Entendement infini et Idée de Dieu

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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sescho
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Entendement infini et Idée de Dieu

Messagepar sescho » 18 sept. 2005, 22:40

De l’identité de l’Entendement infini et de l’Idée de Dieu chez Spinoza.

Remarque préliminaire : ce sujet a déjà fait l’objet de traitements, par exemple ici et et encore . Par ailleurs, des extraits étendus le concernant peuvent être consultés ici.

L’objectif est ici d’opérer une « contraction sémantique », sur la base des textes de Spinoza lui-même, sur un ensemble de termes différents, utilisés alternativement sur les mêmes sujets, sans connexion strictement explicite entre eux. Nous sommes ainsi confrontés à trois / quatre termes : « entendement infini », « intelligence / intellect infini » et « idée de Dieu ». Bien que l’on puisse toujours trouver dans une relation indirecte des angles de vue qui contredisent telle ou telle identification de termes, le principe est ici de ne pas s’en embarrasser, pour garder le rapport le plus clair à l’intuition, sous réserve de confirmation. L’Éthique est prise comme base première ; ensuite des éléments extraits d’autres œuvres de Spinoza sont ajoutés :

- E2P3Dm, qui porte sur l’idée de Dieu, fait référence à E1P16, laquelle porte sur l’intelligence infinie, et les met ainsi en équivalence :

E2P3Dm : Dieu, en effet (par la Prop. 1 de cette seconde partie), peut penser une infinité de choses infiniment modifiées, ou (ce qui est la même chose, par la Propos. 16, part. 1) former l’idée de son essence et de tout ce qui en découle nécessairement.

E1P16 : De la nécessité de la nature divine doivent découler une infinité de choses infiniment modifiées, c’est-à-dire tout ce qui peut tomber sous une intelligence infinie.

- E2P4 le confirme :

L’idée de Dieu, de laquelle découlent une infinité de choses infiniment modifiées, ne peut être qu’unique.

- En outre, E2P4Dm, en faisant référence à E1P30, identifie « intelligence infinie » et « entendement infini » :

E2P4Dm : L’intelligence infinie n’embrasse rien de plus que les attributs et les affections de Dieu (par la Propos. 30, partie 1)…

E1P30 : Un entendement fini ou infini en acte doit comprendre les attributs de Dieu et les affections de Dieu, et rien de plus.

Conclusion : L’entendement infini, l’intelligence infinie et l’idée de Dieu ne sont pour Spinoza qu’une seule et même chose.

Note : 1) Ceci, en outre, satisfait le principe d’économie (de principes.) 2) L’Entendement, par définition, « contient » les idées ; l’idée de Dieu ne peut donc qu’être contenue dans l’entendement infini ; comme elle est unique, elle s’identifie en fait à lui.

Confirmations :

- E1P21Dm laisse entendre que l’idée de Dieu est la modification immédiate de l’attribut Pensée. Or la lettre 64 dit que la modification immédiate de la pensée est l’entendement absolument infini.

- Dans les Pensées Métaphysiques, nous trouvons dans PM2Ch7 une mise en équivalence d’ « entendement infini » et d’ « idée de Dieu » autour du terme « omniscient » :

Dieu est omniscient. – Au nombre des attributs de Dieu nous avons rangé précédemment l'Omniscience qu'il est assez certain qui appartient à Dieu ; .... D'où vient que Dieu n'a jamais eu l'entendement en puissance ni n'a conclu quelque chose par raisonnement.

Il y a en Dieu une seule et simple idée. – Enfin, avant de terminer ce chapitre, il paraît devoir être satisfait à la question consistant à demander s'il y a en Dieu plusieurs idées ou seulement une, et une parfaitement simple. À quoi je réponds que l'idée de Dieu, en raison de laquelle il est appelé omniscient, est unique et parfaitement simple.

Car en réalité Dieu n'est appelé omniscient pour aucune raison sinon qu'il a l'idée de lui-même ; laquelle idée ou connaissance a toujours existé en même temps que Dieu, car en dehors de son essence rien n'existe et cette idée aussi n'a pu exister autrement.

- A ceci nous pouvons en outre comparer PM2Ch8, qui associe « entendement infini » à la « connaissance de lui-même », ci-dessus apposée à « idée de Dieu » :

Nous ne savons pas comment se distinguent l'essence de Dieu et l'entendement par quoi il se connaît, et la volonté, par quoi il s'aime. – La Volonté de Dieu par quoi il se veut aimer lui-même suit nécessairement de son entendement infini, par quoi il se connaît.

- Dans le Court Traité, CT1Ch2 (2) associé à CT1Ch2 (11), identifie sans aucun doute « intellect infini » et « entendement infini. »

- CT1Ch9 (3) et CTApp2 (3) confirment le point cité ci-dessus au sujet de E1P21Dm et lettre 64 : la modification la plus immédiate de l’attribut de la pensée est l’Entendement infini de Dieu, lequel contient en soi objectivement l’essence formelle de toute chose (qu’elle existe ou pas en acte).

- CT2Ch22 note 1 identifie « intellect infini » et « idée de Dieu » :

Par là s'explique ce que nous avons dit dans la première partie, à savoir que l'intellect infini, que nous appelions le Fils de Dieu, doit être de toute éternité dans la nature, car, Dieu étant de toute éternité, son idée (l'idée de Dieu) doit être de toute éternité dans la chose pensante, c'est-à-dire en lui-même, laquelle idée convient objectivement avec lui.

- CTApp2 (10) appose « entendement » (infini) et « idée de Dieu » :

… 3° enfin que ces attributs sont les attributs d'un être infini. C'est pourquoi, dans la première partie, chap. IX, nous avons appelé Fils de Dieu, ou créature immédiate de Dieu, cet attribut de la pensée, ou l'entendement dans la chose pensante, et nous avons dit qu’il était créé immédiatement par Dieu, parce qu’il renferme objectivement l’essence formelle de toutes les choses et qu'il n'est jamais ni augmenté ni diminué. Et cette idée est nécessairement une, puisque l'essence des propriétés et des modifications contenues dans ces propriétés sont l'essence d'un seul être infini.

- Le Traité Théologico-politique associe idée de Dieu et entendement (vrai), et en outre dit de l’idée de Dieu la même chose qui est dite de l’entendement infini dans E2P43S et E5P40S, entre autres :

TTP 1 : … tout ce que nous concevons clairement et distinctement, c’est l’idée de Dieu, c’est la nature qui nous le révèle et nous le dicte, non par des paroles, mais d’une façon bien plus excellente et parfaitement convenable à la nature de notre âme : j’en appelle sur ce point à l’expérience de tous ceux qui ont goûté la certitude de l’entendement

E2P43S : … Ajoutez à cela que notre âme, en tant qu’elle perçoit les choses suivant leur vraie nature, est une partie de l’entendement infini de Dieu (par le Corollaire de la Propos. 11, partie 2) ; par conséquent, il est nécessaire que les idées claires et distinctes de notre âme soient vraies comme celles de Dieu même.

E5P40S : … notre âme, en tant qu’elle est intelligente, est un mode éternel de la pensée, lequel est déterminé par un autre mode éternel de la pensée et celui-ci par un troisième, et ainsi à l’infini ; de telle façon que tous ces modes pris ensemble constituent l’entendement éternel et infini de Dieu.

Compléments :

- S’il était encore nécessaire de le prouver, E2P8 interdit que l’idée infinie de Dieu ne soit réduite qu’aux choses existant en acte puisqu’au contraire les modes n’existant pas y sont quand-même contenus :

Les idées des choses particulières (ou modes) qui n’existent pas doivent être comprises dans l’idée infinie de Dieu, comme sont contenues dans ses attributs les essences formelles de ces choses.

- CT1Ch9 en fait autant pour l’entendement (infini) :

(3) Quant à l'entendement dans la chose pensante, il est aussi, comme celui-là, fils, œuvre, création immédiate de Dieu, existant de toute éternité et subsistant sans altération pendant toute l'éternité. Son seul attribut est de comprendre toutes choses en tout temps d'une manière claire et distincte, accompagnée d'une joie infinie, parfaite, immuable, qui ne peut pas agir autrement qu'elle n'agit ...

- Ceci est encore confirmé par la lettre 64 qui ne met qu’en deuxième niveau les idées des choses réellement existantes :

(en réponse à une demande d’exemples de choses produites immédiatement par Dieu, et de choses produites par l’intermédiaire de quelque modification infinie) : … Voici les exemples que vous me demandez : pour les choses de la première catégorie, je citerai, dans la pensée, l’entendement absolument infini ; dans l’étendue, le mouvement et le repos ; pour celles de la seconde catégorie, la face de l’univers entier, qui reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.

E2L7S : ... toute la nature est un seul individu dont les parties c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de façons, sans que l’individu lui-même, dans sa totalité, reçoive aucun changement.

- Dans le fil, un nombre important de passages disent clairement que les essences des choses singulières, qu’elles existent ou pas en acte, sont contenues dans les attributs. Le rapport à l’existence en acte des choses, corps et idées correspondantes, est donné par l’exemple des rectangles associés à un cercle, dans E2P8S :

... Un cercle est tel de sa nature que si plusieurs lignes se coupent dans ce cercle, les rectangles formés par leurs segments sont égaux entre eux ; cependant on ne peut dire qu’aucun de ces rectangles existe si ce n’est en tant que le cercle existe ; et l’idée de chacun de ces rectangles n’existe également qu’en tant qu’elle est comprise dans l’idée du cercle. Maintenant, concevez que de tous ces rectangles en nombre infini deux seulement existent, les rectangles E et D. Dès lors, les idées de ces rectangles n’existent plus seulement en tant qu’elles sont comprises dans l’idée du cercle, mais elles existent aussi en tant qu’elles enveloppent l’existence des deux rectangles donnés, ce qui distingue ces idées de celles de tous les autres rectangles.

Dans le Court Traité :

CTApp1 IV. Dém. : La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. …

CTApp2 (11) : En outre, il est à remarquer que les modifications sus-nommées, quoique aucune d'elles ne soit réelle, sont également contenues dans leurs attributs ; et puisqu’il n'y peut avoir d'inégalité, ni dans les modes, ni dans les attributs, il ne peut y avoir non plus dans l'idée rien de particulier qui ne serait pas dans la nature. Mais, si quelques-uns de ces modes acquièrent une existence particulière et par là se séparent de leurs attributs d'une certaine manière (puisqu’alors l'existence particulière qu’elles ont dans leur attribut devient le sujet de leur essence), alors se montre une diversité dans les essences de ces modifications et par conséquent dans les essences objectives, lesquelles essences de ces modifications sont représentées nécessairement dans l'idée.

(15) … si Dieu sait tout dans son entendement infini, et si, en raison de sa perfection infinie, il ne peut plus rien savoir au delà, pourquoi ne pourrions-nous pas dire de même que tout ce qu'il a dans l'entendement, il l’a produit et fait, de telle sorte que cela existe ou existera formellement dans la nature ?

- Enfin, E1P31 faisant de l’entendement infini un mode de la Pensée, autrement dit se rapportant à la nature naturée, il ne peut être identifié à cet attribut.

- Outre plusieurs autres sur d’autres aspects de l’ontologie spinozienne, ces passages appellent une question : pourquoi cet « entendement infini » n’est-il pas l’attribut « Pensée » lui-même, celui-ci contenant les essences de tous les modes de toute éternité ? (Le Court Traité en semble proche, pourtant, dans CTApp2 (10) : « cet attribut de la pensée, ou l'entendement dans la chose pensante, ») Spinoza nous dit par E1P31 que c’est parce que, à l’ « intérieur » de la Pensée, il n’y a pas que les idées – quoiqu’elles soient premières dans l’ordre ontologique (E2A3) – mais aussi le désir, l’amour, etc. Mais ne dit-il pas, par ailleurs, qu’en Dieu tout cela se confond ?

Objet d’un prochain message… ?

Amicalement

Serge
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probabilité de l'existance de dieu

Messagepar 8 » 03 sept. 2007, 18:53

Sur l'idée de l'entendement infini,de dieu,n'y a t'il pas une probabilité du genre une infinité de possibilités
---------------------------------
une infinité de possibilités
soit une probabilité egale a un, une certitude.une idée simple mais qui souligne aussi les infini possibles.
L'idée est simple mais sa representatation peut donner le vertige et on a l'impression que Spinoza nous montre la voie pour acceuillir ce vertige avec
rejouissance tant il nous ouvre de nouvelles voies

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Messagepar hokousai » 03 sept. 2007, 23:49

L’entendement infini, l’intelligence infinie et l’idée de Dieu ne sont pour Spinoza qu’une seule et même chose


A mon avis non
La prop 4(partie 2) distingue l'intellect infini de l'idée de Dieu . L'idée de Dieu est unique .
Spinoza en fait la démonstration( courte et ramassée certes ) mais il me semble évident qu' il n'avait pas quand à lui plusieurs idées de Dieu .

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Messagepar Faun » 04 sept. 2007, 21:00

L'idée de Dieu c'est une seule idée, l'idée qui exprime dans l'attribut pensant la nature de Dieu.
L'intellect de Dieu c'est l'ensemble des idées qui sont dans la Nature, c'est à dire une infinité d'idées infiniment diverses.

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Messagepar 8 » 08 sept. 2007, 16:00

il y a chez Spinoza une logique d'explication re-expresive mais sur la question de la proposition "par dieu ,j'entends ....quesqu'il entend?
que dieu ca peut etre tout; et que c'est ca la seule reponse logique .
C'est en cela que l'idee de dieu est unique .Mais il faut concevoir cet infini,
pour avoir cette idée unique de dieu,c'est peut etre en cela que l'entendement infini est lié a l'idée de dieu.

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Messagepar sescho » 09 sept. 2007, 11:08

Sur les objections émises, que je pense infondées (comme il me le semble déjà démontré dans mon texte d'origine), ce qui me paraît indispensable c'est de reprendre d'exégèse de l'ensemble des écrits de Spinoza sur le sujet et de démontrer ces objections logiquement dans ce cadre strict (comme dans le TTP : l'Ecriture par l'Ecriture.)

La difficulté de fond est connue : c'est le lien (l'identité) entre la Nature naturante et la Nature naturée, entre l'immutabilité de la première et le changement que l'esprit humain constate en permanence dans son environnement (et la perception du temps chez les modes que nous sommes me semble irréductible : c'est bien, comme dit Kant, comme l'espace, une forme a priori de la sensibilité), entre Parménide et Héraclite, entre l'idée contenue dans l'attribut et cette même idée qui "prend cette forme d'existence par laquelle elle est dite durer" tant que dure son objet (c'est à dire elle-même dans un autre attribut ou le même), ...

Dieu étant éternel, l'entendement infini, mode immédiat infini et éternel de l'attribut Pensée, qui porte tout ce qui a existé, existe, existera sans aucune limite temporelle, et sans lui-même être soumis au temps, ne saurait changer dans le temps. Dieu n'est pas soumis au temps, mais le temps est sans doute en quelque manière en Dieu puisque nous le percevons. Le changement est dans la Nature mais la Nature ne change pas : je pense que c'est impensable per se (il faudrait être la Nature entière pour le percevoir) mais ce n'est pas contradictoire (toutefois, comme cela nous dépasse irréductiblement, il n'est sans doute pas bien utile de tourner en rond dessus - spéculation métaphysique -, et probablement plus sain de simplement appeler "mystère" le mystère...)

La lettre 64 distingue d'ailleurs clairement l'entendement infini de la "face de l'Univers", qui par ailleurs "reste toujours la même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons," nouvelle illustration de ce qui précède...

Et répétons au même titre CtApp2(15) : … si Dieu sait tout dans son entendement infini, et si, en raison de sa perfection infinie, il ne peut plus rien savoir au delà, pourquoi ne pourrions-nous pas dire de même que tout ce qu'il a dans l'entendement, il l’a produit et fait, de telle sorte que cela existe ou existera formellement dans la nature ?

Quant à la "simplicité" d'une idée, c'est une notion que je ne crois pas être clairement définie. L'Idée de Dieu peut-être vue "simple" en tant qu'elle est idée unique de Dieu, mais elle englobe en même temps tout ce qui suit modalement de l'essence de Dieu (indépendamment de toute notion de temps et donc de changement.)


Serge
Modifié en dernier par sescho le 09 sept. 2007, 11:39, modifié 1 fois.
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Messagepar Louisa » 09 sept. 2007, 11:35

Sescho a écrit :Dieu étant éternel, l'entendement infini, mode immédiat infini et éternel de l'attribut Pensée, qui porte tout ce qui a existé, existe, existera sans aucune limite temporelle, et sans lui-même être soumis au temps, ne saurait changer dans le temps. Dieu n'est pas soumis au temps, mais le temps est sans doute en quelque manière en Dieu puisque nous le percevons. Le changement est dans la Nature mais la Nature ne change pas : je pense que c'est impensable per se (il faudrait être la Nature entière pour le percevoir) mais ce n'est pas contradictoire (toutefois, comme cela nous dépasse irréductiblement, il n'est sans doute pas bien utile de tourner en rond dessus - spéculation métaphysique -, et probablement plus sain de simplement appeler "mystère" le mystère...)


cc l'entendement infini et l'idée de Dieu: je comprends pour l'instant Spinoza également comme tu viens de le dire dans ton dernier message.

Mais je ne vois pas pourquoi ce que tu écris ci-dessus serait impensable. Il suffit de supposer que les LOIS de la Nature ne changent pas, et que l'essence de la Nature n'est rien d'autre que les principes qui la constituent, tandis que la Nature entière comporte aussi bien les principes de toute modification que les modifications infinies elles-mêmes, pour que le tout devienne assez cohérent, il me semble.

A mon sens ce ne sont que des travaux scientifiques tels que ceux de Prigogine qui rendent cette conception non pas incohérente, mais qui la mettent en question. Car Prigogine réintroduit le temps dans l'essence de la Nature, ce qui implique que les principes eux-mêmes changent, ne sont pas invariables, ont une histoire eux aussi. Cela ne rend pas l'entendement infini fini, mais cela fait que l'idée de Dieu a une essence qui se transforme radicalement. Cela implique donc que l'idée de Dieu n'est pas seulement un mode de l'entendement infini et en ce sens 'temporel', mais que l'essence de ce mode perd son éternité ou sa vérité éternelle (qui caractérise en principe toute essence, chez Spinoza) pour devenir autre, pour prendre une autre forme au fur et à mesure qu'avance le temps.

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Messagepar Faun » 09 sept. 2007, 11:59

L'idée de Dieu se confond dans l'Ethique avec la définition 6 de la première partie, et il n'est pas nécessaire d'avoir une connaissance de la totalité des modes qui sont dans la Nature pour former cette idée. L'intellect de Dieu comprend l'idée de Dieu comme la source et le fondement de toutes les idées, mais il comprend en outre l'infinité des idées des modes, et donc se distingue absolument de l'idée de Dieu telle qu'elle est définie par Spinoza.

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Messagepar sescho » 09 sept. 2007, 13:15

Louisa a écrit :... je ne vois pas pourquoi ce que tu écris ci-dessus serait impensable. Il suffit de supposer que les LOIS de la Nature ne changent pas, et que l'essence de la Nature n'est rien d'autre que les principes qui la constituent, tandis que la Nature entière comporte aussi bien les principes de toute modification que les modifications infinies elles-mêmes, pour que le tout devienne assez cohérent, il me semble.

Je le vois bien aussi, sous un certain angle, comme cela (et j'ai dû l'écrire quelque part sur le site, d'ailleurs) : si l'on pose (pour ne prendre qu'un attribut) l'Etendue, la "Modalité" (le fait qu'il existe des formes) et le Mouvement dans l'Etendue, comprises les Lois qui le régissent, tout est donné (l'Existence est donnée avec l'Etendue, puisqu'elle ne peut être conçue - de fait - sans l'Existence.)

Note en passant : le Mouvement suppose en fait la "Modalité" (car le Mouvement est inconcevable sans Forme : mouvement de quoi ?) mais aussi le Temps (pris ici pour principe de la durée et non comme quantification de celle-ci) : que voudrait dire pour nous "mouvement" sans la notion de temps? En fait, est entendu par "mouvement" le déplacement d'une forme dans l'espace au cours du temps (mais Spinoza gomme l'Espace - l'autre notion a priori de la sensibilité - en l'assimilant à l'Etendue ; ce qui se discute...) Une autre remarque est que le Mouvement et la Modalité ne sont en fait pas déductibles de l'Etendue bien qu'en en étant des modes (dans la mesure où l'on peut imaginer une étendue perçue sans forme et même aussi sans mouvement) et doivent donc être posés à part.

L'angle sous lequel je dis que c'est impensable est différent : si je considère l'Etendue telle qu'elle m'apparaît, c'est à dire en regardant les objets qui m'entourent et qui sont en quelque chose incontestablement réels (même si je les perçois imparfaitement, et s'ils n'existent pas en eux-mêmes, mais comme modes de l'Etendue), je vois un changement de l'expression réelle de l'Etendue, de la Modalité dans l'Etendue telle qu'elle est effectivement à l'instant. Il me semble impossible de concilier cela avec le fait que la Nature ne change pas (sans pour autant que cela soit contradictoire, dans la mesure où on admet que cela est irréductiblement lié aux limites de notre esprit : mais si les limites imprescriptibles de l'esprit humain sont là, il n'y a plus rien à discuter.)

Quand je dis "tout est là" plus haut, j'en vient à ajouter "en puissance" si je considère la réalité changeante qui m'apparaît. Tout tourne autour de ce "dilemme." Distinguer l'essence de la Nature de la réalité de la Nature ne convient pas, dire que les objets que je vois n'existent pas, non plus, etc. etc. Nous sommes limités ; nous ne sommes pas la Nature, seulement des modes de celle-ci, et dans ce cadre nous percevons le Temps (et l'on doit se poser la question au sujet de l'Espace) comme des réalités tangibles. L'essence est éternelle, l'existence aussi, mais cette "forme d'existence par laquelle les choses sont dites durer," cette actualisation de l'essence dans l'existence, non, semble-t-il...

Louisa a écrit :A mon sens ce ne sont que des travaux scientifiques tels que ceux de Prigogine qui rendent cette conception non pas incohérente, mais qui la mettent en question. Car Prigogine réintroduit le temps dans l'essence de la Nature, ce qui implique que les principes eux-mêmes changent, ne sont pas invariables, ont une histoire eux aussi. Cela ne rend pas l'entendement infini fini, mais cela fait que l'idée de Dieu a une essence qui se transforme radicalement. Cela implique donc que l'idée de Dieu n'est pas seulement un mode de l'entendement infini et en ce sens 'temporel', mais que l'essence de ce mode perd son éternité ou sa vérité éternelle (qui caractérise en principe toute essence, chez Spinoza) pour devenir autre, pour prendre une autre forme au fur et à mesure qu'avance le temps.

De mémoire, Prigogine (avec Strengers) part du fait que quasiment toutes les lois de la physique sont réversibles : il n'y a pas, lorsqu'on les prend en elles-mêmes, d'obligation à considérer que le temps ne peut que croître (et l'on a d'ailleurs vu des physiciens comme Hawking présenter certains faits en terme de "voyage vers le passé.") Prigogine met en exergue une loi de la physique (qui autorise des fluctuations à l'échelle microscopique) qui est le deuxième principe de la Thermodynamique, ou principe entropique : l'entropie de l'Univers ne peut que croitre, jamais diminuer) pour généraliser en une "flèche du temps" s'appliquant en général : l'irréversibilité temporelle (ou en inversant : la loi implique un sens du temps, pour faire court ; de mémoire, il a introduit des équations de Mécanique Quantique comportant un terme d'irréversibilité.)

Toutefois, je ne vois pas cela comme une "remise en cause" des principes mais comme un principe parmi d'autres. Par ailleurs, il ne dit pas (et ce n'est pas son objet) comment s'est constitué le stock de négentropie au départ ; nous pouvons imaginer un univers parallèles à celui que nous percevons où un principe d'entropie inversé est de rigueur, ou que le principe d'entropie s'inverse sans se renier lorsque des conditions qui nous sont totalement inconnues sont réunies (univers cycliques), etc.

Il y a aussi le côté totalement imprévisible de la décomposition nucléaire (radioactivité) qui semble mettre en cause le déterminisme : il apparaît strictement impossible de prédire l'émission d'un neutron ; tout ce qui nous est accessible c'est une mesure et un traitement statistique nous donnant des moyennes ("durée de demi-vie".)

Mais je crois le principe de l'éternité de la Nature a priori et invincible : nous buterons toujours sur les limites de notre esprit, d'un côté ou de l'autre.


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Messagepar hokousai » 09 sept. 2007, 14:36

Sur les objections émises, que je pense infondées

Comment ça ?

Je vous renvoie à une proposition précise laquelle parle de l'idée de Dieu ( il n'y en pas tant dans l 'Ethique )
L'intellect infini n'embrasse ( donc il embrasse )
de l'idée de Dieu suivent ....
C'est un peu comme si vous confondiez un théorème et sa démonstration .

Vous partez dans des considérations personnelles qui n'ont pas à voir avec la question posée.

(Faun pense comme moi et réciproquement parce qu' il ne va pas chercher midi à quatorze heure sur la question )


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