De la preuve et de la conviction

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 06 déc. 2003, 02:24

Je souhaiterais me concentrer sur les notions de conviction et de certitude, de démonstration etc.
Zerioughfe a écrit :La certitude n'est certitude que pour une raison, et toute raison raisonnable, lucide et de bonne foi admet une démonstration.

S'il en était ainsi, il n'y aurait pas de démonstration, en raison de l'argument sceptique de la régression à l'infini. Démontrer en effet, c'est rendre nécessaire l'affirmation d'une proposition par des raisons autres que la proposition elle-même. Tu n'admets ce faisant que le plus ou moins douteux, appelant le moins douteux "quasi-certain" qu'on pourrait tout simplement appeler le probable mais cela reste douteux : pas de nécessité absolue de l'affirmation. Dans ce cadre, tu t'autorises à parler encore de raison, puisque c'est ce qui te permet de distinguer la faible et la haute probabilité. Mais alors le terme de démonstration ne serait pas seulement inadéquat pour ce qui est de l'existence de Dieu mais pour toute démonstration, car dans le domaine des probabilités, rien ne peut être nécessairement affirmé.

S'il peut y avoir des démonstrations, et donc de véritables certitudes, c'est qu'il y a au départ des notions connues d'elles-mêmes, immédiatement et intuitivement contrairement aux certitudes médiates et discursives issues de la démonstration qui se fondent en dernière analyse sur ces intuitions.

Un exemple ? "Il y a quelque chose" : ce n'est pas une certitude simplement parce que je constate qu'il y a des choses en dehors de cette affirmation, auquel cas le problème de la connaissance de la chose en soi pourrait se poser, mais parce qu'en affirmant cela, elle pose cela même qu'elle affirme : il y a au moins une chose, cette affirmation.

Ce qui fait qu'une proposition peut être douteuse, c'est qu'il y a entre ce qui affirme et ce qui est affirmé une distance et donc une négation possible. Si je dis "cette fleur existe", je ne puis douter qu'il y a une idée de la fleur, formellement présente à mon esprit mais la fleur n'étant pas l'idée de la fleur, il y a une distance et son existence est donc douteuse au point où nous en sommes. Qu'est-ce qui me permet de dire que la fleur existe ? C'est que je la vois mais ce médium de la vue peut déformer l'objet ou même le créer à mon insu (les phosphènes par ex.). Dans l'affirmation "quelque chose existe", il n'y a pas de distance, l'objectif - ce qui est affirmé - et le formel - ce qui affirme - coïncident.

Alors il n'y a pas besoin de prouver "quelque chose existe" puisque l'affirmation qu'elle contient s'affirme par elle-même. Je n'ai à "rendre nécessaire" par une démonstration que ce qui ne peut se comprendre qu'à partir d'autre chose. "Quelque chose existe" est une affirmation qui est comme je l'avais dit - mais tu n'y as guère fait attention - "entièrement déterminée" dès lors qu'elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée.

Enfin, une proposition est douteuse lorsque l'inverse peut être pensé sans contradiction. La proposition "le yéti (homme poilu des neiges) existe" ne contient pas de contradiction interne mais la proposition "le yéti n'existe pas" non plus : les deux propositions se niant mutuellement, une contradiction externe rend nécessaire la démonstration de l'une ou de l'autre pour qu'il puisse y avoir une proposition apodictique (= affirmation nécessaire en fait comme en droit). Si maintenant je dis "Rien n'existe", ce qui serait l'inverse de la proposition "quelque chose existe", je vois bien que le caractère affirmatif de cette dernière proposition n'est nullement entamé du moment que l'inverse se contredit d'elle-même : il existe au moins cette affirmation que "rien n'existe".

Si maintenant tu décrètes que toute proposition doit être démontrée au moyen d'une proposition antérieure, tu auras beau jeu de prétendre que l'affirmation "Quelque chose existe" n'a pas de valeur logique ou qu'elle est circulaire. Mais cette affirmation "toute proposition doit être démontrée" est complètement arbitraire, précisément parce qu'aucune raison ne saurait logiquement la justifier sans se contredire. En effet, ma proposition "quelque chose existe" ne contredit pas le principe de raison suffisante justement parce qu'elle contient en elle-même sa propre raison, c'est-à-dire l'affirmation de sa propre affirmation sans négation possible. Non seulement l'affirmation "toute proposition doit être démontrée" peut être qualifiée de douteuse parce que l'inverse "une proposition n'a pas besoin d'être démontrée" ne contient pas de contradiction mais en plus elle est certainement fausse. D'abord parce que si elle n'est pas démontrée, elle se contredit (puisque "toute prop. doit être démontrée") et si on tente de la démontrer, elle est contredite par l'impossibilité de démontrer en remontant à l'infini les principes des principes - ensuite parce que l'inverse n'a pas besoin de démonstration, puisque "une proposition n'a pas besoin d'être démontrée" est valable pour cette proposition même : elle contient sa propre position au même titre que "quelque chose existe".

Il faut donc se rendre à l'évidence : il peut y avoir certitude absolue dès lors qu'une affirmation contient ou enveloppe cela même qu'elle affirme sans contradiction interne ou externe possible, comme c'est le cas de "quelque chose existe" et ton affirmation, "il n'y a au mieux que des quasi-certitudes", ne tient pas. L'évidence en effet, c'est ce qui se voit de soi-même, sans qu'il soit besoin d'un moyen terme pour le voir précisément parce qu'il n'y a pas de distance entre le voir et le vu. Tu peux refuser de voir l'évidence : tu peux fermer les yeux ou plus précisément cesser de comprendre - ou plus précisément encore refuser d'accorder ce que tu comprends avec ce que tu dis. Et tu en as le droit naturel mais cela n'entame en rien la certitude, de même que fermer les yeux devant la fleur ne la réfute pas.

Aussi, une affirmation du type "quelque chose existe" est bel et bien une vérité si par ce mot on entend l'accord de la pensée et de ce qui est pensé : la pensée enveloppant ici son propre contenu est pleinement affirmative et n'admet sérieusement aucune possibilité de doute, c'est-à-dire de contradiction externe.

Mais le propre d'une conviction, c'est qu'on la prend pour une certitude si l'on manque de vigilance. Voilà le cas dans lequel tu es : ayant mal cherché les raisons de douter, ne les voyant pas, tu crois qu'il n'y en a pas. Je t'en donne, à toi de me montrer que mes objections n'en sont pas. C'est d'ailleurs assez drôle : chacun de nous croit l'autre victime de préjugés.


Bien sûr qu'on peut prendre une vulgaire conviction pour une certitude, c'est précisément en raison de cela que la distinction est opérée. Maintenant je veux bien que tu me donnes des raisons de douter que "quelque chose existe" si tu prends en compte ce que j'ai précisé. Mais cette proposition contenant en elle-même l'affirmation de son affirmation, il est objectivement impossible d'en douter. Pour en être certain, je n'ai pas eu besoin de comprendre d'abord que l'affirmation contraire "Rien n'existe" s'annulait elle-même et ne pouvait donc remettre en cause la première.

Alors tu me diras qu'il est impossible de prendre une conviction pour une certitude, que si c'était le cas on ne pourrait pas les distinguer absolument.

Non, non. Quand on n'est pas attentif à ses idées, il est possible de prendre une conviction pour une certitude (ce qui n'est pas ton cas) aussi bien que de prendre une certitude pour une simple conviction (ce qui est ton cas). La pratique ne change pas grand chose à l'affaire - d'ailleurs cette distinction de la théorie et de la pratique est bien humo-kantienne pour un spinoziste :twisted:. Attention, je ne dis pas que tout est certitude ! L'étendue des certitudes dont nous sommes capables est restreint.

Pour tenir une conviction, il faut être certain de n'avoir rien oublié, rien négligé.

Je suppose que tu voulais dire certitude : pour être certain, il faut être certain de ne pas avoir oublié ou négligé une objection possible. Est-ce impossible ? En partant de notions simples et en les combinant patiemment, on peut fort bien parvenir à cet objectif. La dernière règle cartésienne de la méthode, d'exhaustivité, s'applique sans difficulté surhumaine pour peu qu'on progresse à son rythme et en respectant les trois premières règles : n'admettre que l'évidence (ce qui d'emblée met hors jeu une méthode fondée sur le doute : cela n'empêche nullement qu'on envisage la possibilité d'affirmation contraires, au contraire, mais alors il s'agit de vérification a posteriori non de création a priori du vrai. La négativité du doute est seconde par rapport à l'affirmation du vrai), partir de notions simples autofondées, les composer progressivement en prenant garde de ne rien oublier.

Mais prendre garde de ne rien oublier ne doit pas être un motif de doute permanent. Celui qui après avoir fermé le gaz avant de sortir se demande s'il l'a bien fermé une fois sorti de chez lui n'en doute que parce qu'au moment où il a accompli ce geste pensait à autre chose, de sorte que le souvenir qu'il en a demeure obscur et confus dans son esprit : il se dira "j'ai bien le souvenir d'avoir fermé le gaz, mais était-ce aujourd'hui ou était-ce hier ?". Mais un défaut d'attention ne saurait être une preuve contre la possibilité de la certitude objective pas plus qu'une preuve que j'ai bel et bien oublié de fermer le gaz !

Tu n'en seras pas d'accord, parce que tu imagineras des exemples de certitudes ("tous les points du cercle sont équidistants du centre") qui te donnent raison.

Imaginer n'est justement pas le mode de penser requis pour accéder à l'intuition claire de la certitude. Mais si j'ai raison ne serait-ce que sur ce point, je ne vois pas pourquoi tu fais une règle sur l'impossibilité pratique de la certitude. Puisque tu es rationaliste, tu ne vas pas me dire l'absurdité selon laquelle "c'est l'exception qui confirme la règle".

Mais tu ne peux évidemment pas imaginer des exemples de certitudes qui n'en sont pas, puisque tu les classerais ispo facto dans la catégorie des convictions. D'où la confusion. Il y a des convictions dont on peut facilement se rendre compte qu'elle ne sont pas des certitudes ("la terre est plate à grande échelle"), et d'autres qui sont difficiles à démasquer.


C'est un peu confus en effet ! Je peux bien concevoir des certitudes qui n'en sont pas puisque ce sont des convictions ! Soyons clairs : ou tu admets qu'il peut y avoir des certitudes aussi bien que des convictions et tu te ranges à mon "dogmatisme", ou tu refuses qu'il existe des certitudes de fait même si en droit tu te réserves la possibilité qu'il en existe, et alors il n'y a de fait que des convictions plus ou moins convaincantes. Mais dans ce cas tu ne peux me reprocher de ne pouvoir concevoir de fausses certitudes puisque ce serait précisément impossible.

à propos de l'héliocentrisme d'Aristarque, Zerioughfe a écrit :Oui, mais une idée vraie et démontrée vraie finit toujours par s'imposer à des esprits honnêtes. Aujourd'hui, plus personne ne croit au géocentrisme. Si on y a cru, c'est que les gens mettaient la religion (les dogmes révélés) ou leurs croyances traditionnelles plus haut que leur raison. Tandis que le Dieu de Spinoza, aujourd'hui, n'est toujours pas accepté, même par les gens honnêtes et sans autre exigence que la raison.


Cela ne remet pas en cause mon argument : l'héliocentrisme d'Aristarque a mis près de 2000 ans à s'imposer et pourtant, les Ptolémée et autres St Thomas, en plus de ne pas être des imbéciles n'étaient a priori pas des gens malhonnêtes. Mais les préjugés ont la vie dure et ils arrive qu'ils soient tellement ancrés dans les esprits qu'il paraîtrait malhonnête de les remettre en cause. Faut-il pour autant craindre de n'avoir que de fausses certitudes, bien qu'étant intelligent et honnête ? Tu ne le crains pas puisque tu admets que les connaissances ont effectivement progressé dans une certaine mesure. Et tu le craindras d'autant moins que tu comprendras qu'en étant attentif aux idées vraies que nous possédons déjà, nous pouvons les distinguer suffisamment des fausses et douteuses.

Alors le Dieu de Spinoza, tel qu'il a été démontré, a à peine plus de trois siècles. Il a encore de beaux jours comparé au temps qu'il a fallu à l'héliocentrisme pour être reconnu plus généralement ! D'autant plus que les hommes, et bien des philosophes n'y échappent guère, croient toujours connaître mieux ce qui se donne empiriquement que ce qui se reconnaît par un acte d'attention pure. Bien des gens n'ont été "honnêtement" convaincus que la terre était ronde qu'une fois qu'ils ont vu une photographie satellite de notre planète alors qu'une photographie est beaucoup plus sujette à doute que les raisons naturelles qu'avaient déjà trouvé Aristarque de Samos il y a longtemps.

Quant à la raison pour laquelle bien que connue de tous (E2P47), l'essence de Dieu (et l'existence qui en découle), soit en même temps ignorée de la grande majorité, je laisserai Spinoza conclure :
Spinoza a écrit :Mais comme tous les hommes n'ont pas une connaissance également claire de Dieu et des émotions communes, il arrive qu'ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils font les corps, et qu'ils ont uni le nom de Dieu aux images des choses que leurs yeux ont coutume de voir, et c'est là une chose que les hommes ne peuvent guère éviter, parce qu'ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs. Du reste, la plupart des erreurs viennent de ce que nous n'appliquons pas convenablement les noms des choses. Si quelqu'un dit, par exemple, que les lignes menées du centre d'un cercle à sa circonférence sont inégales, il est certain qu'il entend autre chose que ce que font les mathématiciens.

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zerioughfe
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Messagepar zerioughfe » 07 déc. 2003, 12:28

Salut Henrique,

Je voudrais savoir si tu admets que le scepticisme est irréfutable, comme je le fais pour le dogmatisme.

Henrique a écrit :Je souhaiterais me concentrer sur les notions de conviction et de certitude, de démonstration etc.
Zerioughfe a écrit :La certitude n'est certitude que pour une raison, et toute raison raisonnable, lucide et de bonne foi admet une démonstration.

S'il en était ainsi, il n'y aurait pas de démonstration, en raison de l'argument sceptique de la régression à l'infini. Démontrer en effet, c'est rendre nécessaire l'affirmation d'une proposition par des raisons autres que la proposition elle-même. Tu n'admets ce faisant que le plus ou moins douteux, appelant le moins douteux "quasi-certain" qu'on pourrait tout simplement appeler le probable mais cela reste douteux : pas de nécessité absolue de l'affirmation. Dans ce cadre, tu t'autorises à parler encore de raison, puisque c'est ce qui te permet de distinguer la faible et la haute probabilité. Mais alors le terme de démonstration ne serait pas seulement inadéquat pour ce qui est de l'existence de Dieu mais pour toute démonstration, car dans le domaine des probabilités, rien ne peut être nécessairement affirmé.

En effet : il n'y a pas de démonstration absolument probante. Mais une fois qu'on a posé quelques principes clairs (les certitudes pratiques), les démonstrations restent heureusement possibles. Elles ne perdent que leur prétention à la certitude absolue.

Pour répondre en peu de mots à la plupart de tes objections, je dirai que mon scepticisme est un pari tout à fait confiant sur l'existence du réel, sur sa rationalité, sur la fiabilité (au moins relative) de la raison humaine, et sur un certaine fiabilité (certes bien moins grande) de nos sens. Le dogmatisme, à mon sens, est un autre pari : il mise tout sur l'infaillibilité de la raison humaine. Il a pour cela d'excellentes raisons, mais le simple fait qu'il y ait un choix entre les deux est un puissant argument en faveur des sceptiques. "Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a qui ne sont point pyrrhoniens. Si tous l'étaient, ils auraient tort", disait Pascal. La possibilité du dogmatisme donne paradoxalement raison aux sceptiques, quand l'existence d'un seul sceptique intelligent et de bonne foi suffit à contredire les dogmatiques (sauf à considérer que les sceptiques sont tous aveuglés, ce qui me semble déraisonnable).

Je pense que la capacité qu'a la raison de douter d'elle-même, loin d'être un défaut, est la marque de sa rigueur et de son exigence de lucidité.

Un exemple ? "Il y a quelque chose" : ce n'est pas une certitude simplement parce que je constate qu'il y a des choses en dehors de cette affirmation, auquel cas le problème de la connaissance de la chose en soi pourrait se poser, mais parce qu'en affirmant cela, elle pose cela même qu'elle affirme : il y a au moins une chose, cette affirmation.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, cet exemple est le seul à me faire vraiment hésiter. Tu as donc beau jeu de l'utiliser sans cesse. Je ne suis pas loin de penser que la proposition "quelque chose existe" est la seule et unique certitude absolue (toutes les autres sont clairement douteuses). Cependant, le seul fait que je réussisse honnêtement à en douter (ne serait-ce qu'infiniment peu) confirme mon scepticisme...

Ce qui fait qu'une proposition peut être douteuse, c'est qu'il y a entre ce qui affirme et ce qui est affirmé une distance et donc une négation possible. Si je dis "cette fleur existe", je ne puis douter qu'il y a une idée de la fleur, formellement présente à mon esprit mais la fleur n'étant pas l'idée de la fleur, il y a une distance et son existence est donc douteuse au point où nous en sommes. Qu'est-ce qui me permet de dire que la fleur existe ? C'est que je la vois mais ce médium de la vue peut déformer l'objet ou même le créer à mon insu (les phosphènes par ex.). Dans l'affirmation "quelque chose existe", il n'y a pas de distance, l'objectif - ce qui est affirmé - et le formel - ce qui affirme - coïncident.

Oui mais pour établir que quelque chose existe, tu fais appel à tes sens (dont la "sensation" de penser), à ta raison (que tu es incapable d'établir) et à l'évidence (que tu es incapable de fonder). Tu entres là dans un cercle : c'est donc un pari, et tout pari, pour moi, est douteux.

Le scepticisme est au moins aussi irréfutable que le dogmatisme. La sophistique l'est d'ailleurs tout autant : on ne pourrait la réfuter qu'au nom d'une raison ou d'une vérité dont elle nie l'existence ou la pertinence. Ce n'est évidemment pas une raison d'être nihiliste ou sophiste (une fois qu'on a fait le pari de la raison, la phrase "rien n'est vrai" devient contradictoire). C'est est une, néanmoins, d'être sceptique.

"Quelque chose existe" est une affirmation qui est comme je l'avais dit - mais tu n'y as guère fait attention - "entièrement déterminée" dès lors qu'elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée.

"Elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée" : voilà typiquement une phrase dont le sens ne me semble pas clair.

Enfin, une proposition est douteuse lorsque l'inverse peut être pensé sans contradiction. La proposition "le yéti (homme poilu des neiges) existe" ne contient pas de contradiction interne mais la proposition "le yéti n'existe pas" non plus : les deux propositions se niant mutuellement, une contradiction externe rend nécessaire la démonstration de l'une ou de l'autre pour qu'il puisse y avoir une proposition apodictique (= affirmation nécessaire en fait comme en droit). Si maintenant je dis "Rien n'existe", ce qui serait l'inverse de la proposition "quelque chose existe", je vois bien que le caractère affirmatif de cette dernière proposition n'est nullement entamé du moment que l'inverse se contredit d'elle-même : il existe au moins cette affirmation que "rien n'existe".

Je ne peux qu'être d'accord avec cela. Tu donnes une très bonne raison de ne pas tomber dans le "pyrrhonisme" orthodoxe (celui de Pyrrhon :wink: ). J'accepte la distinction que tu fais, sans toutefois l'hypostasier : elle n'est pour moi que de degré. La sensation d'évidence ne saurait être un critère absolu, car elle pourrait n'être qu'un état de mon cerveau. Je peux très bien imaginer un bug de mon cerveau qui associerait l'état d'évidence à une proposition fausse. Ainsi, l'évidence que je vois dans la proposition "si P est vraie, alors non P est fausse" pourrait bien être galvaudée. Je pourrais même avoir été créé il y a seulement 12 heures (ou même 12 secondes) : ma mémoire aurait tout simplement été initialisée avec de faux souvenirs... Tout cela peut paraître tiré par les cheveux, et assurément ça l'est, mais notre incapacité à écarter absolument ces hypothèses suffit à me rendre sceptique). Sans compter les erreurs que nous pouvons commettre sans nous en rendre compte (comme celles contenues dans les démonstrations de l'existence de Dieu :wink: )...

Si maintenant tu décrètes que toute proposition doit être démontrée au moyen d'une proposition antérieure, tu auras beau jeu de prétendre que l'affirmation "Quelque chose existe" n'a pas de valeur logique ou qu'elle est circulaire. Mais cette affirmation "toute proposition doit être démontrée" est complètement arbitraire, précisément parce qu'aucune raison ne saurait logiquement la justifier sans se contredire. En effet, ma proposition "quelque chose existe" ne contredit pas le principe de raison suffisante justement parce qu'elle contient en elle-même sa propre raison, c'est-à-dire l'affirmation de sa propre affirmation sans négation possible. Non seulement l'affirmation "toute proposition doit être démontrée" peut être qualifiée de douteuse parce que l'inverse "une proposition n'a pas besoin d'être démontrée" ne contient pas de contradiction mais en plus elle est certainement fausse. D'abord parce que si elle n'est pas démontrée, elle se contredit (puisque "toute prop. doit être démontrée") et si on tente de la démontrer, elle est contredite par l'impossibilité de démontrer en remontant à l'infini les principes des principes - ensuite parce que l'inverse n'a pas besoin de démonstration, puisque "une proposition n'a pas besoin d'être démontrée" est valable pour cette proposition même : elle contient sa propre position au même titre que "quelque chose existe".

La fin de ce passage, telle que je la comprends, est sophistique. Ce n'est pas parce que tu ne démontres pas la phrase "une proposition n'a pas besoin d'être démontrée" qu'elle est vraie. Mais passons.
Il est bien clair que je serais pris en flagrant délit d'incohérence si je me disais absolument certain qu'une proposition doit être rigoureusement démontrée pour être acceptée comme certitude. Mais telle n'est pas ma démarche. Je suis personnellement convaincu que les trois propositions suivantes sont vraies :
- Tant que la fiabilité des démonstrations n'a pas été établie, toute démonstration est douteuse en quelque chose.
- Tant que la fiabilité de notre raison n'a pas été établie, tout raisonnement est douteux en quelque chose.
- Tant que la fiabilité de nos évidences n'a pas été établie, toute évidence est douteuse en quelque chose.
Et là, tu peux toujours chercher une contradiction ! Le scepticisme, pour rester raisonnable, doit tout simplement se limiter lui-même.

L'évidence en effet, c'est ce qui se voit de soi-même, sans qu'il soit besoin d'un moyen terme pour le voir précisément parce qu'il n'y a pas de distance entre le voir et le vu.

Il y a une grande distance au contraire...

Tu peux refuser de voir l'évidence : tu peux fermer les yeux ou plus précisément cesser de comprendre - ou plus précisément encore refuser d'accorder ce que tu comprends avec ce que tu dis. Et tu en as le droit naturel mais cela n'entame en rien la certitude, de même que fermer les yeux devant la fleur ne la réfute pas.

Sauf que si je suis honnête (si je ne ferme pas les yeux), cet argument perd toute sa force. A moins que je sois aveugle, ce que tu peux toujours penser.

Mais le propre d'une conviction, c'est qu'on la prend pour une certitude si l'on manque de vigilance. Voilà le cas dans lequel tu es : ayant mal cherché les raisons de douter, ne les voyant pas, tu crois qu'il n'y en a pas. Je t'en donne, à toi de me montrer que mes objections n'en sont pas. C'est d'ailleurs assez drôle : chacun de nous croit l'autre victime de préjugés.

Bien sûr qu'on peut prendre une vulgaire conviction pour une certitude, c'est précisément en raison de cela que la distinction est opérée. Maintenant je veux bien que tu me donnes des raisons de douter que "quelque chose existe" si tu prends en compte ce que j'ai précisé. Mais cette proposition contenant en elle-même l'affirmation de son affirmation, il est objectivement impossible d'en douter. Pour en être certain, je n'ai pas eu besoin de comprendre d'abord que l'affirmation contraire "Rien n'existe" s'annulait elle-même et ne pouvait donc remettre en cause la première.

J'ai déjà répondu en ce qui concerne cet exemple, mais comme c'est le seul que j'estime potentiellement certain, tu triches. Prends-en un autre, et tu verras que l'argument du malin produira ses effets dévastateurs.

Quand on n'est pas attentif à ses idées, il est possible de prendre une conviction pour une certitude (ce qui n'est pas ton cas) aussi bien que de prendre une certitude pour une simple conviction (ce qui est ton cas).

Oui, mais il n'y a aucun moyen fiable de savoir si on manque d'attention. Nous sommes tous les deux certains d'avoir raison au sujet des preuves de l'existence de Dieu, mais il faut bien que l'un de nous ait tort malgré lui.

Pour tenir une conviction, il faut être certain de n'avoir rien oublié, rien négligé.

Je suppose que tu voulais dire certitude : pour être certain, il faut être certain de ne pas avoir oublié ou négligé une objection possible. Est-ce impossible ? En partant de notions simples et en les combinant patiemment, on peut fort bien parvenir à cet objectif. La dernière règle cartésienne de la méthode, d'exhaustivité, s'applique sans difficulté surhumaine pour peu qu'on progresse à son rythme et en respectant les trois premières règles : n'admettre que l'évidence (ce qui d'emblée met hors jeu une méthode fondée sur le doute : cela n'empêche nullement qu'on envisage la possibilité d'affirmation contraires, au contraire, mais alors il s'agit de vérification a posteriori non de création a priori du vrai. La négativité du doute est seconde par rapport à l'affirmation du vrai), partir de notions simples autofondées, les composer progressivement en prenant garde de ne rien oublier.

Tu pourras y mettre toute l'application que tu voudras, et n'accepter que les évidences, il n'en reste pas moins que l'édifice pourra s'effondrer. Dans la pratique, je n'accepte moi aussi que les évidences. Et j'en arrive, comme tout le monde, à la conclusion inverse de la tienne au sujet de l'existence de Dieu (en n'utilisant que des idées claires et distinctes)...

Mais prendre garde de ne rien oublier ne doit pas être un motif de doute permanent. Celui qui après avoir fermé le gaz avant de sortir se demande s'il l'a bien fermé une fois sorti de chez lui n'en doute que parce qu'au moment où il a accompli ce geste pensait à autre chose, de sorte que le souvenir qu'il en a demeure obscur et confus dans son esprit : il se dira "j'ai bien le souvenir d'avoir fermé le gaz, mais était-ce aujourd'hui ou était-ce hier ?". Mais un défaut d'attention ne saurait être une preuve contre la possibilité de la certitude objective pas plus qu'une preuve que j'ai bel et bien oublié de fermer le gaz !

Qu'est-ce qu'une certitude objective dont on pourrait toujours douter en raison d'un hypothétique défaut d'attention ?

Tu n'en seras pas d'accord, parce que tu imagineras des exemples de certitudes ("tous les points du cercle sont équidistants du centre") qui te donnent raison.

Imaginer n'est justement pas le mode de penser requis pour accéder à l'intuition claire de la certitude. Mais si j'ai raison ne serait-ce que sur ce point, je ne vois pas pourquoi tu fais une règle sur l'impossibilité pratique de la certitude. Puisque tu es rationaliste, tu ne vas pas me dire l'absurdité selon laquelle "c'est l'exception qui confirme la règle".

Ce n'est une absurdité que dans ce cas précis où la règle est censée ne pas avoir d'exception ! Pour répondre à ta question, je répète que la différence entre conviction et certitude n'est que de degré, pour la simple raison que la seconde suppose la première.

Je peux bien concevoir des certitudes qui n'en sont pas puisque ce sont des convictions !

Concevoir, sans doute, mais tu ne peux pas en trouver un seul exemple pour toi.

Soyons clairs : ou tu admets qu'il peut y avoir des certitudes aussi bien que des convictions et tu te ranges à mon "dogmatisme", ou tu refuses qu'il existe des certitudes de fait même si en droit tu te réserves la possibilité qu'il en existe, et alors il n'y a de fait que des convictions plus ou moins convaincantes. Mais dans ce cas tu ne peux me reprocher de ne pouvoir concevoir de fausses certitudes puisque ce serait précisément impossible.

Tu veux parler des certitudes de droit, sans doute. Dans ce cas, sache que je me plaçais à ton point de vue, et qu'en disant "certitudes", j'entendais plutôt "vérités".

Cela ne remet pas en cause mon argument : l'héliocentrisme d'Aristarque a mis près de 2000 ans à s'imposer et pourtant, les Ptolémée et autres St Thomas, en plus de ne pas être des imbéciles n'étaient a priori pas des gens malhonnêtes.

Il y a une différence de taille entre d'une part le clergé de l'époque qui, aveuglé par des dogmes et par des croyances n'ayant rien à voir avec la raison, refusait de se soumettre à une démarche expérimentale et rationnelle qui allait contre ces croyances, et d'autre part la quasi-totalité des intellectuels de notre époque qui, quelles que soient leurs croyances, contestent de manière rigoureuse et en toute bonne foi les preuves purement intellectuelles de l'existence de Dieu.

Alors le Dieu de Spinoza, tel qu'il a été démontré, a à peine plus de trois siècles. Il a encore de beaux jours !

Jolie façon de voir les choses...

Spinoza a écrit :Mais comme tous les hommes n'ont pas une connaissance également claire de Dieu et des émotions communes, il arrive qu'ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils font les corps, et qu'ils ont uni le nom de Dieu aux images des choses que leurs yeux ont coutume de voir, et c'est là une chose que les hommes ne peuvent guère éviter, parce qu'ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs. Du reste, la plupart des erreurs viennent de ce que nous n'appliquons pas convenablement les noms des choses. Si quelqu'un dit, par exemple, que les lignes menées du centre d'un cercle à sa circonférence sont inégales, il est certain qu'il entend autre chose que ce que font les mathématiciens.

Je signe des deux mains la fin de cette citation. Quant au début, il ne m'atteint guère, tant j'ai conscience que Dieu n'est pas un mode d'une autre substance dont il dépendrait. Que Dieu ne dépende de rien d'autre que lui (contrairement au yéti jaune), c'est entendu.

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bardamu
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Messagepar bardamu » 07 déc. 2003, 16:07

zerioughfe a écrit :
"Quelque chose existe" est une affirmation qui est comme je l'avais dit - mais tu n'y as guère fait attention - "entièrement déterminée" dès lors qu'elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée.

"Elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée" : voilà typiquement une phrase dont le sens ne me semble pas clair.

On peut relier ça à ce qu'on appelle les verbes performatifs ou les énonciations performatives. Dire "Je le jure", c'est dire et faire ce qu'on dit en même temps, c'est jurer.
Dire "Quelque chose existe", c'est dire que quelque chose existe et faire exister quelque chose dans le même temps, faire exister "je dis que quelque chose existe".
Et comment pourrait-on dire que "Quelque chose existe" est faux alors qu'on fait exister quelque chose en le disant ?

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Messagepar zerioughfe » 08 déc. 2003, 11:15

bardamu a écrit :
zerioughfe a écrit :"Elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée" : voilà typiquement une phrase dont le sens ne me semble pas clair.

On peut relier ça à ce qu'on appelle les verbes performatifs ou les énonciations performatives. Dire "Je le jure", c'est dire et faire ce qu'on dit en même temps, c'est jurer.
Dire "Quelque chose existe", c'est dire que quelque chose existe et faire exister quelque chose dans le même temps, faire exister "je dis que quelque chose existe".
Et comment pourrait-on dire que "Quelque chose existe" est faux alors qu'on fait exister quelque chose en le disant ?

OK ! Dans ce cas c'est clair.

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Messagepar Henrique » 09 déc. 2003, 12:34

Si cela est clair, tu as de quoi comprendre enfin ce qui permet de distinguer en pratique la certitude de la conviction. La certitude est impossibilité de douter parce qu'elle contient sa propre pleine affirmation, sans négation possible comme Fabien l'a montré d'une certaine façon. Au contraire, la conviction porte sur une idée qui peut admettre une négation externe parce qu'elle ne contient pas l'affirmation de son affirmation. Dès lors tu peux aussi comprendre pourquoi l'idée complètement déterminée, i.e. qui contient sa propre nécessité, la certitude, n'a pas besoin de critères ou de confirmations extérieures.

En pratique, comment cela se passe ? Tu as des affirmations comme "il y a quelque chose", ou encore, pour changer "il y a de la pensée" : ces propositions sont évidentes, non en raison d'un sentiment d'assurance qui peut aussi bien naître de la certitude que de la conviction et qui leur est postérieur, mais parce qu'elles contiennent en elles-mêmes, immédiatement, leur propre raison d'être pensées, et donc leur nécessité.

C'est parce que nous possédons l'expérience commune de telles évidences (qu'il ne faut pas confondre comme un vulgaire manuel parascolaire avec l'assurance) que nous pouvons exiger ensuite un même degré de positivité pour les autres affirmations. Comme nous voyons que certaines propositions ne peuvent être évidentes par elles-mêmes, nous reconstruisons cette évidence en saisissant l'unité de cette proposition avec les premières évidences. Mais alors l'exigence de démonstrativité apparaît clairement comme seconde dans la démarche rationnelle. Ce n'est que parce que nous confondons l'ordre des choses que nous en venons à nous imaginer que toute affirmation devrait être affirmée par autre chose, oubliant que si nous pouvons demander certaines démonstrations, c'est parce que nous avons déjà intuitivement l'idée de certaines nécessités absolues.

Henrique
PS : j'avais prévu une réponse très détaillée à ton avant dernier message, je la publierai peut-être mais nous sommes là au coeur du problème, il ne faut pas que trop d'analyses fassent perdre le sens de l'essentiel.

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Messagepar Henrique » 10 déc. 2003, 02:27

Salut !

Cette réponse est trop longue pour un forum, sa longueur pourra même faire perdre de vue l’essentiel, mais je la publie tout de même puisque l’essentiel a été précisé au dessus. On pourra donc y trouver certaines précisions importantes pour mieux comprendre encore la différence entre certitude et conviction. Autre difficulté, la forme dialoguée peut avoir tendance à donner l’impression que l’affrontement personnel l’emporte sur le débat d’idées, impression qui sera inévitablement fondée à certains moments de part et d’autre, mais mon « pari » est que chacun saura tout de même voir qu’au delà de ces moments, il y a le débat qui reste fondamental.

zerioughfe a écrit :Je voudrais savoir si tu admets que le scepticisme est irréfutable, comme je le fais pour le dogmatisme.


Si tu me poses cette question, c'est que tu ne dois pas avoir lu avec assez d'attention mon message du 6/12 car il contient une réfutation du scepticisme.
Cela dit, je reconnais que le scepticisme est irréfutable en fait pour celui qui a fait le pari que c’est le meilleur mode de pensée, de même que n’importe quelle doctrine est irréfutable quand elle découle d’un pari. Tout pari, même s’il se fonde en partie sur des raisonnements, est un saut dans l’irrationnel comme le montre bien le célèbre pari de Pascal. Dans ce cadre, il est naturel que le raisonnement n’ait plus aucune prise sur le parieur. Je vais faire une comparaison qui va sans doute te déplaire, parce qu’elle va à l’extrême, mais regarde ceux qui parient que Dieu n’est que vengeance et qu’il récompensera mille fois ceux qui seront morts pour « Lui » : tu peux leur parler de tout ce que tu voudras, de la justice, de l’amour, de l’innocence... ils ne t’écouteront jamais que d’une oreille, persuadés que leur pari est le plus avantageux.

Toi tu as décidé de parier sur la raison – que tu ne saurais comprendre comme Spinoza (= percevoir les choses non comme contingentes mais comme nécessaires et donc ipso facto comme certaines car qui dit contingence dit incertitude (E2P44) – pour toi la raison ne serait que percevoir les choses de façon moins contingente que par ouï-dire par exemple) mais passons. Puisque ce n’est qu’un pari, cela ne vaut au fond ni plus ni moins que le pari du fanatique. Alors, oui un pari est irréfutable mais uniquement parce qu’il est en deça de la raison. Et c’est pourquoi tu es peu perméable aux raisonnements qui remettent en cause ton scepticisme métaphysique. Comme tu te fondes sur une démarche de fidélité à la raison, tu peux te permettre de balayer d’un revers de main avec l’assurance d’un télévangéliste (oui j’exagère quand même un peu) les démonstrations les plus subtiles en invoquant des formules quasi-magiques « c’est un paralogisme », « cette démonstration n’en est pas une », « tous les logiciens seront d’accord avec moi », « pour quelqu’un de bonne foi comme moi cela n’est pas convaincant, donc cela demeure objectivement incertain » etc. tout cela souvent sans guère plus d’explication que ces formules. Ce n’est pas compliqué : puisque tu as parié sur la raison et que par définition, parier c’est parier en même temps qu’on a fait le meilleur choix possible, tu as toujours raison, paradoxalement tu ne doutes jamais plus de quelques minutes de ton scepticisme raisonnable.

Ce qui fait malgré tout que je continue de discuter avec toi, c’est que je ne doute pas de ta capacité à raisonner qui est manifeste mais dont tu ne sembles pas avoir assez clairement conscience, la confondant souvent avec une sorte d’imagination prudente collée à l’empirique. Par contre, je peux douter de ta capacité à prendre conscience des certitudes authentiques qui sont en toi, c’est là si tu veux mon pari encore que je l’ai déjà gagné puisque l’intérêt pour moi n’est pas de te convaincre du « dogmatisme » philosophique mais justement de raisonner avec toi. Mais si je parvenais à te sortir de ton sommeil sceptique, cela ne serait pas un mal non plus ;)

Zerioughfe a écrit :En effet : il n'y a pas de démonstration absolument probante. Mais une fois qu'on a posé quelques principes clairs (les certitudes pratiques), les démonstrations restent heureusement possibles. Elles ne perdent que leur prétention à la certitude absolue.


J'ai démontré au contraire que sans certitude absolue à la base, il n'y a pas de démonstration à proprement parler. Parle de raisonnements ou d'argumentations si tu veux, mais pas de démonstrations. En effet, une démonstration rend nécessaire une affirmation donnée sur la base d'une ou plusieurs affirmations antérieures logiquement. S'il n'y a pas de certitude absolue, il n'y a donc pas de démonstration. C'est pourtant fort clair, mais voilà tu glisses sur le sens précis des termes de sorte que tu as l'impression d'avoir toujours réponse à tout.

Pour répondre en peu de mots à la plupart de tes objections, je dirai que mon scepticisme est un pari tout à fait confiant sur l'existence du réel, sur sa rationalité, sur la fiabilité (au moins relative) de la raison humaine, et sur un certaine fiabilité (certes bien moins grande) de nos sens. Le dogmatisme, à mon sens, est un autre pari : il mise tout sur l'infaillibilité de la raison humaine. Il a pour cela d'excellentes raisons, mais le simple fait qu'il y ait un choix entre les deux est un puissant argument en faveur des sceptiques. "Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a qui ne sont point pyrrhoniens. Si tous l'étaient, ils auraient tort", disait Pascal. La possibilité du dogmatisme donne paradoxalement raison aux sceptiques, quand l'existence d'un seul sceptique intelligent et de bonne foi suffit à contredire les dogmatiques (sauf à considérer que les sceptiques sont tous aveuglés, ce qui me semble déraisonnable).


Tu parles d'une raison à laquelle je ne crois précisément pas. Tu en parles en effet comme d'une faculté, une sorte d'instrument à forger de bonnes idées. Or je nie qu'il existe une telle faculté. La raison telle que je la comprends n'est que le nom général que l'on donne aux idées claires, distinctes et complètes portant sur des notions communes et à leurs enchaînements naturels. Mais on n'a jamais vu qu'une idée générale pût être cause de quoique ce soit en particulier : la raison n'est pas cause des raisonnements, pas plus que l'idée d'homme n'est la cause effective de Pierre ou de Paul. Je n'ai donc pas à parier sur le pouvoir en général de la raison. Quand je constate une évidence particulière, quelque chose qui se voit de soi-même, je ne parie pas, je gagne si je peux dire.

D'autant plus que je n'ai pas fait ici appel à la raison mais à l'intuition intellectuelle : "quelque chose existe", je peux en comprendre la nécessité absolue à partir de cette idée même, dans sa simplicité, sans faire intervenir d'idée antérieure. J'avais pourtant l'impression d'avoir assez lourdement insisté là dessus...

Je te vois d'ici me dire que raison ou intuition, cela ne change rien. Qu'est-ce qui me prouve que l'intuition est infaillible ? Mais on ne peut justement parler de pari qu'à partir d'une incertitude. Pourra-t-on parler de pari, si je dis "je fais le pari que je fais un pari" ? A l'évidence non ou alors, c'est à toi de prouver qu'il n'y a pas certitude. Autrement, nier cela, c'est nier l'évidence. Cela s'appelle la mauvaise foi, mais ce terme de mauvaise foi suppose une volonté libre de se tromper que je n'admets pas pour des raisons que tu dois connaître, je parlerais alors plutôt de dénégation.

Je pense que la capacité qu'a la raison de douter d'elle-même, loin d'être un défaut, est la marque de sa rigueur et de son exigence de lucidité.


J'ai bien dit qu'il ne s'agissait pas de ne douter de rien. Mais douter de la raison, si l'on entend par là le fait de douter des idées claires, distinctes et complètes et non pas d'une supposée faculté de comprendre extérieure aux idées, je dis que c’est absurde. Ce serait en effet douter de ses certitudes. C’est bien sûr très politiquement correct de prétendre « douter de ses propres certitudes », mais cela ne veut rien dire : si l’on en doute, c’est que ce ne sont pas des certitudes. Alors bien sûr, on peut douter de ses convictions, idées toutes faites dont l’inverse n’est pas du tout contradictoire a priori et qui ne s’affirment dans mon esprit que parce que les idées qui pourraient les contredire sont absentes. Je ne cesse de dire qu’il faut prendre garde de ne pas appeler certitude ce qui n’est que conviction, mais de là à décréter a priori qu’aucune certitude n’est possible , c’est jeter le bébé avec l’eau du bain.

Quant à la raison en tant que faculté, source/instrument des idées vraies, non seulement j'en doute mais je la réfute comme expliqué plus haut.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, cet exemple est le seul à me faire vraiment hésiter. Tu as donc beau jeu de l'utiliser sans cesse. Je ne suis pas loin de penser que la proposition "quelque chose existe" est la seule et unique certitude absolue (toutes les autres sont clairement douteuses). Cependant, le seul fait que je réussisse honnêtement à en douter (ne serait-ce qu'infiniment peu) confirme mon scepticisme...


Je n’avais pas lu en détail les discussions sur les preuves de l’existence de Dieu (au passage, à chaque fois que je veux me lancer dans une réponse, d’autres éléments sont apportés de part et d’autres... mais j’y arriverai ;) ). Soit, mais tu n’expliques pas comment le scepticisme ne s’effondre pas dès lors qu’on reconnaît une seule certitude absolue. Et il ne t’est pas venu à l’esprit que si une certitude était possible, on pouvait sur cette base en trouver d’autres, en réfléchissant sur la façon dont on a procédé pour dégager cette certitude de l’océan d’incertitudes dont notre esprit est fait ?

Oui mais pour établir que quelque chose existe, tu fais appel à tes sens (dont la "sensation" de penser), à ta raison (que tu es incapable d'établir) et à l'évidence (que tu es incapable de fonder). Tu entres là dans un cercle : c'est donc un pari, et tout pari, pour moi, est douteux.


Tu ne sembles pas avoir bien compris : pour établir que quelque chose existe, je n’ai besoin de rien d’autre que de cette proposition elle-même ! Cette proposition s’éclaire elle-même : il n’y a pas besoin d’une faculté extérieure pour en saisir la nécessité. Quand je parle d’intuition intellectuelle, je ne parle pas d’une faculté qui projetterait une lumière extérieure, ce qui effectivement introduirait une distance entre la proposition d’un côté et le pouvoir de l’affirmer de l’autre. Quand je parle d’intuition intellectuelle, je ne parle de rien d’autre que de la capacité d’une idée à s’éclairer d’elle-même. Que cela soit compris une fois pour toutes, il n’y a pas de volonté, de raison, d’entendement, d’intuition, d’imagination en dehors des idées mêmes qu’il s’agit de comprendre. Puisque tu admets chez Spinoza à peu près tout sauf Dieu et la théorie de la vérité, je ne dois pas avoir besoin de t’expliquer plus avant qu’entendement et volonté sont une seule et même chose vue sous deux angles différents : une propriété des idées, non un pouvoir transcendant d’affirmer et comprendre ces idées.

Le scepticisme est au moins aussi irréfutable que le dogmatisme. La sophistique l'est d'ailleurs tout autant : on ne pourrait la réfuter qu'au nom d'une raison ou d'une vérité dont elle nie l'existence ou la pertinence. Ce n'est évidemment pas une raison d'être nihiliste ou sophiste (une fois qu'on a fait le pari de la raison, la phrase "rien n'est vrai" devient contradictoire). C'est est une, néanmoins, d'être sceptique.


Le scepticisme, autant que le relativisme sophistique ou le nihilisme se réfutent eux-mêmes en utilisant le raisonnement pour réfuter le raisonnement en tant que pouvoir de comprendre la nécessité des idées par elles-mêmes. On ne peut sérieusement réfuter cela même qu’on pose pour le réfuter. Autant essayer de prouver que je n’ai pas de main droite en le montrant avec ma main droite ou encore, plus subtilement, de se casser la main droite rien qu’avec la main droite !


"Quelque chose existe" est une affirmation qui est comme je l'avais dit - mais tu n'y as guère fait attention - "entièrement déterminée" dès lors qu'elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée.

"Elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée" : voilà typiquement une phrase dont le sens ne me semble pas clair.


Voilà le fond de notre problème. Tu ne comprends pas ce qu’est une idée adéquate chez Spinoza et après tu te targues d’en réfuter la validité ! Peut-être que la formulation qu’en donne Fabien t’aidera à clarifier cela, autrement je ne peux que t’indiquer de relire avec attention ce que j’en ai dit et de me dire ce qui te paraît obscur.

Je ne peux qu'être d'accord avec cela. Tu donnes une très bonne raison de ne pas tomber dans le "pyrrhonisme" orthodoxe (celui de Pyrrhon :wink: ). J'accepte la distinction que tu fais, sans toutefois l'hypostasier : elle n'est pour moi que de degré. La sensation d'évidence ne saurait être un critère absolu, car elle pourrait n'être qu'un état de mon cerveau. Je peux très bien imaginer un bug de mon cerveau qui associerait l'état d'évidence à une proposition fausse. Ainsi, l'évidence que je vois dans la proposition "si P est vraie, alors non P est fausse" pourrait bien être galvaudée. Je pourrais même avoir été créé il y a seulement 12 heures (ou même 12 secondes) : ma mémoire aurait tout simplement été initialisée avec de faux souvenirs... Tout cela peut paraître tiré par les cheveux, et assurément ça l'est, mais notre incapacité à écarter absolument ces hypothèses suffit à me rendre sceptique). Sans compter les erreurs que nous pouvons commettre sans nous en rendre compte (comme celles contenues dans les démonstrations de l'existence de Dieu :wink: )...


Si être sceptique, c’est se méfier des convictions que nous avons tendance à prendre pour des certitudes, parce que nous n’avons simplement pas envisagé la possibilité de l’inverse contradictoire, je suis sceptique ! Mais le scepticisme consiste à refuser absolument qu’il puisse y avoir des certitudes absolues, ton scepticisme modéré ne distinguant qu’entre de plus ou moins grandes incertitudes. C’est je le répète jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour « quelque chose existe » ou « il est faux que rien n’existe », ta fiction du bug du cerveau, pas plus que celle du malin génie ne peut être raison de douter puisqu’alors il y a un cerveau ou un malin génie... Et si j’insiste sur cet exemple, c’est justement parce que tu voudrais bien glisser dessus, on dirait ;) Si une seule certitude indubitable est découverte, le scepticisme « orthodoxe » ou modéré est définitivement invalidé.

Mais je t’en donne une deuxième qui fonctionne de la même façon et échappe aussi bien à la fiction du bug qu’à celle du malin génie : « il y a de la pensée ». Dans cette affirmation, quelle que soit notre condition, il y a pensée de la pensée : l’affirmation qu’il y a de la pensée est objectivement présente dans l’essence formelle de cette proposition, pas besoin ici de se référer à une extériorité qui seule pourrait introduire le doute. Tu me diras bien sûr « il pourrait ne pas y avoir de pensée » dans un univers qui ne serait qu’étendue. Mais cela ne s’oppose pas directement à l’affirmation « il y a de la pensée » qui pose immédiatement dans l’être cela même qu’elle affirme objectivement. Le contraire de « il pourrait ne pas y avoir de pensée dans la nature», ce serait « il y a nécessairement de la pensée dans la nature » : on pose ici la nécessité à l’extérieur de l’affirmation. Il faudra partir de l’idée de totalité dans son essence pour voir si l’on peut concevoir une nature sans pensée, mais c’est une autre question. C’est l’affirmation « il n’y a pas de pensée » qui serait contraire à « il y a de la pensée » et comme elle se contredit elle-même, il y a une certitude absolue qu’il y a de la pensée.

Mais là où l’on peut voir que tu ne sembles pas bien comprendre la théorie spinozienne de la vérité, c’est que tu fais de l’évidence un sentiment et que tu la supposes comme extérieure au vrai, à titre de critère. L’évidence est ce qui se voit de soi-même parce que la proposition indique par elle-même qu’il ne peut en être autrement, ce n’est pas l’assurance qui peut en découler sachant que l’assurance peut découler également de la conviction. Ensuite, elle n’est pas extérieure à la proposition, comme quelque chose qui accompagnerait ou non le jugement, elle est dans la proposition elle-même ou n’est pas.

Maintenant, se pourrait-il que nous soyons le jouet d’une Matrice qui nous donne de fausses impressions là où en réalité nous ne serions que de bêtes piles pour l’alimenter ? C’est un autre débat, qui ne remet en cause que la confiance que nous pouvons avoir dans nos sens, non la possibilité même de la vérité en tant qu’elle relève de l’intuition intellectuelle.


Il est bien clair que je serais pris en flagrant délit d'incohérence si je me disais absolument certain qu'une proposition doit être rigoureusement démontrée pour être acceptée comme certitude. Mais telle n'est pas ma démarche.
Je suis personnellement convaincu que les trois propositions suivantes sont vraies :
- Tant que la fiabilité des démonstrations n'a pas été établie, toute démonstration est douteuse en quelque chose.
- Tant que la fiabilité de notre raison n'a pas été établie, tout raisonnement est douteux en quelque chose.
- Tant que la fiabilité de nos évidences n'a pas été établie, toute évidence est douteuse en quelque chose.
Et là, tu peux toujours chercher une contradiction ! Le scepticisme, pour rester raisonnable, doit tout simplement se limiter lui-même.


J’ai bien compris que tu étais convaincu de cela. Mais j’ai montré en quoi « toute proposition doit être démontrée » est certainement fausse. Tu me réponds que tu n’es certain ni de sa vérité, mais ni de sa fausseté également sans expliquer les raisons pour lesquelles tu peux en toute bonne foi contester ce que j’avais dit : si on ne démontre pas « toute P doit être démontrée », on se contredit et si on se propose de le démontrer on tombe dans la régression à l’infini.

Ensuite tu ne comprends pas pourquoi l’inverse se suffit à soi-même : il est bien évident qu’il ne suffit pas d’affirmer quoique ce soit pour que cela soit aussitôt vrai, je dis que « toute P n’a pas besoin d’être démontrée » (ce qui n’est pas « aucune P n’a besoin d’être démontrée » !) : puisque la démonstration, c’est ce qui rend nécessaire une P, autrement dit qu’elle ne peut être niée, il y a au moins une P qui n’a pas à être démontrée, c’est cette affirmation. Une fois posée, en effet, je ne peux nier qu’elle a été posée. C’est comme quand tu me dis « un malin génie est possible », je peux fortement douter que le malin génie existe en dehors de cette proposition, mais je ne peux douter que tu l’affirmes : l’affirmation « il y a l’idée qu’un malin génie est possible » n’a pas à être démontrée parce qu’elle contient sa propre nécessité.

Ton problème, c’est que tu vas tout de suite à la connaissance des phénomènes avant de revenir au principe de toute proposition : n’ayant pas suffisamment réfléchi sur le principe de toute affirmation, qui est affirmation de l’affirmation, tu te concentres sur les conséquences et tu dis « toute affirmation contient une part de négation possible» sans voir que cela est contradictoire. Moi je dis que beaucoup d’affirmations contiennent une part de négation, dès lors que des affirmations contraires et cohérentes sont possibles, ce sont les convictions, mais que pour poser cela, il faut avoir l’idée de l’affirmation pure qui elle ne peut être niée comme je l’ai montré précédemment. Alors tu me réponds que tu n’as que des convictions en glissant sur les principes de la certitude que j’ai établis. Tu ne fais que confirmer que tu as fait un pari, c’est-à-dire que tu as posé arbitrairement une certitude sur la base d’une incertitude, ce qui te dispense de prendre en compte sérieusement les raisons que j’avance.

Aussi le problème de la fiabilité des moyens de connaître que tu poses montre bien que tu supposes qu’une connaissance ne peut être valable que si elle est certifiée par une autre. Cela ne répond en rien à mon argumentation qui montrait au contraire qu’une connaissance peut se certifier elle-même, dès lors qu’on a bien compris ce qu’on entend par certitude : non ce qui a été nécessairement confirmé par autre chose, mais ce qui doit se penser nécessairement. Quand une proposition contient cela même qu’elle affirme, au lieu d’avoir à en supposer l’existence extérieure, elle n’a pas besoin d’être « fiabilisée » par quoique ce soit d’autre.

Tu pourras encore me dire que ce que j’ai établi n’est que tautologie, que je ne fais qu’appliquer le principe d’identité à « quelque chose existe » , « il y a de la pensée » ou encore « Toute proposition n’a pas besoin d’être démontrée »... Cela n’est pourtant pas purement formel, comme A= A, il y a des contenus ayant une signification intuitive : quelque chose, la pensée, proposer, démontrer. Et en affirmant que « il y a de la pensée » s’affirme nécessairement d’elle-même, je fais une distinction entre ce qui affirme (la proposition, l’idée en tant que réalité « formelle ») et ce qui est affirmé (son contenu, ce dont elle est l’idée, son être « objectif »). L’identité pure, si tu veux, s’autoaffecte ici. Je ne dis pas seulement l’être est, le non être n’est pas, je ne dis pas seulement qu’il y a de l’affirmation, je dis que l’affirmation affirme immédiatement et nécessairement son objet lorsque celui-ci ne contient aucune négation : l’identité de l’affirmation avec elle-même pose immédiatement, mais de façon que l’on peut distinguer pour les besoins de l’analyse, l’identité de l’affirmation formelle avec l’affirmé objectal.

Tout cela est extrêmement simple bien que difficile à expliquer et à comprendre, je l’admets. C’est qu’habitués à prendre nos idées complexes pour simples, il nous est difficile de remonter aux principes les plus simples de ces idées. Le simple n’est pas le facile.

L'évidence en effet, c'est ce qui se voit de soi-même, sans qu'il soit besoin d'un moyen terme pour le voir précisément parce qu'il n'y a pas de distance entre le voir et le vu.

Il y a une grande distance au contraire...


Affirmation gratuite, sans justification qui montre bien que tu te dispenses de raisonner là où ton pari est mis en défaut en tant que pari. Ici je suis absolument certain que tu affirmes qu’il y a dans l’évidence une grande distance entre le voir et le vu, mais je doute fortement que tu aies compris pourquoi je disais qu’il n’y avait pas de distance.

(...)de même que fermer les yeux devant la fleur ne la réfute pas.

Sauf que si je suis honnête (si je ne ferme pas les yeux), cet argument perd toute sa force. A moins que je sois aveugle, ce que tu peux toujours penser.


Je dirais que tu ne regardes manifestement pas ce que je t’indique, tu regardes ailleurs. Comme celui qui dit que la lune n’existe pas à celui qui la montre parce qu’il regarde le doigt qui la montre au lieu de ce qu’il montre.


Quand on n'est pas attentif à ses idées, il est possible de prendre une conviction pour une certitude (ce qui n'est pas ton cas) aussi bien que de prendre une certitude pour une simple conviction (ce qui est ton cas).

Oui, mais il n'y a aucun moyen fiable de savoir si on manque d'attention. Nous sommes tous les deux certains d'avoir raison au sujet des preuves de l'existence de Dieu, mais il faut bien que l'un de nous ait tort malgré lui.


J’ai déjà répondu sur la question du besoin d’avoir un moyen extérieur à la certitude pour être certain. L’attention requise pour comprendre qu’il y a de la pensée n’est pas une faculté extérieure à la pensée qu’il y a de la pensée, elle est simplement pensée de la pensée et donc position de la pensée par elle-même. De même pour comprendre qu’il y a nécessairement quelque chose : l’affirmation du quelque chose s’affirme d’elle-même au moment même où il y a affirmation, ce n’est pas une pensée extérieure qui la pose.

La grande force du scepticisme est qu’affirmant que tout est douteux (même plus ou moins), toute tentative de montrer qu’alors le scepticisme est douteux ne fait que confirmer le sceptique dans son doute. Tu aurais là un autre exemple de ce que j’essaie de t’expliquer : ce pouvoir de l’affirmation de s’affirmer elle-même autant qu’il est en elle. Mais justement, cela montre aussi qu’avant d’affirmer le doute, il y a l’affirmation et que celle-ci échappe par cette antériorité au doute même. C’est pourquoi il y a une chose de plus dont tu ne peux absolument pas douter, c’est que tu doutes.

Tu pourras y mettre toute l'application que tu voudras, et n'accepter que les évidences, il n'en reste pas moins que l'édifice pourra s'effondrer. Dans la pratique, je n'accepte moi aussi que les évidences. Et j'en arrive, comme tout le monde, à la conclusion inverse de la tienne au sujet de l'existence de Dieu (en n'utilisant que des idées claires et distinctes)...


1) Tu répètes tes conclusions sans voir manifestement que j’en ai réfuté les prémisses. Tu te fondes exclusivement sur ce que le sens vulgaire appelle évidence ou certitude et qui n'est en fait que conviction puis tu en déduis facilement que rien en ce monde n’est ferme et assuré, l’édifice pourra toujours s’effondrer. Tu disais qu’on ne peut jamais être sûr de n’avoir rien oublié. Je te répondais qu’en partant de notions simples, qui se suffisent à elles-mêmes, il n’y a pas à craindre d’avoir oublié quoique ce soit. C’est cela qu’il faut critiquer si tu veux pouvoir contester mon dogmatisme sans tomber dans la pétition de principe.
2) J’ai bien compris que dans la discussion sur les preuves de l’existence de Dieu, tu t’efforçais de te situer sur un terrain strictement logique, faisant abstraction de ton scepticisme mais toujours prêt à le ressortir de ton chapeau au cas où la logique finissait par te donner tort ;-) Mais ce qui fait que je tarde à intervenir sur ce débat est justement que tu ne sembles toujours pas comprendre à fond ce que j’entends par la distinction conviction/certitude, distinction pourtant essentielle à la compréhension de ma position. C’est pourtant très simple à comprendre mais il semble y avoir chez toi un processus de dénégation par lequel tu évites de prendre en compte le coeur de mon argumentation.
3) Toujours cette insistance très rhétorique à mettre « tout le monde » de ton côté... alors qu’à l’évidence, il y a déjà Serge, Fabien et moi qui ne le sommes pas. Je ne sais plus où tu me traitais de spinoziste orthodoxe :D mais à te lire, je suis plutôt un spinoziste hérétique, les hérétiques ayant toujours été minoritaires.

Mais prendre garde de ne rien oublier ne doit pas être un motif de doute permanent. Celui qui après avoir fermé le gaz avant de sortir se demande s'il l'a bien fermé une fois sorti de chez lui n'en doute que parce qu'au moment où il a accompli ce geste pensait à autre chose, de sorte que le souvenir qu'il en a demeure obscur et confus dans son esprit : il se dira "j'ai bien le souvenir d'avoir fermé le gaz, mais était-ce aujourd'hui ou était-ce hier ?". Mais un défaut d'attention ne saurait être une preuve contre la possibilité de la certitude objective pas plus qu'une preuve que j'ai bel et bien oublié de fermer le gaz !

Qu'est-ce qu'une certitude objective dont on pourrait toujours douter en raison d'un hypothétique défaut d'attention ?


Si au moment où tu éteignais le gaz, tu ne pensais pas à autre chose mais que l’idée présente à ton esprit était que tu éteignais le gaz, il n’y aura pas « d’hypothétique défaut d’attention » tout bêtement.

Imaginer n'est justement pas le mode de penser requis pour accéder à l'intuition claire de la certitude. Mais si j'ai raison ne serait-ce que sur ce point, je ne vois pas pourquoi tu fais une règle sur l'impossibilité pratique de la certitude. Puisque tu es rationaliste, tu ne vas pas me dire l'absurdité selon laquelle "c'est l'exception qui confirme la règle".

Ce n'est une absurdité que dans ce cas précis où la règle est censée ne pas avoir d'exception !

:? : Pourrais-tu m’expliquer ce que serait une règle rationnelle qui admet des exceptions ? Pour être un sceptique cohérent, il est trop facile de dire « en règle générale, tout est douteux, mais il y a des exceptions ». Il s’agit simplement de savoir ce qu’on dit.

Pour répondre à ta question, je répète que la différence entre conviction et certitude n'est que de degré, pour la simple raison que la seconde suppose la première.


Mais si une seule certitude authentique est possible, comme tu le reconnais pour « quelque chose existe » ou encore « tous les points du cercle sont équidistants du centre », alors il y a bel et bien une différence entre une affirmation qui ne peut être niée par aucune autre et dont on ne peut donc absolument pas douter, la certitude, et d’autre part une affirmation qui peut être niée par d’autres, l’idée douteuse - ou la conviction si l’on oublie qu’elle peut être niée par d’autres. Le seul moyen que tu as de contester cette distinction est alors de montrer en quoi il serait logiquement cohérent de penser l’inverse de « quelque chose existe ». Prends ton temps, mais quand bien même « quelque chose existe » serait la seule certitude possible, alors tu n’as aucunement le droit (intellectuel s’entend) de ramener la certitude à une simple forme de conviction.

Je peux bien concevoir des certitudes qui n'en sont pas puisque ce sont des convictions !

Concevoir, sans doute, mais tu ne peux pas en trouver un seul exemple pour toi.


Là c’est moi qui ne doit pas bien comprendre ce que tu veux dire. Si je peux en concevoir, c’est que je peux en trouver des idées précises. J’ai pu me croire certain d’avoir donné un rendez-vous à X et me rendant au rendez-vous croire qu’X m’avait posé un lapin alors que j’avais simplement dit à X « il faudra qu’on se donne un rendez-vous ». Ici, la certitude n’était qu’une pseudo-certitude parce qu’ayant imaginé à un moment que je fixais telle date avec X, puis un peu plus tard me souvenant que j’avais parlé de rendez-vous avec X, j’ai confondu les deux souvenirs pour n’en faire qu’un seul, je n’ai pas envisagé de me demander s’il se pouvait que je n’ai pas fixé réellement de date avec X. C’était donc finalement une simple conviction. Où pourrait être la confusion dans « il y a de la pensée » ou « tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose » ? Là j’ai tout le loisir de me poser la question, nous ne sommes plus dans le cours de la vie ordinaire, fait de ses petites urgences et grandes obnubilations de sorte qu’on n’a pas toujours le temps ou la présence d’esprit de se poser les bonnes questions.


Il y a une différence de taille entre d'une part le clergé de l'époque qui, aveuglé par des dogmes et par des croyances n'ayant rien à voir avec la raison, refusait de se soumettre à une démarche expérimentale et rationnelle qui allait contre ces croyances, et d'autre part la quasi-totalité des intellectuels de notre époque qui, quelles que soient leurs croyances, contestent de manière rigoureuse et en toute bonne foi les preuves purement intellectuelles de l'existence de Dieu.


Sur la rigueur, c’est justement ce qu’il s’agit de discuter dans le débat sur la possibilité ou non de prouver l’existence d’un être absolument infini. Si tu en fais un préalable indiscutable, persuadé que tu es que « tout le monde » te donne raison, il n’y a effectivement guère de discussion possible. Par ailleurs, au temps de Ptolémée, il n’y avait pas de clergé comme au moyen-âge. En insistant sur les mots « dogme » et « croyance », tu joues sur la confusion possible entre dogme philosophique, qui est un jugement objectivement indiscutable, et un dogme religieux qui est un jugement objectivement discutable qu’on rend indiscutable par des forces extérieures au raisonnement. D’autre part, même en ce qui concerne le clergé du moyen-âge, puisque je parlais de St Thomas, il est tout de même un peu facile de l’accuser d’aveuglement par sa foi sur une question d’ordre physique, lui qui justement envisageait systématiquement en philosophe les doctrines adverses.

La vraie raison pour laquelle l’héliocentrisme n’a pas eu de succès dès Aristarque, c’est que cela contredisait le sentiment commun, non pour des raisons religieuses, mais parce que l’expérience semble indiquer évidemment que le soleil tourne autour de la terre. Mais cette évidence là n’en est pas une puisque l’inverse est tout à fait concevable. On n’a donc pas sérieusement examiné les preuves qu’Aristarque avançait, Ptolémée les a balayées d’un revers de main persuadé qu’il avait toute la communauté des intellectuels rigoureux et de bonne foi derrière lui ! A vrai dire, la difficulté de l’héliocentrisme, c’est qu’il requiert pour être compris (et pas simplement appris comme une évidence à l’école) une conversion du regard, qui ne se tourne plus exclusivement sur l’expérience comme source unique du savoir. Une telle conversion n’est pas facile à opérer, c’est pourquoi Aristarque n’a pas été compris tout de suite. La conversion que demande Spinoza est encore plus radicale. Normal qu’elle soit encore plus difficile et donc plus longue à comprendre.

Quoiqu'il en soit, tu dis qu'une théorie qui n'est toujours pas reconnue par le plus grand nombre, trois siècles plus tard, ne peut rien avoir de certain. Je dis que cette confiance naïve dans la valeur scientifique du jugement du plus grand nombre, quand bien même s'agirait-il de celui des intellectuels, est démentie avec l'exemple d'Aristarque qui court sur environ 16 siècles ! Tu trouves alors le moyen de te défiler en invoquant la mauvaise foi des clergés, certain que tu sembles être de la bonne foi des "intellectuels" de notre temps. Quelle vision manichéenne de l'histoire des sciences ! Il y aurait eu une nuit obscurantiste de 16 siècles pour donner ensuite lieu à 3 siècles de lumière on va dire "quasi-certaine"... Pourtant si des hommes quels qu'ils soient ont pu se tromper pendant si longtemps sur ce qui était certain et ce qui ne l'était pas, je dis simplement qu'il faut être prudent quand on croit pouvoir s'autoriser du jugement du plus grand nombre et qu'il vaut mieux se rapporter à l'autorité de la raison seule, c'est-à-dire des idées claires, distinctes et complètes en elles-mêmes. Tu me dis alors que tes idées à toi sont claires et distinctes, je te réponds que c'est ce qui est à voir, mais pour l'heure, évite simplement de croire que tes idées sont claires et distinctes simplement parce qu'elles sont partagées par le plus grand nombre.

Henrique

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zerioughfe
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Messagepar zerioughfe » 11 déc. 2003, 11:56

Ouf ! 8O

Tu veux vraiment que je réponde à tout cela ?

Personnellement je ne m'en sens ni l'envie ni le courage... Mets cela sur le compte de mon manque d'arguments si tu veux, mais je commence à me lasser un peu de ce débat. :? En tout cas cela n'a rien à voir avec toi ! :wink: .

Je ne fais ici que quelques remarques ponctuelles.

Laisse-moi te dire en vitesse que tu n'as rien réfuté du tout. En bon dogmatique, tu t'illusionnes sur les fondements puis tu reproches au scepticisme de ne pas en avoir. "Toute proposition doit être démontrée", voilà une proposition qui ne peut être démontrée, dis-tu. Tu pèches, comme toujours, par manque de précision. Ca veut dire quoi "doit être démontrée" ? Pour être vraie ? Pour être certaine ?

Le scepticisme n'a jamais prétendu qu'une proposition ait besoin d'être démontrée pour être vraie : il affirme seulement, sans certitude, qu'une proposition doit être démontrée ou légitimée par une évidence légitime pour être certaine. Or le scepticisme est incertain lui aussi : il est donc cohérent, même non démontré.

Tout pari, même s’il se fonde en partie sur des raisonnements, est un saut dans l’irrationnel comme le montre bien le célèbre pari de Pascal. Dans ce cadre, il est naturel que le raisonnement n’ait plus aucune prise sur le parieur. Je vais faire une comparaison qui va sans doute te déplaire, parce qu’elle va à l’extrême, mais regarde ceux qui parient que Dieu n’est que vengeance et qu’il récompensera mille fois ceux qui seront morts pour « Lui » : tu peux leur parler de tout ce que tu voudras, de la justice, de l’amour, de l’innocence... ils ne t’écouteront jamais que d’une oreille, persuadés que leur pari est le plus avantageux.

C'est un pari contre la raison. Mon pari est un pari primordial : le pari de la raison. Il ne saurait donc être accusé d'irrationalité. Je n'ai aucune raison de choisir la raison plutôt que la déraison. La raison s'impose à moi sans que j'aie à faire un choix comparable à celui de la loterie. Nous serons d'accord là-dessus. Toutefois, que la raison s'impose à moi ne me prouve pas absolument sa valeur.

Ce n’est pas compliqué : puisque tu as parié sur la raison et que par définition, parier c’est parier en même temps qu’on a fait le meilleur choix possible, tu as toujours raison, paradoxalement tu ne doutes jamais plus de quelques minutes de ton scepticisme raisonnable.

Pas plus de quelques secondes ! C'est en quoi nous nous rejoignons finalement.

J'ai démontré au contraire que sans certitude absolue à la base, il n'y a pas de démonstration à proprement parler. Parle de raisonnements ou d'argumentations si tu veux, mais pas de démonstrations. En effet, une démonstration rend nécessaire une affirmation donnée sur la base d'une ou plusieurs affirmations antérieures logiquement. S'il n'y a pas de certitude absolue, il n'y a donc pas de démonstration. C'est pourtant fort clair, mais voilà tu glisses sur le sens précis des termes de sorte que tu as l'impression d'avoir toujours réponse à tout.

J'ai déjà répondu à cela.

Quand je constate une évidence particulière, quelque chose qui se voit de soi-même, je ne parie pas, je gagne si je peux dire.

Moi aussi, mais je doute de la vérité de cette victoire (encore une fois, ce doute est le plus souvent métaphysique).

Soit, mais tu n’expliques pas comment le scepticisme ne s’effondre pas dès lors qu’on reconnaît une seule certitude absolue.

D'abord je ne la reconnais pas. Ensuite, même si je la reconnaissais, ce serait la seule. Par conséquent, mon scepticisme reste inentamé.

Et il ne t’est pas venu à l’esprit que si une certitude était possible, on pouvait sur cette base en trouver d’autres, en réfléchissant sur la façon dont on a procédé pour dégager cette certitude de l’océan d’incertitudes dont notre esprit est fait ?

Non, car la certitude que quelque chose existe est la seule à résister à l'argument du malin génie (mais pas à celui de la circularité).

Tu ne sembles pas avoir bien compris : pour établir que quelque chose existe, je n’ai besoin de rien d’autre que de cette proposition elle-même ! Cette proposition s’éclaire elle-même : il n’y a pas besoin d’une faculté extérieure pour en saisir la nécessité. Quand je parle d’intuition intellectuelle, je ne parle pas d’une faculté qui projetterait une lumière extérieure, ce qui effectivement introduirait une distance entre la proposition d’un côté et le pouvoir de l’affirmer de l’autre. Quand je parle d’intuition intellectuelle, je ne parle de rien d’autre que de la capacité d’une idée à s’éclairer d’elle-même. Que cela soit compris une fois pour toutes, il n’y a pas de volonté, de raison, d’entendement, d’intuition, d’imagination en dehors des idées mêmes qu’il s’agit de comprendre. Puisque tu admets chez Spinoza à peu près tout sauf Dieu et la théorie de la vérité, je ne dois pas avoir besoin de t’expliquer plus avant qu’entendement et volonté sont une seule et même chose vue sous deux angles différents : une propriété des idées, non un pouvoir transcendant d’affirmer et comprendre ces idées.

Et si on n'admet pas qu'une idée soit quelque chose en dehors du cerveau ?

Le scepticisme, autant que le relativisme sophistique ou le nihilisme se réfutent eux-mêmes en utilisant le raisonnement pour réfuter le raisonnement en tant que pouvoir de comprendre la nécessité des idées par elles-mêmes. On ne peut sérieusement réfuter cela même qu’on pose pour le réfuter. Autant essayer de prouver que je n’ai pas de main droite en le montrant avec ma main droite ou encore, plus subtilement, de se casser la main droite rien qu’avec la main droite !

Le scepticisme ne part pas de certitude, par quoi il échappe à ta critique. La sophistique ne part pas de la raison, par quoi elle échappe aussi à ta critique.

Affirmation gratuite, sans justification qui montre bien que tu te dispenses de raisonner là où ton pari est mis en défaut en tant que pari. Ici je suis absolument certain que tu affirmes qu’il y a dans l’évidence une grande distance entre le voir et le vu, mais je doute fortement que tu aies compris pourquoi je disais qu’il n’y avait pas de distance.

Si, j'ai très bien compris. Je ne fais que contester radicalement ta façon de voir les choses. Tu n'as aucun moyen de me convaincre que l'évidence est indépendante de mon cerveau. La vérité, oui. L'évidence, non. Qu'une proposition contienne sa propre démonstration, cela ne change rien de fondamental si c'est mon cerveau qui en juge.

Je dirais que tu ne regardes manifestement pas ce que je t’indique, tu regardes ailleurs. Comme celui qui dit que la lune n’existe pas à celui qui la montre parce qu’il regarde le doigt qui la montre au lieu de ce qu’il montre.

Donc c'est un imbécile. Une fois que l'autre lui a dit précisément où il faut regarder, il est impossible qu'il ne la voit pas. Sauf s'il est handicapé ou aveugle.

J’ai bien compris que dans la discussion sur les preuves de l’existence de Dieu, tu t’efforçais de te situer sur un terrain strictement logique, faisant abstraction de ton scepticisme mais toujours prêt à le ressortir de ton chapeau au cas où la logique finissait par te donner tort

Désolé que tu manques à ce point d'honnêteté. :(

Mais ce qui fait que je tarde à intervenir sur ce débat est justement que tu ne sembles toujours pas comprendre à fond ce que j’entends par la distinction conviction/certitude, distinction pourtant essentielle à la compréhension de ma position.

Parce que tu crois que je vais accepter comme vraie une démonstration fausse sous prétexte que tu la prends pour une certitude ??... :D

Mais si une seule certitude authentique est possible, comme tu le reconnais pour « quelque chose existe » ou encore « tous les points du cercle sont équidistants du centre »,

Je ne reconnais certainement pas ta deuxième proposition comme une certitude (d'un point de vue métaphysique, bien sûr) ! La première non plus, mais je suis plus prudent.

quand bien même « quelque chose existe » serait la seule certitude possible, alors tu n’as aucunement le droit (intellectuel s’entend) de ramener la certitude à une simple forme de conviction.

Si, pour tous les autres cas.

Là c’est moi qui ne doit pas bien comprendre ce que tu veux dire. Si je peux en concevoir, c’est que je peux en trouver des idées précises. J’ai pu me croire certain d’avoir donné un rendez-vous à X et me rendant au rendez-vous croire qu’X m’avait posé un lapin alors que j’avais simplement dit à X « il faudra qu’on se donne un rendez-vous ». Ici, la certitude n’était qu’une pseudo-certitude parce qu’ayant imaginé à un moment que je fixais telle date avec X, puis un peu plus tard me souvenant que j’avais parlé de rendez-vous avec X, j’ai confondu les deux souvenirs pour n’en faire qu’un seul, je n’ai pas envisagé de me demander s’il se pouvait que je n’ai pas fixé réellement de date avec X. C’était donc finalement une simple conviction. Où pourrait être la confusion dans « il y a de la pensée » ou « tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose » ? Là j’ai tout le loisir de me poser la question, nous ne sommes plus dans le cours de la vie ordinaire, fait de ses petites urgences et grandes obnubilations de sorte qu’on n’a pas toujours le temps ou la présence d’esprit de se poser les bonnes questions.

Ton exemple n'en est pas un, puisque tu te rends compte que ce n'était qu'une conviction et que tu n'avais aucun droit d'en être certain. Ou alors tu dois en tirer les conséquences : si toutes les convictions peuvent être prises pour des certitudes, tu dois douter de tes certitudes.

Je ne reviens pas sur l'héliocentrisme, pour ne pas me répéter.

Si tu en fais un préalable indiscutable, persuadé que tu es que « tout le monde » te donne raison, il n’y a effectivement guère de discussion possible
[...]
Tu me dis alors que tes idées à toi sont claires et distinctes, je te réponds que c'est ce qui est à voir, mais pour l'heure, évite simplement de croire que tes idées sont claires et distinctes simplement parce qu'elles sont partagées par le plus grand nombre.

Si tu crois que telle est ma démarche, mieux vaut arrêter cette discussion. :)

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Messagepar hokousai » 11 janv. 2004, 23:12

reponse à zerioughfe

tout tient là dedans de ce que dit henrique(cité plus bas ) ,et je dis, avec mes mots, la même chose à Succube dans un autre débat .

Comme quoi les Spinozistes partagent la même intuition et compréhension de cette intuition ,que je dirais fondamentale ..
On peut entre spinozistes discuter sur certains aspects de la doctrine et le débat est ouvert en permanence .Mais la compréhension des toutes premières pages de l Ethique ne semble pas discutable . Ce que je veux dire est qu' à défaut de cette comprehension là ,qui devrait faire consensus ,me semblet-il, on ne peut se dire Spinoziste ..

Je suis donc d'accord avec le spinozisme d'henrique quand il dit :

""""Tu ne sembles pas avoir bien compris : pour établir que quelque chose existe, je n’ai besoin de rien d’autre que de cette proposition elle-même ! Cette proposition s’éclaire elle-même : il n’y a pas besoin d’une faculté extérieure pour en saisir la nécessité. Quand je parle d’intuition intellectuelle, ...""

j'en parle d' autant plus aisément que je ne suis pas Spinoziste au sens strict ..plutôt Wittgensteinien ..ou .....enfin dans ces eaux là ..Donc quand même encore Spinoziste ..

Mais voyez- vous avec Spinoza j'ai une relation d' affection, voila un philosophe que j 'aime , aussi m éfforcais-je de le comprendre .Je peux faire erreur, bien sûr ce n'est pas sans rique ..mais il se trouve que je suis d' accord avec Henrique.

Alors je le dis .

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Messagepar Miam » 29 févr. 2004, 01:17

:cry: Je me suis souvent demandé si on ne pouvait pas interpréter les 11 premières propositions de l'éthique de manière "kantienne". La substance spinoziste, en tant que substance déterminée, positive, et partant opposée à la substance des scolastiques et des cartésiens qui reste indéterminée ou du moins issue de l'indétermination de la "res" et comme imbibée de négativité, ne peut-elle être conçue comme la condition de possibilité de toute connaissance? C'est une manière de justifier la preuve ontologique chez Spinoza qui sera dès lors, étant donné son usage, fort différente de celle de St Anselme. L'étendue et la pensée seraient dès lors des sortes de formes de l'intuition. Cela ne veut évidemment pas dire que Spinoza préfigure Kant. Il n'y a déjà pas de "Ich denke" ni surtout d'objet=x comme chez Descartes "res"= sujet indéterminé de ses attributs est une forme affaiblie de la substance.

Comme l'écrit Henrique, tout ce qui est pensable existe chez Spinoza. Même le cercle carré existe d'une certaine manière puisque son être formel est contenu dans l'attribut pensée et son être objectif dans l'idée de Dieu comme condition de possibilité de la connaissance. Cela ne veut pas dire qu'il existe concrêtement mais qu'il existe comme "participant" (pour employer un terme thomiste) en quelque manière à la substance.

Quant à la distinction de la certitude (ou de l'idée vraie) et de la conviction, je la vois ainsi. Il y a un critère logique, quasi opératoire, de sorte que ce qui marche doit être tenu pour vrai tant que ça marche. Mais cela ne suffit pas: il y a aussi un critère affectif : tout ce qui augmente ma puissance (au sens spinoziste évidemment) doit être tenu pour vrai. Dans cette mesure, la certitude exige l'idée de l'idée. Non pas la réflexivité d'une conscience de soi mondaine, mais le fait que l'idée de Dieu, de même que l'entendement infini sont des modes contenus dans l'attribut pensée. Que la substance se pense elle-même de la sorte serait alors condition de possibilité de toute connaissance. Ce que l'on nomme "je" pense, donc il y a de la pensée. C'est valable même dans Matrix. Quant à l'existence du Corps, donc de l'étendue, le fait qu'il faille manger pour penser devrait suffire. C'est d'ailleurs par ce genre d' axiome que commence la seconde partie de l'Ethique accompagné de l'assertion "l'homme pense". Il faudrait insister sur la positivité de la connaissance spinoziste. "Le néant n'a pas de propriété" est bien énoncé par Descartes, mais il exploite pourtant ce néant puisque Dieu ne possède pas de compréhension au sens sémantique de Port-Royal, pas de valeur sémantique, et c'est précisément cette absence de compréhension qui est la la base de la preuve de son existence. Dieu reste incompréhensible chez Descartes alors qu'il est compris de tous, sous réserve des idées imaginatives qui l'occultent, pour Spinoza. En ce sens Spinoza rejoint Nietzsche dans sa critique de la négativité. Il me semble que l'idée du Dieu spinoziste est compréhensible par tous, y compris par les Papous et les Eskimos si l'on fait abstraction de toutes les idées imaginatives, alors que le Dieu thomiste ou cartésien ne peut être reçu que par les seuls chrétiens. D'ailleurs je suis athée et pourtant croit au Dieu de Spinoza.

Les deux critères de la certitude évoqués plus haut peuvent, à mon avis, être résumé par le terme de "production". La substance est constituante, c'est-à-dire productive et non créative. Je connais une chose lorsque je la produit. Causa sive ratio ne veut rien dire d'autre. Ce côté "pratique" de l'Ethique qui porte bien son nom ne doit pas être oublié. Et cela a des conséquences immenses sur la théorie de la connaissance. Spinoza était aussi un manuel, contrairement à Thomas ou Descartes. Ce n'est pas pour rien que Spinoza évolue vers des considérations de plus en plus politiques. Me fais-je bien comprendre?


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