Les opinions politiques et le travail philosophique .

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar Avinash » 28 déc. 2015, 21:34

Les opinions politiques et le travail philosophique .
Mon questionnement est en rapport avec les écrits et débats de Frédéric Lordon. Cet économiste est éclairé dans son travail sur le changement de paradigme par sa lecture de Spinoza. Je l'écoute attentivement, avec intérêt, depuis quelques années et son discours a de quoi dégriser les intellectuels qui sont dans l'espérance d'un évènement révolutionnaire susceptible de générer une nouvelle constitution, de nouvelles loi, une nouvelle société... ( https://youtu.be/4PEJlSvVZaY )
Il me paraît évident que la lecture de Spinoza est éclairante quant aux écueils d'un processus révolutionnaire.
Mais cela résonne en moi comme un malaise car si je comprends bien Lordon, je me découvre un devoir, celui de travailler dans le même sens que lui, c'est à dire à délivrer l'homme de son aliénation sociale... Donc d'y investir toute mon énergie !
C'est peut-être là le problème: pas moyen de s'échapper. Agir autrement serait créer de l'aliénation , y contribuer en tout cas.

Pour sortir de ce cercle je me demande s'il ne me faudrait pas formuler la problématique ainsi:
Au demeurant mon idée est que les opinions politiques et le travail philosophique sont deux choses différentes.Certains Spinozistes sont "social-libéral", d'autres s'inscrivent dans une radicalité.
La grande affaire, en philosophie, c'est la vérité. Or la vérité n'est ni de droite ni de gauche, ni radicale ni réformiste...

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar NaOh » 29 déc. 2015, 11:00

Bonjour Avinash,


Avinash a écrit :Il me paraît évident que la lecture de Spinoza est éclairante quant aux écueils d'un processus révolutionnaire.


Pourriez-vous développer ce point? A quoi faites-vous référence précisément?


Quant à la question de la vérité, je crois que les choses sont plus complexes: ce qui est correct c'est de dire que la vérité n'est pas systématiquement de droite ou de gauche ou du coté des radicaux ou du coté des réformistes. Mais elle peut très bien l'être, et même être d'un coté plus majoritairement que de l'autre. C'est pourquoi il importe à mon avis de maintenir cette exigence de vérité y compris dans le combat politique. Si vous vous sentez un devoir, alors vous n'échapperez pas à l'engagement en faisant de la philosophie.

Voyez Spinoza: pensez vous que le Traité Theologico-politique soit un ouvrage politiquement neutre?

Bien à vous.

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar Avinash » 29 déc. 2015, 15:03

Bonjour NaOh,
Oui, je développe:
Si je pars de cette évidence: "Prendre les hommes tels qu'ils sont et non tels qu'on voudrait qu'ils fussent." Je peux me dire: "Voilà pourquoi la révolution, ça tourne court, les penseurs révolutionnaires ont rêvé un homme idéal. Mais " tels qu'ils sont " , les penchants égoïstes feront que, passé le grand moment d'exaltation, ils retourneront à leurs penchants sclérosants . Mais bon, l'homme est un mode modifiable, donc par l'éducation il est toujours possible de lui permettre d'accéder à la connaissance de deuxième type. Ainsi nous aurons une classe de citoyens raisonnables, éclairés, dévoués au bien commun. N'est ce pas déjà viser un but inaccessible : trop de problèmes à résoudre pour la planète: le réchauffement climatique, le problème de Daesh, des populations exclues depuis trop longtemps en France. Les choses se sont trop dégradées et maintenant les "choix " qui nous restent ne sont plus que des mauvais choix. Conséquence l'entropie va l'emporter sur néguentropie.
Et puis mon conatus n'est plus ce qu'il était lorsque j'avais 20 ans , je vais vers les 70 ans, j'ai déjà beaucoup lutté, travaillé, élevé mes enfants et j'ai passé l'âge de militer: autant marcher dans la campagne, bouger, cultiver mon jardin. Passer son temps assis à palabrer n'est pas sain.
J'ai déjà donné, je passe le relai à d'autres plus jeunes.
Enfin vous comprenez toutes les bonnes raisons que l'on se donne ! Et on trouvera toujours un exemple autour de soi: tel intellectuel qui est dans l'héritage de Spinoza mais se contente d'écrire des livres, de donner des conférences valorisantes. Le beau rôle ! Déjà je perçois une profonde inégalité liée au charisme des uns, à la puissance de leur intellect, à leur talent d'orateur. Il y aura toujours des larbins du militantisme.
Nécessité de se protéger pour persévérer dans son être.

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar NaOh » 29 déc. 2015, 15:26

Avinash,

Je trouve très justes vos remarques concernant les "larbins du militantisme" et je comprends que vous en soyez fatigué.

Nos sociétés sont inégalitaires et cela se reproduit même à l'échelle du militantisme.

En ce qui concerne maintenant le réalisme politique de Spinoza, je vous avoue que je ne m'étais pas encore posé la question de la Révolution. C'est intéressant. Cependant je remarquerai que dans le Traité Politique, si en effet Spinoza déclare qu'on ne changera pas la nature humaine, il pense néanmoins les institutions politiques et écrit pour les perfectionner.

Il est un modèle de société vertueuse, la démocratie populaire, qui est le meilleur régime, non seulement pour contenir les affects humains mais aussi pour les rendre plus libre collectivement. Je ne sais pas si Spinoza eut été un adepte de la Révolution, mais en tous les cas il me semble qu'il était moins pessimiste que vous.

Bien à vous.

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar Avinash » 29 déc. 2015, 18:14

Bonsoir NaOh,

Merci de m'aider à penser.

Si quelqu'un veut bien visionner la video ( références dans mon premier message, il suffit de cliquer ) et me faire part de ses réflexions, j'en serais très heureux:
Le décor est impressionnant: fond noir, nappe noire sur la table, les participants vêtus de noir ou de gris. Bref il y a une intention dans le décor. Mais pourquoi pas: ils ne sont pas à un pique-nique...
Je trouve Lordon pertinent.
Mais mon avis est bien limité car je ne suis pas économiste et sur ce terrain le Sieur universitaire peut me rouler dans la farine !
Et si l'on cherche un peu sur la toile quelques mauvaises langues se délient: il est taxé d'égotiste, n'aimant pas la contradiction.Je ne sais pas s'il y a un économiste parmi vous . Ainsi Lordon ne serait plus l'un des rares économistes médiatisés lecteur de Spinoza. D'où cette idée que je laisse travailler en moi : que la philosophie et la politique sont 2 domaines séparés. Ainsi quand je lis Spinoza je peux vérifier par moi-même mais quand j'entends Lordon prôner la sortie de l'euro je ne peux rien en dire.

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar NaOh » 30 déc. 2015, 22:39

Bonsoir Avinash,

j'ai regardé la vidéo de Lordon comme vous nous y invitiez.

Outre le decorum , et un certain cabotinage du conférencier, qu'est ce qui vous interpelle?

En effet il n'y est nullement question de politique monétaire ou de problèmes techniques de l'économie politique auxquels vous faisiez pourtant allusion.

Bien à vous

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar Avinash » 30 déc. 2015, 23:31

Bonsoir NaOh,

Merci d'avoir visionné la video.

Oui, vous avez raison, la sortie de l'euro est un thème cher à Lordon mais il ne l'évoque pas dans cette vidéo.
En fait, j'ai été interpelé il y a longtemps, en visionnant une vidéo dans laquelle Lordon débat au sujet de son livre "Capitalisme, désir et servitude". Je me suis dit qu'il y avait là matière à repenser l'émancipation.
" Le néolibéralisme fonctionne sur la base d’affects joyeux « intrinsèques » qui visent à persuader le salarié qu’il va se réaliser dans son travail : réenchanter le travail pour en faire oublier la réalité le plus souvent sordide. « C’est donc l’activité elle-même qu’il faut reconstruire objectivement et imaginairement comme source de joie immédiate. » (p. 76) Ainsi s’instaure une domination bien plus efficace et aussi plus dangereuse car elle est totalitaire, c’est-à-dire vise à posséder de l’intérieur la totalité de l’individu : « subordonner la vie et l’être entiers du salarié comme y prétend l’entreprise néolibérale » (p. 107). Le subsumer entièrement, disait Marx. Il s’agit donc d’enrôler l’individu par ces affects joyeux, le mettre en mouvement pour que le désir de l’autre devienne sien."

Si on est d'accord avec ce constat il me semble que l'on ne peut être que radical, c'est à dire pour un changement de paradigme. Or je m'en suis ouvert à un ami qui est lui aussi spinoziste mais qui m'a répondu qu'il était social libéral , bien entendu qu'il s'agissait de son opinion , que les opinions politiques et le travail philosophique étaient deux choses différentes.
Mon ami a ajouté : "La grande affaire de la philosophie, c'est la vérité."
Ce qui me travaille c'est d'avoir le sentiment très fort que la grande affaire de Lordon économiste et philosophe c'est également la vérité !!! Et que la vérité c'est ce qui me fait agir. Mais mon ami ne semble pas dérangé par la lecture de Lordon.
Les temps troublés que nous vivons y sont certainement pour quelque chose dans ma confusion.

J'espère avoir précisé ma pensée. J'ai l'impression d'être le seul à être interpelé ainsi, parmi les spinozistes, par le discours de Lordon. J'en arrive à me remettre fortement en question et à penser que le discours de Lordon n'est pas un discours de vérité, mais que s'y mêle de l'idéologique et de l'idiosyncrasique. D'autant plus qu'il n'y a pas de science économique.

Un auditeur de Lordon déclarait récemment:
"Avec Lordon, la difficulté que j’ai, c’est que bien que je puisse adhérer à la liaison sous-jacente, ou la vision sous-jacente (sans être spinoziste…), il y a une effet de fascination par la langue qu’il emploie, trop bien aiguisée.Une partie du plaisir n’est pas intellectuel mais émotionnel, paradoxalement."

NaOh, vous parliez de cabotinage. Il est évident que ce monsieur aime séduire son auditoire. Quant à moi j'ai le sentiment d'être sur un terrain marécageux en me concentrant sur les exposés de Lordon. J'ai cédé à une fascination pour le personnage que je trouvais brillant. Je n'y connais rien en économie.Comment pourrais-je m'y retrouver ? Un remède: me recentrer sur la lecture de l'Ethique.

Bien à vous.

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar NaOh » 31 déc. 2015, 09:13

Bonjour Avinash,

Ce que vous rapportez de Capitalisme Désir et Servitude, le livre de Lordon, au sujet de "l'embrigadement" néo-libéral par l'intermédiaire des affects de joie, me rappelle une remarque que fait Spinoza dans le Traité Politique ( Chapitre II, paragraphe 10). Spinoza dit en effet qu'il y a plusieurs façons de tenir un homme en son pouvoir: par son corps et par son âme. Quant à cette dernière manière de tenir autrui en son pouvoir, voici ce qu'il écrit:

"Je dis qu’un homme en a un autre sous son pouvoir, [...] quand il se l’est tellement attaché par ses bienfaits que celui-ci veut obéir aux volontés de son bienfaiteur de préférence aux siennes propres et vivre à son gré plutôt qu’au sien"

Dire que le néolibéralisme "enrôle les individus par des affects joyeux", c'est dire qu'il domine les individus par leur âme.

Mais le critère de l'action politique, ce doit être évidemment la liberté. Donc si il est vrai que le néolibéralisme est une forme subtile d'asservissement( parce qu'il reviendrait à dominer l'âme et non le corps) alors il doit être combattu par tous les moyens possibles. Cela tout autant qu'on estimait légitime de combattre les régimes dits totalitaires, qui gouvernaient avec violence et au moyen de passions tristes, comme la crainte par exemple.

Mais où intervient la question de la vérité dans cette perspective? Il me semble qu'elle joue au niveau de l'établissement des meilleurs moyens disponibles pour parvenir à l'état de la plus grande liberté collective possible et au niveau du diagnostic établissant notre degré d'asservissement collectif. Ici il y a nécessairement place pour le vrai et le faux et naturellement pour la discussion contradictoire. Car nous devons savoir quelles sont les institutions oppressives afin de les détruire, et nous avons en ce sens le devoir de nous poser la question de savoir si il est vrai que le néolibéralisme est nuisible ou au contraire bénéfique. C'est à dire s'il promeut la liberté ou si au contraire il l'entrave.

Que faire lorsque nous ne sommes pas économistes? Et bien je dirais que nous avons le droit de nous tromper. Bien sûr que Lordon peut commettre des erreurs d'analyse en économie, mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir (de manière critique si possible) à ses énoncés, pour évaluer leur rapport à la finalité de l'action politique (la liberté). Peut-être que ce faisant nous tomberons avec lui dans l'erreur, mais il faut bien s'y risquer. Les affaires humaines sont incertaines.

Bien à vous.

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar Avinash » 31 déc. 2015, 14:13

Bonjour NaOh,
Vous écrivez:
Donc si il est vrai que le néolibéralisme est une forme subtile d'asservissement( parce qu'il reviendrait à dominer l'âme et non le corps) alors il doit être combattu par tous les moyens possibles.

Je n'ai pas de doute à ce sujet. Là où j'ai un doute c'est bien sur les moyens pour le combattre. D'où le choix tendance social-libéral des uns et la tendance "radicalité et changement de paradigme des autres".
Au moment du choix nous sommes seuls. Est-ce parce que c'est une évidence et soulignée pas seulement par Spinoza que nous croyons choisir dans la mesure où nous nous croyons libres alors qu'il n'y a que du déterminisme en nous ? Je précise que je peux faire erreur quand j'évoque Spinoza , ne l'ayant pas pratiqué assez longtemps. Je me réfère essentiellement à l'enseignement de J Krishnamurti . Il a beaucoup insisté sur le fait que "la liberté n'est pas le choix".
Vous soulignez également ce point très important et nié par beaucoup qu'en choisissant nous prenons le risque de l'erreur. Je suis d'accord et c'est dégrisant !
Car je me représente l'histoire comme un magma: le fait historique est toujours surdéterminé, le risque étant de retenir les déterminants qui nous plaisent et de laisser agir l'inconscient ( celui de Freud ). Je pense souvent à cette phrase de Lacan: "Les non-dupes errent" , ce qui signifie: ceux qui ne se savent pas dupes de leur inconscient sont condamnés à l'errance.
Ensuite nous ne sommes pas des purs esprits sans identité culturelle, sociale... Nous avons un passeport, une nationalité, nous payons des impôts et par conséquent nous finançons des oeuvres pas toujours en accord avec l'idée que nous nous faisons de l'éthique.
Nul homme, nul sage n'est indemne de préjugés. Même la connaissance du troisième type ne nous immunise pas, sauf à rester cloitré dans un monastère. Et encore, même pas puisque les moines accomplissent leur devoir de citoyen en votant.
Bien à vous.

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Re: Les opinions politiques et le travail philosophique .

Messagepar hokousai » 31 déc. 2015, 15:32

NaOh a écrit :C'est à dire s'il promeut la liberté ou si au contraire il l'entrave.


Ce qui nous promet une longue errance dans le labyrinthe ...


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