Prémisses d'une philosophie spinoziste avec le désir d'une Raison selon SES affects

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
aldo
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Re: Prémisses d'une philosophie spinoziste avec le désir d'une Raison selon SES affects

Messagepar aldo » 06 mai 2018, 10:49

à André Moulin

Merci pour ces précisions qui, malgré tout, ne répondent pas tout à fait à une réelle curiosité de ma part. J'essaie de mieux formuler alors (au fur et à mesure que ce que j'ai à dire se précise de mon côté). En fait, je m'interroge sur les raisons qui vous poussent à (si je comprends bien) tenter de clarifier, voire de simplifier Spinoza (sans le trahir ou trop le réduire bien sûr). J'ai suggéré que peut-être vouliez-vous le démocratiser, et ça m'intéresse parce que j'en suis à faire (de mon côté sans vraiment l'avoir vraiment décidé) un même type de travail vis-à-vis de Deleuze (visible sur le lien en bas).

Le démocratiser peur-être donc, mais aussi, semblez-vous dire, dans l'optique de "s'en servir" en sciences humaines ; et vu votre formation, je ne peux m'empêcher d'interpréter sciences humaines par sociologie.
Ai-je tort ?
D'en tirer alors sans doute des grandes lignes, de type psychologiques, qui serviraient de données, de "matériau sociologique" ? Ça a un côté passionnant et un autre inquiétant (forcément). Mais c'est de toutes façons tout à fait intéressant en tant que projet.

Voilà pour la suite et peut-être fin de mon témoignage, en l'état de ce que je peux en dire donc, vu mon incompétence en matière de spinozisme : quid de la "démocratisation", quid de l'insertion en sociologie ?

Au plaisir d'en lire un peu plus de votre part, si ce genre de question(s) vous préoccupe, et si bien sûr vous avez envie de rentrer dans ce type de débat avec un inconnu (et je comprendrais vos réticences).

Bien à vous

moulin Andre
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Re: Prémisses d'une philosophie spinoziste avec le désir d'une Raison selon SES affects

Messagepar moulin Andre » 10 mai 2018, 11:01

Bonjour Aldo
je vous remercie de l'intérêt que vous portez à mon projet, à son ébauche.
Tout d'abord, les raisons qui me pousse à tenter de clarifier, voire de simplifier Spinoza :
Je dirai plutôt les raisons qui me pousse à tenter de rendre plus acceptable et accessible Spinoza.
Tout d'abord les raisons :
Pour l'entendement de l'homme et des sociétés humaines, je pense que les 5 concepts suivants de Spinoza sont extrêmement éclairants.
C'est du moins ce que j'ai essayé de constater pour « expliquer » mes constats et les résultats que j'avais dans ma thèse en sociologie du travail (dont la question principale est « Diversité des perceptions exprimées et des conduites sociales des salariés: question de convictions et de passions ? ») :
(1) Détermination de toute chose par toute chose (E1), mais sans finalisme ni entendement suprême
(2) Importance et dialectique affects et raison, avec prima des affects en particulier pour désirer une raison, apprécier une chose comme « bonne » ou « mauvaise » et décider entre des choses (scolie E3-P9) ; Voir le point (2) du paragraphe suivant sur le rejet d'une raison unique.
(3) Les affects ou passions communs poussant à s'associer (T.P. 3-9 et 6-1),
(4) nécessités ou lois de la nature et institutions humaines : libre nécessité (Lettre 58 à Schuller) et alternative de T.P. 11-4 (« est-ce par une loi naturelle ou par une institution [humaine] que ….. ? Car si ce n’est que par une institution humaine, assurément aucune raison ne nous oblige à........ »
(5) imitation des affects et puissance de la multitude

Rendre plus acceptable et accessible Spinoza sur 3 points : (1) Idée de Dieu, (2) Raison unique ; (3) complexité des prémisses de l’Éthique
(1) L'idée de Dieu de Spinoza, issue de la kabale, n'est partagée par presque personne, ni à son époque, ni aujourd'hui. Cette idée d'un Dieu « sive natura », immanent et non transcendant, sans finalisme et même sans entendement suprême (Préface de E4 : « la Nature n’agit pas en vue d’une fin ; car cet Être éternel et infini, que nous appelons Dieu ou la Nature, agit avec la même nécessité qu’il existe. ») est bien trop différente de l'idée de Dieu désirée par la très grande majorité des croyants, au moins dans les 3 religions du livre, à savoir un Dieu transcendant, dont la création a une finalité, doué d'un entendement suprême (croyance que pourfend Spinoza), juste et miséricordieux, etc....
Bref, le Dieu de Spinoza n'est pas un Dieu, c'est la Nature. Aussi, dans ma proposition je remplace le concept de Dieu par celui d'Univers et en exemple je reprend la plupart des propositions de E1 qui sont alors très compréhensibles. La partie de cet Univers qui nous est accessible ne serait ce que par ouïe dire, je l'appelle Nature dans la mesure ou je suppose que des choses de l'Univers qu'on subodore (« matière noire », « énergie sombre », « trous blancs », etc..) ne sont pas accessibles aux humains.

(2) Spinoza a le concept d'une Raison unique (« sous la conduite de la Raison », « commandement de la Raison »), qui va jusqu'à dicter des mœurs à respecter lorsqu'on est « sous sa conduite » à savoir notion de « bien commun », aide mutuelle et justice et qui conduit ipso-facto à s'accorder.
La Raison de Spinoza est mathématique. Que la somme des 3 angles soit égale à 2 droits est pour Spinoza une vérité éternelle. Aujourd'hui, cela est faux chez Lobatchevski et Rieman même si c'est vrai chez Euclide : à chacun ses postulats. Je récuse donc cette Raison unique. Les raisons sont multiples et les mathématiques aussi. Je généralise le primat des affects qui caractérise l'anthropologie de Spinoza. Même la raison est ou non un objet de désir, chaque édifice logique a des prémisses et même une arithmétique soit poussées par des nécessités de la nature, soit poussées par ses affects. (Voir mes propositions 3-1 et 3-2). Ainsi, pour un édifice logique qui serait une organisation ou une éthique de vie, certains prémisses peuvent être des énoncés moraux. Dans mon travail de thèse, j'en ai relevé 2 principaux (voir aussi le chapitre « Prémisses générales dans le champ socio-économique » de mon texte) : (1) de chacun pour soi à solidarité-cohésion, (2) de mérite élitiste à justice ou équité. Tous ces énoncés qui s'opposent inspirent néanmoins des organisations (ex : multinationale, hôpital public) et des comportements « sous la conduite de la raison ». J'ai enfin pu faire un lien entre les affects des salariés et leurs énoncés moraux, leurs convictions.
Pour moi, la dialectique affects-raison est à prendre en compte beaucoup plus complètement que uniquement par l'opposition souvent faite entre affects et raison, opposition très marquée du temps de Spinoza.

(3) La complexité des fondements, des prémisses, de l’Éthique (définitions, postulats, axiomes) est un frein certain à sa compréhension.
Tout ce qui touche à Dieu rend déjà la compréhension bien compliquée. Les concepts de substance, attributs et mode sont également difficiles à maîtriser. Je les utilise en donnant d'ailleurs maints exemples. Mais je me permet également de changer de repères en mobilisant par exemple les « choses de la nature » et les « choses humaines » ou les « choses non vivantes » et les « choses vivantes » ou les « choses non pensantes » et les « choses pensantes » (J'ai un peu de mal à percevoir une pierre sous l'attribut pensée).
Au final, mon texte repose sur assez peu de définitions et de postulats, tous assez facilement compréhensibles. Après tout, la géométrie d'Euclide repose sur quelques définitions et 5 postulats, très simples à comprendre et assez intuitifs pour les remettre difficilement en cause.C'est ce qui fait la force et l'intérêt pour tous de cette géométrie. Je suis très pour la compréhension partagée (shared understanding) dont parle M. Walzer.

Suite à tous ces échanges sur Internet, sur 2 sites différents, je suis en train de reprendre mon texte.
Je compte le charger sur ce site.
Si cela vous intéresse, je peux aussi vous l'envoyer directement par mail.
Et pourquoi pas un texte rédigé ensemble ?

Bien à vous.

aldo
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Re: Prémisses d'une philosophie spinoziste avec le désir d'une Raison selon SES affects

Messagepar aldo » 17 mai 2018, 12:03

Bonjour André


Pour l'accessibilité :

(1) Il faudrait que vous voyiez avec les spécialistes de Spinoza, mais pour ma part, je me demande si "Univers" ne sonne pas un peu trop "matériel"... pourquoi ne pas dire "vie" ?

(2) Pour la Raison. J'ignore si le problème est dans la définition du terme ou pas. En ce qui me concerne, j'emploie "raison" pour dire une faculté logique. Quand je vous lis dire que trois angles ne font pas toujours deux droits par exemple, pour moi, en logique, si (pas de prémisses pour ce que j'en pense puisque le triangle est justement une construction de l'esprit). Mais je sais que d'autres (et sur ce forum même) rapportent raison à "raisonnable", et donc à une certaine idée de sagesse. Bref, je ne suis pas sûr de ce dont on parle...

Pour la morale (mon approche de Spinoza passe par Deleuze, aussi c'est à travers ce qu'il en dit que je vous réponds). Pour Deleuze donc, Spinoza n'est pas du tout dans la morale, mais dans l'éthique. Et en ce qui me concerne et pour reprendre vos exemples, je peux très bien concilier que j'ai une certaine priorité pour moi sans concession pour autant envers mon altruisme par exemple... et le tout sans passer par une morale.

(3) Je peux entendre qu'on soit "pour la compréhension partagée", mais reste à savoir si des découpages en choses : "de la nature", "humaines", "non-vivantes", "pensantes", reflètent réellement la pensée de Spinoza. Je ne suis pas compétent, il faut donc voir ça avec les spécialistes du forum. En ce qui me concerne, les découpages que vous faites ne sont pas pour moi aussi clairs que ça (en quoi une chose humaine serait-elle facilement discernable d'une chose de la nature par exemple, ou une chose vivante d'une non-vivante... en tous cas et du coup, il me semble que vous vous retrouvez obligé de passer par des définitions du sens commun, ce qui m'apparaît une tâche compliquée).


Pour les raisons :

Point deux : vous comprendrez que, vu mes objections sur la Raison et sa définition, ce point devient un peu obscur. C'est que si la raison est une faculté de penser logiquement, je n'y mets pas d'affect. Je crois même au contraire que chacun d'entre nous est comme gouverné par une nécessité de cohérence, c'est-à-dire serait réellement embarrassé s'il venait à penser que sa représentation du monde est incohérente (même si la plupart d'entre nous ne le voit pas). Vu d'ici, les affects ne sont pas en amont de la raison. D'un autre côté, si l'on considère la raison comme une faculté d'être "raisonnable", alors là oui, on peut bien dire ou croire qu'on choisisse (consciemment ou pas) de l'être ou pas.

Au point quatre, vous semblez associer raison à loi naturelle, en disant que si les choses viennent d'une "institution humaine", on n'aurait pas forcément de "raison" d'y souscrire. D'accord avec ça, mais comment savoir ce qui viendrait de l'un ou de l'autre ?
... et ça rejoint ma première réponse sur l'accessibilité voire celle sur les découpages : comme quoi "Univers" par exemple est pour moi plus ambigu que "vie" ; ou encore sur ces découpages entre "vivant", "non-vivant" (je n'ai pas d'opinion définitive sur "la vie" des cailloux).


Mais comprenez-moi bien, en fait j'ignore si c'est à vous que mon discours s'adresse, ou à Spinoza, ou encore à la façon dont vous l'interprétez... d'où la difficulté de discuter de tout ça.



Enfin sur l'idée de rédiger un texte ensemble. J'aime beaucoup cette idée, mais je suis bien incapable d'aucune aide pour ce qui est de Spinoza. En fait, c'est amusant (et ça me touche) parce que c'est une idée que j'ai caressé un moment avec Deleuze : j'aurais bien aimé avoir l'appui d'un vrai connaisseur afin que, moi le non-philosophe et lui, on élabore une sorte de "Deleuze pour non-philosophe". Mais je ne suis pas assez motivé ou trop je-m'en-foutiste pour avoir réellement tenté de prendre des contacts, de faire ce qu'il fallait. Bref, j'ai donc fini par faire ma petite cuisine dans mon forum, un forum marginal au point que personne ne semble même le lire... autant dire que pour la démocratisation de Deleuze, c'est pas gagné !

En tous cas et du coup, je ne peux que vous encourager dans votre projet.


Amicalement

moulin Andre
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Re: Prémisses d'une philosophie spinoziste avec le désir d'une Raison selon SES affects

Messagepar moulin Andre » 22 mai 2018, 14:08

Bonjour Aldo

En suivant Spinoza dans sa préface de E4 : « la Nature n’agit pas en vue d’une fin ; car cet Être éternel et infini, que nous appelons Dieu ou la Nature, agit avec la même nécessité qu’il existe. ») ou dans son fameux « deus sive natura » j'aurai pu remplacé le mot « Dieu » par le mot « Nature ». J'ai choisi le mot « Univers » pour reprendre E1-D6 (définition de Dieu avec infinité d'attribut et de modes, bref incommensurable et impossible même à penser par notre esprit limité) en prenant en compte tout ce qui est non perceptible et inconnaissable à l'humain, ex : « matière noire », « énergie sombre » « trous blancs » qui se déduisent des équations d'Einstein mais avec impossibilité d'en vérifier l'existence sur un mode de l'étendue. Ensuite, j'utilise le mot « Nature » pour nommer tout ce qui est perceptible par l'humain, de quelque manière que ce soit, puis le mot « nature » pour désigner tout ce qui est non humain dans la Nature. Toutefois, mes limites sont volontairement floues (En math, je suis séduit par la logique « floue ») puisque je définis les choses « de la nature et humaine », ex : exploitation agricole, plante O.G.M.

Votre raison « faculté logique » étant celle de Spinoza est donc également celle que je reprend, à savoir une raison « mathématique » (Spinoza dit « géométrique »), à savoir une construction d'idées cohérentes entre elles (« adéquates » dit Spinoza), qui ne se contredisent pas. Cette une construction géométrique utilisant une axiomatique récursive, celle permettant, lorsque cette construction se rapporte à des choses réelles, de bien discerner causes et effets. A l'époque de Spinoza, c'était déjà un sacré progrès. TOUTE construction logique, « construction de l'esprit », repose sur des prémisses et une arithmétique posées au préalable, que ce soit en mathématique ou pour toute science. Cela est vrai pour la géométrie d'Euclide, dont les 5 postulats, posés à priori, permettent de dire que la somme des 3 angles d'un triangle est 2 droits. Changer le 5. postulat et cela n'est plus vrai. La construction logique est parfaitement humaine et n'a donc rien d'éternelle ou unique. Dans les géométries de Rieman et Lobatschevski, la somme des 3 angles est supérieure ou inférieure à 2 droits. Enfin, pour Spinoza, adopter une raison géométrique, être sous la conduite de cette raison est une marque de sagesse. Dans mon texte, je mentionne d'autres types de Raisons, non fondées sur une axiomatique récursive. Pour ma part, je m'en tiens à cette logique car c'est la plus partagée. Quant à la sagesse, je ne sais trop comment la définir ! Peut être en tenant compte de considérations sur morale et éthique.


Je reprend la distinction de Ricoeur entre morale et éthique, les 2 mots ayant « mœurs » comme étymologie, (« C'est par convention que je réserverai le terme d' « éthique » pour la visée d'une vie accomplie sous le signe des actions estimées bonnes, et celui de « morale » pour le côté obligatoire, marqué par des normes, des obligations, des interdictions caractérisées à la fois par une exigence d'universalité et par un effet de contrainte »). En d'autre terme, la « morale » est un absolu théorique et l'  « éthique » est la mise en œuvre laborieuse et imparfaite de cette théorie dans les multiples contextes concrets. Cela est très proche, pour moi, du syllogisme pratique d'Aristote (Principe majeur « absolu » ; principe mineur dans son contexte ; décision). Passer du principe majeur au principe mineur puis à la décision est affaire de mesure entre le trop et le pas assez, le « en même temps », de prudence, de sagesse. En écrivant « certaine priorité pour moi » et « altruisme » vous faites déjà référence à 2 principes moraux et dans un soucis d'éthique, au regard d'une réalité, vous tentez le « en même temps » entre « trop » et « pas assez ». C'est de la logique, mais de la logique « floue ». Les gens sont ainsi faits. Certains sont kantiens purs et durs, des « saint Just », d'autres sont plutôt normands (« peut être bien, peut être pas »), la plupart essayent d'être sages, d'être au « juste milieu » entre 2 vices (le « trop » et le « pas assez ») comme dirait Aristote.
Je remarque que les 2 principes moraux que vous donnez en exemple constituent pour Judith Butler le « dilemme moral » fondamental entre « vivre » et « vivre autrement avec les autres » que l'on rencontre dans n'importe quelle condition (voir son discours de réception du prix Adorno en 09-2012). Pour moi, des énoncés moraux inspirent les humains dans leurs mœurs, leurs vies en société. Étant spinoziste, je dis que le désir de tel énoncé (ex : « chacun pour moi », « cohésion-solidarité », etc..) est poussé par les affects. David Hume dit la même chose (« La morale n’est pas la conclusion de la raison : la raison ne peut pas motiver une action ou une affection. » « la morale ne peut être dérivée de la raison » et « La motivation est toujours passionnelle et le jugement moral est lié aux sentiments »). Bref, ce n'est pas la raison qui conduit à « aide mutuelle » comme le voudrait Spinoza. Ce sont des affects. Un résultat empirique de ma thèse de sociologie est un lien entre certains affects et certains énoncés moraux : La confiance et le fatalisme vont souvent avec le « chacun pour soi » ; la crainte et la révolte vont souvent avec « cohésion-solidarité ».

Je mentionne dans mon texte d'autres classifications possibles, ex : chose vivante ou non, chose pensante ou non, juste pour indiquer qu'un changement de repère-référentiel est concevable pour caractériser toute chose. Ainsi, en reprenant Schrödinger, une chose est vivante si elle s'oppose à l'augmentation de son entropie. Ce n'est pas le cas du soleil ou d'un cailloux. Et je suis enclin à dire que toute chose non vivante ne peut être perçue que sous l'attribut de l'étendue, même si la question se pose pour Lamartine (« objets inanimés avez vous donc une âme .. ? »). Ces autres repères que celui de Spinoza et de son époque (substance, attribut, mode) sont à choisir si on les trouve plus appropriés pour une science ou une autre, tout en mobilisant Spinoza par ailleurs. Le repère « chose de la nature » et « chose humaine » me semble approprié pour les sciences humaines, même si j'ai aussi souvent recours aux modes de l'étendue et de la pensée dans mon texte. Le repère « chose pensante » et « chose non pensante » me semble approprié pour l'éthologie. Le repère « chose vivante » et « chose non vivante » me semble approprié pour la biologie. Il n'y a pas qu'en math qu'on se permet des changements de repères pour y voir plus clair !
Bien entendu, il peut y avoir litige pour classer une chose dans « humain » ou « nature ». Et ce avec le reproche possible de « naturaliser » une chose que d'autres pensent « humaine ». Pour moi cette classification aide à déterminer la relation à avoir avec cette chose, selon Spinoza : Si c'est « chose de la nature » il faut faire avec. Si c'est « chose humaine », on peut contester. Mais ce n'est pas si simple, ex : Plante O.G.M. : Beaucoup en contestent le principe. Mais si par malheur, une plante O.G.M. devient invasive, il faut faire avec. De même le changement climatique causé par les humains, de même les déchets nucléaires : Ils sont là, qu'en fait on ? La contestation dans le passé n'a pas été suffisante pour les éviter et il faut bien maintenant vivre avec.
J'ai néanmoins créé la classe « chose de la nature et humaine », ex : une exploitation agricole qui doit tenir compte d'exigences inévitables de la nature mais qui est aussi mue par des motivations bien humaines, possiblement contestables. L'exercice de la « libre nécessité » chère à Spinoza n'est pas facile, entre excès de fatalisme et illusion du libre arbitre.


Comme écrit ci-dessus, TOUTE construction logique repose sur des prémisses et une arithmétique. Gödel le rappelle dans ses 2 théorèmes. Quoi pousse la définition, arbitraire au regard de l'édifice logique concernée, de ses prémisses et arithmétique ?. Dans mon texte, démonstration de la proposition 3-2, je montre que ce sont in fine soit des nécessités de la nature, soit des affects (de désirs, d’appréhension envers...??), soit les deux, qui poussent à poser prémisses et arithmétique. Je connais bien des gens qui ont une arithmétique bien « carrée », et d'autres une plus souple, plus « floue » (Voir la logique floue en math). Comme on dit, c'est dans leur caractère.
Il en va encore plus avec les prémisses. Ainsi, à propos de la compréhension de la lumière, mécanique ondulatoire et mécanique quantique sont des logiques fort différentes fondées sur des définitions et postulats bien différents. Même Einstein a eu beaucoup de mal à admettre la logique quantique. Il en va de même quand vous choisissez une voiture. Il y a de nombreux critères possibles. Quoi pousse le choix de retenir certains critères et pas d'autres, puis d'avoir un raisonnement « rationnel » une fois ces critères choisis ( telle marque, puissance moteur, consommation, confort, silence, taille du coffre, etc....) Le choix des critères est affaire de désir.

Aussi pour moi, chacun a sa raison ou ses raisons, dont le seul point commun est de mobiliser une axiomatique récursive. Mais même cette mobilisation est elle aussi poussée par un désir : de comprendre, de se faire comprendre. Pour beaucoup de gens, la « faculté d'être "raisonnable" » se concrétise par l'adoption d'une axiomatique récursive, celle qui permet mieux que d'autres processus cognitifs la distinction des causes et des effets.
Bref, les affects sont bien pour moi en « amont de la raison », comme toute chose qu'on désire, selon le fameux scolie de Spinoza-E3-P9. La raison ne fait pas exception à ce scolie.
Je ne vois pas une de mes définitions, pas un de mes postulats et propositions qui soient contraire à ce qu'écrit Spinoza. Entre mes postulats et propositions, je ne voit pour le moment aucune contradiction : Il y a cohérence, adéquation.

Bien cordialement

aldo
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Re: Prémisses d'une philosophie spinoziste avec le désir d'une Raison selon SES affects

Messagepar aldo » 22 mai 2018, 21:07

Votre raison "faculté logique" étant celle de Spinoza est donc également celle que je reprend, à savoir une raison "mathématique" (Spinoza dit "géométrique"), à savoir une construction d'idées cohérentes entre elles ("adéquates" dit Spinoza), qui ne se contredisent pas

J'aime bien cet exemple. C'est justement le genre de point qui rend Spinoza (ou plutôt ceux qui disent l'expliquer ensuite) énervants, voire insupportables. "Adéquat " pour moi, ça m'évoque des choses comme "conforme, correct, raisonnable, vrai" etc. Or là vous dites "cohérentes entre elles", soit tout autre chose... et du coup, moi, je comprends très bien ça : instantanément ! C'est qu'au lieu de ramer mille ans, les choses sont claires (si votre interprétation est correcte, bien entendu).

Cette une construction géométrique utilisant une axiomatique récursive, celle permettant, lorsque Cela est vrai pour la géométrie d'Euclide, dont les 5 postulats, posés à priori, permettent de dire que la somme des 3 angles d'un triangle est 2 droits. Changer le 5. postulat et cela n'est plus vrai. La construction logique est parfaitement humaine et n'a donc rien d'éternelle ou unique. Dans les géométries de Rieman et Lobatschevski, la somme des 3 angles est supérieure ou inférieure à 2 droits

Pour moi, c'est justement parce que la construction est humaine qu'elle est éternelle ! (sauf réfutation, bien sûr). Je ne veux pas trop m'avancer sur Riemann, je ne sais pas précisément ce qu'il dit. C'est pas les espaces courbes, Riemann ? Que dire alors ? Que si l'espace est courbe, alors la notion de plan est aussi une "construction humaine", forcément... et dans laquelle s'inscrit le triangle (qui n'a me semble-t-il pas lieu d'être dans un espace courbe). Or dans le plan, les trois angles sont égaux à deux droit, c'est imparable. Bref, c'est (ou ce serait) Riemann qui introduit un facteur "physique" au sein d'une vérité "mathématique", qui pour moi n'a pas lieu d'y être soumise. Voilà ce que j'ai à répondre. Mais bon, je réponds ça parce que ça m'amuse, cette histoire de triangle. Plus sérieusement, si la raison n'est pas une faculté logique, il faudra bien donner un nom à cette faculté qui permet par exemple de faire des liens de causes à effets entre les choses, ou encore plus explicitement de tenir compte du principe de non-contradiction.



Sur le chapitre de la morale et de l'éthique, on a un gros point de désaccord. Encore une fois, sur ce que dit Spinoza, c'est pas moi qui vous répondrai. Mais ce que dit Deleuze de Spinoza par contre, c'est que l'éthique spinoziste est "hors morale", et hors donc du cadre des définitions de Ricœur. A savoir que la morale est (comme d'ailleurs vous semblez le dire), un modèle... un ensemble de normes etc ; mais que l'éthique ne réfère pas à la morale. En gros, selon Deleuze, l'éthique (spinozienne) réfère à ce que peut un individu par rapport à ses capacités personnelles, et non à un modèle identique et universel auquel serait soumis tout un chacun.

Par exemple, quand je parle d'altruisme, l'altruisme pour moi est une conséquence de l'empathie, voire peut-être d’une affection naturelle, pas du tout d'une morale en tous cas. Et si la confrontation entre, disons en gros, "égoïsme" et "altruisme", est compliquée à gérer, c'est pas pour autant que l'affaire soit morale. Le choix n'est pas entre l'empathie ou l’altruisme et l'égoïsme (ça, c'est justement le point de vue moral) ; mais entre l'empathie ou l’altruisme et disons : une façon de se préserver soi-même (c'est pourquoi j'ai employé le terme assez neutre de "priorité pour moi"). Mais c'est juste un choix compliqué, entre ce qui nous ferait du mal et ce qui en ferait à l'autre. Ou encore entre le mal qu'on se ferait en l'infligeant à l'autre et celui qu'on se ferait à soi (en faisant du bien à l'autre), etc. Bref, un choix susceptible d'amener à une réelle culpabilité, sans doute, mais sans pour autant que la culpabilité n'ait non plus à être définie comme "morale".
C'est compliqué cette histoire parce qu'on a l'habitude d'associer les choses, culpabilité et morale donc, en l’occurence, qu'il devient difficile d'exprimer ces choses. C'est ce qu'on entend de partout des pseudo-anars par exemple, qui disent réfuter la culpabilité par rejet de la morale. C'est pas mon cas. Pour moi par exemple, en associant amour, empathie et responsabilité, on arrive au même type de situation, de choix, que certains appellent des "choix moraux", je veux dire par là tout aussi difficiles et culpabilisants, mais sans pour autant avoir à se reporter à une quelconque "norme", norme morale donc.
Bref, ici (lien), je vous conseille le résumé d'un cours de Deleuze très explicite sur la différence entre morale et éthique, à propos de Spinoza, vu que vous semblez interpréter Spinoza différemment.
(sinon j’en termine sur ce point plus bas, dans le dernier point traité)


Pour ce qui est des "découpages" enfin... et sur la raison encore. Moi je veux bien entendre votre notion de "repère"... supposée suggérer plus qu'autre chose la différence entre "chose de la nature" et "chose humaine" (etc). J'entends aussi vos précautions. Juste que je m'interroge sur les chemins qu'il vous faudra prendre pour passer d'un "repère" destiné à faire comprendre, à ce qu'il me semble y avoir de naturaliste (est-ce le bon mot ?) dans la philosophie de Spinoza. Ça me paraît plutôt casse-gueule mais bon : les spécialistes devraient pouvoir préciser les choses mieux que moi (et prendre ma suite, s'ils le désirent).
Bref, pour moi c'est pas qu'il puisse "y avoir des litiges", c'est que tout est litigieux là-dedans (comme le montre votre exemple d'exploitation agricole) : dès lors qu'on pose une "nature", ou bien tout doit être supposé s'y référer (et alors pourquoi pas, ça prend une dimension conceptuelle) ; ou bien tout découpage devient forcément litigieux... d'où la problématique entre ce découpage issu pour moi du sens commun (et ce dès que l'homme intervient : pour les oiseaux ou les dunes de sable, c'est moins difficile) et la nature profonde de la philosophie. C'est que la philosophie, c'est pas loin d'être ce qui justement ferait les bonnes découpes, entre l'humain et une idée de nature, enfin pourquoi pas. Bref, les découpages sur le "pensant", le "vivant", la "nature", c'est pas des petites questions !

Ceci dit, peut-être que ces choses sont tellement développées dans Spinoza que je donne des coups d'épées dans l'eau et que vos découpes sont acceptables. Auquel cas et encore une fois, c'est pas de mon ressort.


Dans mon texte, je montre que ce sont in fine soit des nécessités de la nature, soit des affects, soit les deux, qui poussent à poser prémisses et arithmétique. Qu'est-ce qui pousse le choix de retenir certains critères et pas d'autres, puis d'avoir un raisonnement "rationnel" une fois ces critères choisis. Le choix des critères est affaire de désir (...) Aussi pour moi, chacun a sa raison ou ses raisons, dont le seul point commun est de mobiliser une axiomatique récursive. Mais même cette mobilisation est elle aussi poussée par un désir : de comprendre, de se faire comprendre. Pour beaucoup de gens, la "faculté d'être "raisonnable" se concrétise par l'adoption d'une axiomatique récursive, celle qui permet mieux que d'autres processus cognitifs la distinction des causes et des effets. Bref, les affects sont bien pour moi en "amont de la raison", comme toute chose qu'on désire. La raison ne fait pas exception à ce scolie.

D'accord avec l'observation sur un "en amont" de la raison.
Affaire de désir ? Oui mais en partie. Affaire de cohérence interne aussi, d'identification au système de pensée dans lequel on se reconnait, dans lequel on inscrit notre vision du monde. Bref un mélange d'affects et d'identification à un système de croyances conceptuelles, pour ce que j'en pense, et qui se veut cohérent (et se veut raisonnable aussi, je le répète : personne ne supporte l'idée d'être "incohérent" avec lui-même). Je ne crois pas que quiconque choisisse de ne pas être cohérent avec lui-même.
Bref, on en revient toujours à cette histoire de raison...


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