Les trois formes de la connaissance ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
michel
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Messagepar michel » 24 oct. 2003, 07:44

Bonjour à vous deux, Henrique et Yves.
Moi aussi, à la première lecture, j’ai été dépassé par les deux premières parties.
Par chance, j’ai persévéré jusqu’à la troisième (De l’origine et de la nature des sentiments et plus particulièrement par la fin qui est consacrée aux définitions des affections), là je me suis trouvé sur un terrain plus pratique.
A l’époque de cette première lecture j’y ai retrouvé Freud qui lui, a toujours nié avoir été inspiré par Spinoza. Dans ETH III, on y retrouve les deux notions principales freudiennes de la théorie de la construction des affects : le Transfert et l’Association. Par exemple dans ETH III Prop. XXXV Démo et scolie.
Prop. XXXV : « Si l’on imagine qu’un autre s’attache la chose aimée par le même lien d’amitié – ou par un plus étroit – que celui par lequel on l’avait seul en sa possession, on sera affecté de haine envers la chose aimée elle-même, et on enviera cet autre. »
Début du scolie : « Cette Haine envers la chose aimée, jointe à l’Envie, s’appelle Jalousie, qui donc n’est rien d’autre que le Flottement dans l’âme né à la fois de l’Amour et de la Haine, accompagnés de l’idée d’un autre qu’on envie. » … : Association et transfert.
J’ai aussi compris Bergson : « On pourrait dire que tout philosophe a deux philosophies, la sienne et celle de Spinoza. » et Hegel : « Spinoza est un point crucial dans la philosophie moderne. L’alternative est : Spinoza ou pas de philosophie… »
Pour moi Spinoza est à la philosophie ce que Newton est à la physique.
Plus personne ne lit la physique de Newton, je veux dire l’œuvre même de Newton.
Que Newton ait été dépassé par d’autres cet un fait incontestable.
Pourtant, dans la pratique, au jour le jour je suis plus affecté, plus concerné par la gravitation que par les variations de la masse à des vitesses proches de celle de la lumière.
Même notre spationaute préférée, Claudie, voyageant à tout juste 40 km/s n’est pas concernée par les équations de la physique relativiste. Un électronicien commence à s’en soucier lorsqu’il étudie un électron se déplaçant à plus de 270 000 km/s dans un tube cathodique.
Au jour le jour je côtoie plus Spinoza que Kant ou Heidegger.

Dans « La biologie des passions » le neurobiologiste Jean-Didier VINCENT, d’un ton à la fois enjoué et réconforté conclut à peu près ceci (pardon je n’ai pas le livre sous les yeux) : Moi qui connaît les mécanismes biologiques des passions, de l’amour… cela ne m’empêche pas d’être amoureux ! C’est merveilleux, Non ? et çà, c’est du Spinoza ! « Nous sommes déterminés (par la Nature) à connaître et expérimenter le plus de choses possibles ». Le mot « déterminé » chez Spinoza, c’est la pomme de Newton, elle tombe inexorablement.
Je n’ai pas encore lu le livre de Antonio R. DAMASIO sous titré « Joie et tristesse, le cerveau des émotions » pourtant je pense y trouver à peu près la même chose.

Moi qui ne suis pas philosophe, j’aime les philosophes qui mettent la philosophie à ma portée. Que d’aucuns élaborent des systèmes de plus en plus complexes, soit, il en faut, bien sûr, pour l’évolution de la pensée humaine.
Ce n’est pas moi qui irait reprocher à André Comte Sponville de faire du « Spinoza pour jeune fille », ni à Pierre Macherey de faire du copier/coller dans son étude minutieuse en 5 volumes de l’Ethique, je n’en ai pas les moyens. Il m’ont tous deux, et bien d’autres, beaucoup apporté.
Ce que j’aime chez Comte Sponville, c’est qu’il dit souvent JE, et de ce fait on peut être, ou ne pas être d’accord avec LUI. D’autres disent NOUS c’est plus impersonnel et donc moins risqué.
Comte Sponville écrit : « des années de solitude vous dis-je », cela me parle.
Et lorsqu’il reprend à son compte, après Lucrèce et Auguste Comte : « La souffrance des enfants est une preuve suffisante contre l’existence de Dieux », c’est en pensant à son expérience douloureuse de jeune père de famille. Qui osera le lui reprocher.

J’ai aujourd’hui 51 ans et je sais que ce qu’il me reste à vivre, même si la Nature demeure avec moi toujours aussi généreuse, ne me sera pas suffisant pour faire le tour de cette pensée, même en passant souvent par les petites portes que m’ouvrent les commentateurs.
Grasse à Spinoza et à eux, à petit pas, je passe d’une joie moindre à une joie plus grande.
Michel
:-)

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ghozzis
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Messagepar ghozzis » 24 oct. 2003, 18:52

Bonjour à tous,
J'avoue être un peu dubitatif sur la lecture contemporaine de la théorie des affects de Spinoza. On nous répète à l'envi que le spinozisme n'est pas un ascétisme, qu'il prend en compte les passions et qu'il permet une route vers le bonheur...Toutefois pour commencer, je cite de mémoire cette phrase de Taisne, à propose de Spinoza:
'Si le souffreteux poitrinaire [Spinoza] n'avait été rejeté de la communauté juive, s'il n'avait été rejeté par celle qu'il aimait (...), s'il n'avait senti dès son adolescence la table de fer de la réalité peser sur lui et le meutrir, certes alors il n'eût point écrit ces terribles phrases d'abdication des vains désir où se complaît son stoïcisme intellectuel"
Pour qui a lu les stoïciens et les néo-platoniciens, la ressemblance est tellement frappante qu'on ne peut s'empêcher de voir le spinozisme comme un mixe de stoïcisme et de néo-platonisme systématisé. Or ces deux doctrines étaient particulièrement ascétiques, surtout la néo-platonicienne; moi même je ne peux m'empêcher de lire Plotin sans sombrer dans une noire mélancolie, et, à ce que j'ai cru lire une fois, Leibniz déconseillait la lecture de cet auteur.
Certes Spinoza affirme 'le désir est l'essence de l'homme' mais pour affirmer ensuite: 'tout l'effort de l'homme libre tend à comprendre'. La béatitude , selon Spinoza, consiste à comprendre (Dieu, c'est à dire le réel). Or il ne me semble pas que de nos jours, c'est ce qu'on relève le plus chez Spinoza.
Il me semble que le spinoziste devrait être un 'chercheur' plus qu'un contemplatif qui aime les femmes et la bonne chair.
En outre, il faut bien l'avouer, les remèdes de Spinoza contre les affects ne fonctionnent pas (ou très partiellement). Il dit que dès que nous comprenons la cause d'un affect, cet affect cesse. C'est déjà assez douteux 'dans la pratique'. Mais soit.
Il affirme que nous pouvons comprendre tous nos affects. or c'est faux. Nous sommes en proie à des affects que nous ne parvenons pas à comprendre.
Enfin il admet qu'il vaut mieux être lucide que fou. Mais je demande, vaut il mieux être fou et comblé de joie ou lucide et, au mieux, vaguement joyeux?
S'il est vrai que dès que nous comprenons nos affects ces affects cessent, n'est il pas vrai que nos plus grandes joies, si elles sont irrationnelles, vont aussi disparaître lorsque nous les comprenons? Certes dès lors que nous comprenons, nous sommes affectés de joie. mais cette joie n'est elle pas souvent bien maigre en comparaison de la tristesse qui nous affecte lorsque tout à coup nous devenons lucides?
Par exemple un tel imagine être aimé de tous, et est au comble de la joie. Par quelque hasard, il est amené à comprendre que ce n'est pas le cas. Il sera certes légèrement joyeux d'avoir compris, mais en même temps quelle immense tristesse!
De même dans les siècles passés, l'homme s'imaginait au centre de l'univers, et en déduisait, de manière assez raisonnable, que par conséquent toute la création était faite pour lui, qu'au sens propre comme figuré il était 'le centre du monde': quel sentiment de satisfaction, d'être ainsi la fin de la providence, quel remède aux maux de l'existence. A présent qu'il n' ya plus de providence et que nous nous considérons comme égarés dans un coin de l'espace, quelle maigre consolation que ce savoir, en comparaison de la perte d'une illusion si avantageuse.
Enfin chacun peut remarquer dans la vie de tous les jours que les enfants, qui sont moins lucides que les adultes, sont plus joyeux pourtant, que l'homme ivre est plus joyeux que le sobre, enfin que les gens simples et qui réfléchissent peu sont au moins aussi joyeux que ceux qui réfléchissent et ont beaucoup de science. Même un Kant, rationaliste par excellence, avoue -je cite de mémoire- 'l'homme qui croyait trouvait dans la raison les plus grands trésors peut être pris, arrivé à l'âge mûr, d'un dégoût pour la recherche de la vérité, quand il voit que la plupart des hommes, qui se sont conduit toute leur vie sans réflexion et par une espèce d'instinct, sont plus heureux que lui'.
En outre, que l'on me dise par exemple, quel est le sort le plus enviable: croire sincèrement en une vie éternelle, même si c'est faux, ou ne pas y croire, même si c'est vrai. Quelle joie doit posséder celui qui croit qu'il aura une vie éternelle (non pas au sens spinoziste bien sur).
Pour résumer, et contre certaines lectures peu honnêtes, il me semble que le spinozisme fasse reposer toute notre bonheur sur la connaissance du réel (ou de Dieu c'est la même chose). Seulement en affirmant cela, Spinoza a oublié toute la tristesse qu'il y avait à être désillusioné. Certes Spinoza répondrait que nous sommes tristes, lorsque nous sommes désillusionés, parce que nous considérons notre impuissance, et qu'il ne faut pas faire cela. Mais a-t-on un tel pouvoir que l'on puisse considérer seulement ce qui accroit notre puissance? par ailleurs cette maigre joie remplace t elle la joie de nos illusions? :eek:

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Henrique
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Messagepar Henrique » 05 nov. 2003, 00:49

Voilà un beau réquisitoire contre l'éthique et la philosophie des affects de Spinoza, Sacha.

Pour faire court, je dirais que le message de Michel, au dessus du tien, réfute par avance la caricature stoïcisante et ascétique que tu fais de la philosophie de Spinoza. Dans ce que Michel exprime, du moins tel que je le comprends intuitivement, il y a une joie de vivre qui est inséparable de la joie de comprendre - ce que tu ne sembles pas comprendre, toi.

Pour faire plus long et analyser ce que nous disons, je t'invite ICI à sur un nouveau sujet, la question de la valeur et de l'efficacité de l'éthique spinozienne dépassant le seul cadre des trois genres de connaissances.

Henrique


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