Causalité et "mystère"

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Messagepar Vanleers » 05 août 2013, 15:29

A cess

Je complète mon précédent message à propos de Spinoza comme philosophe « tragique » selon Clément Rosset.

Cet auteur sépare :

« […] en profondeur deux « modes » philosophiques irréconciliables : le premier illustré par Lucrèce, Montaigne, Pascal, Spinoza, Hume, Nietzsche, le second par tous les autres philosophes, au sens limité et sociologique du terme » (Logique du pire p. 121 - Quadrige 1993)

Avant d’écrire cela, il s’en est expliqué à propos de Spinoza. J’en extrais le passage suivant (c’est un peu long…) :

« […] c’est sans démonstration d’aucune sorte que Spinoza affirme le thème initial et fondamental de sa philosophie. Mais – et c’est là un des extraordinaires paradoxes de l’Ethique – il se trouve que le thème ainsi affirmé sans démonstration (c’est-à-dire sans l’exposé des raisons qui en feraient, pour l’esprit, une vérité « nécessaire ») est, précisément, l’idée de nécessité. L’affirmation d’une idée de nécessité, à partir de laquelle tout sera nécessaire (et à partir de quoi l’Ethique met effectivement en œuvre un réseau de déductions nécessaires), est elle-même privée de chacun des caractères de la nécessité. Le grand paradoxe de la pensée spinoziste est ici : ce qui distribue la nécessité (le deus sive natura, ou, encore, la somme de « ce qui existe ») ne possède pas, lui-même, la nécessité. Paradoxe d’un fleuve au débit inépuisable, à la source absente. Tout se démontre à partir de la nécessité, et rien ne démontre la nécessité : rien dans « ce qui existe » qui témoigne d’un relief quelconque par rapport au reste des choses, qui nécessite un appel à quelque transcendance ou principe métaphysique où les choses prendraient leur raison et leur source – tout peut, comme chez Lucrèce, s’expliquer sponte sua, à partir d’une même surface non métaphysique. Peu importe que cette même surface, cette matrice commune, s’appelle natura rerum ou deus sive natura. Dans les deux cas, tout peut et doit prendre place à partir de « ce qui existe », sans recours métaphysique à une idée de fondement nécessaire. L’affirmation spinoziste de la nécessité apparaît donc finalement comme exactement équivalente à l’affirmation du hasard : la définition de la nécessité selon l’Ethique étant que rien, sans exception, n’est nécessaire – que tout peut s’interpréter sans recours à une idée métaphysique, théologique ou anthropologique de nécessité. Ici apparaît la clef du paradoxe spinoziste : Spinoza affirme la nécessité, mais après l’avoir privée de tous les attributs dont l’ensemble contribue à donner un sens philosophique à la notion de nécessité. Ainsi privée de référence anthropologique, finaliste, métaphysique, la nécessité devient, chez Spinoza, un blanc, un manque à penser, exactement au même titre que le hasard. C’est dans la mesure où la nécessité est affirmée toujours, justifiée jamais, que Spinoza est un grand affirmateur du hasard : il en est même, à certains égards, le plus extrémiste penseur, puisque le hasard est dit, dans l’Ethique, de ce qui est son exact contraire – la nécessité. Que tout soit hasardeux, y compris et surtout le nécessaire, telle est l’une des intuitions maîtresses de Spinoza. Brille ainsi d’un éclat particulier, chez Spinoza, le thème du hasard originel, en ceci que la nécessité est donnée d’emblée comme un objet d’affirmation, non de démonstration (ni de justification, de compréhension ou d’interprétation d’aucune sorte). » (op. cit. pp. 119-120)

Dans cet extrait d’un chapitre intitulé « Tragique et hasard », Clément Rosset n’a-t-il pas cherché abusivement à faire entrer l’Ethique dans le cadre de sa pensée du hasard ?
Ceci serait à approfondir. Je note, en particulier, que C. Rosset parle de la nécessité chez Spinoza comme d’un « blanc », d’un manque à penser. Ceci ne serait-il pas à confronter à la notion de « mystère » qui, elle, relèverait du « trop à penser » ?

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Messagepar cess » 06 août 2013, 12:14

La nécessité (ce qui ne peut ne pas être) s'oppose donc spinozistement parlant à la notion de hasard .
L'évocation éventuelle de celui-ci , s'il est parfois évoqué dans nos quotidiens, ne serait du qu'aux limites de nos entendements finis d'êtres humains à percevoir l'exactitude des causes qui nous déterminent. Bref, nous ne maitriserons jamais les lois de la Nature.
C'est probablement ce que veut signifier Clément Rosset lorsqu'il fait allusion au tragique de cette philosophie qui peut paraître cruelle....(il dit aussi dans la Force majeure (p26)que la cruauté est marque de distinction, non pas un plaisir à entretenir la souffrance mais plutôt un refus de complaisance envers quelque objet que ce soit)

C’est dans la mesure où la nécessité est affirmée toujours, justifiée jamais, que Spinoza est un grand affirmateur du hasard : il en est même, à certains égards, le plus extrémiste penseur, puisque le hasard est dit, dans l’Ethique, de ce qui est son exact contraire – la nécessité‡



Fait-il rentrer abusivement la pensée du hasard dans le cadre de l'Ethique ?
Tout dépend d'où l'on se place et je le connais mal( je viens juste de faire l'acquisition de la Force majeure d'après vos citations)...
Mais pour moi si on envisage uniquement l'Ethique d'après la notion de la nécessité, cela donne a peu près cette mélancolie infernale comme peuvent l'illustrer ces quelques vers....:
" Car c'est vraiment Seigneur
le meilleur témoignage de notre dignité ,
que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité"
:-)

Cette référence aux Phares de Baudelaire n'avait pour but que l'humour et la beauté poétique .
Dans le passage que vous citez de Rosset, aucune allusion à la possible structuration des idées vraies qui s'originent dans De Deo , aucune allusion a cette Raison qui bien que toute relative(nos têtes et nos corps qui ne seront toujours que finis ) peut s'en référer à L'Absolu en déroulant le fil joyeux de la Connaissance.
Cette structuration des idées vraies , c'est comme si on intériorisait une norme, une distinction entre la fausseté et la vérité au fil des approfondissements de l'Ethique: la réforme de nos entendements?
Je ne sais si Clément Rosset perçoit cette dimension absolue et universelle, mais en cela, pour moi la Joie est peut-être traduisible et divulguable ou plutôt repérable chez autrui dés lors que quelqu'un pense les chose "sous l'espèce de l'Eternité" même s'il s'agit d'une expérience ontologique individuelle.

La nécessité est-elle un blanc , un manque à penser chez Spinoza comme le mystère serait un trop à penser? Pour le premier , peut-être n' a t il pas jugé opportun s'y attarder dans la mesure ou son objectif est la Béatitude, la partie V de l'Ethique.
Pour le second, il ne fait jamais cas du mystère dans sa philosophie mais n'est ce pas du chaos que s'élabore tout ordre?

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Messagepar Vanleers » 06 août 2013, 15:22

A cess

Vous écrivez :
« la Joie est peut-être traduisible et divulguable ou plutôt repérable chez autrui dès lors que quelqu'un pense les chose "sous l'espèce de l'Eternité" même s'il s'agit d'une expérience ontologique individuelle. »

Cela me fait penser à un adage du bouddhisme Ch’an (l’ancien bouddhisme chinois qui associait bouddhisme et taoïsme) :

« Si vous rencontrez sur la route un homme parvenu à la Voie,
Surtout ne lui parlez pas de la Voie ! »

(Les entretiens de Lin Tsi – traduction de Paul Demiéville p. 98, Fayard 1972)

Comment reconnaître quelqu’un parvenu à la Voie ?

De même, comment reconnaître quelqu’un qui « pense les choses sous l’espèce de l’éternité » ?

Votre réponse, et je la trouve juste, c’est la Joie.

En lisant l’Ethique, « nous sentons et nous expérimentons » la joie que Spinoza a éprouvée à composer cette œuvre.

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Messagepar cess » 06 août 2013, 17:41

Du peu que je connais du boudhisme (j'ai apprécié assister à quelques conférences de Kalu Rinpoche-j'espère ne pas écorcher son nom- à Marseille)et comptant quelques amis qui le pratique, il me semble et ils le confirment que nous parlons souvent des mêmes choses ..;et oui de cette Joie...
Le spinozisme comme le boudhisme sont des philosophies de l'Unité, n'est-ce pas?

En lisant l’Ethique, « nous sentons et nous expérimentons » la joie que Spinoza a éprouvée à composer cette œuvre

Il aura probablement eu de la joie mais il s'est magnifiquement débrouillé de par ce langage et cette rédaction unique pour que nous soyons tous individuellement"les héros" de sa synthèse.


D'autre part et pour prolonger cette idée de compréhension interpersonnelle de la Joie, il m'est venu récemment une nouvelle piste de réflexion suscitée par la re-lecture du livre de Jonathan I.Israël "les Lumières radicales, la philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (1650-1750)...
Frappante est la manière dont il met en valeur le réseau amical de Spinoza, sa solidarité autour du philosophe...Sans parler des livres qu'il a inspiré après sa mort ... Cela relève presque d'une communauté de pensée!
l'Ethique , oeuvre initiatique??

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Messagepar Vanleers » 07 août 2013, 11:30

A cess

A l’article « Spinoza » (note U) du Dictionnaire historique et critique, Pierre Bayle cite la Préface des Opera Posthuma de Spinoza : « Si le nom de l’auteur n’est indiqué que par des initiales, sur la page de titre et ailleurs, c’est pour cette seule raison : peu avant sa mort il a expressément demandé que son nom ne figure pas sur l’Ethique qu’il voulait faire imprimer. Pourquoi l’a-t-il interdit ? Simplement parce qu’il ne voulait pas donner son nom à une secte. »

On retrouve cette idée dans le chapitre 25 de l’Appendice de la partie IV lorsque Spinoza critique celui qui cherche à se faire admirer des autres pour qu’une doctrine porte son nom.

Les spinozistes ne constituent pas une secte mais peut-être pourrait-on parler d’une « Internationale spinozationniste » !
En 1989, Guy Debord résuma les mystérieuses « Thèses de Hambourg » de 1961, jamais divulguées, par « L’I.S. doit, maintenant, réaliser la philosophie ».
« Réaliser la philosophie », c’était, bien avant les Situationnistes, le programme de Spinoza avec ses volets éthique et politique.
Plus largement, cette « Internationale » est celle de la communauté des hommes (et des femmes, bien évidemment) libres qui, parce qu’ils sont libres, « sont le plus reconnaissants les uns envers les autres » (E IV 71)

J’ai publié sur un autre fil (Spinoza et la psychanalyse) un article de Pierre Macherey, devenu difficile d’accès, aujourd’hui.
L’auteur écrit :
« Selon Spinoza, la « connaissance » que l’âme prend de ses propres affects n’est possible qu’au prix d’une complète dépersonnalisation de ceux-ci […] »
Je nuancerai ce propos en disant que celui que Spinoza appelle l’homme libre ou, dans la partie V, le sage, est celui qui reconnaît les autres et lui-même comme des expressions singulières de Dieu (E V 42 sc.).
Celui ou celle qui s’adresse à l’autre : « Je te reconnais, toi, comme manifestation singulière de la puissance de Dieu. »

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Messagepar QueSaitOn » 07 août 2013, 15:30

Bonjour,
Merci pour ces remarques profondes et subtiles.

Concernant cet aspect crucial de l'existant nécessaire et le rapport à l'étrangeté, oui, c'est bien de la question de la nécessité, de ce dont il s'agit.

La question de ce qui est, et ne peut être autrement.

Je me demande s'il n'y a pas un reste d'idéalisme philosophique, de "kantisme" - même si le terme peut paraître inapproprié - dans cette évacuation du hasard et des possibles. a savoir ce qui est existe nécessairement, sans qu'on puisse réellement le démontrer comme dit C. Rosset,

Puisque dans l'Ethique la "cause de soi" précède l'existence (dans l'ordre de la définition I).

La "cause de soi" ne deviendrait-elle pas dès lors le noumène caché du spinozisme puisque - in fine - du point de vue de l'humain, seul le possible et le contingent phénoménal nous apparaissent (étant donné que les trois genres de connaissance coexistent en nous), alors que du "point de vue" du tout de la substance, seule existe la nécessité (ce qui est d'ailleurs une tautologie).

Comme la "chose en soi", la nécessité de ce qui existe deviendrait inacessible à l'humain puisqu'elle concerne la totalité de l'existant pris dans son ensemble, c'est à dire les inter-connections du réel (de la Nature). D'autant que la causalité de la substance est immanente, toujours actuelle. Elle doit donc être posée comme fondement du système.

C'est peut être ce "manque à penser, exactement au même titre que le hasard" (C. Rosset) qui confère à notre confrontation à la nécessité une épreuve semblable à l'épreuve du "vide" que l'on ressent par exemple, à la lecture des haïkus du zen-bouddhisme.

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Messagepar Vanleers » 07 août 2013, 17:54

A QueSaitOn

Vous rappelez, opportunément, vos questions initiales.
Spinoza était particulièrement conscient de la faiblesse humaine, individuelle et collective.
Pascal Sévérac en fait état tout au long du premier chapitre de « Spinoza. Union et Désunion » (Vrin 2011)
Dès le début de l’Ethique, nous prenons conscience que nous ne connaissons que deux attributs.
Avec E I 28, nous réalisons que l’enchaînement des causes n’est pas à notre portée puisqu’il est infini.
Les définitions 3 et 4 de la partie IV (choses contingentes et choses possibles) ne visent que notre ignorance.
… etc.

Nous pourrions, alors, être tentés de suivre Karl Popper lorsqu’il écrit :
« Si l’on considère à présent une théorie comme la solution que l’on se propose d’apporter à un ensemble de problèmes, cette théorie se prête alors immédiatement à la discussion critique, quand bien même elle serait non empirique et irréfutable. Car nous pouvons désormais poser des questions comme celles-ci : est-ce que la théorie résout effectivement le problème ? Le résout-elle mieux que ne font d’autres théories ? S’est-elle, éventuellement, contentée de déplacer celui-ci ? Est-elle simple ? Est-elle féconde ? » (Conjectures et réfutations p. 296)

Et pourtant, bien que Spinoza soit conscient des limites humaines, il ne présente pas, du moins me semble-t-il, son système comme un système hypothétique reposant sur des hypothèses indémontrables mais comme un système rationnellement démontré.

Les huit définitions de la partie I, en particulier la première, sont-elles des hypothèses ou nous donnent-elles la réalité de façon rationnellement certaine ?

Cette question n’a pas pour moi de réponse claire !

On peut se consoler avec Clément Rosset lorsqu’il écrit :
« Mais l’intérêt principal d’une vérité philosophique consiste en sa vertu négative, je veux dire sa puissance de chasser des idées beaucoup plus fausses que la vérité qu’elle énonce a contrario. Vertu critique qui, si elle n’énonce par elle-même aucune vérité claire, parvient du moins à dénoncer un grand nombre d’idées tenues abusivement pour vraies et évidentes. Il en va un peu de la qualité des vérités philosophiques comme de celle des éponges qu’on utilise au tableau noir et auxquelles on ne demande rien d’autre que de réussir à bien effacer. En d’autres termes, une vérité philosophique est d’ordre hygiénique : elle ne procure aucune certitude mais protège l’organisme mental contre l’ensemble des germes porteurs d’illusion et de folie » (Le principe de cruauté p. 37– Editions de Minuit 1988)

Bien à vous

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Messagepar Vanleers » 07 août 2013, 21:45

A QueSaitOn

Je reviens au texte de Clément Rosset lorsqu’il parle de la nécessité.
Il écrit :
« Le grand paradoxe de la pensée spinoziste est ici : ce qui distribue la nécessité (le deus sive natura, ou, encore, la somme de « ce qui existe ») ne possède pas, lui-même, la nécessité. Paradoxe d’un fleuve au débit inépuisable, à la source absente. Tout se démontre à partir de la nécessité, et rien ne démontre la nécessité […] »

S’agit-il d’un paradoxe ? Spinoza a répondu à la question « Comment commencer ? » dans le TRE (§ 30-31). Citons le début :
« Car, pour forger le fer, on a besoin d’un marteau, et pour avoir un marteau, il est nécessaire de le fabriquer, ce pour quoi on a besoin d’un autre marteau et d’autres instruments, et pour avoir ceux-ci il faudra d’autres instruments, et ainsi à l’infini ; et, de cette manière, on s’efforcera vainement de prouver que les hommes n’ont aucun pouvoir de forger le fer. »

Spinoza montre ensuite que cet exemple est transposable à l’entendement, en explicitant ce qu’est, pour lui, la Méthode de recherche du vrai.

Nous devons donc voir les premières définitions de l’Ethique comme « des instruments intellectuels à l’aide desquels il [l’entendement] acquiert d’autres forces en vue d’autres ouvrages intellectuels, et de ceux-ci à d’autres instruments, autrement dit le pouvoir de pousser plus loin l’investigation jusqu’à ce qu’il atteigne par degrés le sommet de la sagesse » (§ 31)

Corrigeant et complétant une phrase de mon précédent message, je dirai donc que les huit définitions de la partie I, en particulier la première, sont les premiers « instruments intellectuels » qui vont nous permettre de pousser plus loin l’investigation de la réalité et de la comprendre.

Dans la suite de l’Ethique, l’idée de nécessité apparaît, elle aussi comme très simple et rationnellement facile à accepter : tout effet a une cause.
Cette idée n’a pas besoin d’être démontrée car, ici aussi, elle est un premier instrument intellectuel dont la vertu ou puissance se montrera à ses effets.

Si l’on comprend le hasard, selon C. Rosset, comme, avant tout, le refus de la transcendance et du finalisme alors on dira que cette notion est compatible avec le spinozisme et qu’il n’y a là aucun mystère.

Bien à vous.

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Messagepar QueSaitOn » 08 août 2013, 15:31

Il en va un peu de la qualité des vérités philosophiques comme de celle des éponges qu’on utilise au tableau noir et auxquelles on ne demande rien d’autre que de réussir à bien effacer. En d’autres termes, une vérité philosophique est d’ordre hygiénique : elle ne procure aucune certitude mais protège l’organisme mental contre l’ensemble des germes porteurs d’illusion et de folie

Tout à fait d'accord, on ne mesure pas la force d'un système philosophique à sa seule aptitude à la "vérité" au sens classique du terme, mais à sa puissance d'adéquation, au sens spinoziste du terme. Il n'y va pas seulement de la seule "interprétation" mais de l'action (nonobstant le fait que la connaissance est aussi de l'agir).

Le hasard en effet, selon la définition de C. Rosset ne semble pas contrevenir au système de Spinoza, puisqu'il n'est pas sans cause.

On pourrait même peut être aller plus loin en posant une identité entre nécessité et hasard ou en tout cas une interpénétration de ces catégories.

D'autre part, si les attributs au fondement du système de Spinoza (la Pensée et l'Etendue) permettent même de dire que ce qui ressort de la chaîne causale a son répondant dans la Nature (dans l'étendue) ne pourrait on affirmer de même que le hasard serait à l'Etendue ce que la nécessité serait à la Pensée. Ceci en vertu de l'unité de la Substance.

Sans avoit lu Hegel (pour le moment j'espère) on sent que les problématiques liées à la rationnalité dialectique (non pas à la dialectique naive qui consisterait à prendre sulement acte des contradictions sans vouloir les dépasser, mais à une dialectique rationnelle qui consisterait à analyser l'interpénétration des contraires au sein même de la réalité tels que le déterminé et l'aléatoire, l'interne et l'externe etc.) pourraient se révéler ici féconde.

Pour reprendre Spinoza "toute détermination est négation". Même si cette formule est sujette à caution du point de vue interne au spinozisme, elle n'en éclaire pas moins la nécessité de lier deux termes contraires.

De plus, ne perdons pas de vue, que le processus de connaissance, à notre échelle locale de l'Univers, participe de cette même réalité du Dieu-Nature. Autrement dit, l'introduction de la mathématique probabiliste, agissant sur le monde réel, fait elle même partie du problème (en tant que processus produisant de la réalité).

L'Ethique est un texte au caractère anhistorique (ce qui n'est pas sans poser de problèmes), prend t-il suffisamment en considération le processus historique de l'activité humaine en tant que partie (mode) des attributs de la Substance (même s'il reste très localisé à l'échelle du Dieu-Cosmos :)).

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Messagepar Vanleers » 08 août 2013, 16:50

A QueSaitOn

Quelques mots encore, sans doute pour en terminer.

1) Clément Rosset a critiqué un certain nombre de philosophes contemporains à propos de leur argumentation qui consiste « à attribuer tel caractère à une chose, précisément parce qu’elle ne l’a pas ; elle n’est pas x, c’est précisément cela qui fait, et de manière éclatante, qu’elle est x » (Jean Tellez La joie et le tragique. Introduction à la pensée de Clément Rosset p.120 – Germina 2009))

Or dire de Spinoza qu’il est « le plus extrémiste penseur [du hasard], puisque le hasard est dit, dans l’Ethique, de ce qui est son exact contraire – la nécessité » relève de ce type même d’argumentation.
En conséquence et à la réflexion, ce que dit Clément Rosset de Spinoza me paraît devoir être pris avec beaucoup de précautions.

2) On trouve sur ce site, en :

http://spinozaetnous.org/wiki/N%C3%A9cessit%C3%A9

la phrase suivante :
« En tant qu'elle est comprise adéquatement et rationnellement, la nature tout entière est caractérisée par la nécessité : E I 33 ».

Une réflexion sur vos interrogations initiales m’a conduit à revenir à la méthode de connaissance que Spinoza expose dans le TRE et qu’il résume au § 38.
Il me semble que c’est en creusant cette voie (difficile !) et en voyant comment cette méthode de connaissance s’applique dans l’Ethique que vous trouverez une réponse à votre question :
« Le spinozisme est-il compatible avec le "mystère" ou plutôt 'l'étrangeté" ? »

Je pense, pour ma part, que la réponse est « non » mais je n’ai pas les moyens, pour le moment, de l’argumenter convenablement.

Bien à vous

PS Je viens de voir que vous avez posté un nouveau message


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