Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar Vanleers » 11 janv. 2016, 14:40

A NaOh

Faut-il parler le spinozien pour comprendre l’Ethique ?
Je pense que le signe le plus évident qui montre que l’on a compris l’Ethique, ou, du moins, tel passage de l’Ethique, c’est la joie.
Je suis persuadé que Spinoza a écrit l’Ethique avec jubilation. Il a dû être émerveillé de voir que le simple principe de la Substance unique suffisait pour édifier, pas à pas, un système du monde d’une extraordinaire cohérence et d’une prodigieuse fécondité. Il a dû éprouver un gaudium exceptionnel. Pascal Sévérac explique ce mot comme suit :

« Le gaudium se définit exactement par « la joie accompagnée de l’idée d’une chose passée, qui est survenue contre tout espoir [quae praeter spem evenit] (E III déf. aff. 16). […] il peut être aussi le contentement du philosophe qui comprend, mais à qui l’intelligence des choses fait plus de bien encore qu’il ne l’espérait. Praeter spem : cela peut signifier qu’on ne s’y attendait pas ; mais aussi que cela dépasse nos attentes. Qu’on en espérait, mais pas tant. » (p. 117)

Nous pensions avoir compris l’Ethique. Mais non, en la relisant nous nous rendons compte que c’est encore plus fort que ce que nous en avions déjà compris, d’où une joie renouvelée.

Sur un forum spinoziste, il suffit de témoigner aussi clairement que possible de ce qu’on croit avoir saisi de Spinoza, à un moment donné.
Pour le reste, comprenne qui pourra : c’est l’affaire du lecteur.

Bien à vous

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar NaOh » 11 janv. 2016, 15:16

Vanleers,

C'est une joie "difficile" (« Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite") que propose Spinoza.

En un sens elle est presque inhumaine, si je considère mes joies courantes "humaines, trop humaines".

C'est un sujet que je voudrais "lancer" mais je ne parviens pas à une formulation claire : comment se réjouir de la nécessité immanente du Réel? En quoi l'amour intellectuel de Dieu n'est pas un "habit de parade pour le peuple" comme le dit Leibniz?

Bien à vous.

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar Vanleers » 11 janv. 2016, 17:00

A NaOh

Je redonne un texte de Bruno Giuliani.
Peut-être cela vous inspirera-t-il.

http://brunogiuliani.blogspot.fr/2011/0 ... umour.html

« Quand ça va mal, il existe un remède miracle pour sortir de la tristesse et retrouver la Joie. Une pensée magique, que seuls les sages peut-être ont la folie d’avoir constamment en tête, mais que les fous que nous sommes peuvent parfois avoir la grâce de comprendre dans ces inexplicables éclairs de sagesse qu’on appelle l’humour.
Cette pensée est la suivante : pourquoi s’en faire, puisque rien ne peut être autrement que comme cela est ? Comprendre que tout arrive nécessairement comme cela arrive sans que rien ni personne ne puisse rien n’y changer engendre immédiatement une joie infinie qui libère de toute volonté de changer quoi que ce soit à la réalité, unique source de tristesse, pour se réjouir inconditionnellement de ce qui arrive quelle qu’en soit la teneur, et sans rien perdre ni de la perception lucide de sa valeur plus ou moins bonne ou mauvaise ni le désir de l’améliorer pour notre plus grand bonheur. Comment réaliser ce prodige, qu’on peut assimiler à une véritable libération ?
Je deviens joyeux malgré ma tristesse quand je comprends que la réalité est parfaite, qu’elle me plaise ou non, pour peu que je la considère d’un point de vue non personnel, en la considérant dans sa totalité et sa nécessité intrinsèque. Il n’existe et ne peut exister en effet qu’une seule réalité, celle-là même qui arrive en ce moment même, qu’on peut donc à bon droit et contre toute attente appeler « parfaite » puisqu’elle est nécessairement la meilleure possible (ou la pire, ce qui revient strictement au même, ce qui est d’ailleurs encore plus risible).
Cette étonnante quoiqu’évidente vérité a été exprimée en son temps par Spinoza en termes assez comiques, ce qui fait d’ailleurs de ce philosophe réputé austère peut-être le plus drôle de tous les temps : « dans la mesure où je comprends pourquoi je suis triste, écrit Spinoza, je deviens joyeux. » Dans la mesure en effet où je comprends que je suis triste parce que je ne perçois pas la nécessaire et constante perfection du réel qui m’attriste, je m’éveille instantanément à la contemplation émerveillée de cette perfection et vois ma tristesse se transformer en joie, tout en comprenant que cette tristesse elle-même était parfaite et qu’elle ne pouvait pas ne pas arriver, pas plus d’ailleurs que la joie nouvelle de ma compréhension.
Pour dire autrement ce grand paradoxe, c’est dans la mesure où je comprends que je ne possède aucun libre-arbitre et que je suis comme tout le monde absolument soumis au destin que j’accède à la plus haute liberté.
Ainsi tout en ce monde peut-il devenir source de joie, y compris les pires tristesses et sources de tristesses, pour qui possède la sagesse ou à défaut l’humour. »

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar aldo » 11 janv. 2016, 23:35

Naoh, par RESPECT pour le forum, si tu pouvais arrêter de provoquer voire de harceler Hokousai, ça serait bien.

Merci d'avance...

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar hokousai » 12 janv. 2016, 10:35

NaOh a écrit :C'est un sujet que je voudrais "lancer" mais je ne parviens pas à une formulation claire : comment se réjouir de la nécessité immanente du Réel? En quoi l'amour intellectuel de Dieu n'est pas un "habit de parade pour le peuple" comme le dit Leibniz?

On voit bien que c'est votre problème NaOh. Mais quand on vous dit qu' on l'a vu vous vous fachez.
Parce qu'on révèle l'existence d'un problème que vous ne voudriez pas comme problème.

Je ne m'exclus pas de ce genre de réaction. Quand Henrique me dis que j' ai des propos spiritualistes, il tape là où j ai un problème et je réagis.
Oui bon cinq minutes... pas pendant trois ans.

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar NaOh » 12 janv. 2016, 10:57

Hokousai,

Mais je ne vous ai pas attendu pour lire les critiques de Leibniz!

C'est une difficulté conceptuelle qui m'intéresse et non un problème personnel.

Et je ne suis pas "fâché" contre Leibniz!

Les raisons pour lesquelles je me "fâche" contre vous n'ont rien à voir avec cette question.

Si j'ai le temps je tacherai de développer quelque chose à ce sujet.

Merci à Vanleers pour le texte.
Modifié en dernier par NaOh le 12 janv. 2016, 17:12, modifié 1 fois.

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar aldo » 12 janv. 2016, 11:17

S'il n'y en a pas un pour arrêter, si vous aimez vous foutre sur la gueule, débrouillez-vous (je retourne sur l'autre fil).

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar Vanleers » 12 janv. 2016, 13:42

Le titre complet de l’Ethique est « Ethique démontrée selon l’ordre géométrique ».
Spinoza ne demande pas qu’on le croie sur parole mais démontre tout ce qu’il avance.
Il ne s’adresse pas à l’imagination du lecteur mais à sa raison, c’est-à-dire à son « esprit en tant qu’il comprend clairement et distinctement » (E IV 26 dém.).
L’Ethique se lit donc comme un livre de mathématique et la seule question que doit se poser le lecteur est : que valent les démonstrations ? Mais, pour les évaluer, encore faut-il les comprendre et c’est ici que s’introduit la notion de spinozien ou langue spinozienne.
Spinoza, en effet, redéfinit des notions importantes, il donne des définitions « génétiques » ou « absolues » (cf. le 2ième lien donné dans le 1ier post de ce fil). Il est indispensable d’avoir en tête ces définitions pour comprendre les démonstrations.

Il est étrange de penser que le bonheur puisse dépendre de la compréhension d’un livre de mathématique. Celui qui s’engage dans la lecture de l’Ethique fait donc un pari. A lui de voir si, en définitive, le pari est gagné.

PS J’aimerais qu’Henrique, le modérateur du forum, transfère un certain nombre de posts qui n’ont rien à voir avec le sujet du fil sur le sous-forum « Utilisateurs actifs » dédié à ce genre d’interventions.

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar hokousai » 12 janv. 2016, 23:36

à NaOh

Ce n'est pas Leibniz le problème c'est comment se réjouir de la nécessité immanente du Réel? c'est à dire que la questions de la béatitude évoquée sur deux autres fils ( et récemment ) revient ICI.

Et pas par moi.
Vanleers reprend la même idée
vanleers a écrit :Il est étrange de penser que le bonheur puisse dépendre de la compréhension d’un livre de mathématique. Celui qui s’engage dans la lecture de l’Ethique fait donc un pari. A lui de voir si, en définitive, le pari est gagné.



NaOh a écrit :C'est une difficulté conceptuelle qui m'intéresse et non un problème personnel.
Et bien ça, si c'était vrai, ce serait dommage.
Le déplacement de l'investissement passionnel envers autrui sur le conceptuel, ne peut que contribuer à lui donner de la vivacité.
Regardez la passion et l' induite vivacité conceptuelle de Vanleers.

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Re: Faut-il parler le spinozien pour comprendre l'Ethique ?

Messagepar Vanleers » 13 janv. 2016, 15:03

A NaOh

Vous vous posez les questions :

« Comment se réjouir de la nécessité immanente du Réel? En quoi l'amour intellectuel de Dieu n'est pas un "habit de parade pour le peuple" comme le dit Leibniz? »

Mais n’est-ce pas le Réel, dont nous sommes une partie, qui se réjouit de sa nécessité immanente ?
En effet, dans la démonstration d’E V 35, Spinoza énonce que :

« Dei natura gaudet infinita perfectione »

Pautrat traduit : « La nature de Dieu jouit d’une infinie perfection »
Misrahi : « La nature de Dieu se réjouit d’une perfection infinie »

Spinoza se réfère, ici, à la définition 6 de la partie II : « Par réalité et perfection, j’entends la même chose ». Pautrat traduit en s’en tenant strictement à cette définition : la réalité jouit de la perfection au sens où l’on dit que quelqu’un jouit d’un bien, a la jouissance d’un bien.
Misrahi va plus loin en entendant que la réalité, non seulement jouit de la perfection mais se réjouit de jouir de la perfection. Il commente :

« Gaudet : éprouve de la joie, se réjouit. La définition 6 de la partie II, à laquelle se réfère Spinoza, affirmait seulement l’identité de la réalité et de la perfection. Ici s’ajoute, en Dieu, l’expérience de la joie. Mais il ne saurait s’agir d’un affect empirique et passif ; d’autre part, cette joie ne saurait être éprouvée activement qu’au niveau de l’attribut Pensée ; enfin la joie, vécue par Dieu, et la joie, vécue par l’homme, ne sauraient avoir de commun que le mot, le terme « joie » (comme cela est le cas pour l’entendement). Ces raisons peuvent laisser penser que Spinoza, si critique à l’égard de l’anthropomorphisme, évoque en fait une expérience philosophique humaine (l’amour intellectuel de l’être à travers la réflexion connaissante), expérience qu’il applique métaphoriquement à Dieu pour suggérer l’adhésion positive et parfaite de l’être à lui-même, c’est-à-dire l’adéquation absolue de l’être à l’être. La proposition suivante (36) explicitera cette signification humaine et réflexive de l’Amour de Dieu pour lui-même.
Ainsi, l’intervention neuve de la joie (gaudere) au niveau de Dieu manifeste une intention : préparer une conception métaphysique et ontologique de la joie, et cela par la médiation de l’humanité.
Notons que, dans la démonstration de cette proposition 35, Spinoza réitère l’affirmation du caractère autonome de son lexique, et notamment de ce concept d’Amour intellectuel [« et c’est cela que, au Corollaire de la Proposition 32 de cette Partie, nous avons appelé Amour intellectuel »]

Les explications de Misrahi me paraissent suffisantes pour justifier sa traduction.

Les questions que vous posez deviennent alors : comment être davantage conscient d’être une partie de la Nature, Nature qui se réjouit de sa perfection infinie ?


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