le langage de spinoza

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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nikov
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le langage de spinoza

Messagepar nikov » 07 août 2005, 16:23

Je cherche à comprendre spinoza en ayant pour focale son langage. Pourriez-vous me faire part de vos avis en observant la même focale que moi? Personnellement je pense que spinoza réinvente un langage qui fait une grande part au silence et laisse parler le corps. L'Ethique me semble se communiquer d'une manière si limpide qu'elle attaque le langage même qu'elle contient: le langage spinosiste aride s'effondre sur lui-même, il entre en littérature.

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Messagepar Miam » 08 août 2005, 10:35

Ca m'intéresse. Il faudrait préciser. Je vois trois grands aspects du langage chez Spinoza : en tant qu'ensemble de signes, en tant qu'impulsus (et donc impetus-conatus) en III 2s (je crois) et en tant qu'usage (usus), y compris celui qu'en fait Spinoza lui-même (avec le lien usage-utilité). Il y a en effet un langage du Corps, ou plutôt : tout langage est corporel. Quant à savoir si, avec Spinoza, le langage entre en littérature, cela demande plus de précisions mais a priori, je suis d'accord dans la mesure où Spinoza me semble anticiper en quelque manière la vision moderne du langage tandis qu'il s'éloigne de la sémantique augustino-cartésienne.

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Messagepar nikov » 08 août 2005, 22:31

Vous aurez compris que mon intérêt est d'étudier Spinoza en tant que celui-ci exprime une conception tragique du langage ce qui le renvoie à la modernité. Mais Spinoza offre aussi une sortie possible du tragique en réinstaurant une situation de communication entre les hommes. Ceci est une intuition irrationnelle: la Substance s'identifie au langage, ce dernier étant corporel et spirituel. Pourriez-vous rendre mon intuition rationnelle? Comprenez-vous le conatus comme s'identifiant au langage? L'usage(usus) dont vous me parlez m'intéresse beaucoup mais c'est une dimension du langage qui m'est mystérieuse car elle me semble dispenser le silence: que dire après Spinoza si ce n'est qu'il est encore possible de communiquer.

Ne trouvez-vous pas que le langage (ensemble de signes) de Spinoza est révolutionnaire en tant que l'unité fondamentale qu'est le signe s'inscrit désormais dans une causalité. Est-ce bien comprendre Spinoza?

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Messagepar bardamu » 09 août 2005, 16:04

nikov a écrit :(...) la Substance s'identifie au langage, ce dernier étant corporel et spirituel.

Bonjour,
il me semble assez difficile de considérer que la Substance s'identifie au langage. Si on considère que le langage est le registre du signe, la Substance ne produit pas de signe et c'est un point important pour Spinoza notamment par rapport à la théologie et à la connaissance prophétique.
Traité théologico-politique, chap. 2, Des Prophètes
" L'imagination pure et simple n'enveloppant point en elle-même la certitude à la façon des idées claires et distinctes, il s'ensuit que pour être certain des choses que nous imaginons, il faut que quelque chose s'ajoute à l'imagination, savoir, le raisonnement. Par conséquent la prophétie, par elle-même, n'implique pas la certitude, puisque la prophétie, ainsi que nous l'avons démontré, dépend de la seule imagination ; d'où il résulte que les prophètes n'étaient pas certains de la révélation divine par la révélation elle-même, mais par quelques signes, comme on peut le voir dans la Genèse (ch. XV, vers. 8), où Abraham, après avoir entendu la promesse que Dieu lui faisait, lui demanda un signe. Assurément il croyait en Dieu et avait foi en sa promesse, mais il voulait être assuré que Dieu la lui faisait effectivement. (...) Par cet endroit la connaissance prophétique est donc inférieure à la connaissance naturelle, qui n'a besoin d'aucun signe, et de sa nature enveloppe la certitude. "

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Messagepar DGsu » 09 août 2005, 19:36

Sur la théorie du langage chez Spinoza, je vous conseille cet article de Laurent Bove. :wink:
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

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Messagepar Louisa » 10 août 2005, 16:13

nikov a écrit :(...) la Substance s'identifie au langage, ce dernier étant corporel et spirituel.


dans l'E2P49 scolie, Spinoza écrit : " l'essence des mots et des images est constituée seulement de mouvements corporels, qui n'enveloppent pas du tout le concept de la pensée "

Le langage étant constitué par des mots, et les mots étant uniquement des modes corporels, chez Spinoza, qui n'ont rien de spirituel 'en soi', je ne crois pas qu'il soit spinoziste de dire que le langage est corporel ET spirituel.
Ensuite, la Substance ne se limitant pas du tout au seul attribut de l'Etendue (donc des corps), mais étant caractérisée par une infinité d'attributs, il est a fortiori impossible d'identifier la Substance au langage, il me semble. Les idées ne sont pas des mots, et Dieu dépasse largement l'ensemble des idées et l'ensemble des mots.

nikov a écrit :Personnellement je pense que spinoza réinvente un langage qui fait une grande part au silence et laisse parler le corps.


comme chez Spinoza le langage est un phénomène entièrement corporel, je dirais donc plutôt que l'écart traditionnel entre 'langage verbal' et 'langage corporel' c'est-à-dire gestuel, s'effondre: les mots, c'est déjà le corps qui parle.
La grande différence se situe entre les idées et le Corps, mais de chaque chose qui se passe dans le Corps, l'Esprit en a une idée, donc si on veut regarder les idées en les opposant au Corps, je crois qu'il soit difficile d'y penser une espèce de 'silence', vu que chaque 'évènement' du Corps s'exprime toujours inévitablement par une idée.

S'il y a du tragique dans cette histoire, j'ai plutôt l'impression que pour Spinoza elle consiste en le fait que souvent, les gens ont tendance à penser que les mots soient quand même d'ordre spirituel, et réflètent alors sans aucun problème les idées de celui qui les prononce. D'où pas mal de problèmes de communications et même d'erreurs philosophiques.
Bien à vous,
Louisa

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Messagepar nikov » 10 août 2005, 19:12

Bonsoir à vous,
Je me demande alors: quelle attitude adopter quant au langage? Quel usage Spinoza fait-il du langage?

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Messagepar Miam » 11 août 2005, 19:51

Je voudrais s’il vous plaît distinguer différentes notions que l’on confond souvent.

L’image et le signe :
Cela a l’air évident, d’autant que Spinoza lui-même met en garde contre la confusion de l’image et du mot. Cependant l’identification des images aux « vestiges » (vestigia) et l’usage du terme « indiquer » dans « les idées des corps extérieurs que nous avons indiquent (indicant) plutôt l’état de notre propre Corps… » (II 6c2) et plus loin, conduit Macherey à insister sur l’aspect signitif de l’imagination. Or si le signe se fonde bien sur l’image, il consiste plutôt en une image d’image, ou plutôt : le signifiant et le signifié sont chacun une image et son idée. La complexité de la sémantique spinozienne, bien que fondée sur l’image, interdit certainement que l’on identifie l’image et le signe.

Le signe et le langage.
Le langage est bien plus qu’un ensemble de signes. L’allégation d’un mot (« pomum »), comme exemple de signe en II 18s, suppose déjà la nationalité du locuteur (un Romain). Spinoza est bien conscient du caractère « culturel » du langage. En III 2s, il allègue une « impulsion (impetus) à parler ». « Impetus est en principe réservé au corps mais plus bas il écrit « appetit ». Or l’appétit (et le désir) est l’essence de l’homme. Il s’assimile au conatus (III 9s, 35d, 37d, …). Et une communauté humaine n’est rien d’autre qu’un concours de conatus. La langue peut donc être considérée comme une notion commune, bien qu’elle ne soit pas commune à tous les hommes.

On voit combien il est difficile de réserver le langage au corps en vertu du parallélisme et aussi parce que le signe est constitué d’idées. Ce que nous apprend III 2s, mais aussi le TTP et le TP, c’est que le signe, comme le langage, est une entité affective, un affect, à la fois image du corps et son idée. Mais cette affectivité est plus ou moins commune selon le concours des conatus. Le signe du prophète est un signe privé. On ne saurait le comparer à un langage. Il dépend de la complexion du seul prophète. Du reste, dans le chapitre 2, Spinoza abandonne bientôt l’analyse du signe prophétique : elle ne donnera rien. Ce n’était que prétexte pour aboutir à l’imagination commune portée par le prophète à travers sa complexion et sa position sociale. Spinoza subordonne le signe prophétique à la doctrine, la prédication de la justice et de la charité, qui s’avère être l’élément le plus universellement compréhensible et communicable. Et c’est là seulement que commence l’analyse du langage, c’est à dire l’analyse critique du texte en Hebreu, afin de déceler le conatus commun derrière les mots et les signes. C’est là le domaine de l’usage, c’est à dire de l’utilité privée et commune (Ethique IV), qui acquiert une importance politique lorsque Spinoza s’oppose au volontarisme linguistique de Hobbes, en insistant sur le débat et la communication (Traité politique).

Ceci dit, je trouve aussi étrange d’identifier le langage et la substance. S’il faut définir le langage, ce sera comme produit affectif du conatus. S’il faut l’identifier à quelque chose dans son usage optimal, ce sera à l’imagination libre (II 17s) qui « peut être sous la dépendance de la seule disposition du Mental, quand, ainsi que nous en faisons souvent l’expérience, elle suit en tout les traces de l’entendement, enchaîne et ordonne ses images comme l’entendement ses démonstrations ; de sorte que nous ne pouvons presque rien connaître par l’entendement dont l’imagination ne forme à sa suite une image ». (Lettre à Balling).

Il conviendrait aussi d’élargir le champs sémantique du terme « exprimer » et de distinguer la définition comme énoncé de la nature et celle-ci de l’essence. Mais on a le temps.

Miam


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