Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Vanleers
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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 02 juin 2015, 14:54

A Henrique

1) « Pour qu’une définition soit dite parfaite, elle devra expliquer l’essence intime de la chose et éviter qu’à sa place nous usurpions certains propres » TRE – traduction Rousset, § 95 (51 pour Appuhn).
Saisset et Pautrat traduisent également explicare par « expliquer » mais Vinciguerra par « exprimer ».
Nous déduisons logiquement de la définition de la définition dite parfaite (génétique), que connaître l’essence d’une chose singulière, c’est connaître son essence (sa quiddité) et réciproquement. Je ne dis pas que l’essence d’une chose singulière et sa définition génétique sont la même chose mais que connaître l’une est équivalent à connaître l’autre.
Peut-être savait-on « déjà intuitivement ce qu'était un cercle avant d'en donner la définition génétique » mais pourrait-on en dire autant, par exemple, d’un électron ? Notre connaissance intuitive de l’essence des choses singulières me paraît bien vague dans beaucoup de cas, même en mathématiques d’où la nécessaire axiomatisation de celles-ci.

2) Je suis bien entendu d’accord pour dire que nous connaissons intuitivement les attributs Etendue et Pensée et qu’il ne saurait être question, dans ce cas, de définition génétique. Spinoza distingue d’ailleurs ce qui est requis dans la définition des choses créées (§ 96) et ce qui l’est dans la définition des choses incréées (§ 97)

3) J’ai utilisé, faute de mieux et à tort, « être-là » pour essayer de comprendre ce que vous désignez par connaître son essence singulière dans le cas d’un être humain, sachant par ailleurs qu’en toute rigueur être-là (dasein) signifie existence.
Connaître intuitivement sa propre essence singulière, ce n’est pas connaître sa définition génétique car notre entendement est limité et nous sommes des choses très complexes. Je pense que Rousset, Gueroult,…, qui disent que nous ne connaissons pas l’essence singulière des choses singulières mais leur essence spécifique, attirent l’attention, peut-être maladroitement, sur le fait que nous ne connaissons pas la définition génétique des choses singulières, sauf des choses très simples.

4) Je suis d’accord avec votre interprétation d’E II 45 : la référence, dans la démonstration, au corollaire d’E II 8 ne concerne pas l’idée de l’essence de la chose mais seulement l’idée de son existence.

5) J’ai qualifié ci-dessus la connaissance intuitive de notre essence de « vague », non pas au sens de la connaissance du premier genre que Spinoza qualifie également de vague mais par contraste avec la connaissance de la définition génétique que vous caractérisez comme « délimitation claire et distincte de ce qui suffit à générer une essence donnée ». Mais, aussi « vague » soit-elle, elle suffit pour la démarche concrète que vous avez décrite sur le fil « La place de la conscience dans l’Ethique », démarche qui nous fait connaître la béatitude.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar NaOh » 02 juin 2015, 15:23

Bonjour à tous les deux,

Cette problématique de la connaissance ou plutôt de l'expérience de l'essence singulière est à mon avis, très importante pour la viabilité du système de Spinoza. Je sais bien que ce n'est pas tout a fait un argument mais si nous ne retenons que la connaissance des essences spécifiques ne donnons-nous pas raison aux critiques de Leibniz, qui accuse Spinoza de confondre sans arrêt l'ordre des essences et l'ordre des existences?

Ci-dessous trois remarques de Leibniz recopiées par mes soins, afin d'illustrer mon propos.

Extrait 1
"Cet axiome, que l’essence d’une chose, ce qui lui appartient, c’est ce sans quoi elle ne peut exister ni être conçue, a son emploi dans les choses nécessaires ou dans les espèces, mais non dans les individus et les choses contingentes ; car on ne saurait avoir des individus une conception distincte. Voilà pourquoi ils n’ont point une connexion nécessaire avec Dieu, mais ils sont librement produits. Dieu a été incliné vers eux par une raison déterminée, il n’y a point été nécessité."

Extrait 2
"Mais il n’y a pas apparence de raison à dire que l’âme est une idée, les idées sont quelque chose de purement abstrait, comme les nombres et les figures et ne peuvent agir. Les idées sont abstraites et universelles. L’idée d’un animal quelconque est une possibilité, et il est illusoire de dire que les âmes sont immortelles, parce que les idées sont éternelles, comme si l’on disait que l’âme d’un globe est éternelle, parce que l’idée du corps sphérique l’est en effet. L’âme n’est point une idée mais la source d’innombrables idées, elle a, outre l’idée présente, quelque chose d’actif, ou la production de nouvelles idées."

Extrait 3
"Spinoza ne donne point de preuves de ce qu’il avance que les choses découlent de Dieu comme de la nature du triangle en découlent les propriétés. Il n’y a point d’analogie d’ailleurs entre les essences et les choses existantes."

Bien à vous.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 03 juin 2015, 10:25

A NaOh

Vos citations de Leibniz posent effectivement la question de la connaissance des essences singulières, c’est-à-dire de la connaissance du troisième genre.
Précisons que le scolie 2 d’E II 40 dans lequel Spinoza définit ce genre, n’énonce pas qu’il s’agit de la connaissance des essences singulières mais que « ce genre de connaître procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu vers la connaissance adéquate de l’essence des choses ».
Dans le TRE, il avait avoué que jusque-là, il n’avait pu comprendre que très peu de choses par le moyen d’une telle connaissance :

« Et enfin, c’est par le moyen de la seule essence de la chose que la chose est perçue quand, de ce que je connais quelque chose, je sais ce que c’est que connaître quelque chose, ou bien quand, de ce que je connais l’essence de l’âme, je sais qu’elle est unie au corps. C’est de cette même connaissance que nous connaissons que deux et trois font cinq, et que, étant donné deux lignes parallèles à une troisième, elles sont également parallèles entre elles, etc. Pourtant, les choses que j’ai pu jusqu’ici comprendre par une telle connaissance ont été très peu nombreuses » (§ 22)

Il avait défini ce genre de connaissance par :

« IV. Enfin il y a la Perception où une chose est perçue par le moyen de sa seule essence, ou bien par le moyen de la connaissance de sa cause prochaine. » (TRE § 19)

Bernard Rousset commente :

« L’Ethique ne retiendra pas telle quelle cette distinction pour subdiviser le dernier genre, mais elle en reprendra l’essentiel en réunissant dans la définition ces deux même éléments caractéristiques, qui sont à la fois de se situer au niveau de l’essence et de se faire à travers la causalité prochaine, puisqu’il sera alors défini comme étant la science qui va « de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses », Dieu n’étant assurément pas une cause pouvant être dite « lointaine » [1] des choses (Traité de la réforme de l’entendement p. 186 – Vrin 1992)
[1] ce que Spinoza confirme lui-même en E I 28 sc.

Le TRE est une œuvre de jeunesse mais Spinoza est-il revenu plus tard sur le constat que les choses qu’il connaissait par le troisième genre à l’époque étaient très peu nombreuses ?

Bien à vous

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 03 juin 2015, 11:04

A Henrique

Vous avez écrit :

« En me sentant étendu, en faisant cesser le bavardage de l'imagination et de la mémoire qui en découle, j'ai l'intuition de mon essence singulière »

A mon point de vue, vous faites l’expérience, à la fois de l’attribut Etendue et que vous-même êtes étendu. Mais vous l’êtes comme tous les corps le sont : être étendu est commun à tous les corps et cela relève de la connaissance du deuxième genre qui ne nous fait pas connaître notre essence (E II 37).
Lorsque Matheron part de la sphère et, par régression analytique, remonte à l’Etendue (qu’il appelle Activité spatialisante), il fait une expérience lui aussi, certes pas une expérience concrète comme la vôtre mais une expérience de pensée comme on en trouve en physique (Einstein dans son ascenseur).
Ces deux expériences n’ont-elles pas la même force de conviction ?

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 04 juin 2015, 20:00

Que ce soit dans le TRE (§ 23-24) ou dans l’Ethique (E II 40 sc. 2), Spinoza illustre la distinction entre les genres de connaissance par l’exemple de la quatrième proportionnelle.
Etant donnés trois nombres a, b et c, trouver le nombre x tel que a/b = c/x.
Si les nombres a, b et c sont très simples (1, 2 et 3 dans l’Ethique), nous voyons d’un seul coup d’œil le nombre recherché (ici 6) et cela relève de la science intuitive ou connaissance du troisième genre.
Jean-Pierre Vandeuren montre sur un exemple que la connaissance du troisième genre est également à l’œuvre lorsque a, b, et c ne sont pas des nombres simples mais qu’ils sont entiers et que l’on exige que la solution du problème soit également un nombre entier. C’est en :

https://vivrespinoza.wordpress.com/2013 ... tionnelle/

Il soutient la thèse :

« On peut alors poser la question de savoir quelle est la condition nécessaire et suffisante que doit satisfaire l’entier c pour que x soit un entier. Si l’on ne peut pas répondre immédiatement [souligné] à cette question, c’est-à-dire sans l’intervention d’un calcul ou d’un raisonnement élaboré, c’est que l’on n’a pas saisi, l’on n’a pas eu l’intuition de la nature intime, de l’essence du rapport a/b que doit reproduire le rapport c/x. »

Il considère le problème suivant :
Trouver x tel que 2013/8723 = 46299/x
Il montre que l’essence du rapport a/b est 3/13 car 2013/8723 = 3/13, et que 3 et 13 sont premiers entre eux.
Il est alors évident que x est entier si, et seulement si, c est divisible par 3.
C’est d’ailleurs le cas car 46299/3 = 15433.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar NaOh » 05 juin 2015, 14:05

A Vanleers,

Je suis perplexe face à cette histoire de connaissance des essences singulières. Peut-être au fond la connaissance du troisième genre est-elle mal nommée, c'est à dire correspond assez peu à ce que nous autres sommes enclins à appeler "connaissance". Je veux parler de la connaissance discursive qui ne nous fera jamais parvenir qu'aux infima species pour parler comme Porphyre. Je suis plutôt du sentiment d'Henrique que la connaissance du troisième genre relève d'une sorte "d'expérience".

Le problème est qu'il nous faut alors un critère solide pour distinguer cette expérience, de "l'expérience vague" qui caractérise la connaissance du premier genre. Rien ne nous garantit, en l'état, que la description que donne Henrique n'est pas simplement une expérience au sens psychologique et ordinaire du terme. Qu'est ce qui serait décisif pour caractériser cette expérience de la vérité et de l'éternité? Comment distinguer ces deux concepts "d'expérience"?

Bien à vous.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar NaOh » 05 juin 2015, 20:23

A propos et A Vanleers,

Pierre François Moreau est l'auteur d'un ouvrage qui s'intitule Spinoza – L’expérience et l’éternité. Le connaissez-vous et l'avez vous lu ?

Pour ma part, mon "planning de lectures" ne me permet guère d'aller y jeter un œil, bien que je ne doute pas qu'il s'y trouve certains éclaircissements que nous ne savons trouver.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 05 juin 2015, 21:39

A NaOh

1) Il faudrait approfondir cette notion de connaissance du troisième genre, sans doute en la rapprochant de la conception biblique qui associe connaissance et amour.
Le corollaire d’E V 32 énonce que « Du troisième genre de connaissance naît nécessairement un Amour intellectuel de Dieu ». Est-ce que cet amour intellectuel de Dieu est une conséquence du troisième genre ou lui est-il simultané ?
On peut penser que dans la connaissance du troisième genre, le conceptuel et l’affectif sont intriqués, ce qui justifierait qu’elle soit une « expérience ». L’« intérêt conceptuel » que vous trouvez à Spinoza serait ainsi nécessairement associé à un intérêt affectif.

2) Je reprends de temps en temps le livre de Moreau. C’est un gros livre que je n’ai pas lu entièrement mais, à part le brillant début qui analyse le Prologue du TRE, il ne m’inspire pas beaucoup, ce qui me surprend car Moreau est le plus souvent un remarquable commentateur de Spinoza.

Bien à vous

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Henrique » 07 juin 2015, 20:38

J'entends revenir sur les questions qui m'ont été posées ici concernant le statut des essences plus précisément quand je le pourrai. Je pense qu'il faudra parler de la distinction entre essence objective et essence formelle, ainsi que de ce que peut signifier l'expression "yeux de l'esprit" à propos des démonstrations.

Je pense toutefois qu'en relisant certaines de mes analyses, certaines questions auront un début de réponse. Je maintiens que beaucoup de difficultés viennent de ce qu'on confond à tort essence et définition. Ensuite, personne ne semble nier qu'on connaisse l'existence des choses singulières, mais je le demande, comment pourrait-on connaître l'existence de quoi que ce soit, sans savoir ce que c'est ? Spinoza peut nier que qui que ce soit ait vu des spectres parce qu'il n'en a jamais trouvé de définition cohérente. Mais quand je vois mon ami Raphaël, je ne doute pas de son existence ni de son essence, c'est-à-dire que c'est bien lui que je vois et non un autre, sans avoir besoin d'une définition de sa cause prochaine pour reconnaître cette essence. De même, on peut définir du pain comme cuisson d'un mélange de farine, d'eau et de levure : c'est la cause prochaine du pain en général comme de ce pain particulier, or ce n'est pas parce qu'on ne connaîtra pas cette cause prochaine qu'on ne distinguera pas cet aliment d'un autre et donc qu'on connaîtra son essence (sans en donner toutefois une définition correcte).

Je précise à l'occasion que E2P37 parle de ce qui est commun à toutes choses, c'est-à-dire pour les corps de l'étendue, du mouvement plus ou moins rapide et du repos. Si on ne peut penser un chat sans l'étendue, le mouvement et le repos, on peut au contraire penser ces notions sans le chat, d'où le fait qu'elle ne constitue pas leur essence. Cela revient simplement à dire que si on disait que l'essence du chat est l'étendue, alors l'être de l'étendue serait ce chat et on ne pourrait supprimer le chat sans supprimer le chat. En effet, puisqu'une essence est ce qui dans une chose ne peut être supprimé ou posé sans que cette chose soit supprimée ou posée, sujet et prédicat peuvent indifféremment être posés. Tous les hommes sont mortels mais tous les mortels ne sont pas des hommes. En revanche, si tous les cercles peuvent être conçus comme segment dont une partie seulement est en mouvement, alors tout segment dont une partie bouge est un cercle. Donc l'essence du chat n'est pas l'étendue parce que l'essence de l'étendue n'est pas le chat. Mais il n'en demeurera pas moins qu'on peut définir l'essence du chat à partir de l'étendue, du mouvement et du repos, comme degrés de ces derniers, ramenés à certaines quantités simples, c'est pour cela que si le deuxième genre de connaissance n'est pas nécessaire au troisième, il permet d'en augmenter nettement la portée et la puissance.

En revanche, je reste réservé sur l'interprétation de "l'essence des choses" dans la définition de la science intuitive. J'ai déjà expliqué pourquoi cette formulation doit être entendue dans le sens de "l'essence propre à chaque chose singulière" et non "l'essence commune à toutes choses". Car l'essence qui est effectivement commune à toutes choses, c'est bien l'étendue. Et il n'y aurait pas d'intérêt à une connaissance qui irait de l'étendue à l'étendue. Mais il faudra moi aussi que je reprenne plus en détail les références proposées sur ce point.


Un point aussi pour commencer à répondre à Naoh : il s'agit bien pour Spinoza d'une éthique à vivre et pas seulement à théoriser, aussi la connaissance intuitive y joue un rôle essentiel car c'est qui porte sur les objets singuliers et nous ne vivons pas au milieu d'abstractions ou de généralités.

Vous semblez dire que l'intuition vous semble trop subjective pour mériter le nom de connaissance. Si Spinoza parle de science à propos du troisième genre de connaissance, ce n'est bien sûr pas de le sens des sciences expérimentales, qui portent en grande partie sur des hypothèses à vérifier et qui à vrai dire ne sont pas à proprement parler scientifique, puisque ce mot signifie "ce qui produit de la science" et que "science" signifie au départ "connaissance certaine", or comme Popper l'a bien montré, la physique ou la biologie modernes, comme démarches expérimentales, ne produisent pas de savoir irréfutable, c'est même à ça qu'on les distingue des pseudo-sciences comme l'astrologie. A la suite de Descartes, dans ses Règles pour la direction de l'esprit, Spinoza reconnaît à l'intuition le statut de savoir à condition qu'elle soit pure de toute imagination.

L'intuition est en effet la connaissance immédiate de la pensée par elle-même. Ce n'est que lorsqu'il y a intermédiaire, qu'il peut y avoir introduction d'erreur. Si je pense, je sais immédiatement que je pense, je ne peux pas sérieusement en douter. Si je vois un serpent dans le fond de la pièce, je ne sais pas s'il y a réellement un serpent, mes yeux, mes souvenirs, mes peurs, peuvent introduire de l'obscurité ou de la confusion. Mais je ne pourrai pas douter que j'ai vu un serpent. Vous comprenez, penser qu'il existe un serpent en dehors de mon esprit et penser que j'ai l'idée d'un serpent, cela peut se distinguer (même si Spinoza nous incite à ne pas trop créer d'opposition cependant). Je peux en tout cas me raviser et penser qu'il s'agissait en fait d'une simple corde mais ce n'est possible que parce que je sais que j'ai eu cette idée. S'il s'était pu que je n'ai pas pensé avoir vu un serpent, comment aurais-je alors pu penser ensuite à corriger cette première idée quant à son essence formelle ?

Sans intuition ou connaissance indubitable de la pensée par elle-même, il n'y a ni mathématiques, ni d'ailleurs aucune connaissance scientifique.

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Re: Pouvons-nous connaître les essences singulières ?

Messagepar Vanleers » 08 juin 2015, 15:28

A Henrique

Comme vous entendez revenir sur les questions posées, je me bornerai à quelques remarques et redites, d’autant plus que vous ne semblez pas avoir lu mon post au début de cette page 3 du fil.

1) L’essence n’est pas la définition génétique mais il est équivalent de connaître l’essence ou cette définition.

2) Il me paraît osé de dire qu’on reconnaît nécessairement tel aliment d’un autre et donc qu’on connaîtra son essence. L’expérience de tous les jours montre le contraire. Et ne parlons pas des choses plus complexes ou moins usuelles que les aliments.

3) Il y a, bien évidemment, une distinction modale entre l’étendue et un chat (« Il y a entre A et B une distinction modale si on peut concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A, mais qu’on ne peut concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B » – déjà cité)

4) L’article de Jean-Pierre Vandeuren, cité dans un post précédent, me conduit à penser qu’il serait intéressant de se demander si la connaissance du troisième genre ne serait pas plutôt une connaissance PAR les essences et non une connaissance des essences.
Il examine l’exemple de la quatrième proportionnelle : a, b, et c étant donnés, trouver x tel que a/b = c/x.
Si a, b, et c sont entiers et si on exige que x soit également entier, il montre que la connaissance de l’essence de a/b nous fait connaître immédiatement, « sans l’intervention d’un calcul ou d’un raisonnement élaboré », la condition nécessaire et suffisante que doit satisfaire c pour qu’il en soit ainsi.
On a donc là un exemple de connaissance du troisième genre (immédiate et intuitive) obtenue par la connaissance d’une essence.
J’ai déjà rappelé que Sévérac montre que la connaissance de l’essence de l’amour nous fait connaître immédiatement les propriétés d’un amour singulier : autre exemple d’une connaissance intuitive qui naît de la connaissance d’une essence.

5) Vous citez Descartes et ses Règles pour la direction de l’esprit.
Popper a ce mot :

« Nous savons en effet que la physique cartésienne, remarquable à certains égards, était erronée. Or elle ne se fondait que sur des idées claires et distinctes et eussent donc dû être vraies. » (Des sources de la connaissance et de l’ignorance - Rivages poche 1985 p. 90)

Bien à vous


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