Spinoza et le langage

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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lupink
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Messagepar lupink » 05 oct. 2002, 15:44

[/quote],

J'ajouterai : la troisième forme de connaissance n'est pas communicable, elle n'a pas de langage horizontal, d'une chose à l'autre, d'un émetteur à un récepteur. Elle est un rapport vertical et individuel : monter à Dieu (où s'enrichit, se ''transmute'' l'information originale) et redescendre aux choses (avec une autre information). Les ''sages'' se parlent peu.
Je concluerai : le ''more geometrico'' est secondaire pour le ''sage'' premier pour l'étudiant, comme le moyen par rapport au but.
P.S.: j' énonce mes vérités mais n'y voyez pas là des Vérités. Affaire de style. <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_wink.gif">
[/quote]
Vous êtes sûr que le 3è GC n'est pas communicable ? C'est expressément écrit ?
"Monter à Dieu ... et redescendre aux choses...", ce n'est pas un peu néo-platonicien ? Selon vous S reprend beaucoup du néo-platonisme ? <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_rolleyes.gif">

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bardamu
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Messagepar bardamu » 06 oct. 2002, 01:51

Je ne crois pas que l'incommunicabilité soit expressément affirmée : les problèmes de communication ne sont pas ceux de S. L'incommunicabilité du troisième genre de connaissance me semble évident en tant qu'il s'agit d'une connaissance intuitive (Eth II prop40 scholie 2): ''Soit, par exemple, les trois nombres en question, 1, 2, 3 : il n'y a personne qui ne voie que le quatrième nombre de cette proportion est 6, et cette démonstration est d'une clarté supérieure à toute autre, parce que nous concluons le quatrième terme du rapport qu'une seule intuition nous a montré entre le premier et le second.''
Ce rapport n'est pas enseigné (2e forme de connaissance). D'autre part l'incommunicabilité découle du simple fait qu'il s'agit d'une connaissance accompagnée d'une joie : '' celui qui connaît les choses de cette façon s'élève au comble de la perfection humaine, et par suite (en vertu de la Déf. 2 des passions) il est saisi de la joie la plus vive, laquelle (par la Propos. 43, part. 2) cet accompagnée de l'idée de soi-même et de sa propre vertu.''
Une telle expérience n'est pas communicable puisque la joie est le signe que nous augmentons notre puissance individuelle et dépend de notre adéquation personnelle aux choses. On aura beau chanter les louanges de la science intuitive, essayer de décrire ce que l'on ressent il s'agit d'une connaissance à vivre, menant à un sentiment fort : l'amour intellectuel de Dieu, c'est à dire l'affirmation éternelle de l'Etre, le ''oui'' à l'instant. Mais même si on ne peut partager cette connaissance, on peut enseigner comment l'atteindre, ce qui est tout le sujet de l'Ethique...
Quant à la verticalité, mon sentiment est clair mais son expression risque d'être confuse. Disons : la raison travaille sur les notions communes et les propriétés des choses (Eth II prop40 scholie 2) et se trouve limitée au plan de l'existant. La science intuitive ''va de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l'essence des choses''. Elle est d'emblée dans l'éternité (Eth V, prop 31) et va aux choses existantes. Elle donne son éternité aux choses, elle fait connaître leur essence éternelle, leur place, leur sens. En quelque sorte, dans mon imaginaire, je place en effet les essences en haut et les existences en bas mais l'analogie avec les platoniciens, néo ou pas, s'arrête là. Sauf erreur, les Idées platoniciennes correspondraient plutôt au notions générales de Spinoza (Eth II prop40 scholie 1) , à ce que l'on atteint par la raison. Leur ''insuffisance'' serait qu'elles n'accordent pas d'essence individuelle, singulière, éternelle.

Extrait du Phèdre de Platon : ''Pour être homme, en effet, il faut avoir le sens du général, sens grâce auquel l'homme peut, partant de la multiplicité des sensations, les ramener à l'unité par le raisonnement. Or cette faculté est une réminiscence de tout ce que jadis a vu notre âme quand, faisant route avec Dieu et regardant de haut ce qu'ici-bas nous appelons des êtres, elle dressait sa tête pour contempler l'Être réel. Voilà pourquoi il est juste que seule la pensée du philosophe ait des ailes ; elle ne cesse pas, en effet, de se ressouvenir selon ses forces des choses mêmes qui font que Dieu même est divin. L'homme qui sait bien se servir de ces réminiscences, initié sans cesse aux initiations les plus parfaites, devient seul véritablement parfait. ''
Spinoza s'oppose d'ailleurs clairement aux conceptions du Phèdre en refusant la réincarnation et tout rapport entre la notion d'éternité et celle de durée.
Eth V prop21 :L'âme ne peut rien imaginer, ni se souvenir d'aucune chose passée, qu'à condition que le corps continue d'exister.
Les âmes de Spinoza sont coextensives au corps et ne contemplent rien, elles sont l'autre forme du corps, l'idée du corps. Les âmes platoniciennes fonctionnent sur le négatif : les existences sont toujours des essences ratées.
La science intuitive de Spinoza donne accès à l'essence de chaque chose, son individualité, sa ''raison d'être'' à défaut de ''raison d'exister''. Elle permet le sens, la conscience de soi et l'amour des choses individuelles.
Eth V prop22 : Toutefois, il y a nécessairement en Dieu une idée qui exprime l'essence de tel ou tel corps humain sous le caractère de l'éternité.

Attention cependant, je ne suis pas un professionnel de la philosophie et il est un peu impudent de ma part de disserter sur un sujet aussi pointu que Spinoza et les néo-platoniciens...
Il se fait tard, j'arrête là mes élucubrations.
µ


[size=50][ Edité par bardamu Le 06 October 2002 ][/size]

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Messagepar lupink » 09 oct. 2002, 20:03

Salut Bardamu,

Pour ma part je vois en Spinoza un penseur de l'mmanence radicale - ce qu'il faut toujours avoir à l'esprit en le lisant parce qu'il emprunte des termes et même des méthodes scolastiques et cartésiennes. Sinon il me devient incompréhensible.
Lorsqu'il écrit "banalement" - dirait Laurent - dans le TRE : "(car nous avons une idée vraie)", rien ne sert de chercher cette idée plus loin que l'évidence universelle des deux attributs, évidence bien plus commune que celle d'un Dieu transcendant. Mais on peut en discuter...

Quant au caractère indiscible du troisième genre de connaissance, il me laisse sceptique dans la mesure où le langage, même l'usuel, est issu de la causa sui efficiente plutôt que de l'acte d'entendement et ne possède nullement le statut cartésien d'instrument analytique prompt à se dépasser vers une uglossie ou une aglossie transparente à la représentation. Par ailleurs l'imagination et le corps aquièrent un rôle important et positif dans la 5è partie. Or le langage est chez Spinoza un mode de l'attribut étendue. Il est de l'ordre du corporel. Enfin, le dynamisme de l'imagination requis pour l'intuition intellectuelle ne milite pas non plus pour une purification du langage jusqu'à sa disparition (un "langage blanc" dirait Laurent). Au siècle suivant en revanche, Deschamps (je pense, à moins que ce soit Duchamps?), qui emprunte beaucoup à Spinoza mais en prenant appui sur l'idée un peu mystique de "tout", arrive à cette disparition du langage (où d'ailleurs il critique Spinoza).
Je n'ai pas les références car je ne suis jamais chez moi lorsque je surfe. Mais si vous voulez je peux les retrouver pour vous.

A plus.
Bonjour à Céline.[size=50][ Edité par lupink Le 09 October 2002 ][/size]

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Messagepar bardamu » 11 oct. 2002, 23:52

Hello Lupink, comme y disent aux Amériques.

Sur le point de l'immanence je suis plus que d'accord avec toi. J'espère que rien dans ce que j'ai écrit ne laisse penser que je voudrais introduire de la transcendance dans Spinoza. Les distinctions que je peux faire essence-existence ou autre sont imaginaires (inadéquates, fausses) ou de pure raison (abstractions). Spinoza a usé de beaucoup de pages pour s'expliquer et j'aurais du mal à faire mieux en quelques lignes.

Sur le langage :
tu dis ''le langage est chez Spinoza un mode de l'attribut étendue'', je trouve cela étrange. Quel est le passage qui te fait penser ça ?
Tu rajoutes : ''le dynamisme de l'imagination requis pour l'intuition intellectuelle ne milite pas non plus pour une purification du langage jusqu'à sa disparition''.
L'Âme ne pouvant imaginer (E5p21), l'imagination étant la ''pensée'' du corps et le fait que tu dises que le langage est un mode de l'étendue, me laisse soupçonner que tu parles du langage dans ce qu'il aurait de mécanique ce qui correspondrait à un seul élément de langage dans ma conception, l'indication ou désignation. De la chose au mot.

Je m'en vais d'ailleurs gaiement exposer cette conception, mise en forme pour l'occasion. Les connaisseurs y trouveront la marque de Deleuze (surtout), Nietzsche ou Freud mais je ne sais plus trop ce que je dois à qui et tant pis si c'est long.

J'identifie 3 éléments du langage correspondant aux trois formes de connaissance. L'imagination produit l'indication ou désignation, la raison produit la signification et la science intuitive produit le sens.

L'indication est l'expression de la sensation ''Aïe, j'ai mal'', ''hmm, c'est bon''. La désignation est l'expression d'un rapport au signe, l'habitude de langage, la convention, la chose et le mot. Les deux forment l'imagination (E240scolie2), langage de l'enchaînement des affections du corps, dans un style pavlovien stimulus-réaction (E2p17, E2p18), physique.
Note : L'âme ne peut rien imaginer (E5p21), c'est à dire que les idées des affections du corps sont perçues par elle mais lui sont étrangères. L'âme voit ce que subit, pâtit le corps, mais ne peut rien y faire, d'où en matière de langage : associations ''d'idées'' incontrolables (''Qui va à la chasse...''), lapsus, syndrôme de la Tourette (insultes lançées compulsivement), opinions communes (''la démocratie c'est bien'') etc. le corps parle tout seul, sous influence.

La signification est le résultat de l'enchaînement des idées selon l'entendement, de la sélection des idées vraies, des notions communes. de la généralisation, de la remontée du particulier au général, elle mène à l'idée de Dieu en tant que lien entre les choses.
E2p44corollaire2 dem : ''Ajoutez à cela que les fondements de la raison, ce sont (par la Propos. 38, partie 2) ces notions qui contiennent ce qui est commun à toutes choses, et n'expliquent l'essence d'aucune chose particulière (par la Propos. 37, partie 2), notions qui, par conséquent, doivent être conçues hors de toute relation de temps et sous la forme de l'éternité.''

Le sens surgit parce que notre âme est éternelle (E5p31). Produit de la science intuitive, le sens est dans l'éternité, ce qui pour moi signifie aussi bien dans l'instant, l'intempestif. Le sens ne connaît pas les oppositions, il y a un sens à dire ''le noir est blanc''. Conscience de soi, de Dieu et des choses simultanément, le sens explique l'essence des choses particulières.
E5p52scolie : '' l'âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'être ; et la véritable paix de l'âme, il la possède pour toujours.''

Vous êtes en train de lire ce texte.
1/ Vous associez l'image des mots et les choses qu'ils représentent par habitude.
2/ vous comprenez la signification des mots, des phrases et du texte que vous pouvez relier à tout ce que vous savez, au grand réseau du monde.
3/ et peut-être saisirez vous le sens qu'il y a à ça : cet univers (on part de Dieu) et ce texte-là que moi j'ai écris (chose particulière) que VOUS rencontrez en cette éternité-là, en ce moment. Ce qu'est ce texte, son essence singulière. Ce sens changera à chaque fois que vous lirez le texte, selon votre humeur, selon la luminosité de votre écran etc. La conscience de soi-même et de Dieu et des choses. Joie, doute, fatigue ?

La science intuitive reste pour moi, essentiellement, nécessairement, une connaissance singulière, individuelle et qui ne concerne que la relation de soi-même au monde, l'éthique. Sans doute, cette connaissance s'exprime, se dit, dans des attitudes, un style, le résultat de la paix de l'âme mais de toute manière ce style sera aussi variable qu'il y a d'individu, il ne sera connu que de celui qui le vit. Nous avons certainement des sages autour de nous, des gens en apparence normaux mais qui vivent dans la conscience d'eux-même, de Dieu et des choses sans que nous le sachions, sans qu'ils nous le ''disent''.
Pour le reste, indication ou désignation sont affaire de perception biologique et de langage public, tandis que la signification s'obtient par le travail intellectuel de mise en relation des choses.Ces aspects du langage appartiennent au monde de l'intersubjectivité et sont communicables.

En te répondant dans ton impressionnant langage : le langage, même l'usuel, est issu de la causa sui efficiente plutôt que de l'acte d'entendement et ne possède nullement le statut cartésien d'instrument analytique prompt à se dépasser vers une uglossie ou une aglossie transparente à la représentation, il est au minimum dans la grossièreté représentative, peut simultanément être dans la clarté de la raison mais ne communique rien de l'expérience éthique, chacun doit la vivre.

''J'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.''

µ
T'as l'bonjour de Céline

P.S. : j'ai trouvé un texte de Léger-Marie Deschamps sur le web, Précis en 4 thèses, j'vais voir si ça m'intéresse.
C'est à : <!-- BBCode auto-link start -->[url=http://mapage.noos.fr/ottaviani/cerphi/public/precis.htm]http://mapage.noos.fr/ottaviani/cerphi/public/precis.htm[/url]<!-- BBCode auto-link end -->[size=50][ Edité par bardamu Le 12 October 2002 ][/size]

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Messagepar lupink » 12 oct. 2002, 19:35

Resalut Bardamu,

Je viens de lire ton message.
Excuses-moi pour mon langage. Je résume énormément car j'écris tout de mémoire par manque de matériel lorsque j'ai accès au net. Aussi j'use peut-être de mots barbares pour faire vite et trop concis.

A mon avis tu confonds imagination et langage. D'autre part parler de perception biologique chez Spinoza me semble un contresens. Enfin selon moi tu opposes trop le mental, - ou du moins l'entendement - et le corps car ceux-ci sont deux "modes parallèles", certes, mais non pas opposés.

Cependant tu me mets au pied du mur car je ne pourrais te répondre rigoureusement qu'avec le matériel adéquat, à savoir après avoir pondu sur support-papier.
Alors autant faire carrément un article qui me sera un exercice et une image de ma conception actuelle du problème car je n'ai pas encore lu convenablement le TTP.
Bien sûr, cela prendra plus de temps que les dix minutes que je destine à mes réponses sur ce forum. Armes-toi donc de patience : disons une à deux semaines parce - bon - il n'y a pas que Spinoza dans la vie.

Toutefois, si tu t'ennuies, pourrais-tu me faire savoir ce que Deleuze, Nietzsche et Freud ont à voir avec ton texte, ormis dans les termes que tu emploies?

Au plaisir de correspondre avec toi.
Amicalement.
Lupink.

[size=50][ Edité par lupink Le <br>12 October 2002 ][/size][size=50][ Edité par lupink Le 12 October 2002 ][/size]

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Messagepar bardamu » 12 oct. 2002, 23:38

Je me suis planté dans la lecture de E5p21 mais il ne me semble pas confondre langage et imaginaton puisque je pense que l'imagination ne produit qu'un des aspects sur les trois que je distingue dans le langage.
Pour la perception biologique, je ne vois pas en quoi c'est un contre-sens. Comment appelerais-tu l'ensemble des affections du corps ?
Quant à trop séparer l'âme du corps, je ne sais pas...
Bon, affaire à suivre...

Pour les influences :
la structure générale désignation-signification-sens me vient de ''Logique du sens'' de Deleuze , l'importance d'un langage du corps (lapsus, symptôme) de Freud, quant à Nietzsche c'est quand j'identifie l'éternité à l'instant, l'affirmation dans l'instant, le ''oui'' à l'éternité, à l'éternel retour, la conscience du sens.
''Toute joie veut l'éternité'' (Ainsi parlait Zarathoustra)
Il se pourrait que ces liens soient fait par Deleuze lui-même ou qu'il soit le lien entre tout ça, j'ai un article à ce sujet. J'en avais envoyé un extrait à quelqu'un concernant le rapport Nietzsche-Spinoza en message privé sur le forum Nietzsche-Spinoza, c'est pas à toi au moins ?

Bon, voilà, je ne suis pas pressé pour les réponses, les vacances sont finies, je me remets au boulot aussi je ne sais pas trop quand je pourrais intervenir.

P.S. : à la lecture des autres forums, j'ai vu que le vouvoiement semblait d'usage. J'ai le tutoiement facile (effet Céline), ça gêne pas ?
µ

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Messagepar lupink » 13 oct. 2002, 19:10

Non, ça ne me gène pas, au contraire. Si, c'est à moi que tu as envoyé le message privé. Hélas ne ne m'en étais pas aperçu. Je m'en excuse. Je t'en remercie d'avance. Je suis sûr que cela va m'intéresser.
A bientôt.
Lupink.

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Messagepar lupink » 15 oct. 2002, 19:43

Encore salut, Bardamu!

L'article que j'ai promis prendra sans doute plus de temps que prévu pour cause de démarches administratives imbéciles mais obligatoires qui vous fait perdre un temps bête. Si donc tu entends parler d'un bâtiment administratif qui explose en Belgique, ce n'est pas Al Qaida, c'est Lupink.

Quant au présent sujet, j'ai trouvé le lexique ex informatica des occurences de l'Ethique, concocté par le sieur A. Robinet, un de mes rares ex-profs que je respecte. Je lui rendrai donc hommage ce soir, bien que je ne sais s'il est encore en vie, car il était d'âge avancé et de santé défaillante il y a treize ans déjà, lorsqu'il faisait crisser les vieux escaliers de la regrètée "maison des philosophes". Celle-ci nous permettait alors de garder une certaine marginalité profitable en une annexe loin des bâtiments principaux de l'université de Bruxelles (à présent quasi privatisée et inféodée à la pensée unique).
C'est qu'il réussit le tour de force de nous faire aimer Leibniz, lui, le spécialiste du langage à l'âge classique. Hélas! il n'eut pas le temps de nous enseigner précisément Spinoza.

Mais trève de sentimentalisme! De fait sa perspective complique nos lectures. En effet il remarque la complexité de l' usage des termes dans l'Ethique, si bien qu'on ne saurait sérieusement prendre au sérieux l'appréhension de celle-ci comme un discours scientifique par tous ceux qui s'aveuglent sur le "more geometrico".

Pour te faire patienter donc, et pour essuyer la larme qui caresse à présent ma joue, je ne peux m'empêcher de citer un extrait de la postface à ce fameux lexique que le chercheur invétéré défend ainsi :

"Se faire nature, se mettre à parler nature de la nature, contraint le mode à s'assimiler à la substance. L'essence relevant de la puissance, l'essentiel reste d'exprimer cette conscience en fonction des éclats individuels de la puissance totale. Le sage dépasse en cela le prêtre et le politique : l'amour intellectuel de Dieu accomplit le langage humain dans la joie, et cette joie comporte l'oubli du déjà fait, le penchant à ce qui reste à faire et la satisfaction du ce faisant. Bien difficile de dire si le troisième genre de connaissance est encore exprimable dans la langue des poètes : il l'est en tous cas, de facto, dans celle du philosophe, de la première à la cinquième partie de l'Ethique (...) Le troisième état n'est nulle part secret ou muet. Il ne provoque pas la coupure d'un corps dont le statut est substantiellement autre, mais affectivement différent : d'une affection qui ne connaît pas sa loi, et qui trempe dans les signes en les mélangeant tous, au plus grand profit des prophètes religieux ou civils. A la séparation platonicienne, augustinienne, stoïcienne, cartésienne, Spinoza réplique par l'union d'un mode éternel du penser à un mode éternel du vouloir. Qui connaît les aptitudes de ce corps humain continuellement changeant? Plus une chose a de perfections, plus elle est active. Or la connaissance du troisième genre est, non plus celle des idées dérivées des notions communes concrètes, mais celle des choses singulières, (...) "Les yeux de l'âme par lesquels elle voit et observe les choses, sont les démonstrations elles-mêmes", énonce le scolie V,XXIII, au bénéfice de toutes les démonstrations. Ces yeux portent sur un discours, sur ces énoncés en romains qui articulent la typographie spinoziste, pour débrider les yeux des autres que l'italique des propositions n'éclaire pas pour autant. Cet ordre où l'âme peut enchaîner ses affections est bien celui du discours ordine geometrico demonstrata. Mais il faut, allant plus loin que Spinoza, armer d'un dispositif binaire son armement binaire en soupçonnant l'incongruité de la série formelle de ses démonstrations, et en dressant, dans les démonstrations, ce qu'il avait cru vaincre et qui relève non des axiomes mais des passions". Voilà.

Il faut voir les alternatives étonnantes et les glissements subreptices que permettent des termes tels que quatenus, vel, hoc est, idem est. Il (me) faut questionner le manque de statut de dico, loquar, intelligo et bien d'autres pour un philosophe qui n'affirme pas "cogito" mais "homo cogitat". Il (me) faut montrer l'évolution du sens de "conscience" et de "méthode" depuis le 17è siècle (ça c'est moi qui le dis). Il faut rendre compte de l'étonnante quasi disparition de la "substantia" de l'"attibutum" et de "exprimere" au long de l'Ethique (ceci contre Deleuze). Bref, il (me) faudra passer par le langage comme d'un angle d'attaque pour mettre face à face un Spinoza immergé dans un siècle hanté par le langage et un Nietzsche qui le fait exploser.

Ce qui nous renvoit au sujet "Spinoza et Nietzsche" où je t'invite dès à présent à me suivre puisqu'il s'agit de l'extrait que tu m'as envoyé. A tout de suite, donc.

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Messagepar bardamu » 27 oct. 2002, 00:13

Quelques interrogations sur la lecture du vénérable M. Robinet.
''Bien difficile de dire si le troisième genre de connaissance est encore exprimable dans la langue des poètes : il l'est en tous cas, de facto, dans celle du philosophe, de la première à la cinquième partie de l'Ethique ''et '' l'amour intellectuel de Dieu accomplit le langage humain dans la joie''.
Veut-il dire que le 3e genre de connaissance s'exprime dans une joie qui parcourrait l'Ethique ?
Je comprendrais ainsi : ''Mais il faut, allant plus loin que Spinoza, armer d'un dispositif binaire son armement binaire en soupçonnant l'incongruité de la série formelle de ses démonstrations, et en dressant, dans les démonstrations, ce qu'il avait cru vaincre et qui relève non des axiomes mais des passions ''
Retrouver l'affect de Spinoza dans la démonstration, retrouver sa joie issue de sa connaissance derrière la sècheresse ?

Si j'ai bien compris (mais rien n'est moins sûr...) je ne pourrais que me féliciter de ce projet mais émettrais quelque doute sur la valeur univoque de l'entreprise.
Ce qui relève de la passion sera forcément équivoque, de l'ordre de la sensibilité personnelle.
L'étude stylistique, linguistique ne peut qu'enrichir la perception que l'on aura de l'Ethique mais quelle sera la part du personnel dans cet inventaire ?
Les glissements de sens, l'évolution du vocabulaire du début à la fin ne seront-ils pas par trop équivoques, objet d'interprétation, affaire de sensibilité ?

Avec Nietzsche, il m'est arrivé de rire à certains passages et de m'apercevoir que cela ne faisait rire que moi. Cet humour que je voyais était-il démontrable ?

Peut-être n'ai je aussi rien compris...
En tout cas, ça j'ai pas compris :
''Il ne provoque pas la coupure d'un corps dont le statut est substantiellement autre, mais affectivement différent ''. ???

De manière générale, j'ai quelque difficulté avec les lectures linguistiques des philosophes.
La valeur de l'indicatif dans l'Ethique (désolé M. Martinet) ça ne me parle pas et je m'interrogerais par exemple sur comment un malgache (j'ai vécu à Madagascar...) lirait Spinoza avec sa langue qui ne connaît ni nombre, ni genre, ni mode pour les verbes. Perdrait-il beaucoup dans une traduction ou bien la force de Spinoza est ailleurs ?

Vous me direz que ça ne m'intéresse pas parce que je ne m'intéresse pas vraiment à Spinoza mais égoïstement aux conséquences de sa lecture sur ma personne. Et vous aurez raison !


P.S. : je réfléchis à une petite contribution comparant les ontologies pouvant dériver de la physique quantique et la logique substance-attribut-modes dans Spinoza
(je vous jure, j'ai pas bu !).
J'ai vu dans une bibliographie (je ne sais plus où) que Bernard d'Espagnat, un spécialiste de l'épistémologie de la physique quantique avait fait une conférence sur Spinoza. Quelqu'un en a-t-il entendu parlé ? Est-ce qu'on peut trouver cette conférence quelque part ?

[size=50][ Edité par bardamu Le 27 October 2002 ][/size]

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Messagepar lupink » 27 oct. 2002, 14:49

Je pense que cela signifie que l'on ne peut parler, dans le troisième genre, d'une intuition intellectuelle totalement inscrite dans l'attribut pensée (auquel cas le corps serait substantiellement autre), tout en se fondant sur un affect de joie suprème qui, comme affect, est toujours peu ou prou lié à l'attribut étendue (d'où affectivement non pas autre mais seulement différent).

Je ne crois pas que l'entreprise de Robinet soit une étude stylistique ou linguistique. Il s'agit seulement de montrer l'évolution, les hésitations et l'insistance du langage dans une oeuvre que l'on présente trop souvent comme un système axiomatique total et sans dehors.

Le caractère personnel et passioné de l'Ethique ne me paraît pas choquant. S demeure un homme, eût-il accédé au troisième genre, puisque celui-ci peut demeurer concommitant à l'usage des deux premiers.

Peut-on faire l'économie d'une interprétation de l'Ethique? La signification de celle-ci serait-elle univoque? Je ne crois pas. Sinon pourquoi tant de différents commentaires? A mon avis, ce relevé des occurences du vocabulaire spinoziste contribue au contraire à restreindre les interprétations trop personnelles qui s'appuient sur un terme unique pour conclure à la totalité de la signification en prenant appuis sur l'aspect systématique de l'oeuvre.

Martinet (que je nomme "Laurent" plus haut) ne fait pas une lecture linguistique mais logique. Il n'y a pas que des indicatifs dans l'Ethique. on trouve de nombreux conditionnels et subjonctifs, surtout dans les scolies. De toute façon je suis en total désaccord avec Martinet, entre autre pour les raisons exposées ci-dessus.

Personne ne veut faire une étude linguistique de l'Ethique, seulement un relevé des termes et de leur emploi, d'une part, et une étude de la conception du langage chez Spinoza. Martinet a bien essayé, mais c'est à la mode anglaise logico-analytique mâtinée de scolastique heideggerienne se retournant bizarrement contre Heidegger. Enfin: je ne vois pas très bien où il veut en venir...

J'ai lu sur un site anglophone et son forum une discussion concernant la physique contemporaine et ses rapports avec Spinoza. Je ne sais plus où parce que cela ne m'intéressait pas vraiment mais je pense que tu pourras le retrouver facilement.

Je t'enverrai bientôt une bafouille dans "S et N" quant à l'aspect "représentatif" chez S. Car selon moi, même le premier genre de conn. et la notion d'idée chez S ne peuvent être identifier à ce que l'on nomme "représentation" (mais je devrais quand-même lire le Deleuze un de ces jours).

A bientôt donc.
Amicalement.
Lupink.
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