Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Vanleers
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Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 14 avr. 2015, 16:25

Bonjour à tous

Spinoza définit la connaissance du troisième genre ou science intuitive comme suit :

« Et ce genre de connaître procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu vers la connaissance adéquate de l’essence des choses. » (E II 40 sc. 2)

Pouvons-nous comprendre que cette connaissance nous fait connaître les essences singulières des choses singulières ?

Ce n’est pas l’avis de Bernard Rousset dont nous donnons l’argumentation ci-dessous. S’il a raison, et comme la connaissance du deuxième genre ou raison, ne nous fait pas connaître l’essence des choses singulières (E II 37), nous devrions reconnaître que les essences singulières des choses singulières sont inconnaissables.

Qu’en pensez-vous ?

Je signale que la question de la portée de la connaissance du troisième genre a déjà été abordée plusieurs fois sur le forum Spinozaetnous, notamment en 2004 en :

viewtopic.php?f=13&t=107

Venons-en au commentaire de la définition de la connaissance du troisième genre rappelée ci-dessus que donne Bernard Rousset dans « La perspective finale de l’Ethique… » (Vrin 1968)

Remarquons que le mot « essence » figure deux fois dans la définition :

1) « L’essence formelle de certains attributs de Dieu »

Qu’est-ce que l’essence formelle ?
B. Rousset écrit (p. 109) :

« L’expression d’“ essence formelle ” ne présente aucune difficulté, car c’est la formule normalement employée pour désigner la nature propre, l’ensemble des caractéristiques nécessaires et suffisantes qui constituent l’être d’une chose, en l’espèce d’un attribut de Dieu. »

2) « L’essence des choses »

B. Rousset écrit (p. 110) :

« Le mot “ choses ” est au pluriel : il s’agit ici des modes finis, envisagés en eux-mêmes comme des choses singulières […]. Mais le mot “ essence ” est au singulier : nous savons pourtant que “ ce qui appartient à l’essence d’une chose ” est entièrement réciprocable avec cette chose, en sorte que chaque être singulier doit avoir une essence qui lui soit propre (E II déf. 2) ; nous savons même qu’il s’ensuit que “ Dieu n’appartient pas à leur essence ”, puisqu’il peut exister sans qu’existe telle ou telle chose finie et que son être n’est donc pas réciprocable avec le leur (E II 10 cor. sc.) ; or, dans la définition de la connaissance du troisième genre, il est précisément question de Dieu en ses attributs : nous ne pouvons donc pas songer ici à l’essence propre constituant l’être de chaque chose singulière en sa particularité ; […] »

Après s’être référé au TRE, B. Rousset poursuit :

« Qu’est-ce donc exactement que cette essence unique des multiples choses finies, qui est à la fois l’être propre de chacune et un terme “ commun à toutes ” (E II 46) ? Il va de soi qu’il ne s’agit pas des propriétés communes dont traite le second genre de connaissance, telles les lois du mouvement et du repos ; aussi ne reste-t-il que l’être commun ou, pour reprendre la formule de Darbon, “ la commune dépendance à l’égard de Dieu ”, c’est-à-dire, ainsi que le précise Spinoza, le simple fait que “ toutes choses dépendent de Dieu selon l’essence et l’existence…, lorsque cela même est conclu de l’essence elle-même de chaque chose singulière, que nous disons dépendre de Dieu ” (E V 36 sc.). » (fin de citation)

La connaissance du troisième genre apparaît comme précisément délimitée et B. Rousset écrit (op. cit. p. 112) :

« Cette définition de l’objet précis de la connaissance suprême nous montre qu’elle n’est en rien une science infinie qui nous rendrait capables de procéder à une déduction universelle des modes finis à partir de l’idée de l’être infini. […] mais Spinoza rejette lui-même une prétention de cet ordre : “ Connaître la manière dont les parties sont véritablement liées entre elles et dont chaque partie s’accorde avec son tout, voilà ce que j’ai dit ignorer dans ma précédente lettre, puisqu’il faudrait, pour connaître cela, connaître la nature entière et toutes ses parties ” (lettre 32 à Oldenburg) »

B. Rousset conclut (ibid.) :

« […] la connaissance du troisième genre n’est pas, en effet, l’achèvement idéal de la science de la nature qu’est la connaissance du second genre comme on a pu le soutenir (Gabriel Huan) ; loin de développer totalement la détermination des relations existant entre les choses finies, pour rendre compte de l’essence et de l’existence propres de chacune prise séparément, ce qui constituerait une tâche infinie, ainsi que Spinoza l’a démontré (E I 28), elle détermine seulement la relation existant entre le fini et l’infini, pour définir l’être propre de toutes les choses singulières, tâche parfaitement délimitée, qui s’avère, par conséquent, tout à fait possible : connaissance ontologique, elle est d’un autre ordre que la connaissance “ scientifique ”. » (fin de citation)

Reposons la question : l’argumentation de Bernard Rousset vous paraît-elle valable, auquel cas il faudrait abandonner l’idée que nous puissions connaître les essences singulières des choses singulières ?

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 17 avr. 2015, 16:11

Charles Ramond rappelle que Martial Gueroult fait le même constat : la connaissance du troisième genre n’est pas la connaissance des essences singulières des choses singulières. Il écrit (Qualité et quantité dans la philosophie de Spinoza – PUF 1995) :

« Gueroult concède d’abord honnêtement l’existence de nombreux textes, que ce soit dans les premiers traités ou dans l’Ethique, dans lesquels Spinoza caractérise la connaissance du troisième genre comme connaissance des « choses singulières », des « essences particulières » ou des « choses particulières ». Et cependant, comme « l’Ethique ne déduit rien qui ne soit universel », la science intuitive, « détermination universelle des conditions de la singularité », ne peut « fournir la connaissance d’aucune singularité en particulier ». La connaissance « du troisième genre », lorsqu’elle saisit, selon l’expression d’E II 40 sc., « les essences des choses », ne saisit donc pas les « essences singulières des choses singulières », mais les « essences spécifiques » de ces choses singulières. Lorsque je connaîtrai une chose singulière, par exemple Pierre, par la connaissance du troisième genre, je ne connaîtrai donc pas l’essence singulière de Pierre, mais l’essence spécifique de Pierre, c’est-à-dire l’essence de l’homme. De ce point de vue, le résultat de la connaissance du troisième genre est donc exactement identique à celui de la connaissance du second genre.
Malgré un aspect peut-être sentimentalement décevant (car la science intuitive semblait, de loin, être en mesure de réaliser le projet suprême d’une connaissance rationnelle du singulier en tant que tel), cette conclusion est certainement exacte. Bien plus, on doit ajouter, aux raisons invoquées par Gueroult en sa faveur, le fait que le « singulier en tant que singulier » n’a pas, et ne peut pas avoir, de statut précis dans la nature naturée. Du fait même de la composition hiérarchique des individus, en effet, et de la nature abstraite et imaginaire des notions de « tout » et de « partie », toute chose singulière peut être considérée simultanément, chez Spinoza, comme « partie » d’une autre chose singulière, et comme « tout » d’autres choses singulières. . » (pp. 271-272)

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 17 avr. 2015, 16:50

Ferdinand Alquié, commentateur critique mais honnête et clair de Spinoza, est également du même avis que Rousset, Gueroult et Ramond. Il écrit (Le rationalisme de Spinoza – PUF 1981) :

« Nous l’avons vu, Spinoza déclare que la connaissance du troisième genre atteint, en leur essence propre et unique, les choses singulières. Nous rencontrons ici une nouvelle difficulté. En effet, la connaissance vraie, selon Spinoza, doit nous révéler l’intelligibilité de son objet : sans cela, nous retomberions dans la pure constatation empirique. Il nous faut concevoir la chose, autrement dit parvenir à son essence, en découvrant sa cause et en retraçant sa genèse. Si donc la connaissance du troisième genre doit nous permettre de comprendre les essences singulières à partir de Dieu considéré comme leur cause, elle doit, par là même, nous fournir le moyen de déduire ces essences en prenant comme point de départ l’idée adéquate de Dieu. Or il est évident que c’est impossible. J’ai déjà dû renoncer à parcourir par la pensée la chaîne infinie des causes qui ont donné naissance à telle ou telle chose particulière. Bien que considérant, cette fois, le réel sous l’aspect de l’éternité, je suis également incapable de comprendre, à partir de la seule idée de Dieu, fût-elle adéquate, l’essence propre de telle ou telle chose particulière. » (p. 235)

F. Alquié se réfère alors à M. Gueroult et écrit :

« Sensible à cette difficulté, et soucieux de maintenir le caractère rigoureux du système, Gueroult remarque que « l’Ethique ne parle jamais d’une connaissance des essences singulières des choses, mais seulement, ce qui est tout différent, d’une connaissance de l’essence des choses singulières ». Dès lors il faudrait admettre que « les essences des choses singulières, auxquelles atteint la connaissance du troisième genre, ne seraient pas les essences singulières de ces choses, essences différentes pour chacune, mais simplement leur essence intime qui… est en toutes la même, comme par exemple l’essence de l’homme, qui appartient à chaque homme tout en étant la même en tous. » (pp. 235-236)

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar hokousai » 17 avr. 2015, 22:48

Pouvons-nous connaître les essences singulières ?


oui.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Miam » 18 avr. 2015, 10:21

Je suis assez d'accord avec ça.
Cependant, si le troisième genre de connaissance est la "connaissance scientifique", quel est alors le deuxième ?
Et si ce même troisième genre consiste à saisir la relation fini/infini via les modes infinis (assimilés, quant à l'étendue, aux lois du mouvement), pourquoi Spinoza écrit-il qu'il faut partir de l'essence formelle d'un attribut et non de ces modes infinis ?
Enfin : la lettre 32 interdit la connaissance de toutes les parties de la nature. Or, précisément, ce qui est divisible en parties, ce sont les modes infinis alors que l'essence formelle d'un attribut (de laquelle il faut partir) demeure indivisible.
C'est du reste pourquoi l'essence choses singulières est toujours au singulier dans l'Ethique sauf à une occasion : là où précisément il décrit "les essences des choses singulières" comme "contenues dans les attributs de Dieu" (II prop. 8).

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 18 avr. 2015, 16:58

Les quatre commentateurs cités : Rousset, Ramond, Gueroult et Alquié, sont d’accord pour dire que la connaissance du troisième genre ne nous fait pas connaître les essences singulières des choses singulières.
Ramond et Alquié sont de l’avis de Gueroult : ce que ce genre de connaissance nous fait connaître c’est l’essence « spécifique » de la chose singulière, mais est-il question explicitement d’une telle essence dans l’Ethique ?
B. Rousset, quant à lui, soutient que cette essence consiste dans « le simple fait que “ toutes choses dépendent de Dieu selon l’essence et l’existence…, lorsque cela même est conclu de l’essence elle-même de chaque chose singulière, que nous disons dépendre de Dieu ” (E V 36 sc.). »
F. Alquié le conteste en rappelant que, selon Gueroult, « par cette science, “ il devient possible de déduire directement de Dieu l’essence de la chose, et non plus seulement de conclure que la chose dépend continûment de Dieu… du fait qu’une telle dépendance est une propriété commune à toutes les choses en tant qu’elles sont des modes produits par Dieu” » (op. cit. p. 236)

Il y a de quoi être perplexe.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 19 avr. 2015, 16:36

Pascal Sévérac effectue une synthèse, éclairante et convaincante, des thèses de Rousset et de Gueroult sur ce qu’il faut entendre par essence de chose singulière dans la définition de la connaissance du troisième genre (Spinoza Union et Désunion – Vrin 2011).

Prenons l’exemple de l’amour singulier de tel être humain pour tel autre.

Qu’est-ce que l’essence de cet amour singulier ? P. Sévérac écrit :

« Mais ce qui est fixe et éternel, et qui constitue l’essence même de [l’amour] que je sens, c’est la définition même de l’amour, comme « joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure » (E III déf. aff. 6) » (p. 78)

Il poursuit :

« Mon amour singulier, changeant, est donc une modalité (finie et temporelle) de l’essence même de l’amour, entendue comme « chose fixe et éternelle (TRE § 99-101), ou comme « mode éternel » (Ethique). En elle-même, cette essence de l’amour n’a rien de limité : elle n’enveloppe aucune négation, elle est au contraire pleinement affirmative ; de l’essence de l’amour, entendue comme mode éternel, on ne pourra donc dire qu’elle est « finie ». On dira plutôt qu’elle est quelque chose de singulier, au sens où elle se distingue par exemple de l’essence du désir ou de la haine. Mais étant partout présente dès qu’il y a amour, elle peut être en même temps considérée, comme le dit la fin de notre extrait [TRE § 99-101] comme un « genre » dont nos amours temporelles seraient comme les espèces […] » (p. 79)

Nous retrouvons ici la notion d’essence « spécifique » énoncée par Gueroult et reprise par Ramond et Alquié. P. Sévérac écrit encore :

« Aussi le caractère périssable et fini des choses singulières ne peut-il être perçu directement à partir de leur union avec Dieu : car est perçue à travers elle leur essence intime, qui jamais ne les supprime, et toujours les affirme (cf. E II déf. 2 et III 4 dém.). Par conséquent, aucune chose, considérée en elle-même, ne peut véritablement être dite finie : de l’essence de chaque chose, qu’il s’agisse de « moi » ou de cet affect d’amour en moi, procède une continuation indéfinie de l’existence – une durée en elle-même pleinement positive : car tout comme nous-même, l’amour en nous, s’il n’est pas détruit, persévère dans son être, même si son objet depuis longtemps nous a quitté ! » (p. 80)

Cette fois, nous retrouvons la thèse de Rousset : l’essence des choses singulières que vise la connaissance du troisième genre n’est autre que “ la commune dépendance à l’égard de Dieu ”, selon la formule empruntée à Darbon. P. Sévérac poursuit :

« Comprendre l’union éternelle des modes avec Dieu ne signifie donc pas accéder à un monde idéel dont le monde sensible ne serait qu’un reflet dégradé : ce que nous parvenons ainsi à comprendre, ce sont encore les choses singulières elles-mêmes, que nous vivons et qui nous font vivre. Mais nous ne les percevons plus alors de façon spatio-temporelle, en les imaginant à partir de l’effet qu’elles nous font ; nous les concevons dans leur réalité éternelle, en les comprenant par leur enchaînement nécessaire. Concevoir l’essence d’une chose dans son union étroite avec l’essence divine – concevoir cette chose, comme l’expliquera la cinquième partie de l’Ethique, par la science intuitive – c’est la percevoir comme éternelle, fixe, indestructible. » (ibid.)

Cette connaissance de l’essence des choses singulières n’est pas seulement théorique et P. Sévérac conclut :

« […] l’union intime de notre être singulier avec Dieu, via l’éternité, ne peut être seulement appréhendée sur le plan théorique de la perception, quand bien même il d’agirait de la perception la plus haute (la science intuitive, qui va directement de la connaissance de Dieu à celle de l’essence du singulier) : plus fondamentalement, cette union peut faire l’objet d’une expérience, d’une pratique, d’une activité de vie qui est tout l’enjeu de l’éthique. » (ibid.)

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Miam » 20 avr. 2015, 15:28

Certes, certes. Et Van Leers, il en pense quoi ?

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 20 avr. 2015, 15:32

A Miam

La connaissance du troisième genre n’est pas la connaissance scientifique mais une connaissance ontologique, plus précisément du cadre ontologique.
Je donne ci-après un extrait de 100 mots sur l’Ethique de Spinoza de R. Misrahi (article connaissance pp. 103-105).
Je trouve ce texte remarquable par sa clarté : il définit la connaissance du troisième genre, sa place et son importance dans l’Ethique.
Les sciences, connaissances à la fois empiriques et rationnelles, sont, à mes yeux, à cheval sur les connaissances du premier et du second genre.
Je répondrai plus tard à vos autres remarques.

Bien à vous

Cette Science intuitive « procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses » (E II 40 sc. 2). Cette connaissance du troisième genre n’est donc pas la saisie mystique d’une réalité hors monde qui serait Dieu ; elle est, plus simplement et plus humainement, la saisie d’un rapport, cette saisie étant intuitive : la Science intuitive est la saisie intellectuelle (et immédiate) du rapport entre un attribut et l’essence d’une chose, c’est-à-dire entre un attribut infini de la Nature et un mode singulier de cet attribut.
On le voit, la connaissance du troisième genre n’est ni une mystique ni un mystère ; elle est l’appréhension intellectuelle immédiate du lien entre les réalités singulières et l’aspect spécifique de la Nature infinie qui les fonde, qu’il s’agisse respectivement ou des choses ou des idées.
Que la Science intuitive ne soit pas une « connaissance » mystique n’empêche pas qu’elle ait dans l’Ethique une place et un rôle privilégiés.
En effet, c’est vers ce genre de connaissance que toute l’Ethique conduit son lecteur. Cette Science intuitive est en effet la saisie de l’immanence, la pensée évidente de l’insertion des réalités singulières et limitées dans l’un des aspects infinis de la Nature infinie. Elle implique donc la libération par rapport à tous les mythes de transcendance et de libre arbitre. Si la Science intuitive libère l’esprit de l’imagination et de la servitude, c’est que cette Science, ce Savoir, est d’abord issu du deuxième genre de la connaissance et non du premier (E V 28). La connaissance empirique ne peut produire que l’imagination illusoire et la fausseté des idées tronquées ; seule la connaissance rationnelle peut engendrer un système d’idées adéquates relatives aux structures de l’Etre (substance, attributs, modes, en Ethique I) et c’est seulement à partir de cette connaissance rationnelle de l’unité de l’Etre (la Nature) que peut émerger la saisie intuitive du lien entre les choses singulières et la Nature infinie.
A partir de là, la saisie du monde en sera comme transmutée et vivifiée.
« De ce troisième genre de connaissance naît la plus haute satisfaction de l’esprit qui puisse être donnée » (E V 27). C’est de cette Science intuitive en effet que naît l’Amour intellectuel de Dieu et, par conséquent, la béatitude et la liberté, et c’est d’elle que naît donc le sentiment d’éternité.
On le voit, toute la sagesse spinoziste est le fruit de cette Science intuitive, puisqu’elle seule nous convainc « de l’intérieur » de l’unité du monde et nous conduit à la plus haute joie : « Ainsi, plus on est capable de ce genre de connaissance, mieux on a conscience de soi-même et de Dieu, c’est-à-dire plus on est parfait et heureux » (E V 31 sc.).

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 20 avr. 2015, 15:37

A Miam

Patience. Vous savez sans doute que lorsqu’on fait une recherche, il faut d’abord commencer par dresser « l’état de l’art ».
Sinon, on réinvente l’eau chaude à chaque génération.

Bien à vous


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