication verbale, volonté...).

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Messagepar Shub-Niggurath » 20 mars 2012, 20:35

Vous le dites-vous même, les objets du monde n'ont que l'imagination en partage, et non l'intellect, donc ils n'appartiennent pas à l'intellect éternel et infini, qui est un mode de la nature, et non la substance elle-même.

Je veux bien admettre que l'arbre qui a constitué la table en bois ait été, de son vivant, animé du désir de se conserver, mais je nie que le squelette du bois mort qui constitue la table appartienne à l'intellect. Puisqu'elle n'a que des affects passifs, dont vous avez fait une fort amusante liste.

Aux animaux peut-être doit-on attribuer l'intellect, et parmi eux tous particulièrement l'homme, mais non aux objets qui sont dénués de volonté comme d'intellect.

L'intellect est pure activité de l'esprit, tandis que l'imagination n'est que pur pâtir. Celui-ci est éternel, celle-là est temporaire, et n'existe que durant un temps déterminé.

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Messagepar hokousai » 20 mars 2012, 23:06

cher Shub

L'intellect est pure activité de l'esprit, tandis que l'imagination n'est que pur pâtir. Celui-ci est éternel, celle-là est temporaire, et n'existe que durant un temps déterminé.

Vous êtes dualiste ce qui est tout à fait respectable .
Je ne comprends pas Spinoza comme cela.

Passons sur les tentations platoniciennes de Spinoza antérieurement à l' Ethique.
Dans l Ethique il fait prédominer la pensée sur les autres attributs, c' est un fait, mais pas au point de ne voir l' éternité que dans la pensée et qui plus est dans la pensée des essences.
Il vous manque peut-être une connaissance du neoplatonisme pour bien voir que vous le côtoyez .
Spinoza a tout fait pour s'en écarter.
Le néoplatonisme nie, Spinoza affirme.
Et vous niez l'éternité (ie l' existence nécessaire ) de la nature toute entière pour n'en affirmer qu'une partie .

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Messagepar Shub-Niggurath » 21 mars 2012, 15:03

Il me semble que c'est l'évidence même que de dire que tout mode fini d'un quelconque attribut naît et meurt, apparaît et disparaît, et donc qu'aucun d'eux n'est éternel. Sinon il faudrait dire qu'une chose éternelle ne dure qu'un certain temps, ce qui est bien le comble de l'absurdité.

Je vois bien le point de désaccord entre nous, c'est que vous confondez la nécessité des causes avec la nécessité des essences. Il est bien vrai que, dans l'existence, les causes qui produisent les choses sont nécessaires, et d'autre part que les essences soient éternelles, mais cependant Spinoza dit bien que de la seule nécessité de l'essence des choses ne suit pas nécessairement leur existence dans la durée. Et que les causes qui produisent les choses soit nécessaires ne suffit pas à leur conférer l'existence nécessaire, autrement dit l'éternité. Cependant comme Dieu est immanent à tout ce qui est, il doit nécessairement produire dans l'existence les choses dont il a l'idée des essences, autrement dit chaque essence éternelle contenue dans l'intellect éternel et infini de Dieu doit nécessairement toujours passer à l'existence dans la durée. Si l'on supposait en effet que les essences éternelles des choses n'étaient contenues que dans l'intellect éternel et infini de Dieu, on séparerait abstraitement les essences des choses de l'essence éternelle et infinie de Dieu, et on ferait de l'intellect éternel et infini de Dieu une chose transcendante. Or l'intellect de Dieu est immanent aux choses dont il a l'intellection, donc toutes les essences doivent nécessairement toujours passer à l'existence, et s'unir constamment aux modes des infinis attributs de Dieu. Sinon on ferait des essences des abstractions. Mais chaque essence est un degré de la puissance infinie de Dieu, autrement dit une partie de cette puissance. Elles doivent donc toujours actualiser leur puissance en passant perpétuellement à l'existence.

"Dieu, l'intellect de Dieu, et les choses comprises par cet intellect sont une seule et même chose." scolie proposition 7 partie 1

Continuellement donc, dans l'existence, les essences ne cessent d'exprimer leur puissance, et de produire les effets qui dépendent d'elles. Car chaque essence exprime la puissance de Dieu d'une manière précise et déterminée. Mais l'essence n'est pas autre chose qu'une idée singulière, donnée dans l'intellect éternel et infini de Dieu. C'est pourquoi la seule chose éternelle en nous est un mode singulier de l'attribut pensant. Les choses singulières que comprend notre intellect ne sont pas éternelles, bien que les causes qui les ont produites soient nécessaires.

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Messagepar Henrique » 21 mars 2012, 19:59

Shub-Niggurath a écrit :Il me semble que c'est l'évidence même que de dire que tout mode fini d'un quelconque attribut naît et meurt, apparaît et disparaît, et donc qu'aucun d'eux n'est éternel. Sinon il faudrait dire qu'une chose éternelle ne dure qu'un certain temps, ce qui est bien le comble de l'absurdité.


C'est là l'essentiel de ton erreur d'interprétation, Shub. Tu confonds éternité et durée infinie ou sempiternité. Or Spinoza définit pourtant bien l'éternité indépendamment de toute durée. Mais toi tu définis l'éternité à partir de la durée en lui ajoutant l'infinité, ce que ne fait pas Spinoza. Tu peux donc conclure à l'absurdité d'une chose éternelle qui ne dure qu'un temps. Mais Spinoza dit justement qu'on peut considérer les mêmes choses sous l'angle de l'éternité ou sous l'angle de la durée, ce qui signifie bien qu'une même chose qui dure un certain temps peut aussi bien être considérée sous l'angle de l'éternité.

Rappelle toi E2P44C2 et cela me permettra aussi de répondre au passage un peu à la question de Lemarinel : il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous l'angle de l'éternité. Ainsi, dans le cas de la raison, second genre de connaissance qui porte sur les idées générales, je suppose un homme ordinaire en tant qu'il est conscient de ses désirs mais plutôt dominé par son imagination, je suppose que quelque chose qu'il perçoit est identifié par lui comme cause de tristesse. Je sais dès lors, selon la géométrie des passions que Spinoza explique dans la partie III de l'Ethique, que l'évènement de la haine qui découlera pour lui de cette rencontre selon une certaine durée est nécessaire. De même le désir de vengeance qui découlera de cette haine. Et si cependant l'objet de haine est perçu comme étant de nature à lui faire un mal encore plus grand, il s'abstiendra de chercher effectivement à se venger (E3P39).

Ainsi entre la rencontre douloureuse et le désir de s'abstenir de se venger, il peut y avoir du point de vue de la durée, une existence limitée ; il se peut aussi qu'après, la personne soumise à cette fluctuation finale de l'âme, passe à autre chose, d'autres idées prenant le pas sur les précédentes. Pourtant, tout cela s'accomplit nécessairement ; autrement dit, pour la raison, cela existe de bout en bout, l'ensemble se soutient dans un seul moment qui celui d'un présent éternel. Entre le moment de "l'agression" et le moment du "passage à autre chose", il n'y a qu'une seule existence déjà accomplie en raison même de sa nécessité. La raison perçoit cette suite d'événements comme co-présents dans une seule et même éternité. Et elle peut le faire pour toutes choses (qui sont des modes ou des modes de modes de la substance) étant entendu que toutes choses découlent nécessairement de la nature divine qui est elle-même éternelle, cf. la démonstration d'E2P44C2 qui combine E1P16 et implicitement E1D8.

C'est pour cela qu'une connaissance adéquate de la durée des choses pourrait strictement équivaloir à celle de leur éternité ; seule l'imagination, c'est-à-dire la connaissance tronquée des choses, fait qu'elle ne nous apparaissent pas comme éternelles : voir la démonstration d'E4P62 et le scolie qui suit.

Je vois bien le point de désaccord entre nous, c'est que vous confondez la nécessité des causes avec la nécessité des essences. Il est bien vrai que, dans l'existence, les causes qui produisent les choses sont nécessaires, et d'autre part que les essences soient éternelles, mais cependant Spinoza dit bien que de la seule nécessité de l'essence des choses ne suit pas nécessairement leur existence dans la durée. Et que les causes qui produisent les choses soit nécessaires ne suffit pas à leur conférer l'existence nécessaire, autrement dit l'éternité.


De deux choses l'une, au regard de ce que je viens de rappeler : ou bien, c'est Spinoza qui se contredit en disant que la raison peut percevoir toutes choses en vérité comme éternelles tout en disant que seules quelques unes le sont vraiment, ou bien c'est toi qui interprètes mal en opposant les choses qui n'auraient d'existence que dans la durée et celles qui auraient le privilège d'une existence éternelle.

En fait Spinoza ne dit pas "de la seule nécessité de l'essence des choses ne suit pas nécessairement leur existence dans la durée". E2A1 dit "L'essence de l'homme n'enveloppe pas l'existence nécessaire, en d'autres termes, dans l'ordre de la nature, il peut arriver que tel ou tel homme existe, comme il peut arriver qu'il n'existe pas. " On voit bien ici qu'il est question de l'existence de l'homme dans la durée : il peut arriver que Napoléon existe, selon l'ordre de la nature, il peut arriver qu'il n'existe pas. Il ne découle pas de son essence d'homme qu'il existe nécessairement, c'est-à-dire éternellement. Et pour cause, il n'est pas cause de soi. Il n'est donc pas question ici de la nécessité de son essence mais seulement de son essence considérée en elle-même, indépendamment de la nécessité divine, qui elle, pose son éternité.

Ainsi, dans E4D3, Spinoza précise "J'appelle les choses singulières contingentes, en tant que nous ne trouvons rien en elles, à ne considérer que leur essence, qui pose nécessairement leur existence ou qui nécessairement l'exclue. " A ne considérer que leur essence et non le fait qu'elles soient l'effet nécessaire d'une chose éternelle. Car même si chaque chose singulière s'explique par des causes singulières, qui elles-mêmes s'expliquent par d'autres causes singulières et ainsi à l'infini, l'ensemble de toutes ces choses sont une expression de l'essence de Dieu, de sorte que considérées dans ce cadre, et non pas en elles-mêmes, elles apparaissent comme nécessaires et donc comme éternelles et non comme contingentes.

Ainsi E5P6, par opposition à l'imagination qui seule conçoit les choses comme contingentes (E2P44C1) et ainsi provoque les affects dont nous pâtissons, pourra dire "En tant que l'âme comprend toutes choses comme nécessaires, elle a sur ses affects une plus grande puissance : en d'autres termes, elle en pâtit moins."

Cependant comme Dieu est immanent à tout ce qui est, il doit nécessairement produire dans l'existence les choses dont il a l'idée des essences, autrement dit chaque essence éternelle contenue dans l'intellect éternel et infini de Dieu doit nécessairement toujours passer à l'existence dans la durée.

Plotin, sors de ce corps !
Les idées qui sont éternellement dans l'intellect infini y sont toujours parfaitement actuelles comme comprises adéquatement dans l'enchaînement infini des idées des causes et des effets. Il faut lire avec attention E2P8, son corollaire et son scolie. Du point de vue de la durée, qui n'est évidemment pas celui de l'entendement infini qui connaît toutes choses comme nécessaires, les choses n'existent pas encore, existent, puis n'existent plus. Mais même de ce point de vue, elles s'expliquent par des choses dans la durée et non comme actualisations d'idées éternelles. C'est la rencontre de A et de B qui fait que C existe, et cette cause (rencontre de A et B) est elle-même déterminée du point de vue de la durée par la rencontre dans la durée d'autres choses etc. Mais du point de vue de l'entendement infini, tout cela coexiste, existe déjà et ne cesse pas d'exister. Ainsi les choses ne "passent" pas de l'existence éternelle à l'existence dans la durée, que ce soit en tant qu'idées et a fortiori en tant que corps, elles passent seulement du point de vue de la durée ; du point de vue de l'éternité, elles sont éternellement, elles ne passent pas. Il n'y a à aucun moment chez Spinoza d'interaction entre ce qui est du point de vue de l'éternité et ce qui est du point de vue de la durée, pas plus qu'entre la pensée et l'étendue : c'est toujours une seule et même réalité qu'on considère sous différents points de vue.

Enfin, et encore une fois, Spinoza ne sépare pas comme tu le fais les essences des choses et les choses elles-mêmes : on peut concevoir Dieu indépendamment de ses modes, mais l'essence d'une chose, c'est ce sans quoi la chose ne peut ni être, ni être conçu certes, comme chez Platon ou Plotin mais inversement, ce qui sans la chose ne peut ni être, ni être conçu. Ainsi, en tant qu'étendue, une chose a une essence qui n'est en aucun cas une actualisation de l'idée qu'en aurait eue l'intellect infini, mais une expression éternelle de Dieu en tant que substance étendue. Elle se trouve donc éternellement en Dieu, comme la chose même (que ce soit un mode infini, un mode fini ou un mode de mode). Et elle se trouve tout aussi éternellement dans la pensée.

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Messagepar Shub-Niggurath » 21 mars 2012, 20:54

Je ne suis pas d'accord avec cette conception de l'éternité qui sépare arbitrairement l'éternité de la durée infinie, autrement dit de l'existence infinie. Je me fonde pour affirmer ma conception de l'éternité chez Spinoza sur la démonstration de la proposition 21, 1° partie, et notamment sur sa seconde partie :

"ce qui suit de la nécessité d'un attribut ne peut avoir de durée déterminée. Si on le nie, qu'on suppose donnée en quelque attribut de Dieu une réalité qui découlerait de la nature d'un attribut et qui, à un moment donné, n'ait pas existé ou doive ne pas exister.[...]Donc, quelque réalité qui suit nécessairement d'un attribut de Dieu, ne peut comporter de durée déterminée, mais est éternelle par ce même attribut."

Traduction Misrahi

"ce qui suit de la nécessité de nature d'un attribut ne peut avoir d'existence, autrement dit de durée, déterminée. Car, si tu le nies, suppose qu'une chose qui suit de la nécessité de nature d'un attribut de Dieu, et suppose qu'il y ait un temps où elle n'a pas existé, ou bien aille ne plus exister.[...]Donc, quelque chose qui suit nécessairement de la nature absolue d'un attribut de Dieu, ne peut avoir de durée déterminée; mais, par cet attribut, ce quelque chose est éternel."

Traduction Pautrat

On voit bien dans cette démonstration que Spinoza identifie la durée avec l'existence, et donc qu'il identifie l'existence infinie avec l'éternité. Puisque l'éternité est l'existence infinie (pensée métaphysiques, deuxième partie, chapitre 1 : "cette existence infinie, je l'appelle éternité") d'une chose. Il faut donc distinguer entre les choses qui possèdent une existence déterminée et celles qui possèdent une existence infinie, c'est-à-dire dans ce deuxième cas, et dans ce cas seulement, l'éternité.

Pour démontrer l'éternité des modes immédiats de chaque attribut, Spinoza passe par le détour de la durée ("un moment donné", "un temps"), et cela il ne pourrait le faire si, comme vous, il séparait complètement l'éternité de la durée.

Les modes singuliers de chaque attribut sont donc tout sauf éternel, même si les causes qui les ont produites sont nécessaires. Il est de la nature de la raison de considérer les choses comme nécessaires (proposition 44 partie 2), mais cela ne suffit pas à faire de ces mêmes choses des modes éternels. Car c'est seulement par les causes qui les ont produites que ces choses sont nécessaires, et non par leur essence. Il est donc de la nature de la raison de concevoir les choses sous l'aspect de l'éternité, mais seulement en tant que nous considérons les notions communes aux choses, qui ne sont pas les choses elles-mêmes. Parmi ces notions, dans l'attribut étendu, nous considérons les rapports de mouvement et de repos qui existent dans les choses, mais non les choses elles-mêmes. Ces rapports sont éternels, et seulement eux.
Modifié en dernier par Shub-Niggurath le 22 mars 2012, 09:59, modifié 1 fois.


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